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Marché des motos : Lutte féroce au sommet sur fond d’accusations de fraude

Publié le mercredi 8 février 2006 à 07h40min

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Le marché de la moto au Burkina est quasiment partagé entre deux groupes, la SIFA et SIMMO-Mégamonde. Entre ces deux géants se débattent les commerçants du secteur informel qui veulent aussi leur part du gâteau. Autant d’intérêts à défendre qui explique une certaine surenchère verbale.

Sidwaya a voulu en savoir davantage sur cette situation en allant visiter les sites de productions et en rencontrant les différents protagonistes. Voici notre constat.

Tout est parti d’un Kantigui publié par Sidwaya et dénonçant des pratiques et manoeuvres auxquelles se livrerait le groupe SIMMO-Mégamonde pour avoir une position dominante sur le marché. Un article qui a eu l’avantage de délier les langues à la grande joie d’une partie des acteurs du marché. Réciproquement, Mégamonde crie à la manipulation et réfute toutes les accusations formulées. Nous décidons alors de nous rendre sur les sites de production puisque nombre de personnes vont jusqu’à remettre en cause l’existence de celle de Megamonde. Et lorsque ce n’est pas l’existence de l’unité qui est contestée, on parle de soudure, de peinture et enfin de classification en douane. Notre première étape est cependant les bureaux de l’Association des petits commerçants voyageurs, non loin du marché central Rood Woko. Nous sommes reçus par l’instance dirigeante de l’association quasiment au grand complet. « Le sujet est grave et nous tient à coeur », nous indique-t-on pour justifier une telle mobilisation. En plus du bureau, des membres opérant dans le marché de la moto sont présents. Forte de 500 commerçants voyageurs, cette association, vieille de 10 ans, n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de ses membres. Aussi, se dit-elle touchée par ce qui arrive à ses membres importateurs de motos. « Leur nombre ne fait que diminuer d’année en année.

Et pourtant, ils ont été pionniers dans le domaine bien avant les Etablissements Bayala et le groupe Fadoul. Ils amenaient les motos du Nigeria puis de l’Asie (NDLR:la fameuse Jakarta). Puis, les conditions douanières ont changé avec un tarif préférentiel pour certains, une valeur de référence forte pour nos membres qui n’en peuvent plus », avance, Tasséré Sana, le président de l’APCOV.

Cette discrimination, soutient le trésorier de l’APCOV, ne se justifie pas au regard des textes. Pour lui, peuvent avoir droit au tarif préférentiel les usines. Or clame-t-il, « à notre connaissance, il n’y a pas d’usines au Burkina. Il y a des unités de montages qui importent des motos en pièces détachées transportables dans des caisses. Il ne font qu’assembler. Ce que nous faisions du reste ».

Il dit ne pas comprendre alors pourquoi les unités de montages ont droit à une taxation faible (autour de 20000 F la moto contre plus de 145 000 F CFA pour les autres) en douane. « Nous sommes autorisés à importer les motos dans les mêmes conditions que les autres sauf que la valeur de référence qui est appliquée est de 300 000 F CFA soit un taux de douane de 48%. Lorsque nous ajoutons les frais d’approche et de transport, nous ne pouvons pas être compétitifs face aux autres, » ajoute un autre membre de l’APCOV. « Les autorités aident les autres et nous laissent à nous-mêmes ».

Il en veut pour preuve, le refus des autorités du ministère du Commerce et de la douane de les recevoir et de leur donner ne serait-ce que les informations demandées. Approchée, la douane après avoir réclamé un canevas d’interviews a préféré se taire se réservant de se prononcer plus tard sur le sujet par voie de conférence de presse. Depuis donc octobre 2005, nous attendons ce point de presse. Le ministère du Commerce nous a renvoyé auprès d’une de ses directions spécialisées dans le traitement de telles questions.

Après plusieurs tentatives d’entretien avec les responsables de cette direction située sur l’avenue Kwamé-N’Krumah, nous nous verrons remettre un prospectus sur les conditions de création et d’implantation d’unités commerciales au Burkina Faso.

