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Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

Publié le lundi 26 septembre 2022 à 14h15min

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Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

Dans cette tribune, Dr Bouraïman Zongo, maître-assistant au département de sociologie de l’université Joseph Ki-Zerbo, réagit aux propos de Dr Ra-Sablga Ouédraogo qui donnait un avis sur l’université au Burkina, qu’il qualifie de pas « vrais universités ».

J’ai suivi avec étonnement, et pas vraiment de surprise, une vidéo dans laquelle Dr Ra-Sablga Ouédraogo donnait un avis sur l’université au Burkina, qu’il qualifie de pas « vrais universités » dans lesquelles l’Etat paie des gens pour apprendre à réfléchir, mais qui n’y font pas vraiment le travail. Le service est grassement payé et n’est pas fait. Ce genre de propos n’est pas nouveau. Dans les idées reçues sur l’université au Burkina Faso, des propos comme les longues études ne servent à rien, l’université est une usine à fabriquer des chômeurs, l’université devrait adapter ses offres de formateurs aux besoins des entreprises et des recruteurs, avec l’idée en filigrane, que les formations universitaires ne sont pas convenables, et seraient dépassées.

Je suis avec attention de nombreuses interventions publiques dans un pays en crise et/ou de nombreux experts réels ou supposés prennent la parole dans l’espace public, présupposant qu’ils ont cette compétence à y tenir un discours sur les questions de société. En essayant d’en faire une idée un peu plus claire, je constate qu’il y a dans de nombreux propos, une tendance à chercher à chaque fois dans la société des boucs émissaires comme causes des problèmes.

Le bouc émissairisation est mal à propos

L’espace public est un lieu de prise de parole, de discussions et de délibérations. Ce n’est pas parce que vous y faites un spectacle que votre parole fait autorité, surtout dans le domaine de la science où de nombreux pairs ont produit et continuer de produire des recherches au mépris de ceux qui n’ont que faire de la science et des universités.

Il est nul besoin de tenter ici de démontrer que les universités sont utiles à la société par la formation et la production du savoir sur la société. Les ouvrages produits sur la société, et aujourd’hui sur la crise de notre société existent, les articles sortent régulièrement et sont disponibles pour ceux qui cherchent à les lire, les projets et programmes de recherche en cours et en construction sur les différentes crises que connait le pays sont nombreux, les nombreux colloques qui ont lieu dans le pays ou ailleurs et auxquels les universitaires burkinabè ont participé effectivement aussi. La modestie n’est pas un défaut, surtout dans le domaine de la science. La présentation avec zèle et enthousiasme de résultats de recherche doit s’accompagner effectivement de résultats éprouvés, et qui ont été soumis au test de l’expérimentation, puis à la discussion auto-critique et critique.

Il me semble que chaque Burkinabè s’efforce de travailler, d’accomplir ses devoirs, même si les critiques faciles cherchent chaque jour des boucs-émissaires, des citoyens dont ils jugent le rendement professionnel insuffisant, sans donner les preuves de leur jugement. Effectivement, les universitaires enseignent au quotidien dans de nombreuses unités d’enseignement la problématique de la multiculturalité et de l’interculturalité. Ils y enseignent la lutte permanente contre les préjugés, et montrent à leurs étudiants que la différence ne doit pas être un prétexte pour juger l’Autre, le stigmatiser, lui dénier son identité, le combattre, voir le tuer. Or, là, ce que certains intellectuels médiatiques font, malheureusement, c’est d’émettre ce genre de jugements de valeurs sur une institution et une catégorie sociale sans donner les preuves de cette démonstration. On frise là le préjugé sur un corps social tenu par des experts de la société qui ont leurs références et mode argumentatif.

Faire comme certains formateurs de la dernière heure qui proclament l’inutilité des institutions scolaires, c’est participer à la méprise du savoir, de l’école en tant qu’institution, et des acteurs, administratifs et enseignants, qui y agissent pour que la formation universitaire ait un sens pour les apprenants et pour la société. Communiquer à longueur de journée en méprisant des catégories sociales, en prétendant donner des leçons et éveiller des consciences, c’est renforcer la haine des universités et des universitaires. Trop d’experts des médias tentent chaque jour de réinventer l’intellectuel burkinabè, en cherchant à exclure l’universitaire burkinabè de la compétence à être intellectuel, en cherchant à le disqualifier. Il me semble c’est un non-sens intellectuel parce que l’intellectuel, ça ne se proclame pas, ça ne se décrète pas. Si le diplôme n’est pas la principale caractéristique de l’intellectuel, il en est l’un des constituants, et les universitaires ne se gargarisent pas au quotidien des titres et des grades qu’ils ont acquis par le simple fait du travail.

Les universitaires n’ont pas pour habitude de se proclamer ou s’auto-proclamer intellectuels. Ils n’ont pas besoin de décrets ni de déclarations populistes pour l’être ou pour le devenir. Ils le sont par le fait qu’ils sont universitaires et produisent au quotidien des acquis sur la société. Ils continuent de faire ce qu’ils ont à faire, quitte à ce que les attentes de la société soient plus grandes, souvent par ignorance de l’université, de ses missions et de ses capacités d’agir, souvent par simple méprise.

La tendance en matière de démonstration chez certains est de trouver un bouc émissaire dans la société, et d’essayer de construire des idées qui fâchent certains Burkinabè contre d’autres, et espérer être un visionnaire, une sorte de gourou intellectuel en quête de reconnaissance. De nombreuses fois, les propos restent méprisants sur une institution dont la mission classique est de former des cadres, une intelligentsia justement capable de discernement et d’esprit critique, dotée de capacité à se servir de son cerveau, de se projeter, et de contribuer à répondre aux attentes de la société par les missions qui lui sont confiées dans différents champs de l’action publique.

