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Imam Tiégo Tiemtoré : « Malgré les progrès technologiques, nos cœurs, nos âmes et nos esprits ont soif et faim de Dieu »

Publié le dimanche 16 avril 2023 à 23h01min

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Imam Tiégo Tiemtoré : « Malgré les progrès technologiques, nos cœurs, nos âmes et nos esprits ont soif et faim de Dieu »

Pour l’imam Tiégo Tiemtoré, le Ramadan est un mois particulier pour le musulman qui doit se dire qu’il fait partie des privilégiés de Dieu pour bénéficier d’un Ramadan supplémentaire, en vue de se rapprocher davantage de lui. Dans cet entretien, Tiégo Tiemtoré, imam des mosquées de l’Association des élèves et étudiants musulmans au Burkina Faso (AEEMB) et du Cercle d’études, de recherches et de formation islamique (CERFI), distille des conseils pour un Ramadan réussi.

Lefaso.net : Quelles sont les catégories de personnes qui sont astreintes au jeûne, celles qui en sont déchargées et celles pour qui le jeûne est facultatif ?

Imam Tiégo Tiemtoré : Le jeûne est prescrit pour tout musulman pubère et qui jouit de la santé physique et mentale. C’est la première des conditions.

Pour faciliter le jeûne à Ses serviteurs, Allah ne l’a prescrit qu’à ceux qui peuvent le supporter. Il autorise la non-observance du jeûne à ceux qui ne peuvent pas s’y soumettre, pour une excuse légale. Les excuses légales qui permettent de ne pas jeûner sont la maladie (tout ce qui affecte la santé de l’homme), le voyage qui n’implique pas un acte de désobéissance, la grossesse et l’allaitement, la grande vieillesse.

De manière générale, le jeûne est excusé pour les personnes qu’il pourrait mettre en danger (malades, personnes âgées) ou affaiblir (femmes enceintes ou allaitantes, en période de règles ; voyageurs). Mais dans la plupart des cas, on est tenu de rattraper les jours manqués dès qu’on n’est plus dans les situations d’excuses. Pour les cas de vieillesse avancée ou de maladies chroniques, la possibilité est donnée de nourrir un pauvre par jour de jeûne et cela est récompensé comme un jeûne normal. La seule différence est que la personne mange et boit mais est tenue de respecter les autres interdits ou recommandations du jeûne.

Quelles sont les conditions d’un bon jeûne ?

Le jeûne du Ramadan se présente en islam comme une obligation qui s’insère dans l’histoire des Révélations qu’elle poursuit et complète, en ce sens que le Coran dit que les communautés antérieures ont aussi pratiqué ce rituel.

Le mois de Ramadan est un mois particulier pour le musulman. Il doit se dire qu’il fait partie des privilégiés d’Allah, pour bénéficier d’un Ramadan supplémentaire, en vue de se rapprocher davantage de lui.

C’est comme si vous vous prépariez à accueillir un étranger de valeur chez vous. Vous prenez toutes les dispositions pour un bel accueil, de sorte à le satisfaire. Et là, il s’agit du divin ! Le verset instituant le jeûne du mois de Ramadan dit : « O vous les croyants, le jeûne vous a été prescrit comme il l’a été à ceux d’avant vous, pour que vous atteigniez la piété ». Et un hadith du prophète Mouhamad (saw) enseigne que dans ce mois, « les jours sont les meilleurs parmi les jours, ses heures les meilleures parmi les heures. On voit ici que l’objectif du jeûne est la piété, qui veut dire une qualité de relation avec Dieu et avec les créatures de Dieu.

Tout comme les autres piliers de l’islam, le jeûne du Ramadan est une école, dans le sens d’accomplir plus de bien. Jeûner, c’est donc se rapprocher de Dieu, lui demander pardon pour ses manquements, solliciter sa grâce pour la vie d’ici et de l’au-delà, et s’éduquer par le symbole de la faim et de la soif. Pour bénéficier de tous les bienfaits de l’acte de jeûner, il faudrait que le jeûneur respecte des conditionnalités, sinon vous aurez comme récompense « la faim et la soif », comme le dit le prophète Mouhamad (saw). L’éducation des sens qu’il promeut incite le croyant, au-delà du Ramadan, à contrôler ses yeux, sa langue, son cœur, son esprit, ses oreilles ; en un mot, à apprendre à se maîtriser pour vivre dans la présence divine permanente. Le Coran proclame : « Ce ne sont pas les yeux qui sont aveugles, mais ce sont les yeux du cœur qui le sont » (Coran 22V 46).

Quels sont les comportements qui peuvent compromettre le jeûne ?

