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Mobilisation générale et la mise en garde : « Frappé par le terrorisme, le Burkina ajuste son arsenal juridique pour être en adéquation avec son arsenal militaire », Dr Thomas Yonli

Publié le mercredi 19 avril 2023 à 21h40min

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Mobilisation générale et la mise en garde : « Frappé par le terrorisme, le Burkina ajuste son arsenal juridique pour être en adéquation avec son arsenal militaire », Dr Thomas Yonli

Le conseil des ministres du jeudi 13 avril 2023 a adopté un décret portant "mobilisation générale" et "mise en garde". Le gouvernement explique que ces mesures visent à donner à l’Etat tous les moyens nécessaires pour faire face à la situation sécuritaire. Dans l’interview qui suit, Dr Diassibo Thomas Yonli, enseignant-chercheur à l’université Nazi Boni et directeur exécutif du Centre africain de droit et d’administration (CADA) décortique ce décret et ses implications.

Le conseil des ministres du jeudi 13 avril 2023 a pris un décret portant, mobilisation générale et la mise en garde. Que doit-on comprendre lorsqu’on parle de mobilisation générale et de mise en garde ?

Il faut d’abord préciser que ce décret du 13 avril 2023 portant mobilisation générale et mise en garde s’inscrit dans le cadre de l’application de la loi 26-94 du 24 mai 1994 et son modificatif de 2005 relative à la défense nationale dont l’objet essentiel est de permettre à l’armée d’assurer en tout temps et en toute circonstance la défense du territoire contre toutes formes d’agression et d’assurer la protection des populations. Cette loi précise que la défense nationale repose à la fois sur des missions militaires et non militaires assignées à l’armée.

Cette loi permet ainsi à l’exécutif, notamment au président du Faso, chef de l’Etat de prendre toutes les mesures nécessitées par les circonstances afin de faire face à toute menace, notamment militaire, en l’occurrence le terrorisme. Après l’avis du conseil constitutionnel du 15 décembre 2022, l’exécutif était donc fondé à adopter les mesures concrètes pour la défense du territoire national.

Ensuite, pour revenir précisément à votre question, l’article 3 de la loi suscitée donne elle-même une définition succincte de la mobilisation générale. Celle-ci consiste en la mise en œuvre de l’ensemble des mesures de défense pendant que la mise en garde assure la liberté d’action du gouvernement afin de pouvoir efficacement protéger les populations civiles et garantir la sécurité des opérations de mobilisation ou la mise en action des forces armées.

En quoi consiste concrètement leur mise en application ?

En attendant la publication dudit décret précisant les mesures concrètes, la loi donne des indications générales. La mobilisation générale et la mise en garde permettent à l’exécutif de légalement requérir les personnes, les biens et les services, le droit de restreindre les libertés individuelles et collectives telles que la liberté de réunion, de rassemblement, la liberté d’expression et d’opinion dans les proportions compatibles avec l’action des forces de défense et de sécurité.
En outre, il a le droit de contrôler et de répartir les ressources en énergie et autres produits de ravitaillement en vue notamment de permettre aux FDS d’avoir la maîtrise de la situation en tout temps et toute circonstance sans aucune opposition possible. On peut ajouter la possibilité de suspendre ou de dissoudre tout groupe ou association pour de justes motifs. En sommes, la mobilisation générale et la mise en garde accroissent les pouvoirs des autorités exécutives et militaires dans la lutte contre le terrorisme.

Quels sont leurs impacts sur les libertés individuelles et collectives ?

Ces mesures auront certainement un impact sur les libertés individuelles et collectives. C’est le prix à payer et c’est le moindre mal. Il y a, dans tous les Etats, une tension permanente entre l’ordre et la liberté. Quand l’ordre public est menacé, quand la survie de l’Etat burkinabè en dépend, le droit donne aux autorités tous les moyens et la puissance nécessaire pour rétablir l’ordre. D’ailleurs, toutes les libertés s’exercent dans le respect des lois et règlements en vigueur. On a vu les Etats unis d’Amérique après les attentats du 11 septembre 2001 niant toute humanité aux terroristes en leurs refusant les juridictions américaines.

Avec les attentats de 2015 en France, le président François Hollande avait souhaité une révision de la constitution pour déchoir la nationalité française aux terroristes. Le Burkina Faso frappé par le terrorisme ajuste tout simplement son arsenal juridique pour être en adéquation avec son arsenal militaire. On ne doit pas perdre de vue que si l’Etat est faible, nous périssons. Certes, on peut légitimement s’inquiéter des risques de dérapage, parce que très souvent l’Etat peut nous écraser.

