LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Etats africains : Les "Papamadit", une race de prédateurs

Publié le vendredi 13 janvier 2006 à 07h46min

PARTAGER :                          

Karim Wade

Le pouvoir moderne, en Afrique, continue de s’exercer comme
une chefferie traditionnelle. Chaque dirigeant, sitôt parvenu à la
tête de l’Etat, se donne pour priorité de s’entourer de tous les
membres de sa famille.

Proches et lointains parents sont
appelés à la rescousse, faisant de la gestion de l’Etat une
affaire privée.

Cette culture clanique de l’exercice du pouvoir en
Afrique a atteint toutes les ramifications de l’Etat, de sorte que
quiconque exerce une parcelle d’autorité se croit obligé de
rameuter les siens. Priorité donc à la famille pour les différents
postes stratégiques.

Le drame ne réside pas forcément dans
cette propension à la gestion par affinité. Le vrai problème, c’est
que l’on fait appel très souvent à des personnes incompétentes
dont le seul mérite est d’appartenir aux mêmes ethnie, village ou
région du chef. Résultat : la médiocrité est hissée comme règle
de promotion, pendant que les cadres méritants sont relégués à
des tâches où ils ne peuvent valoriser leur expertise. Toute
l’administration publique et les sociétés ou entreprises d’Etat
jugées juteuses sont ainsi aux mains d’une sorte de camorra.

L’influence négative que peut avoir la famille présidentielle sur
la vie de la Nation est un danger supplémentaire. Quand un fils
de président fait de la politique, occupe de hautes fonctions ou
s’investit dans les affaires, il a forcément un avantage
psychologique qui fait de lui soit un intouchable, soit un
passage obligé pour diverses transactions ou opérations.

Qui
oserait faire ombrage à un tel homme, dont la puissance et le
pouvoir découlent directement du père, comme dans une
monarchie ? Pas sous nos cieux en tout cas. Les rejetons des
dirigeants s’érigent en présidents-bis et deviennent des centres
de décisions parallèles incontournables. Bien entendu, les
abus ne sont pas à exclure, du fait de l’impunité qui règne en
maîtresse.

Le bon mot qui dit que "nul n’est au-dessus de la loi"
ne s’applique, en Afrique, qu’aux sans-culotte ou aux puissants
qui osent défier le pouvoir en place. Dans le contexte
démocratique africain, on voit mal un quidam dénoncer les abus
de la famille présidentielle sans s’attirer les foudres du régime.
L’Afrique n’a toutefois pas le monopole du pouvoir familial. Des
chefs d’Etat de pays développés font appel à leurs proches au
sein de leur cabinet.

En France, Jacques Chirac s’est attaché
les services de sa fille Claude, en qualité de conseillère en
Communication. On dit qu’elle a une influence importante sur
son père de président. Avant Chirac, François Mitterrand avait
aussi propulsé son fils Jean-Christophe conseiller à la
présidence pour l’Afrique.

Les relations et les transactions
coupables du fils, qui a sans doute abusé de sa position, d’où
son sur-nom de "Papamadi", lui valent toujours des poursuites
judiciaires. La grande différence cependant, entre Etats africains
et européens, c’est que l’impunité continue d’être cultivée chez
les uns, alors qu’elle est combattue chez les autres. C’est
pourquoi Jean-Christophe continue de payer ses liaisons
dangereuses des années Mitterrand.

En Afrique par contre, les "Papamadi" continuent d’avoir pignon
sur rue. Les cas les plus évocateurs sont ceux du Togo et du
Gabon, où l’Etat se réduit à la famille du président. A l’instar
d’Eyadema, il n’est pas exclu que Bongo lègue le pouvoir à un
de ses fils. Le système Bongo est très flagrant, et un journaliste
du "Monde" décrit le Gabon comme "un pays de Cocagne où le
président, au fil de près de quarante années de pouvoir
ininterrompu, a placé au coeur de l’Etat les rejetons d’une
famille pléthorique".

C’est cette image d’une Afrique sous la
férule de clans qu’il faut à jamais effacer. Et cela passe par une
vigilance accrue et une indépendance totale de la Justice, pour
que personne ne soit vraiment au-dessus de la loi, y compris la
famille du président. A défaut d’un tel sursaut, les peuples
africains doivent se donner les moyens d’éviter d’être sous
l’emprise de médiocres qui ne pensent qu’à s’enrichir.