Si on observe les éléments de nullité du jeûne, le manger, le boire et les rapports intimes pendant le temps du jeûne (de l’aube au coucher du soleil) invalident le jeune. Généralement, on s’arrête à la rupture physique, car les gens ne boivent pas, ne mangent pas et n’ont pas de rapports intimes. Mais que faisons-nous de ce qui peut entraîner la rupture spirituelle, comme la calomnie, la jalousie, les injures, les insultes, etc. ? On s’éduque, à travers cette recherche du bien et de la qualité, à devenir pieux, comme le verset instituant le jeûne l’indique dans sa finalité. On part d’un jeûne du corps à un jeûne du cœur. Ne pas boire ni manger n’a aucun sens si ces actes ne permettent pas de se rapprocher davantage de Dieu.

En lien avec ce mois surtout, que dit la religion par rapport aux couples qui vivent en concubinage ?

Ce n’est pas seulement l’islam qui est contre le concubinage. Les autres itinéraires spirituels et traditionnels promeuvent le mariage, qu’il soit religieux ou traditionnel, comme le cadre normatif de la reproduction humaine.
L’islam n’accepte pas qu’un homme vive avec une femme, sans mariage.
On exhorte les jeunes au mariage, car il responsabilise davantage et la vitalité d’une société se mesure aussi par la vitalité des familles. Le mariage en islam, c’est l’accord des deux conjoints, des deux familles, une dot, la présence d’un tuteur de la fille et des témoins. Le mariage en islam peut être célébré à la mosquée, à la maison, à tout moment et n’importe quel jour.

Le mois de jeûne peut-il justifier valablement la baisse de rendement du fidèle employé ? Si oui, dans quelles conditions ?

L’islam donne au travail, une dimension adorative. Un hadith du prophète Mouhamed (saw) dit que les péchés du croyant tombent comme des feuilles sèches d’un arbre, quand il revient du travail.

L’espace professionnel est comparé ici à la mosquée, parce que quand vous travaillez bien, vous priez. Vous le faites pour la famille et pour votre communauté. Il n’y a pas de raisons d’être moins performant parce qu’on jeûne. Bien au contraire, on doit trouver dans le jeûne des ressources pour être meilleur. Il faut toujours avoir à l’esprit que le véritable jeûne est celui du voyage du corps vers le cœur pour te reformer, pour te ramener à l’intérieur, à la première des lumières : la proximité d’avec la source première, sans laquelle on n’a point de repères. Le jeûne permet d’améliorer sa relation avec Dieu et les créatures de Dieu.

Le jeûne 2023 se tient dans un contexte national de crise sécuritaire avec ses conséquences sociales. Y a-t-il des prescriptions recommandables au fidèle ?

L’une des meilleures façons de profiter du Ramadan, est de faire plus que ce qu’on accomplissait d’habitude, en termes d’actes d’adoration. Il faut être plus généreux car selon le prophète Mouhamed (saw), « la meilleure aumône est celle faite pendant le mois de Ramadan ». Il faut augmenter le nombre de prières surérogatoires et exceller dans la lecture du Coran, car le livre a été révélé dans ce mois.

On peut lire et méditer sur le Coran, accomplir abondamment le zikr sous toutes ses formes, faire beaucoup d’invocations pour soi, ses proches, son pays et l’humanité et accomplir beaucoup de prières surérogatoires, dans le but de se rapprocher d’Allah.

Dans ce dernier registre, la prière nocturne est très recommandée, car elle nous purifie et nous rapproche davantage du Seigneur. Il faut éviter les discussions futiles, les paroles blessantes et mieux contrôler ses pensées, car tous les sens jeûnent. Il faut également insister sur les invocations, car le mois de Ramadan fait partie des moments dans lesquels les invocations sont exaucées. Aussi, prendre du temps pour solliciter la miséricorde divine pour nos familles et nos pays.

C’est également dans ce mois que l’on s’acquitte souvent de la zakat. Qu’est-ce que c’est exactement ?

On distingue deux types de zakat : la « zakat el-Maal » et la « zakat al-Fitr ». Le premier type (évoqué dans plus de 80 versets coraniques) est un pilier de l’islam. C’est un impôt légal purificateur appliqué sur les possessions et le patrimoine du musulman. Il purifie les possessions du musulman en lui rappelant que la richesse ne lui appartient pas et qu’elle lui est accordée par Allah, richesse sur laquelle le pauvre possède un droit. Elle tend aussi à purifier l’âme humaine en l’éloignant autant que possible de l’avarice et de la cupidité.

La zakat est comparée au sang humain. S’il circule normalement dans le corps, cela maintient l’individu en bonne santé. Par contre, quand il est bloqué dans une seule partie du corps, cela va créer un dysfonctionnement dans l’organisme. Ainsi, quand les richesses circulent dans le tissu socio-économique, on évite certains maux. Vous observez, par contre, que quand une partie vit dans un luxe insolent et l’autre dans une misère insultante, on fait le lit de crises sociales, inévitablement.