Des attitudes équivoques

Des attitudes qui ne sont pas faites pour rassurer les différentes parties qui sont loin d’être d’accord avec les autorités. Chacun a quelque chose à reprocher à cette administration. Pour l’APCOV, il y a aussi cette politique d’attribution d’agréments pour l’implantation d’unités de montage qu’il faut revoir. Les demandeurs seraient nombreux, de leur avis, mais contre toute attente, seuls les groupes « multinationaux » (SIMMO-Megamonde, SIFA et DIACFA) ont été satisfaits. Les structures nationales attendraient. Il y aurait beaucoup de demandes d’agréments en souffrance au ministère du Commerce. Le trésorier de l’APCOV croit qu’on préfère les loups aux agneaux. Conséquence, croit-il, ces multinationales frauderaient massivement.

Il le croit fermement d’autant plus que des collaborateurs à lui travailleraient avec ce multinationale et l’informent de tous les faits et gestes de la « concurrence ». Les unités de montage ne seraient, d’après lui, que des couvertures. « On les met en marche lors des contrôles et des visites d’officiels ». Pourquoi n’avoir pas parlé avant notre visite ? L’APCOV dit craindre des représailles en s’exprimant même en ce moment sur cette affaire. Elle fait état de délais allongés pour le dédouanement des marchandises de ses membres, atteignant parfois 15 jours contre à peine 1 jour pour les « multinationales ».

Elle signale également un cas d’amende d’un de ses membres qui a importé quarante motos en pièces détachées. Après s’être acquitté des frais de douane, le commerçant s’est vu rattraper par les douaniers qui lui ont infligé une amende d’un millions de F CFA parce qu’il n’aurait pas dû inscrire sur sa facture : motos en pièces détachées. Nous n’avons pas pu vérifier la véracité de ces informations, la douane s’étant réservé le droit de réagir par voie de point de presse. Il en a été de même lorsque nous avons voulu savoir si des douaniers se rendaient à Megamonde comme le laissait croire une certaine opinion pour délivrer des CMC (Certificat de mise en consommation). Nous nous en sommes tenus à la version des accusés et des accusateurs.

Les uns affirment que la pratique est courante. Megamonde rejette tout en bloc. Mieux, elle nous invitera à suivre son cheminement en douane où des clients devaient se faire délivrer des duplicatas de CMC . Non seulement les douaniers ont opéré dans leurs bureaux mais ont tenu à voir les engins et à contrôler les numéros avant de signer les documents demandés. Après l’APCOV, nous avons pris la direction de l’usine SIFA à Bobo-Dioulasso.

Après plusieurs rendez-vous manqués pour cause de vacances puis de rupture de matières premières, nous parviendrons après près de deux mois d’attente à avoir un entretien avec le directeur administratif de l’unité et une visite guidée des locaux par l’entremise du directeur technique. Nous apercevrons le directeur général de l’unité dans les couloirs de l’usine et nous échangerons quelques civilités avec lui dans ses bureaux. Pour des raisons de calendrier, il ne pouvait pas se prêter à nos questions. Nous n’avons, en tout cas, pas perdu au change.

Le directeur administratif nous fera l’historique de la maison puis nous situera sur son état actuel à cause de la situation du marché de la moto mais aussi des événements en Côte d’Ivoire. Fondée en 1963, la SIFA qui a une capacité de production de 30 à 40 motos par jour a connu plusieurs statuts et des fortunes diverses. Elle a ainsi failli fermer ses portes en 1984-1985 lorsque ses avantages au code des investissements cessa tandis que la SENISSOT (Puchoma) naissait. L’entreprise fera alors des pertes de près de 800 millions de F CFA et envisagera même une compression de personnel.

Il a fallu l’intervention des autorités de l’époque, de concert avec les créanciers de la société pour trouver une solution au problème par une augmentation du capital sauvant les emplois et l’outil de travail. Cette opération de sauvetage était assortie de la condition de diversification des produits de la société. Ce fut fait et la croissance revint jusqu’en 2003-2004.

Entre temps, il y a eu la privatisation de la société en 1994 permettant de porter le capital de la société à 822 millions de F CFA essentiellement détenu par le groupe CFAO (58%), Burkina Moto (22%) et l’Etat burkinabè (18%). Le reste du capital est détenu par des privés nationaux. Depuis 2003-2004, avoue M. Issa Simporé, directeur administratif de la SIFA, « nous éprouvons des difficultés. Nous avons même enregistré notre premier résultat déficitaire en 2003 : 60 millions de F CFA.

La tendance ne se redresse pas et pour 2005, les pertes avaient atteint la barre de 80 millions de F CFA en novembre ». Pour les uns, ces pertes sont liées aux prix des produits SIFA jugés plus élevés que ceux de la concurrence. Pour d’autres, c’est la situation en Côte d’ivoire qui « plombe » les activités de toutes les entreprises bobolaise.

Répondant à cela, M. Simporé pense que l’argument du prix ne tient pas parce que c’est une question de rapport qualité-prix. « Nous représentons de grandes marques : Peugeot, Yamaha et Suzuki. Il y a donc un seuil en-dessous duquel ces marques n’accepteraient pas de travailler avec nous. Le client qui bénéficie de cette qualité en a du reste pour son argent car nos produits durent plus longtemps ». Il cite volontiers le cas de la Yamaha qui doit nécessairement avoir son réservoir chromé. Un tel réservoir tiendrait au moins 30 ans. Pour la crise ivoirienne, M. Simporé pense que sa structure a pu s’adapter à la situation.

La cause de leur problème serait à chercher du côté de la concurrence jugée déloyale. « Nous importons en CKAD (Entendez : Présentés entièrement à l’état, démonté, ou non monté importé par l’industrie du montag). Ce qui augmentent nos charges avec les traitements de surface, la soudure et la peinture. Toutes choses que ne font pas nos concurrents qui se contentent de monter. Nous avons une valeur ajouté dans notre travail sans oublier que les facteurs de productions (eau, électricité etc.) sont plus chers au Burkina que dans la sous région ». « En clair, il accuse les concurrents de fraude et interpelle l’Etat sur sa responsabilité. « Nous payons environ 3 milliards de F CFA d’impôts par an. Ce qui n’est pas rien. Nous employions plus de 400 personnes (permanents et occasionnels) dans les années 1990. Actuellement, nous sommes à 118 permanents sans temporaires. L’Etat doit se pencher sur notre situation au lieu d’aider uniquement le secteur informel. Le secteur Informel ne développe que les individus », martèle M. Simporé. Il laisse entendre que si en 2006, les indicateurs de la société ne s’amélioraient pas, il y aurait une restructuration. Il affirme pourtant que sa société n’a pas peur de la concurrence loyale et traite les autres de pseudo industriels gangrenant l’économie burkinabè. M. Simporé est en effet convaincu qu’on ne peut pas vendre une moto quelle que soit son origine au prix actuellement pratiqué sur le marché avec les motos asiatiques avec en plus des gadgets (casques, assurance etc.). Il estime que les autres n’ont pas d’usine et ne devrait pas figurer à la catégorie une de la tarification douanière. Il demande alors leur déclassement pure et simple pour la catégorie où la valeur de référence est à 300 000 F CFA. Mais le recours à la centrale d’achat de Peugeot ne grève-t-il pas les charges de la SIFA ? M. Simporé n’y voit plutôt que des avantages et traite les adeptes de cette thèse de profanes. Pour lui, la centrale d’achat leur assure une parité fixe avec le yen, une assistance technique et un label de grand groupe.

Ce faisant, il ne souffrirait pas de ruptures d’approvisionnement en matières premières et les avaries lors du transport ne leur sont pas imputées. Pour toutes ces prestations, la centrale perçoit une commission connue d’avance. Du reste, soutient-il rien ne prouve que toute seule, une entreprise puisse s’en sortir. En tout état de cause, insiste-t-il, une maison mère n’a pas intérêt à tuer « la poule aux oeufs d’or » surtout lorsque la « poule » vaut 58% du capital de la SIFA avec le prix de l’action à 13 200 F CFA.

D’ailleurs, la SIFA tient à décliner sa responsabilité sur les prix pratiqués sur le marché qui ne seraient pas fixés par elle mais par les commerçants qui traitent avec les grossistes. Un sujet qui fâche également puisque là aussi, la SIFA accuse les autres de faire office de « fabricant », de grossiste et de détaillant. « C’est contre les lois de l’industrie car des concessionnaires existent pour la vente », conclut M. Simporé qui laisse entendre que les grossistes ont parfois plus de marges bénéficiaires que le fabricant.

Il en appelle donc à une application stricte des textes régissant l’activité industrielle au Burkina par une politique certes libérale mais suffisamment protectrice pour les unités citoyennes. La SIFA souhaite en outre le renforcement des compétences de la commission de lutte contre la fraude. Pour ce qui est de sa situation, elle dit avoir adressé un mémorandum au Groupement professionnel des industriels dont sont membres également ses concurrents.

Victime ou coupable idéale ?

Au groupe SIMMO-Megamonde, on est visiblement affecté par ces accusations qui ne se justifient pas à leurs yeux puisque leur entreprise est régulièrement installée. Mieux, elle paie plusieurs milliards d’impôts par an et emploie en ce moment plus de 189 personnes. Sur les questions de la conformité de l’unité SIMMO avec les textes, le secrétaire général du groupe, Ousmane Ba qui nous a reçu nous conduira à l’unité en disant, « nous n’avons rien à cacher ». Nous y verrons beaucoup de similitudes entre leur unité et celle de SIFA. A peu de chose près, nous verrons les mêmes machines.

Une différence, c’est l’essai de la moto sortie de la chaîne qui se fait par simple démarrage à la SIFA mais qui est réalisé avec un banc à SIMMO. On y contrôle la vitesse et le rejet des gaz d’échappements dans la nature. « Nous n’avons rien à cacher. Cette unité nous a coûté plus du milliard. Nous y faisons non seulement le traitement de surface mais aussi la soudure et le montage. On ne fait pas un tel investissement juste pour les visites d’officiels. Il faut rentabiliser ». Des équipements étaient attendus en fin décembre pour augmenter la capacité de production de l’unité de 60 motos par jour à une centaine pour satisfaire une clientèle toujours grandissante. En 2004, c’est plus de 12 000 motos que le groupe a mises sur le marché. Pour 2005, il visait le cap de 18 000 motos.

Pour le groupe, le marché est très perturbé par l’informel et la fraude mais cela affecte de son avis, plus l’Etat que les entreprises. Les pertes subies par l’Etat seraient, croit-on, plus importante que celles subies par les privés. N’empêche qu’on assure ne pas trop s’intéresser à la question car le phénomène de la fraude et de la contrefaçon est mondial. « Il faut s’adapter au marché et savoir réagir. Il y a fraude parce que la demande existe. Les sociétés doivent revoir leur copie pour mieux vendre au lieu de crier à la fraude.

Ce n’est pas leur rôle de lutter contre la fraude. Tout est question de stratégie. Du reste, le marché existe. Le potentiel aussi, il faut s’adapter », rétorque M. Ba aux accusations qui fusent de partout. « Notre groupe, ajoute-t-il, est transparent dans ses activités et nous tenons à la disposition de toutes les structures de contrôles les documents qui l’attestent. Les fraudeurs n’ont pas pignon sur rue. Ils opèrent dans la clandestinité. Autrement dit, on les prend et on les mets en prison. ce n’est pas le cas de SIMMO-Mégamonde. Les autres n’arrivent pas à suivre le rythme et voient des coups bas partout. Peut-être ne sont-ils pas si propres qu’ils ne le font croire... ».

Réagissant sur la politique de prix de son groupe, M. Ba dira d’emblée que contrairement à ce qu’en pense la concurrence, SIMMO-Mégamonde ne fait pas de super profits puisque ses marges sont indexées à ceux du marché. « Nous avons commencé dans la moto d’occasion haut de gamme avec des prix de l’ordre de 700 à 800 000 F CFA. C’était à notre avis très chers pour les burkinabè. Nous nous sommes alors orientés vers la moto chinoise qui coûte à la base au moins 10 fois moins cher que la moto japonaise.

Cette option correspondait aussi au désir de changement des populations. Nous avons opté de compléter cette offre par un service après vente, un casque et une police d’assurance. Cela grève bien entendu notre marge mais puisque notre relation commence après la vente, nous trouvons notre compte à terme. Nous ne sommes pas une ONG. Nous avons une façon différente de chercher l’argent en attirant toujours et toujours plus de clients ». Il précise que l’usine c’est SIMMO et Mégamonde est un concessionnaire aux côtés d’autres.

Chaque entité a sa personnalité juridique propre. Il déplore l’usage abusif de leur marque et met en garde les éventuels « fraudeurs » de poursuite en justice. Certains ne respectent pas les règles et veulent profiter de la campagne publicitaire du groupe pour se faire de l’argent. Enfin, le groupe affirme ne pas comprendre ces attaques et estime avoir jusqu’à preuve de contraire de bonnes relations avec les grandes sociétés. Il serait disponible à dialoguer avec tout le monde dans le cadre du GPI pour trouver des solutions à leurs problèmes communs.

Victorien A SAWADOGO (visaw@yahoo.fr)
Sidwaya

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