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Côte d’Ivoire : Il faut rompre le tête à tête avec Laurent Gbagbo et passer aux choses sérieuses

Publié le lundi 23 janvier 2006 à 08h22min

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C’était il y a tout juste trois ans. Dans Le Parisien daté du 21 janvier 2003, Biaise Compaoré, président du Faso, le disait déjà au sujet de la situation politico-militaire de la Côte d’Ivoire d’Ivoire : "Le minimum, ce sont des élections anticipées et le départ de Gbagbo. De toute façon, Gbagbo finira comme Milosevic, c’est-à-dire devant le Tribunal pénal international (TPl), où il lui faudra répondre des charniers et des nombreuses exactions commises par ses partisans ainsi que des escadrons de la mort qui sévissent dans son pays".

Depuis, la situation n’a cessé de se détériorer en Côte d’Ivoire et la faillite Économique, politique et sociale du régime de Laurent Gbagbo est, désormais, reconnue par tous. Y compris les organisations et institutions internationales (on attend, encore, cependant, les commentaires de L’Internationale socialiste sur le mode de fonctionnement du FPI, qui en est toujours membre, et de ses leaders).

Il y a deux ans, j’écrivais (cf. LDD Côte d’Ivoire 0100/Vendredi 10 janvier 2004) : "Le seul obstacle à la paix en Côte d’Ivoire est Gbagbo. La question qui se pose aujourd’hui, puisque tout le monde en est, désormais, intimement persuadé, est de savoir pourquoi Paris continue à traiter Gbagbo comme s’il était sincère alors que l’ElysÉe, le Quay d’Orsay et ta rue Saint-Dominique, savent qu’il est le plus hypocrite des interlocuteurs africains de la France. Gbagbo attend de sa prochaine visite à Paris une nouvelle onction française. Mais que peut espérer la France (et du même coup la Côte d’Ivoire), d’un chef d’Etat qui ne cesse de faire la démonstration qu’il est un adepte (redoutable) du jeu trouble ? ".

Les années passent et Gbagbo demeure l’interlocuteur privilégié de tous ceux qui, en France, en Afrique et dans les organisations et institutions internationales s’efforcent de trouver les voies et moyens d’instaurer la paix et de restaurer l’unité nationale en Côte d’Ivoire. Vaine démarche.

Tout au long de l’année 2005. Les Ivoiriens ont été "trimbalés" par tous ceux qui
affirmaient qu’il fallait être patient : l’échéance était pour le 30 octobre. On les "trimbale" de la même manière en 2006 avec une échéance pour le 31 octobre. Je souhaite beaucoup de chance (et pas trop d’états d’âme) à tous ceux qui pensent que, en moins de 284 jours à compter d’aujourd’hui, ils vont être capables de résoudre le problème ivoirien !

On pouvait espérer qu’après la multiplication des violences de ce début de semaine, il y aurait une prise de conscience que, comme le disait Jean-Marie Guéhenno, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l’Onu, ces violences avaient été "orchestrées". Ne nous leurrons pas : le prétexte avancé par le FPI et les "Jeunes Patriotes" pour envahir la rue était fallacieux. Aucun Ivoirien n’imagine un seul instant que l’Assemblée nationale soit représentative de la situation politique du pays ; aucun Ivoirien n’imagine qu’un député soit un "représentant du peuple". C’est dire que l’Assemblée n’est pas l’expression d’une quelconque démocratie : c’est un cadre vide ou, plus exactement, une structure bureaucratique et clientéliste ; et son maintien ou sa disparition ne changera pas d’un iota la nature démocratique du régime ivoirien.

Les "Jeunes Patriotes" se foutent pas mal du sort des députés ivoiriens. Il ne s’agit là que d’un prétexte. Pourquoi, dans ces conditions, le PDCI est-il venu à la rescousse du FPI et du régime Gbagbo en dénonçant à son tour une décision du Groupe de travail international (GTI) qui "n’est pas conforme à la résolution 1633 du Conseil de sécurité de l’Onu" ? Pour sauvegarder les intérêts financiers de ses 96 députés ? Pourquoi le président nigérian Olusegun Obasanjo a-t-il fait le déplacement jusqu’à Abidjan pour déclarer que les violences étaient consécutives "à la mauvaise compréhension de la situation par la population d’une décision qu’elle estime qui a été prise et qui en fait n’a pas été prise" ?

Que le GTI ait décidé ou constaté que l’Assemblée nationale était caduque ne change rien à l’affaire ; Guéhenno l’a dit, il s’agissait de "violences orchestrées" ; et qui dit "orchestre" dit "chef d’orchestre". Tant que Gbagbo sera considéré comme un interlocuteur crédible, la Côte d’Ivoire continuera de s’enfoncer dans le chaos.

Obasanjo peut bien se "réjouir de la complicité" qui règne entre Gbagbo et le Premier ministre Charles Konan Banny, il peut bien se féliciter de "la méthode et des relations de travail qu’ils ont", la réalité des faits s’impose et continuera de s’imposer à tous : le FPI n’a pas l’intention de jouer le jeu et le PDCI joue un jeu trouble. Je ne suis pas de ceux qui pensent que Henri Konan Bédié n’est plus l’homme qu’il a été ; et sachant ce qu’il a été dans le passé, je ne doute pas de ce qu’il sera à l’avenir quand le pouvoir sera à prendre.

