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Sécurité alimentaire : Le paradoxe de l’excédent céréalier

Publié le vendredi 3 février 2006 à 07h26min

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Depuis quelques années, les campagnes agricoles dégagent des excédents céréaliers au Burkina Faso. Pourtant avec ce surplus, des provinces du pays sont toujours en proie à des crises alimentaires.

« Les céréales occupent une place très importante dans l’agriculture et l’alimentation du Burkina Faso ». Le rôle prépondérant de la culture céréalière dans la vie des Burkinabè et l’économie nationale a amené le gouvernement à élaborer des politiques conséquentes en vue d’accroître la production : aménagement de plaines et de bas-fonds, construction de fosses fumières, promotion de la petite irrigation, amélioration des variétés, Programme Saaga... Et depuis quelques années, le pays ne cesse de dégager des excédents.

La production céréalière nationale pour la campagne 2005-2006 est estimée à 4 064 648 tonnes, soit 40% de plus que celle passée et 36% de plus que la moyenne des cinq dernières années. Elle permet alors de réaliser un excédent céréalier de 1 052 895 tonnes. A priori, le spectre de la crise alimentaire ne doit pas apparaître cette année au Burkina Faso. Car une étude menée conjointement par le ministère de l’Agriculture et le Comité interprofessionnel des céréales (CIC) montre que l’augmentation moyenne de la production céréalière est supérieure à celle de la population. « L’accroissement moyen du rendement céréalier est de 8% par an alors que celui de la population est de 2,4% ». Celle-ci révèle aussi que les superficies aménagées pour la culture des céréales connaissent sans cesse une croissance.

En effet, sur dix (10) hectares ensemencés, huit (8) sont aujourd’hui en céréales. « La progression de la production au cours des dix dernières années est surtout liée à l’agrandissement des surfaces cultivées par les exploitants ». Ainsi, en dehors du riz dont la culture locale estimée à 100 000 tonnes n’arrive pas à couvrir les besoins nationaux, les rendements des autres céréales (maïs, mil, sorgho) sont à même de nourrir les douze (12) millions de Burkinabè. « Les céréales sont la base de l’alimentation nationale. Chaque Burkinabè en consomme chaque année autour de 190 kg ». Toutefois, la ratio production céréalière/population nourrie ne confirme pas la réalité alimentaire du pays.

En dépit de l’excédent réalisé, l’année dernière, les provinces du Nord n’ont pas été à l’abri de la disette. La famine s’est même fait sentir dans certaines contrées. L’agriculture burkinabè ne souffre pas de sa capacité à produire abondamment et à nourrir la population nationale.

Facteurs endogènes et exogènes des crises alimentaires

Elle est plutôt confrontée à des problèmes d’ordre organisationnel. « La filière céréales reste très mal organisée. Le marché céréalier est libre mais les acteurs n’ont pas assez de soutien pour bien jouer leur rôle », reconnaît le Plan d’actions sur les céréales. En somme, la gesttion de l’excédent céréalier pose problème.

La production des céréales au Burkina Faso a toujours présenté deux zones agricoles : l’une excédentaire et l’autre déficitaire. Mal an, bon an les provinces de l’Ouest du pays connaissent en général, une surproduction céréalière. Celles du Nord, à défaut de récolter le strict minimum suffisant pour l’alimentation, éprouvent d’énormes difficultés pendant la période de soudure. Aussi, lorsque les crises alimentaires apparaissent, les consommateurs des zones déficitaires rencontrent des problèmes à s’approvisionner sur le marché tandis que les producteurs des provinces excédentaires sont limités dans leur désir d’écouler le surplus de leur récolte. Même si elles sont accessibles, les céréales sont hors de portée des bourses. La filière céréales est donc confrontée à un problème de redistribution de l’excédent céréalier. L’absence de synergie d’action entre les différents acteurs (pouvoirs publics, producteurs-transporteurs-commerçants) rend difficile la disponibilité des céréales sur l’étendue du territoire. L’espoir suscité par la Société de promotion des filières agricoles (SOPROFA) s’est aujourd’hui envolé. Et la Société nationale de gestion des stocks de sécurité (SONAGESS) n’intervient qu’en cas de nécessité. Des spéculateurs endettent également les producteurs avant même les récoltes. Soit ils enlèvent l’excédent très tôt à un prix dérisoire, soit ils proposent aux paysans des sommes parfois modiques dont ils ont besoin pour survenir à la scolarisation des enfants ou aux soins médicaux contre des sacs de céréales. Ainsi, malgré sa bonne récolte, un cultivateur peut être dépouillé de sa production.

Car il a contracté des dettes avant la récolte ou il a besoin d’argent pour les fêtes d’après recolte. A cela, s’ajoute la survivance des pratiques traditionnelles qui consistent à utiliser une bonne partie de la récolte pour des funérailles. Par ailleurs, outre tous ces facteurs endogènes, force est de reconnaître que le marché céréalier burkinabè s’exerce dans un environnement sous-régional. Ainsi un pays voisin n’ayant pas connu une bonne campagne agricole peut profiter de l’excédent réalisé en proposant des prix attrayants aux producteurs. Ce n’est pas un scandale car des commerçants locaux en font autant quand la campagne agricole burkinabè s’avère morose. Un responsable du Comité interprofessionnel soutient qu’au moment de la crise alimentaire passée, un commerçant de la région de Bobo-Dioulasso disposait de 20 000 tonnes de céréales en partie burkinabé dans ses entrepôts au Mali.

La décision du gouvernement de vendre le sac à un prix social de 10 000 F CFA a conduit cet opérateur à se rabattre sur le marché nigérien où les prix étaient libres.

Cela entraîne certes l’évasion des céréales locales vers d’autres horizons. Mais c’est la triste logique de la recherche du profit en commerce. Il appartient donc aux acteurs de la filière céréales de trouver des voies et moyens tenant compte des facteurs endogènes et exogènes des crises alimentaires pour sécuriser le marché céréalier national dans l’intérêt des producteurs, des commerçants et des consommateurs. La prévention des crises alimentaires passe donc par un dialogue permanent entre tous les intervenants. Une information fiable sur les différentes spéculations contribuera à mettre à la disposition des populations, des céréales à des prix acceptables pour assurer à tout citoyen la sécurité alimentaire.

Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr)
Sidwaya

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