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Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population

Publié le dimanche 15 janvier 2023 à 23h00min

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Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population


La place Tiéfo Amoro, située à Bobo-Dioulasso, est un lieu symbolique et exploité à divers titres : manifestations culturelles, manifestations de la société civile, rassemblements politiques, commerce, etc. Mais que sait-on de l’histoire de cette place symbolique ? Dans cet entretien réalisé le mardi 20 décembre 2022, Dansa Bitchibali, agent de l’administration culturelle à la retraite, ancien secrétaire permanent de la Semaine nationale de la culture et ancien directeur régional de la Culture, du tourisme et de la communication des Hauts-Bassins, en donne l’historique.

Lefaso.net : Pouvez-vous nous décrire l’histoire de la place Tiéfo Amoro ?

Dansa Bitchibali : La place de la gare de train, aujourd’hui est appelée place Tiéfo Amoro. Je pense que cela fait partie d’un évènement assez particulier. Il faut remonter jusqu’à la tentative de la conquête de Bobo-Dioulasso par les armées de Sikasso dirigées à l’époque par le roi Tièba Traoré de Sikasso. Tièba Traoré aurait mobilisé toute son armée, serait passé par la partie nord de Bobo et installé son campement à Samendeni. Mais sa tête de proue, c’est-à-dire sa garde avancée, était pratiquement aux environs de l’actuel Bama.

Devant cette menace, Il semble que les forces vives de l’époque de la région de Bobo se sont réunies pour discuter de la stratégie à adopter pour affronter Tièba Traoré de Sikasso. A l’époque, les autorités qui existaient dans la région de Bobo-Dioulasso étaient la chefferie locale de Dioulassoba et également les autorités Dioulas qui étaient plus à Kôtidougou. Les Dioulas avaient leur sœur qui s’appelait Guimbi Ouattara qui était une femme assez éveillée, très ouverte aux problèmes politiques de l’époque.

Mais Guimbi Ouattara était installée à Komougou, là où se trouve actuellement son mausolée, non loin du quartier kôkô. Parmi donc les responsables qui étaient présents à cette rencontre, dont Guimbi Ouattara et la chefferie de Dioulassoba, s’ajoutent les responsables de certaines communautés environnantes qui étaient également présentes y compris le chef de guerre de Noumoudara qui s’appelait Amoro Ouattara venu au nom des Tiéfo prendre part à la rencontre. C’est à l’issue de cette rencontre semble-t-il, qu’ils se sont organisés pour aller affronter Tièba Traoré. Mais Tiéfo Amoro n’est pas parti, il est retourné à Noumoudara. Pour quelle raison ? Les versions diffèrent : Il y’a la version des Tiéfos et celle des Bobos.

Selon la version des Tiéfos, la première confrontation n’a pas été à l’avantage des troupes de la région de Bobo. L’information est parvenue à Amoro Ouattara à Noumoudara qui aurait délégué son corps d’élite qui était une unité basée à Dramadougou au bas de la falaise vers Toussiana, sur la route de Banfora, pour aller appuyer les troupes de Bobo. Mais quand ils sont arrivés, apparemment les choses ne semblaient pas trop marcher. Il a alors lui-même décidé de s’y rendre, mais n’est pas passé par Bobo. Il est passé vers la partie Ouest et serait parti affronter Tièba Traoré. Ceci est la version de Tiéfo qui dit que c’est lui qui aurait tué Tièba Traoré dans la confrontation à Bama.

La version des Bobos de Dioulassoba dit qu’il y avait à l’époque un Imam qui s’appelait Sakidi Sanou qui aurait suivi la formation coranique avec Tièba Traoré dans la zone de Satiri et qu’ils se connaissaient très bien. Et quand il a appris que Tièba venait pour annexer Bobo-Dioulasso, le marabout aurait réussi à faire venir une femme génie, l’a transformée comme la femme préférée de Tièba Traoré.

Et comme il savait que Tièba aimait beaucoup le fonio, il a fait préparer du fonio empoisonné, remis à cette femme génie qui serait partie très tôt à Bama remettre ce fonio empoisonné à Tièba. Tièba ayant cru que c’était son épouse favorite a consommé ce fonio et en est mort. Donc la fameuse bataille de la conquête de Bobo n’aura pas lieu parce que le roi de Sikasso serait mort et son armée est repartie sur Sikasso, telle est la version des Bobos de Dioulassoba.