La zakat crée la richesse, promeut l’emploi et réduit les inégalités sociales. C’est un véritable instrument de lutte contre la pauvreté, quand il est bien compris dans ses finalités. La zakat est destinée, en priorité, à huit catégories de personnes : le pauvre, l’indigent, les collecteurs, celui dont le cœur s’incline vers l’islam, l’esclave (ou le prisonnier) musulman à affranchir, la personne endettée pour une cause juste, celui qui lutte pour des causes humaines nobles, le voyageur à court de provisions.

Le deuxième type de zakat est lié au mois de Ramadan et est appelée « aumône de la rupture du jeûne ». Destinée aux plus démunis, elle a une double fonction, celle de purifier le jeûneur de ses erreurs commises pendant le mois de Ramadan et de permettre à des catégories de personnes de ne pas mendier pour la fête. Cette zakat doit être versée par le chef de ménage pour lui et pour ceux qui sont à sa charge. Le prophète Mouhamed (saw) a ordonné que cette aumône soit versée quelques jours avant la prière de la fête, et son délai court jusqu’au matin de la fête, avant de se rendre à la prière.

Elle consiste à donner la nourriture la plus généralement en usage dans la région où l’on réside (comme le maïs et le riz par exemple sous nos latitudes), entre 2,5 et 3 kg par personne. Il n’y a pas d’interdiction à donner plus aux pauvres, si l’on a les moyens.

Comment ce mois de Ramadan peut-il servir à raffermir la fraternité et l’amour au sein des populations burkinabè ?

Aujourd’hui, malgré tous les progrès technologiques et autres, nos cœurs, nos âmes et nos esprits ont soif et faim de Dieu. Il nous faut retrouver, pour beaucoup d’entre nous les humains, le sens de l’humanité et de la bienfaisance. La religion ne nous demande pas de devenir des anges, mais de nous reformer moralement, pour mériter d’être des hommes. C’est la raison pour laquelle les piliers que nous accomplissons ont tous un potentiel pédagogique. Plus qu’au corps, la pratique cultuelle parle au cœur et à l’âme. En tant qu’école, le Ramadan doit contribuer à renforcer le vivre-ensemble, à forger une certaine humilité mêlée de reconnaissance, car rien ne peut appeler à la compassion envers les pauvres et les affamés du monde que le partage de leur expérience de faim et de soif. C’est en éprouvant ce que l’affamé éprouve dans sa quête de nourriture, ce que le pauvre éprouve en travaillant sans la quantité requise de nourriture, que le musulman peut répondre volontiers à l’appel du prochain, de l’affamé et du pauvre.

L’éducation musulmane nous invite à relever le défi de la citoyenneté spirituelle responsable. Accompagner les hommes et non les juger, c’est-à-dire avoir le geste qui apaise, le sourire qui rassure, la main qui secoure, le cœur qui aime. Vivre l’islam, c’est vivre avec les autres, parmi les autres et leur être utile.

« Nous vous avons créées à partir d’un homme et d’une femme et fait de vous des nations et tribus pour que vous tissiez des liens entre vous. Mais sachez que le meilleur d’entre vous est celui qui a la crainte de Dieu », affirme le Coran.

Votre message pour les fidèles musulmans et l’ensemble des populations en ces moments difficiles que traverse le pays.

Les vraies questions sont : comment cheminer sur la terre de Dieu, avec ses signes, au profit de l’humanité ? Comment, au nom des repères de sa foi, être un citoyen utile ? Comment éclairer de la lumière de sa foi, la cité des hommes ?
L’identité musulmane, c’est être avec Dieu et vivre avec ses créatures.
Il faut se battre pour être utile à l’humanité, par sa foi. C’est-à-dire accompagner les êtres humains sur le chemin qui conduit à Dieu ; être de tous les combats qui préservent la dignité humaine.

Les Burkinabè de tous bords doivent s’engager à privilégier l’intérêt général aux appétits individuels, claniques ou égoïstes. Il faut travailler à retrouver l’intégrité de notre pays et à préserver notre bien commun qu’est le Burkina Faso, car il n’y en a pas deux. Le Burkina Faso a besoin d’hommes et de femmes de qualité pour promouvoir le vivre-ensemble, un développement harmonieux et partagé. Porter la foi, c’est assumer une responsabilité devant Dieu et devant les hommes.

L’islam proclame de façon absolument claire que toute l’humanité ne forme qu’une seule et grande famille. Ni la race, ni la couleur, ni l’ethnie, ni le statut social, ne peuvent être des critères de valeur en Islam. Il y a là une volonté divine de la diversité humaine. Ensemble, on doit s’engager à nouer des passerelles de collaboration communautaire, de promotion de la bonne gouvernance, d’éducation, d’accès à la santé, à l’eau, etc. Il faut se concentrer sur l’essentiel : cheminer avec les hommes sur la terre de Dieu, avec ses signes et ses enseignements.

J’appelle mes coreligionnaires à vivre un islam de compétitivité, de performance, des lumières.

Propos recueillis par Omar Ouédraogo
Lefaso.net

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