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Étalement urbain et sécurité alimentaire dans les villes en Côte d’Ivoire

Publié le mercredi 28 décembre 2022 à 19h30min

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Étalement urbain et sécurité alimentaire dans les villes en Côte d’Ivoire

Introduction

À l’instar des autres pays africains, la Côte d’Ivoire connaît depuis le milieu du XXe siècle, une accélération de l’urbanisation qui se traduit par l’accroissement de la population, de la taille et des activités des villes. Les villes, surtout les plus grandes, présentent de meilleures conditions de vie qui font d’elles des agglomérations très attractives. Mais, ce phénomène récent présente assez de défis à la gouvernance urbaine. L’un des grands défis, la sécurité alimentaire, est maintenant difficile à être assuré dans le pays surtout dans les communes et villes marquées par l’étalement urbain. Le lien entre l’étalement urbain et la grande menace de l’insécurité alimentaire dans nos villes constitue donc l’objet de la présente étude.

Méthodologie

Cette intervention est le résultat de plus d’une dizaine d’années d’études menées sur la question foncière périurbaine en lien avec l’urbanisation accélérée de la plupart des villes soumises à nos recherches. Que ce soit les grandes agglomérations d’Abidjan, Bouaké, Yamoussoukro, Daloa, Korhogo et Ferkessédougou ou les villes moyennes comme Duékoué, Divo et Béoumi ou même encore Kankan, la seconde ville guinéenne, aucune n’échappe aujourd’hui à la menace de l’insécurité alimentaire à cause justement de cette question de l’étalement urbain. En tant que géographe, ces études sur l’étalement urbain ont eu pour support, la cartographie guidée par la télédétection. La technique basée sur la télédétection est en effet intervenue pour l’observation, l’analyse, l’interprétation et la gestion de l’environnement, à partir d’images satellitaires.

Objectifs de l’étude

L’objectif majeur poursuivi par la présente recherche est de s’inscrire dans le débat sur les villes durables et de présenter à tous la grande menace de l’insécurité alimentaire sur nos villes à cause de leur extension spatiale sous la forme de l’étalement urbain.
De façons spécifiques, il s’agit de :
1- Caractériser l’étalement urbain en Côte d’Ivoire ;
2- Présenter les différentes implications de cet étalement sur le développement de nos villes et principalement sur la sécurité alimentaire des citadins à cause des préoccupations foncières qu’il soulève ;
3- Proposer des pistes de solutions durables pour des villes futures plus résilientes et moins contraignantes à l’activité agricole.

Résultats
1- Les villes ivoiriennes marquées par une urbanisation rapide et un étalement urbain

Aujourd’hui, les villes sont caractérisées par une urbanisation accélérée due à la conjonction d’une diversité de facteurs. D’abord, les conditions de vie sont meilleures en ville que les campagnes de sorte qu’on assiste à un exode rural, mais aussi au déplacement des populations des villes les plus petites vers les plus grandes.

En effet, selon l’enquête réalisée en 2015 par l’Institut Nationale de la Statistique, portant sur le niveau de vie des ménages (ENV 2015), près de 68% du revenu national est détenu par le milieu urbain ; l’incidence de la pauvreté est plus forte en milieu rural (57%) qu’en milieu urbain (36%) ; et nos villes concentrent encore l’essentiel des infrastructures économiques et sociales.

Aussi, les différentes crises que le pays a connues depuis la fin de la décennie 1990 ont rendu moins sûres ces campagnes et la migration en direction des grandes villes s’est accentuée. Enfin, la politique de décentralisation dans le pays n’a pu corriger les inégalités frappantes entre les régions et les villes au point que les déséquilibres territoriaux se font sentir à l’échelle nationale. Ainsi, la ville d’Abidjan concentre à elle seule 36% de la population urbaine, suivie de la ville de Bouaké avec un taux de 4,7% (RGPH [1] , 2021). Aujourd’hui, 17 villes en Côte d’Ivoire sont peuplées de plus de 100 000 habitants, selon la même source.

À cette urbanisation importante, le pays s’est doté de peu de textes rigoureux allant dans le sens du contrôle de l’espace urbain, la plupart des villes sont caractérisées par étalement urbain (carte n°1).

Carte 1 : Dynamique spatiale de Daloa de 1924 à 2019

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Source : Sylla et Oura, 2022

La carte présente la ville de Daloa en 1924, 1984, 2004 et 2019. L’étalement de la ville est observable et se fait au détriment des ressources naturelles et foncières environnantes.