Par ailleurs, quand les soldats de Bobo sont revenus, la population contente qu’ils aient réussie à bloquer l’avancée de Tièba Traoré de Sikasso avec l’aide de l’Imam Sakidi Sanou, aurait décidé de construire une mosquée pour cet imam qui a réussi à faire ce travail, d’où la fameuse mosquée de Dioulassoba. Ce n’est pas une mosquée construite seulement par les musulmans mais par toute la communauté qui a participé à sa construction et qui est de ce fait, la mosquée de l’intégration. Ceci est la version des Bobos-dioulas.

Mais ce qui est vrai, c’est qu’au retour d’Amoro de sa fameuse confrontation avec Tièba Traoré, ce que disent les Tiéfos, c’est que l’armée de Bobo ne sachant pas qu’Amoro était passé de ce côté, a cru que c’était l’armée de Sikasso qui venait. Donc il y’a eu une confrontation très forte entre les troupes de Tiéfo Amoro et l’armée de Bobo qui croyait affronter l’armée de Sikasso.

Quand ils s’en sont rendus compte, il y’avait déjà beaucoup de morts et Tiéfo Amoro n’a pas du tout supporté cela. Quand il est revenu, il semble qu’il aurait tenu des propos assez graves et juré sur l’actuelle place à la fin du XIXe siècle en disant qu’il ne prendrait plus part à une coalition de ce genre et qu’il ne supporterait pas la présence de Guimbi Ouattara dans la réunion de l’état-major parce que chez les Tiéfos, il est interdit qu’une femme prenne part à de telles rencontres.

L’histoire retiendra donc que c’est après ce passage de Tièba Traoré que Samory Touré serait venu et, curieusement c’est à Amoro qu’il s’en est pris au lieu de s’en prendre à Bobo. Samory n’a pas cherché à conquérir Bobo, il est plutôt allé attaquer Noumoudara. Pourquoi et comment, point d’interrogation. Quand Samory a attaqué Noumoudara, il a perdu ses meilleurs guerriers, son premier fils a été tué par les Tiéfos et sa tombe est à Noumoudara, mais on n’en parle pas beaucoup.

Dansa Bitchibali

Dans un passé très récent, la légende voulait qu’à Bobo-Dioulasso, aucun évènement sérieux ne se tienne à la place Tiéfo Amoro sinon un chef tomberait. Ce mythe a été levé avec Bobo 90 parce que l’ouverture de la SNC (Semaine nationale de la culture) Bobo 90 s’est faite à la place Tiéfos Amoro. Mais coïncidence pour coïncidence, le secrétaire permanant, le directeur de la Semaine nationale de la culture à l’époque qui était Jacques Prosper Bazié a été destitué à la fin de la SNC.

Donc peut-être que le mythe disait vrai. C’est à partir de Bobo 2002 que nous avons décidé d’instituer les plateaux off. Nous avons installé un plateau off à la Place Tiéfo Amoro. Ça a drainé plein de monde mais une partie de la foire a pris feu et les gens ont dit que c’est parce que nous sommes allés tenir l’évènement à la place Tiéfo Amoro qu’il y’a eu cet incident. Mais nous n’y croyions pas et depuis les évènements s’y tiennent et il n y’a pratiquement plus eu de problèmes. Ça m’étonnerait que les deux soient forcement liés.

Pouvez-vous nous en dire plus sur Tiéfo Amoro ?

Tiéfo Amoro a fait ses premières armes à Kong dans le nord de la Côte d’Ivoire. Il y a appris le métier des armes et quand il est revenu, il a été désigné comme chef de guerre. Il a été un homme très fort dans les techniques de guerres. La bataille de Noumoudara fut, si je ne me trompe, la troisième fois où Tièba Traoré et lui se sont rencontrés. La première fois, Sikasso a essayé de prendre Noumoudara par Péni et les armées de Tiéfo Amoro les ont bloqués là-bas.

La deuxième attaque fut dans la zone de Banflôguouè, (ce nom a été donné par les hommes de Samory Touré parce que tous les guerriers de là-bas portaient les chapeaux en paille) un espace toussian vers Orodara. Là encore, Tiéfo Amoro aurait réussi à bloquer Tièba Traoré. Amoro a été un guerrier hors pair dont on ne racontait pas suffisamment l’histoire dans la région de Bobo-Dioulasso. C’était le plus fort militairement et personne n’avait la possibilité de le rencontrer directement.

