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Tissage de pagne : Un métier générationnel mais surtout passionnant pour Seydou Kalifa Dembélé, tisserand du Burkina

Publié le vendredi 5 mai 2023 à 22h35min

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Tissage de pagne : Un métier générationnel mais surtout passionnant pour Seydou Kalifa Dembélé, tisserand du Burkina

Le tissage de pagne couramment appelé Danfani (en dioula) est un métier qui nécessite un certain apprentissage. Fabriquant d’instruments de musique, griot, Seydou Kalifa Dembélé qui exerce également le métier de tissage depuis plus de vingt-ans nous entretient sur ce métier qui est sa passion

Lefaso.net : Vous êtes un artiste à plusieurs facettes, quels sont les domaines dans lesquels vous évoluez ?

Seydou Kalifa Dembélé : Mon atelier est situé au musée Sogossira Sanou. Je travaille là-bas depuis près de 20 ans. Je fais du tissage, je fabrique des objets de musique tels que le tambour, le djembé, le tam-tam… Je joue aux instruments de musique et je chante aussi en tant que griot. Mais ces derniers temps je travaille plus à domicile pour ce qui concerne le tissage de pagnes.

Pourquoi avez-vous priorisé le tissage de pagne ?

Mon père était tisserand et on s’est fait une promesse avant son décès à savoir que même si je deviens riche, je ne dois pas renoncer à tisser. J’ai commencé à tisser à l’âge de 13 ans et chez nous tout le monde a l’obligation d’apprendre à tisser même si tu es élève, c’est la tradition chez nous. Par la grâce de Dieu je me suis perfectionné dans le domaine en Europe précisément à Chalon de Champagne.

Des bandes de pagnes déjà tissées

Quelles sont les matières utilisées pour le tissage du Danfani ?

Le tissage se fait avec du fil de coton. Quand nous étions petits il n’y avait pas beaucoup de fil industriel, c’était du fil traditionnel. C’est ce qu’utilisaient nos grands-pères pour tisser, c’est ce que nous avons connu. Le fil moderne est venu beaucoup plus tard. Ce fil est produit à Kodoni à Bobo-Dioulasso par l’usine FILSAH (Filature du Sahel). Donc il y a deux types de fils : Le fil moderne produit par l’industrie et le fil africain confectionné traditionnellement par les femmes.

Quelles sont les modèles que vous tissez ?

En matière de tissage, il y en a de tous les modèles, tout ce qui est en rapport avec le pagne. Je suis Bwaba de Waranko vers Dédougou, mais Il n’y a pas de préférence ethnique pour moi pour tisser un pagne. Même si ce n’est pas le modèle de mon ethnie et que c’est pour une autre ethnie si je vois les motifs du pagne, je peux reproduire le même modèle. Même si c’est un modèle d’un autre pays aussi, je peux reproduire le modèle.

Fils de tissage teints

Quel est votre clientèle cible ?

Chez nous quand tu n’es pas au village, l’avantage de ton métier, c’est de bien le connaître, trouver des gens avec qui travailler dans un autre sens. Ma clientèle est diversifiée mais mon marché est beaucoup dirigé vers les Européens et les fonctionnaires. Comme je suis au musée, il y a beaucoup de services autour et beaucoup me connaissent depuis longtemps et connaissent aussi ma façon de travailler. Donc s’ils veulent faire des cadeaux par exemple aux patrons, aux partenaires de leurs services, ils viennent vers moi. Il y a aussi les femmes qui militent dans les associations qui lorsqu’elles veulent faire un cadeau à quelqu’un, elles viennent chez moi faire des commandes parce qu’elles apprécient ma façon de tisser qui est différent de celui des autres.

A combien fixez-vous le prix d’un pagne ?

Pour tisser un pagne, ça dépend des modèles. Quand on prend les Européens, ils paient rarement les pagnes ordinaires. Ils préfèrent généralement les pagnes avec des dessins d’animaux ou des pagnes avec tes propres créations. Quant aux pagnes offerts aux patrons, responsables, autorités, il y a une façon de tisser leurs pagnes mais cela nécessite beaucoup de dépenses. Le prix de ce genre de pagnes est différent de celui de la ville. Le prix dépend donc du modèle de pagne et du type de fil utilisé. Je peux vendre un pagne à 7500F, deux pagnes à 15000F. Si c’est une couverture, le prix peut varier de 15000 à 50 000F. Mais le fil est devenu cher depuis environ deux ans et les prix sont instables.

Est-ce que le métier de tissage nourrit son homme ?

Oui, le tissage nourrit son homme. Tout travail que tu aimes, c’est à toi de le valoriser, trouver tes solutions pour y trouver ton compte. Par exemple tout le monde sait que la fabrication des instruments de musique n’a pas de secret pour moi et je les vends bien. Mais ce que j’aime le plus c’est le tissage de pagnes et j’y trouve mon compte.

Seydou Kalifa Dembélé en train de tisser

Combien de temps prenez-vous pour tisser un pagne ?

Si ce n’est à cause de la vieillesse, je peux souvent tisser un pagne simple de 6 ou 7 mètres en un seul jour. Mais si c’est avec les dessins, tu peux faire une semaine ou 5 jours là-dessus.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez dans le cadre de votre métier ?

Les difficultés on en rencontre dans tous les secteurs. Présentement il n’y a pas de marché. Souvent on te demande le prix d’un pagne et tu es gêné de le dire parce que c’est comme si tu oublies le fait qu’il y a la vie chère et que tu ne penses qu’à ton argent. Donc la principale difficulté c’est la vente parce que les commandes ce n’est pas tout le temps et la vente ce n’est pas tout le temps. Il est difficile aussi d’avoir le fil ; tu peux avoir une commande mais tu n’as pas de fils pour tisser. Tous ceux qui évoluent dans le tissage savent que cela fait pratiquement trois ans que le fil moderne ne suffit plus.

Nous payons les fils au marché mais on n’en trouve pas beaucoup sur le marché. Tu ne peux pas te rendre comme ça du jour au lendemain pour payer automatiquement le fil comme les autres produits. Les femmes cotisent pour payer en gros et revendre en détail ; ce qui fait que lorsque les fils arrivent tu ne le vois même pas sur le marché. Donc tu négocies avec certaines pour payer selon le prix qu’elles auront fixé. À cause de ça, il est difficile de donner un prix fixe aux clients parce que tu ne sais pas à combien tu auras le fil sur le marché. Par ailleurs quand tu paies le fil, il est blanc. C’est au tisserand de lui redonner la couleur qu’il veut en le faisant lui-même ou il l’envoie chez les teinturiers et les paie.

Cependant comme moi je confectionne mes pagnes pour les Européens et les autorités, il faut que je fasse moi-même la teinture parce qu’il y a des fils qui se déteignent après lavage et ces derniers n’aiment pas ça. Quand ils paient, lavent et que le pagne se déteint et les couleurs se mélangent, ils n’aiment pas ça et tu peux perdre cette clientèle. Donc pour éviter cela c’est mieux de faire soi-même la teinture.

Haoua Touré
Lefaso.net

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