On parle d’étalement urbain lorsqu’il y a à la fois une faible densité de population et d’habitats sur de grandes étendues de terre, traduisant une gestion peu optimale du foncier généralement dans les périphéries urbaines. Il se caractérise en fait par l’espacement des bâtis et l’absence de verticalité dans la construction. L’étalement est d’autant plus caractéristique des villes ivoiriennes que la métropole abidjanaise (422 km2 et le district qui s’étend sur 2 119 km2) est maintenant plus grande que Paris (105,4 km²), Berlin (891 km²), Londres (1 572 km²) et New York (1214 km²) en termes de superficie (Wikipédia, 2022). En ce qui concerne la densité, la capitale économique ivoirienne compte 1 728 personnes/km² contre 20 700 personnes/km² pour Paris. Ce phénomène de l’étalement urbain est caractéristique de la plupart des villes ivoiriennes et les conséquences en sont multiples.

2- De multiples conséquences de l’étalement urbain

L’étalement urbain crée des distances de plus en plus longues entre le noyau urbain et les ménages de la périphérie. Cette distance éloigne ces derniers des infrastructures socioéconomiques de base de sorte que les inégalités se renforcent en termes de la santé, de l’éducation, de la sécurité, de l’accès à l’eau, de l’emploi, d’offre de déplacements urbains de qualité (transports en commun, stationnement, mobilités douces), etc. L’étalement urbain est source de la perte de ressources naturelles (espaces verts et forêts protégées) et foncières (Andon et al., 2020 ; Kouassi et al., 2022). La réduction des terres accentue l’injustice faite aux jeunes et aux femmes autour du foncier, les conflits deviennent récurrents et la cohésion sociale s’en trouve détériorée (Oura, 2020).

Toutes ces préoccupations autour de la terre représentent aussi un autre défi majeur : la sécurité alimentaire n’est plus assurée tant sur le plan de la quantité que de la qualité des produits maraîchers fournis par l’agriculture urbaine. Et ces contraintes vont s’accentuer si la tendance actuelle est maintenue, surtout que les zones industrielles sont devenues elles-aussi de nouveaux moyens de prédation des terres périurbaines (carte 2). A ces industrielles, s’ajoutent les infrastructures routières, aussi dévoreuses d’espace.

Carte 2 : La zone industrielle à la sortie d’Abidjan (autoroute du nord)

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Source : Google Earth, 2022

L’installation de ces industrielles accentue la prédation de la terre rurale périphérique par la ville.

3- Les préoccupations foncières et le dépérissement de l’agriculture urbaine

L’un des problèmes majeurs au niveau de l’immobilier est la forte spéculation foncière dans les villes. Aujourd’hui, selon nos différentes enquêtes dans la ville d’Abidjan, le prix moyen de l’immobilier est de l’ordre de 1000 Euros le m2. Devant de tels enjeux fonciers pour l’habitat, la réserve foncière dédiée à l’agriculture connaît un rétrécissement au point que cette activité est plus que jamais menacée, puisque la compétition bâtis/agriculture se fait désormais à l’avantage de l’habitation. La concurrence est d’autant plus fatale à cette activité que même les espaces non aedificandi sont luttés avec le maraîchage (photo 1).

Photo 1 : Concurrence agriculture/bâti sur un espace non aedificandi

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Source : Tohouri Alain, 2016

L’agriculture est de plus en plus repoussée par les bâtis. La perte des terres agricoles supprime non seulement des emplois (Oura, 2020 ; Oura et Kangah, 2017) mais réduit la production maraîchère. Les superficies et les productions se réduisent, tout comme la capacité des producteurs à faire face aux besoins grandissants des citadins.

À Bouaké, ces derniers procèdent par l’utilisation abusive de produits phytosanitaires pour compenser la perte des surfaces de culture. En outre, face à la résistance des insectes devant la répétition de la culture sur la même parcelle, les producteurs font appel à des produits phytosanitaires dédiés à la coton-culture qu’ils jugent plus efficaces à combattre ces insectes résistants (Tohouri, 2016). Le faisant, ils s’exposent à la dégradation de leur santé tout comme ils exposent les consommateurs à l’intoxication.

La sécurité alimentaire est ainsi mise à mal dans la plupart de nos villes au point que le consommateur n’est plus assuré de consommer des produits de qualité. Aussi, les citadins sont contraints d’assurer leur approvisionnement à des distances plus longues, et bien souvent avec des produits dénués de toute fraicheur.

Perspectives

La situation n’est pas pour autant pessimiste à tout point de vue ; il y a encore assez de chance que la ville devienne réellement une opportunité pour l’agriculture urbaine, au regard du grand marché de consommation qu’elle représente. On observe aujourd’hui un début de verticalité dans les grandes villes pour maximiser la valeur des terrains. À Abidjan, par exemple, les maisons aux abords des grandes rues sont cassées et érigées en étages (photo 2 et 3).