Mais en réalité, dans toute situation de crise, de menace grave et générale comme celle que nous vivons, les restrictions légalement prévues et précisées valent mieux que tout. Il appartient aux autorités exécutives, administratives et militaires de bien préciser lesdites restrictions. Car celles-ci ne doivent pas être générales mais proportionnées, nécessaires et adaptées à la menace. Ces mesures sont d’ailleurs justiciables devant le juge administratif. C’est la garantie de l’Etat, trouver un juge en toute circonstance pour apprécier a posteriori les mesures prises par les autorités exécutives et administratives. Mais en règle générale, le juge validera la plupart desdites mesures parce que l’intérêt général en dépendrait.

Quelle différence existe-t-il entre la mobilisation générale, la mise en garde et l’Etat d’urgence ?

Je vois une différence de degré. L’état d’urgence est de nature civile résultant d’atteintes à l’ordre public constituées notamment de grèves générales alors que la mobilisation générale et la mise en œuvre indiquent que la menace est plus grave générale et exige pour cela l’emploi permanent des armes. On n’est pas loin de l’insurrection armée et d’une invasion étrangère comme en matière d’état de siège tel que prévu à l’article 4 de la loi du 14 mai 2019 y relative. On remarquera selon l’article 2 de cette loi, l’état de siège et l’état d’urgence peuvent être déclarés simultanément sur une même partie du territoire. Ce qui n’est pas le cas avec la mobilisation et la mise en garde qui peuvent parfaitement se combiner avec l’état d’urgence.

Donc on peut dire que la mobilisation générale et la mise en garde constituent une situation intermédiaire entre l’état d’urgence moins énergique (civile) et l’état de siège plus énergique (militaire), mais qu’elles permettent néanmoins aux FDS d’avoir les mains moins liées, donc plus libres pour agir dans les limites de l’Etat de droit. Stratégiquement, le gouvernement a bien agi en appelant à la mobilisation générale et à la mise en garde plutôt qu’à l’état de siège.

Pour tout dire la mobilisation générale et la mise en garde mettent l’armée au centre de la lutte afin de lui donner tous les moyens légaux nécessaires pour agir. Le décret devrait avoir une envergure nationale alors que jusque-là l’état d’urgence est appliqué à quelques parties du territoire national.

Quelles sont les avantages de la mobilisation générale et de la mise en garde, dans la situation actuelle de notre pays ?

Justement la mobilisation générale et la mise en garde permettent d’attirer l’attention des Burkinabè sur la gravité de la menace nécessitant l’intervention plus marquée de l’armée. On devrait noter une plus grande implication de tous. Ainsi toute personne peut être appelée de gré ou de force à apporter son concours dans la lutte contre le terrorisme suivant notamment les ordres de réquisitions pouvant intervenir à tout moment. Les Burkinabè devraient donc beaucoup plus prendre conscience de la gravité de la situation dans laquelle le pays se trouve. Par ailleurs, on devrait davantage voir l’armée se projeter aussi bien dans l’opérationnel que dans la prise en charge des populations civiles comme on le voit déjà avec les ravitaillements des zones sous emprise terroriste.

Comment ces mesures peuvent-elles permettre une lutte efficace contre le terrorisme ?

L’exécutif a le privilège du préalable, de l’action d’office. Il apprécie l’opportunité de déclencher les mécanismes juridiques prévus par la constitution et les lois en vigueur. Il dispose des informations réelles et en temps utiles des difficultés que l’absence de cadre légal peut porter comme entrave à la libre action des autorités militaires. Donc la prise de ce décret permet de rassurer les populations et les amis du Burkina Faso que la lutte contre le terrorisme se mène dans un cadre légal et réglementaire en parfaite adéquation avec la constitution et les conventions internationales auxquelles le Burkina Faso est partie.

Quelles sanctions encoure toute personne qui ne respecte pas les mesures sur la mobilisation générale et de la mise en garde ?

La loi sur la mobilisation générale et la mise en garde ne prévoit pas de sanctions particulières à l’image de celle liée à l’état de siège et l’état d’urgence dont l’article 15 prévoit des peines d’un à cinq ans et des amendes. Mais le moins que l’on puisse dire, c’est que la loi accroît les pouvoirs des autorités exécutives, administratives et militaires qui peuvent exécuter elles-mêmes leurs propres décisions. C’est un pouvoir très important pour l’efficacité certaine et maximale des mesures à prendre. L’exécution d’office permet à l’autorité d’agir vite, sans attendre. Ainsi, si une personne requise refuse de s’exécuter, elle peut être contrainte par la force, faire l’objet d’une détention administrative ou d’une assignation à résidence sans avis au Procureur du Faso.

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