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Mort d’Eyadema : Un an après, le Togo se cherche toujours

Publié le mardi 7 février 2006 à 07h05min

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Lui aussi était donc mortel ! En ce samedi 5 février 2005, le Boeing 707 présidentiel Togo 01 qui transportait Gnassingbé Eyadéma malade, en route vers l’Italie où il devait subir des soins, a dû atterrir à Tunis, car l’illustre malade avait rendu l’âme à 10 000 mètres d’altitude avant la destination.

Un décès que cacheront aux autorités tunisiennes, à l’atterrissage, celui qui deviendra plus tard chef d’Etat du Togo, Faure, l’épouse du défunt, sans oublier l’inséparable conseiller constitutionnel, Charles Debbash, l’ex-doyen de la Faculté de droit d’Aix-en-provence, qui étaient tous dans l’avion.

Après cette halte au pays de Bourgiba, la dépouille mortelle de celui qui régna 38 ans sur ce petit pays de la côte ouest de l’Afrique retournera à Piya, son village natal, d’où l’avion avait décollé plusieurs heures auparavant, en attendant les obsèques, qui eurent lieu du 13 au 15 mars 2005.

Lui aussi pouvait donc mourir, chose à laquelle ses compatriotes et, dans une moindre mesure, d’autres Africains avaient fini par ne plus croire, tant le mythe d’immortel qui accolait à ce personnage était ancré dans l’inconscient collectif.

A 31 ans le 13 janvier 1967, lorsque le sergent-chef Etienne Eyadéma entra par éffraction pour la seconde fois dans l’histoire du Togo en prenant le pouvoir après avoir déposé Nicolas Grunisky, aucun analyste politique ne pouvait lui prévoir une telle longévité. Et pour cause : le lutteur kabyè qui avait institué l’initiation des Evalas, cette lutte traditionnelle couverte par la presse et qui se déroulait au pied des collines de Piya, eut un parcours qui n’est pas sans rappeler ceux de héros de certains romans ou de films de série B.

Il fut l’homme qui échappa aux multiples tentatives d’assassinat, le miraculé de Sarakawa (il est sorti indemne du crash d’un DC 10 en 1974), le maître de Lomé 2, le palais qu’il a érigé, où régnait une température de Sibérie et où il prenait un malin plaisir à donner rendez-vous à ses ministres où à ses visiteurs à des heures pour le moins insolites, genre 2 h 27, 14 h 11, 5 h 02...

"Gnas" était également le sorcier, le personnage de l’irrationnel, bardé de gris-gris, presqu’invisible. Son leg politique ? Pas grand chose.

Chef d’Etat d’une nation prospère au début des années 70, Eyadéma sombrera petit à petit dans la monarchisation du pays, caractérisée par le culte de la personnalité et la captation des ressources du Togo par lui et les siens.

Caricaturalement, de 70 à 90, ce fut la dictature au Togo, de 90 à 2000, la révolte, puis le début d’une transition démocratique manquée, avec ses effets désastreux sur l’économie et le social.

Si Eyadéma avait quitté la présidence dans les années 90, il aurait permis au Togo de s’en sortir, à tout le moins d’avoir une chance de renouer avec la croissance et de rompre d’avec la spirale des turbulences politiques.

Ayant annoncé plusieurs fois son retrait du pouvoir comme par exemple en 2003, le général Gnassingbé Eyadéma aura manqué n fois à sa parole, car, manifestement, il n’y avait pas de vie pour lui après la présidence, et finalement, il aura presque tout gagné sur cette terre : président à vie et se faire succéder par son fils. Qui dit mieux ?

Le Togo est-il sorti de l’impasse avec Faure Gnassingbé ?

En moins d’un an de pouvoir, il serait injuste de porter un jugement tranché sur la politique du "petit" comme l’appellent certains Togolais. Cependant une grille de lecture peut être faite à partir des actes qu’il a posés depuis sa victoire controversée à la présidentielle du 24 avril 2005.

Avant même la proclamation des résultats par la CENI, il acceptait de rencontrer le chef de file de l’opposition radicale, Gilchrist Olympio, à Abuja, sous le parrainage d’Olesegun Obasanjo. Il le fera encore à la mi-septembre à Rome sous l’égide de Sant’Egidio.

Mieux, il n’a cessé, durant la campagne électorale, d’appeler à l’union des Togolais : "Je suis le président de tous les Togolais", dira-t-il le 26 avril, à l’issue de la proclamation des résultats. A l’évidence, le premier constat est qu’il est prêt à dialoguer avec la Coalition jaune.

Et ce n’est pas tout, le fils du général Eyadéma attacha du prix à la formation d’un gouvernement d’union nationale, voire de cohabitation, même si ses adversaires politiques ont décliné cette offre, contraignant Edem Kodjo, le Premier ministre, à former son équipe, de 30 membres, dans laquelle cette coalition est aux abonnés absents, excepté le ministre de la Justice, Tchessa Abi, du Parti socialiste pour le renouveau (PSR).

Il a réintégré le palais de la présidence (abandonné depuis 1991 par son père), et Lomé 2 fait désormais office de résidence privée, fait libérer le DG du Port autonome de Lomé, M. Agbéyoné Kodjo, qui, visiblement, était victime d’un harcèlement juridico-politique, sans oublier sa compassion non feinte pour les familles endeuillées lors des émeutes des 26 et 27 avril 2005.

Enfin on aura remarqué que subrepticement il se défit de la vieille garde qui entourait son père. A la trappe donc les généraux Seyi Mèmène, Assane Tidjani, Zoumaro Gnofame, et les civils Famberé Natchaba, Ayité Mivedor...

Quant à la grande muette, son frère aîné Kpatcha Gnassingbé veille dessus, en tant que ministre de la Défense.

Ça crève les yeux, Faure, conscient qu’il souffre d’un délit de patronyme, œuvre à dissocier son image de celle de son géniteur. Ce qui n’est pas du donné, si l’on s’en tient au contexte, où une "déyadématisation" ne sera pas de tout repos, avec les anciens réflexes, qui demeurent.

Ainsi dans le domaine des droits de l’homme, la tâche reste gigantesque et le rapport d’Amnesty International de mai 2005 "Togo, l’histoire se répète-t-elle ?", allusion à de fâcheux précédents (cf. "Togo : le sacre de l’impunité", "Togo, Etat de terreur"), montre à l’envi que cette similitude avec l’époque du père n’a pas totalement disparu.

Ce serait pourtant verser dans la critique facile que d’absoudre totalement l’opposition togolaise, qui doit également se résoudre à discuter, à dialoguer, car après tout, à force de tirer à hue et à dia, on ne récolte que des morceaux cassés.

Le point 1.1 des 22 engagements souscrits avec l’Union Européenne devra donc s’intégrer dans le plan politique de cette coalition jaune.

Ce point, qui n’est autre que le dialogue politique, n’étant nullement un signe de faiblesse, devra surtout décrisper la situation au Togo qui n’est ni chair, ni poisson. Prendre langue avec le pouvoir, c’est le reconnaître de facto, et parvenir à des concessions, voie royale pour le retour total à la normale au Togo.

Et incontestablement, ce dialogue intertogolais, qui, vraisemblablement, devra se tenir à Ouaga en mars 2006, sera une chance pour ce peuple martyrisé de palabrer les yeux dans les yeux afin de résoudre leurs contradictions, car de toutes façons, même les plus grandes guerres ont pris définitivement fin autour d’une table de discussion. Ce qui permettra alors au Togo, qui se cherche toujours, de se retrouver... enfin.

Z. Dieudonné Zoungrana
L’Observateur

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