Photo 2 et 3 : Recours à la construction en hauteur dans les communes d’Abobo et de Marcory

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Source : Nos enquêtes, 2022

Ainsi, la verticalité, en s’imposant progressivement dans la dynamique urbaine, représente un moyen indéniable de lutte contre l’étalement urbain et la perte des terres. Aussi, avec l’intervention progressive des moyens modernes d’urbanisation, l’agriculture hors sol qui connait aussi un début de développement va assurément connaître un essor. Mais ces lueurs d’espoir ne pourront être une réalité que si la gouvernance des villes s’inscrive dans cette logique de la restauration de l’agriculture urbaine, à partir d’un moyen conséquent de lutte contre l’étalement urbain.

Conclusion

Cette publication a donc eu pour objectif majeur de s’inscrire dans les débats sur la ville durable. Elle brosse la façon dont se fait l’urbanisation en Côte d’Ivoire sans que les acquis des populations autochtones et des acteurs du maraîchage ne soient préservés notamment leur patrimoine foncier. Mais, il y a la nécessité que tous les acteurs et des parties intéressées par cette question se montrent résilients aux contraintes actuelles que l’étalement urbain pose à la gouvernance urbaine. Mais, pour parvenir donc à des villes durables avec une sécurité alimentaire garantie, il y a lieu de plaider pour qu’il y ait :

-  Une politique publique qui mette la question de l’étalement au cœur de la gouvernance urbaine : prôner la verticalité et contrôler la vente des lots ;
-  Un regard donc de l’État sur le processus de lotissement aujourd’hui entre les mains des populations rurales et les topographes peu soucieux des préoccupations foncières ;
-  Un moyen efficace de lutte contre les spéculations foncières ;
-  Une amélioration des techniques agricoles qui puisse songer au développement de l’agriculture hors sol.

Oura Kouadio Raphaël
Géographe, Maître de recherches
Centre de Recherche pour le Développement (CRD)
ouranien@yahoo.fr

Références bibliographiques

Andon N’Guessan Simon, Oura Kouadio Raphaël, Assouman Serge Fidèle et Djah Akissi Gisèle, 2020, « Gouvernance foncière en forêt protégée domaniale périurbaine : Cas de la forêt classée
du Mont-Korhogo (Côte d’Ivoire) », Spécial hors-série n° 5, Janvier 2020, Science et technique, Lettres, Sciences sociales et humaines, p. 31-44.
Kouassi Kouamé Sylvestre, Yéo Doulourou et Kouamé Kouakou Noël, 2022, « Étalement urbain et dégradation de la forêt classée des Pallakas à Ferkessédougou dans le Nord de la Côte d’Ivoire », Oura Kouadio Raphaël (DIr.), Etalement urbain et accès de la jeunesse au foncier en Côte d’Ivoire, L’Harmattan Côte d’Ivoire, p. 49-72.
Oura Kouadio Raphaël, 2012, « Extension urbaine et protection naturelle : la difficile expérience d’Abidjan », in Vertigo, La revue électronique et sciences de l’environnement, vol. 12, n°2,

Oura Kouadio Raphaël, 2020, « Urbanisation, enjeux fonciers et fragilisation de la cohésion sociale dans le périurbain de Bouaké », Revue Espace géographique et société Marocaine, n°41/42, novembre 2020, p. 135-146.
Oura Kouadio Raphaël, Kanga Koco Marie Jeanne (2017). « L’agriculture urbaine face au défi de l’urbanisation de Bingerville dans le Sud-Est d’Abidjan, en Côte d’Ivoire », in Revue de Géographie du Laboratoire Leïdi « Dynamiques des territoires et développement », Université Gaston Berger. BP 234 Saint-Louis du Sénégal, N° 16, pp 260-280.

Sylla Fanta et Oura Kouadio Raphaël, 2022, « Étalement urbain et accès de la jeunesse féminine au foncier dans le périurbain de Daloa (Côte d’Ivoire) », Oura Kouadio Raphaël (DIr.), Etalement urbain et accès de la jeunesse au foncier en Côte d’Ivoire, L’Harmattan Côte d’Ivoire, p. 161-182.
Tohouri Gnakouri Alain, 2016, Géographie de l’activité maraichère et risques sanitaires dans la ville de Bouaké, Mémoire de Master, Université Alassane Ouattara de Bouaké, 156 p.

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[1Recensement Général de la Population et de l’Habitat

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