Si Gbagbo est un interlocuteur "infréquentable" et Bédié un interlocuteur "contestable" (ils ont, quand même, il ne faut pas l’oublier, à eux deux, exercé le pouvoir pendant onze ans ; et le bilan de l’un et de l’autre est celui que l’on connaît), reste un Premier ministre auquel ont été conférés tous les pouvoirs (avec, plus encore, l’onction de la communauté internationale) et un leader de l’opposition, Alassane Ouattara, qui est l’allié de l’autre grand parti de l’opposition (le PDCI) et qui n’est un inconnu ni pour Konan Banny, ni pour les "rebelles " des Forces nouvelles.

Or, justement, Ouattara a annoncé, à la veille des "violences", son retour en Côte d’Ivoire. Retour annoncé sur RFI et confirmé dans le quotidien Nord Eclair (numéro daté du dimanche 15-lundi 16 janvier 2006). Retour prévu initialement "aux alentours du 20janvier" et finalement repoussé (le temps que Ouattara soit reçu par quelques personnalités françaises et que sa sécurité soit organisée en Côte d’Ivoire).

Raison donnée pour son retour (Ouattara est en France depuis décembre 2002) ; "Le Premier ministre a besoin du soutien de tous les leaders politiques". Il dira de Konan Banny (sur RFI) que "c’est un homme d’espérance, courageux et compétent. Il a des pouvoirs que le chef de l’Etat n’a pas en matière financière, de défense et de sécurité en vertu de la résolution 1633".

Dans Nord Eclair, il a clairement affirmé qu’il sera candidat à la prochaine présidentielle et que c’est "avec beaucoup de sérénité mais aussi beaucoup de volonté et d’espoir" qu’il retournait chez lui.

Il y a bien longtemps que Ouattara ne s’était pas exprimé aussi longuement dans la presse écrite (c’est à l’initiative de Brahima Camara, le délégué du RDR pour le Nord-Pas-de-Calais, que cet entretien a pu être recueilli par Erwan Guého). Il précise notamment : "II faut rétablir la confiance, pas seulement dans les propos mais par des actes. Le gouvernement de transition doit mettre en oeuvre les principes que nous avons arrêtés. Il faut commencer par l’identification des citoyens. Ce qui va ramener la paix entre le nord et le sud. Ensuite, il faut qu’il y ait un respect des diversités ethniques. A partir de là , le processus électoral va pouvoir s’enclencher".

J’ai souligné, récemment, le changement de ton constaté chez Ouattara. Moins technocratique ; plus militant (cf. LDD Côte d’Ivoire 0171/Mercredi 4 janvier 2006). Cette détermination affirmée, qui n’est pas passée inaperçue à Abidjan (dans Le Figaro du mercredi 18 janvier 2006 une photo montre une manifestante devant l’ambassade de France portant un panneau sur lequel est écrit : "Députés de Côte d’Ivoire restez sereins", un "serein" qui renvoie directement à la "sérénité" affirmée par Ouattara). Je ne suis pas loin de penser que les "violences orchestrées" à Abidjan visent à créer un sentiment d’insécurité et à dissuader le leader du RDR de revenir en Côte d’Ivoire.

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 23 janvier 2006 à 10:40 En réponse à : > Côte d’Ivoire : Il faut rompre le tête à tête avec Laurent Gbagbo et passer aux choses sérieuses

    La question qui se pose aujourd’hui, puisque tout le monde en est, désormais, intimement persuadé, est de savoir pourquoi Paris continue à traiter Gbagbo comme s’il était sincère alors que l’ElysÉe, le Quay d’Orsay et ta rue Saint-Dominique, savent qu’il est le plus hypocrite des interlocuteurs africains de la France. Gbagbo attend de sa prochaine visite à Paris une nouvelle onction française. Mais que peut espérer la France (et du même coup la Côte d’Ivoire), d’un chef d’Etat qui ne cesse de faire la démonstration qu’il est un adepte (redoutable) du jeu trouble ? ".
    On l’a toujours dit et l’article de Béjot le confirme, les dirigeants "modèles" d’Afrique noire francophone ne doivent être que des laquais de la France. Patiente un tout petit peu Béjot, Chirac cherche une marionnette pour ramener la paix et surtout la CI au centre de son pré carré.

    • Le 23 janvier 2006 à 20:31, par tBelem En réponse à : > Côte d’Ivoire : Il faut rompre le tête à tête avec Laurent Gbagbo et passer aux choses sérieuses

      En admettant que vous ayez raison sur la notion de « pré carré » de la France, pensez-vous que la CI et Gbagbo sont en train de faire une véritable révolution ? Je ne le pense pas. Il ne faudrait pas oublier que la France a en effet, beaucoup d’intérêts en Côte d’Ivoire (Bouygues, Boloré, etc...). Je ne suis pas sûr que la méthode Gbagbo soit la bonne face à la France. Sans compter que la France n’est certainement pas la cause de la crise ivoirienne ; pis, elle a même permis à Gbagbo de rester au pouvoir jusqu’à aujourd’hui avec sa Licorne. Sinon les rebels seraient au pouvoir depuis longtemps et il aurait eu plus de vie humaines épargnées. Affaire à suivre.

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