L’idée
d’une réglementation qui interdise aux proches d’un président
en exercice d’assumer certaines fonctions n’est pas saugrenue.
Pour éviter les dérives, il vaut mieux attaquer le mal à la racine.
Le président Amadou Toumani Touré du Mali a envoyé sa fille
passer un test de recrutement au lieu de compter sur l’entregent
du père. Les dirigeants africains, s’ils le veulent, peuvent donc
mettre de l’ordre dans la gestion de leur entourage. Ils ne
rendraient que service à la Nation.

"Le Pays"

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 13 janvier 2006 à 23:39, par Doudou N’DIAYE En réponse à : > Etats africains : Les "Papamadit", une race de prédateurs

    Vos frères et amis Togolais au pouvoir vont vous faire un procès si vous continuez à écrire des articles aussi...inamicaux ,voire aussi séditieux.
    Et puis,,publier ce papier un 13 janvier ,date particulièrement controversée au Togo,est-ce vraiment un hasard ?

    • Le 18 janvier 2006 à 13:23, par Peter En réponse à : > Etats africains : Les "Papamadit", une race de prédateurs

      Qu’il y a-t-il d’inamical au simple constat qu’au Togo le pouvoir présidentiel a été passé de père en fils ? Je crois que vous faites là preuve d’une grande immaturité démocratique.

    • Le 19 janvier 2006 à 15:01, par Sirima En réponse à : > Etats africains : Les "Papamadit", une race de prédateurs

      D’accord avec Peter car il ne sert à rien de se voiler la face devant un phénomène de nature constituer un véritable frein au développement de nos pays et au renforcement de la démocratie et de la justice sociale. Pour ma part l’article de Ndiaye est très positif et j’aimerais soutenir son analyse avec cette petite reflexion.
      En effet, l’époque des « Papamadit », en vogue actuellement, en Afrique découle du fait que, désormais, l’activité politique se positionne comme un élément essentiel de l’activité sociale. L’industrie politique est certainement ce qui nous reste encore de fonctionnel et de performant au niveau de la plupart des Etat africains. C’est tout un réseau qui est mis en place et qui coûte cher aux pays. L’exercice du pouvoir est devenue la source avérée pour une accumulation sûre et rapide. On accède au sommet de l’Etat, non pas, pour mettre en pratique des idées et des convictions afin de contribuer au développement national mais pour assurer définitivement son bien être personnel ainsi que celui de sa famille, de ses proches et de ses alliés. L’arène politique est donc devenue un lieu d’activité économique et d’accumulation et, qui plus est, sans pratiquement travailler, donc sans mener une activité productrice de biens en faisant sien le dicton selon lequel : « ce n’est pas du vol quand un pied heurte quelque chose ». Certes, l’Afrique n’a pas le monopole de cette pratique, encore qu’il ne faut pas se comparer par le pire, mais, elle prend, de nos jours, une ampleur déconcertante qui frise la mise en place d’un véritable clan de maffiosi avec une gestion patrimoniale des Etats. Une des causes essentielles de la stagnation et de l’inefficacité de nombreux Etats africains aussi réside à ce niveau. En effet, on est obligé de reconnaître que la valeur référentielle de l’argent constitue, aujourd’hui, le pilier autour duquel se tissent beaucoup de relations humaines au point où « quand l’argent parle, la vérité se tait ». Ces pratiques et habitudes sociales basées sur la corruption, la luxure et l’irrationnel qu’un politologue a très justement baptisé la « politique du ventre » constituent la règle de vie au plus haut niveau. Selon lui : « l’expression même de « politique du ventre » est riche de plusieurs significations qu’il convient de ne pas méconnaître. Elle indique au premier chef les situations de pénurie alimentaire qui continuent de prévaloir en Afrique. Se nourrir reste fréquemment un problème, une difficulté, une inquiétude. Le plus souvent, néanmoins, le terme « manger » (...) désigne des envies et des pratiques autres qu’alimentaires. Avant tout, les activités d’accumulation, qui ouvrent la voie à l’ascension sociale et qui permettent au détenteur de la position de pouvoir de « se mettre debout ». Mais il n’est guère envisageable que les femmes soient absentes de ce manège (...). La « politique du ventre » est aussi celle du marivaudage (...), et les maîtresses sont l’un des rouages de l’Etat post-colonial. Le « ventre », c’est simultanément la corpulence qu’il est bon d’arborer dès lors que l’on est un puissant. C’est aussi le lignage qui demeure une réalité sociale très présente et non dénuée d’effets politiques à l’échelle nationale. C’est enfin, de manière plus suspecte, la localisation des forces de l’invisible dont la maîtrise est indispensable à la conquête et à l ‘exercice du pouvoir : la manducation peut être symbolique et assassine sous la forme dramatique mais quotidienne de la sorcellerie ». On retrouve dans cette citation le concentré de tous les ingrédients du mal politique africain.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique