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Lutte contre les inégalités du genre : « La question de la femme a plus besoin de volonté politique et de mesures osées », déclare N’Pèrè Adèle Traoré

Publié le mardi 7 mars 2023 à 22h37min

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Lutte contre les inégalités du genre : « La question de la femme a plus besoin de volonté politique et de mesures osées », déclare N’Pèrè Adèle Traoré

Au Burkina Faso, on ne peut parler des figures de proue dans la lutte pour le respect des droits de la femme sans mentionner le nom de N’Pèrè Adèle Traoré. Son engagement a commencé depuis la révolution d’août 1983. Inspectrice du travail et des lois sociales admise à la retraite et ancienne parlementaire, Mme Traoré est très active dans la vie associative. Elle est membre du conseil d’administration de la Coalition burkinabè pour les droits de la femme, et du Réseau des femmes ministres, parlementaires, ambassadrices, anciennes, en fonction. Très sollicitée, elle offre ses services en tant que consultante en genre et développement. Elle souhaite transmettre aux jeunes filles la force de penser qu’elles peuvent devenir ce qu’elles désirent. Dans le cadre de la commémoration de la Journée internationale de la femme, elle a accordé une interview au journal en ligne Lefaso.net.

Lefaso.net : La lutte pour l’émancipation féminine engagée depuis les indépendances est toujours d’actualité au Burkina Faso. Quel diagnostic faites-vous sur la situation de la femme ?

N’Pèrè Adèle Traoré : La situation de la femme au Burkina Faso est sensiblement similaire à celle du reste du monde. La femme reste le pilier de la société. Tout le monde le reconnaît. Cependant, sa condition reste peu satisfaisante dans notre pays. Au plan économique, les femmes rencontrent des difficultés pour accéder aux ressources et même au contrôle de ces ressources. Les femmes ont un accès très limité aux moyens de production.

Etant donné qu’elles ont toujours des difficultés pour apporter les garanties, elles ont des difficultés pour avoir accès aux crédits. L’accès à la terre pour les femmes rurales demeure aussi une préoccupation. Au plan politique, la situation n’est pas reluisante. Bien qu’elles représentent la frange la plus importante au Burkina Faso - un peu plus de 51% - les femmes sont très sous représentées au niveau des instances de décisions que ça soit administratif ou politique.

A l’heure où je vous parle, le gouvernement de la transition ne compte que cinq femmes. A l’Assemblée législative de transition sur les 71 membres, on a onze femmes. Traduisez en pourcentage et vous verrez que les taux sont nettement en deçà de ce que la communauté internationale a proposé comme les 30% pour qu’un groupe puisse influencer sur les décisions qui impactent sur sa vie. Nous n’avons jamais pu atteindre ces 30% au Burkina Faso, que ça soit au niveau de l’équipe gouvernementale ou législative.

Notre pays a eu quatre constitutions de 1960 à 1991. Ces constitutions ont consacré les mêmes droits à la femme qu’à l’homme. Malheureusement, jusque-là on constate que ce sont les femmes qui sont sous représentées. On vacille entre 10% et maximum 15% qu’on n’a presque jamais pu franchir au niveau des instances. Le président Thomas Sankara qui a été un fervent défenseur des droits de la femme avait dit qu’il n’y a pas de révolution sociale sans la participation de la femme. Ce qui veut dire que notre développement tient actuellement sur un seul pied.

Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Nous avons le contexte socioculturel qui désavantage la femme. Les préjugés, et certaines croyances ne favorisent pas la femme parce qu’elle a un statut social inférieur à celui de l’homme. Cela joue sur la considération et le rôle qu’on peut lui confier. Lors des élections, on estime que c’est une parcelle de pouvoir qu’il faut donner à la femme, parcelle à laquelle elle n’a pas droit parce que "la femme ne peut pas commander".

Qu’en est-il de la question du travail non rémunéré des femmes ainsi que ses implications dans le développement et pour les inégalités de genre ?

C’est une réflexion qui a été menée depuis des années. Malheureusement, elle n’a toujours pas abouti à une concrétisation d’actes permettant de reconnaître le travail que les femmes ménagères abattent dans leurs maisons. A mon avis, on peut s’inspirer des exemples d’autres pays où le travail de la ménagère est reconnu et rémunéré. Pour cela, il faut un écho favorable au niveau des décideurs de notre pays.

Au niveau des droits de la femme, lorsqu’il s’est agi du code des personnes et de la famille, des juristes nous ont confié que lorsque des couples veulent se séparer, le mari estime que la femme qui était ménagère n’a rien apporté pour la construction de la maison commune. Certes, il a construit la maison mais la ménagère a également contribué à sa manière. Quand elle se lève le matin, elle rend la maison propre, fait la lessive, s’occupe des enfants, cuisine pour la famille. C’est aussi sa contribution.

Quelles sont les stratégies susceptibles de venir à bout de la situation peu enviable de la femme burkinabè sur de nombreux plans ?

Les stratégies doivent venir de la part de beaucoup d’acteurs qui défendent les droits humains en général et en particulier ceux de la femme mais aussi de la femme elle-même. Elle doit être au niveau des instances de décisions. Cela signifie qu’elle doit avoir davantage un engagement politique. C’est un lieu de combat rude, mais il faut que la femme se batte pour être dans l’arène de la gestion des affaires de la cité. Pour ce faire également, la femme doit être toujours en formation continue pour s’intéresser à tout ce qui se passe autour d’elle.

Il ne faut pas qu’elle soit toujours préoccupée uniquement par les charges sociales. Il faut qu’elle songe à être informée des processus de la gestion des affaires de la cité afin de pouvoir mieux s’impliquer, et développer un esprit de solidarité entre femme c’’est très important. Les associations et ONG doivent travailler au renforcement de capacités des femmes afin qu’elles puissent jouer le rôle qui est le leur dans tous les maillons du développement au plan économique, politique et social. Plus tu es actrice du développement plus tu peux bénéficier du fruit du développement.

C’est vrai que des efforts sont faits, des choses s’améliorent mais il reste en deçà pour permettre à la femme d’être une actrice pleine dans la construction de notre pays. Et c’est le lieu de le redire, la question de la femme a plus besoin de volonté politique affichée et surtout de mesures osées pour réellement faire basculer les inégalités. Une loi comme le quota qui a été adoptée en 2009 qui s’est avérée inefficace et même revisitée peine toujours à être appliquée et à donner des résultats, c’est une insuffisance de volonté politique.

Aujourd’hui, il est encore plus qu’utile que la situation de la femme soit améliorée. Parce qu’elle a besoin de participer comme tous les citoyens pour relever le défi sécuritaire qui s’impose à notre pays. Pour cela, il faut qu’elle soit libérée d’un certain nombre de préjugés, de fardeaux sociaux, mais aussi qu’on ait un autre regard, au fait qu’elle soit considérée comme une citoyenne à part entière.

Le 8-Mars est devenu une journée festive plus qu’une journée d’engagement véritable et commémorative des résultats obtenus en faveur des femmes au Burkina Faso et dans le monde. Quel message avez-vous à l’endroit de vos filles et sœurs ?

La journée du 8-Mars est le fruit des luttes à travers le monde pour changer les conditions des femmes. Cela a été légitimé dans pratiquement tous les pays, et par l’organisation du système des nations unies. Sous la révolution, le 8-Mars était l’occasion pour faire le bilan de l’année écoulée en ce qui concerne les actions menées pour faire progresser la situation des femmes. Mais, avec le retour à une vie constitutionnelle normale, les choses se sont diluées. Et on est tombé dans le côté festif. Ce sont des uniformes, et des djandjoba. Depuis un certain temps, je ne me suis plus retrouvée dans la commémoration du 8-Mars.

En général, soit je suis actrice d’activités de réflexion avec un groupe de femmes, soit je reste en famille. Aujourd’hui, dans un contexte d’insécurité ou les personnes les plus vulnérables sont les femmes et les enfants, qui sont dans les camps de déplacés internes et qui subissent les violences basées sur le genre, nous ne pouvons pas nous permettre le côté folklore du 8-Mars. J’apprécie la forme sur laquelle la journée de la femme sera célébrée cette année.

De manière sobre, des actions de soutien aux personnes déplacées internes (PDI). Je me reconnais dans cette façon de commémorer le 8-Mars. C’est pourquoi j’adhère et salue l’initiative du mouvement organisons le 8-Mars autrement depuis déjà plus de deux ans qui a placé la commémoration de la journée internationale des droits de la femme sous le signe de la solidarité avec les PDI à travers une mobilisation sociale pour des actions de soutiens multiformes.

Un message pour le pays qui traverse des moments difficiles ?

J’invite tout le monde, homme, femme, jeune, personnes d’un certain âge à rester mobilisés pour la défense de notre pays, pour récupérer notre territoire, pour le retour de la paix et de la cohésion sociale, pour nous retrouver sur les chantiers du développement dont nous avons tous besoin.

A ce titre, je lance un appel à ce que tout le monde puisse contribuer à quel niveau que ça soit, quelle que soit capacité, pour soutenir nos forces de défense et de sécurité, les volontaires de défense de la patrie (VDP), et surtout que nous puissions dans tous les foyers veiller à ce que nos enfants ne continuent pas d’aller grossir les rangs de nos ennemis. Sinon, j’ai grand espoir que nous allons recouvrer tout le territoire de notre pays, que nous allons vivre en paix.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net

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