Comme les peuples de la sous-région s’unissaient, se comprenaient, les Toussians, les Tiéfo, les Vigué, les Sembla, les Bobos, les Dioulas chaque fois qu’il y’avait une menace, se concertaient pour faire face. Donc Amoro était pratiquement la tête de proue et on aurait conseillé éventuellement à Samory de s’attaquer à Noumoudara parce que c’est là-bas que se trouve le problème. Samory est donc allé monter le siège autour de Noumoudara à partir de la zone de Kouakoualé. C’est à partir de là-bas qu’il a attaqué Noumoudara.

Malheureusement il a détruit Noumoudara. Le magasin de poudre de Tiéfo Amoro a été mouillé par une de ses épouses si bien qu’il s’est retrouvé en rupture de poudre et n’a pas pu terminer la bataille. Il s’est fait tuer par ses propres soldats à sa propre demande parce qu’il ne voulait pas que Samory le prenne vivant. Il a été un excellent guerrier très respecté dans la région à la fin du XIXe siècle. Il a résisté à toutes les formes de conquêtes jusqu’à l’arrivée de Samory Touré qui a détruit Noumoudara.

Mais après la bataille de Noumoudara, Samory n’a plus eu la chance de mener une vraie bataille contre qui que ce soit jusqu’à ce qu’il soit humilié à Guélemou, dans le nord de l’actuel Côte-d’Ivoire, parce qu’il a été arrêté par un groupe de soldats de l’armée française. Donc après Noumoudara, il n’y a plus eu de bataille sérieuse et Amoro est le symbole des héros de la fin du XIXe siècle. Noumoudara veut dire en dioula la jarre du forgeron. Les peuples Tiéfo sont à Matroucou, Péni, Farakoba etc. 

Pourquoi cette place a été nommée Tiéfo Amoro ?

Pour la place de la gare, on a attribué le nom Tiéfo Amoro, parce que Tiéfo Amoro était un personnage historique qui a joué un très grand rôle dans la région et dans l’esprit de valoriser, de mettre en exergue les grands hommes de notre histoire. Je crois que c’est sous la révolution, que cet espace qui est la place de la gare ferroviaire de Bobo-Dioulasso a été dédié à Tiéfo Amoro, et a été rebaptisée "Place Tiéfo-Amoro" en août 1984.

La place Tiéfo Amoro

A chaque manifestation surtout de revendication, on remarque que les manifestants se rassemblent à la place Tiéfo Amoro. Y’a-t-il des raisons à cela ?

La seule explication que je peux donner, c’est sa position centrale. C’est le seul espace qui est assez spacieux. C’est un point de convergence et il est à proximité de l’administration. Donc les gens peuvent s’y déporter facilement et aller faire leurs revendications devant l’administration centrale, parce que c’est carrément un carrefour. Quand on regarde bien la place Tiéfo Amoro, il y a au moins cinq à six voies qui convergent vers là-bas. Donc le rassemblement y est beaucoup plus facile, sinon je ne vois pas d’autres explications. [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ]

Ki Marie Constantine (Stagiaire)
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 14 janvier 2023 à 19:07, par Burkina En réponse à : Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population

    "Dans un passé très récent, la légende voulait qu’à Bobo-Dioulasso, aucun évènement sérieux ne se tienne à la place Tiéfo Amoro sinon un chef tomberait. Ce mythe a été levé avec Bobo 90 parce que l’ouverture de la SNC (Semaine nationale de la culture) Bobo 90 s’est faite à la place Tiéfos Amoro."
    Mon cher ami, la légende dit que celui qui préside une rencontre sur cette place ne fera pas l’année ! L’ouverture de Bobo 90 dont vous parlez à précisément été présidée par Oumarou Clément Ouedraogo ! Est-ce une coïncidence mais visitez l’histoire : il fût destitué puis trucidé.
    Il semble d’ailleurs que ce serait le choix de ce site qui aurait fait que le chef de l’Etat à l’époque s’est débiné pour ne venir qu’à la clôture et sur un autre site !
    Du reste, on cite d’autres cas malheureux avant celui de Oumarou Clément. N’allez donc pas trop vite en besogne. Laissez d’autres approfondir la recherche et perser le mystère qui me semble plutôt réel ! J’étais à l’ouverture de ce Bobo 90 et c’est ce jour et sur les lieux mêmes que j’ai entendu parler de cette affaire. Je n’y avait pas cru, jusqu’à ce que les faits l’accréditent. Il faut plutôt faire penser à exorciser le lieu.
    Sur un autre registre : j’aime cette place avec en arrière-plan la gare mais je regrette ce vilain machin qu’on est venu déposer à son milieu.

    • Le 15 janvier 2023 à 15:08, par SOME En réponse à : Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population

      Merci Burkina Je suis entierement d’accord avec tout ce que tu as dit ! De plus j’ai eu l’idee que cette salete doit disparaitre de cette place : c’est une honte qui ternit la luminosite de cette belle place qui est le symbole de la beauté de Bobo. NOUS DEVONS LUTTER POUR NETTOYER CETTE SALETE DE CETTE PLACE
      SOME

  • Le 15 janvier 2023 à 07:23, par Levieux En réponse à : Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population

    Mon cher Burkina vous semblez connaître plus l’histoire de cette place par rapport à M. Bitchibali au point de vouloir le contredire, votre contribution dans la narration de cette histoire serait un grant apport pour la jeune génération et surtout pour les étudiants en histoire dans nos UFR, si la mort de M. Oumarou Clément a un lien avec cette place, éclairé nous davantages on veux connaître la suite.

  • Le 15 janvier 2023 à 17:55, par Sibiri Amadou En réponse à : Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population

    Bonjour ! Je voudrais ajouter la visite d’état du président Colonel Jean Baptiste Ouedraogo et Capitaine Thomas Sankara à Bobo Dioulasso à la place Tiéfo Amoro en 1983.et lors du discours du président Jean Baptiste Ouedraogo, il y a eu une grande détonation au camp militaire Ouézzin Coulibali ; et le président et son premier ministre et leur suite ont fui laisser la foule sur place sans dire aurevoir,et la foule s’est dispercé.Je crois que c’est le lendemain ôu le surlendemain qu’on a appris l’arrestation du premier ministre le capitaine Thomas Sankara à la radio.C’est ma contribution aussi.Je réside à Yopougon, Abidjan ,la Côte d’Ivoire

  • Le 15 janvier 2023 à 20:48, par Burkina En réponse à : Place Tiéfo Amoro : Une histoire peu connue de la population

    Cher leVieux
    Je ne connais pas tant que ça et surtout, mon intention n’est pas de contredire mais d’appeler à ne pas clore si vite un si intéressant sujet. Comme vous, je souhaite ardemment que d’autres prennent à coeur ces questions et fassent des recherches sérieuses plutôt que banaliser ou de les balayer du revers de la main. Le cas de cette place n’est pas unique au Burkina. Dans toutes nos villes il y a des lieux réputés mystérieux, des maisons réputées hantées !
    Le siège du FESPACO, la Place Naba Kango, la première résidence présidentielle, la Place Wara-Wara sont tous soupçonnés de cacher des mystère et ou porter malheur. Jusqu’où c’est vrai, je le sais.
    Pour ce qui est des coïncidences troublantes de la Place Tioffo Amoro que j’aime bien comme je l’avais déjà dit en voici :
    - En mars 1990, Oumarou Clément Ouedraogo est propulsé Secrétaire aux affaires politiques du Front Populaire, ministre délégué, N°2 du régime.
    - Le 24 mars, c’est l’ouverture officielle de la SNC. Je suis dans le public. Nous attendons impatiemment le Chef de l’Etat. Quand enfin arrive le cortège, c’est plutôt le N°2 en la personne de Oumarou Clément Ouedraogo. Il préside la cérémonie.
    À côté de moi des gens disent que c’est sûrement ce mystère de la place qui fait que le chef n’est pas venu en personne et disent que celui qui est venu à sa place a été imprudent ou piégé !
    Bizarrement, en avril il tombe en disgrâce !
    Le 9 Décembre 1991 il est assassiné !
    Et comme l’auteur de l’article le déclare, le patron de la SNC est congédié.
    Loin de tendre une bouée de sauvetage aux auteurs d’un crime ignoble et crapuleux, je veux qu’on s’intéresse néanmoins à ces côtés mystères qui existent aussi ailleurs dans le monde ; qu’on les documente. Surtout que je crois fermement en la possibilité d’exorciser si au bout, les soupçons sont avérés. Nous sauverons des innocents.
    C’est en ça que l’on gagne. J’ai vidé tout ce que je savais, place aux chercheurs ! Moi même je veux en savoir davantage et avoir le coeur net.

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