L’applaudimètre n’est pas le baromètre de la vérité scientifique

La critique de la société contre nos universités qui font ce qu’elles ont à faire jusqu’à présent a conduit les universités à ajouter à leurs missions la formation professionnelle ou professionnalisante, selon le vocable préféré par chacun. Cela traduit que l’université, contrairement à certaines croyances décalées, est à l’écoute de la société qu’elle observe à travers les différentes disciplines qui la composent. Elle ne fait ni du sur place, ni dans l’à peu près. Avec les ressources qui sont les siennes, l’université essaye de venir à bout de l’obscurantisme et du dogmatisme, de la propagande et de toutes les idées reçues qui circulent sans avoir été vraiment digérées, soumises à la critique et construites rigoureusement.

Ce que nous apprenons à nos étudiants, c’est bien le contraire du modèle spectacle dont certains tentent de faire la promotion. Nous essayons au quotidien, dans la patience et la rigueur qu’impose la science, de leur apprendre méthodiquement et avec la passion du métier, les sciences qu’ils apprennent, leur histoire, leur objet, leurs démarches, et les méthodes qu’elles utilisent pour produire de la connaissance ; comment observer les processus sociaux et comment les soumettre à la critique avec les instruments techniques que la science qu’ils apprennent met à leur disposition ; en imprimant en eux le sens de l’humilité, de l’écoute, et de la rigueur.

Vous êtes nombreux à tenter de leur dire qu’ils ne savent rien de ce qu’ils ont appris dans les dures réalités de nos universités. Vous avez une présentation de vous-mêmes qui tranche avec le caractère du scientifique qui donne confiance et qui rassure sans extravagance, et sans mépris des autres collègues ni des autres catégories sociales. Le discours sur soi, le discours exhibitionniste sur soi ne saurait être un discours contre l’Autre.

En tant que citoyens burkinabè, nous devons tous avoir le sens de la présentation de la réalité, en utilisant les faits comme prétextes et comme fondements de notre argumentaire. Vous avez le droit, dans l’espace public, de dire ce que vous croyez, mais vous n’avez pas le droit d’opposer la société burkinabè à son université. L’exhibitionnisme sophistique, maladie infantile d’un certain intellectualisme, ne saurait être une caractéristique de l’intellectuel, universitaire ou non.

L’applaudimètre des discours spectacles n’est pas le baromètre de la réalité, encore moins de la vérité scientifique. Il sert son auteur comme moyen de se produire, sinon de se faire voir, sans que toues ces fois ne correspondent à une vraie découverte, à une connaissance scientifique. Recentrons-nous sur l’essentiel, la rigueur dans l’humilité, sans prétention à être un donneur de leçons à tout vent. Arrêtons notre méprise de l’université, sinon notre méprise de l’Autre. Nos peurs, nos angoisses, nos insatisfactions individuelles et collectives ne sauront trouver leur réponse dans l’indexation de l’Autre.

Ouagadougou, le 25 septembre 2022

Dr Bouraïman ZONGO
Maître-Assistant au Département de Sociologie
Université Joseph KI-ZERBO
77863650
bouraiz@yahoo.fr

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Vos commentaires

  • Le 26 septembre 2022 à 14:15, par p En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    Votre écrit confirme les propos de Dr Ra-Sablga Ouédraogo. Rien que des préjugés, aucune analyse constructive, la victimisation. Ce n’est même l’université qui ne sert à rien c’est toute l’école. A part la faculté de médecine, les filières des sciences exacts, les autres filières sont inutiles surtout les filières des lettres et autres droits, économie etc.

  • Le 26 septembre 2022 à 14:24, par COB En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    Je pense que vous auriez joué votre rôle en écrivant sur les bienfaits de l’université sans vous reposer sur les écrits de celui que vous incriminez. Vous lui donnez en fait raison.
    Ecrivez pour valoriser l’université au lieu de rester dans votre tour d’ivoire.

  • Le 26 septembre 2022 à 15:19, par x En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    L’auteur de cet écrit devrait comprendere que le fait de critiquer l’université, ou les universitaires, ne veut pas dire qu’on s’en prend aux individus du monde universitaire ;
    C’est le système, dans son ensemble qui a ses limites ; et la bonne volonté et les efforts considérables des individus constituent une goûtte d’eau dans la mer face aux limites du système.

  • Le 26 septembre 2022 à 15:57, par Scope En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    @ P. Quelle incurie. Wow. Je ne peux pas comprendre que quelqu’un puisse écrire des choses pareilles au 21e siècle.

  • Le 26 septembre 2022 à 16:44, par Deafnot En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    Réponse inutile d’un universitaire. Confirmation parfaite des affirmations de Dr Ra-Sablga Ouédraogo. Je pense qu’il faudrait enlever le volet chercheur de leur titre et mieux structurer et organiser les instituts de recherche. Ils font de l’enseignement pur et simple qui n’est d’ailleurs même pas adapté.

  • Le 26 septembre 2022 à 19:37, par De Balzac En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    Deux constats sur cette affaire de jugement sur l’université au Burkina. Primo, beaucoup de Diplômés, ayant échoué à l’université de Ouagadougou en son temps et ayant poursuivi leurs études ailleurs ont développé une haine personnelle contre l’institution prétendant que les Diplômes qu’ils ont acquis ailleurs sont forcément meilleurs que ceux délivrés dans une université du Burkina. Leurs frustrations sont devenues des complexes. Secundo, beaucoup d’autres spseudo intellectuels se complaisent dans des théories vides, sans éprouver leurs fantasmes à la rigueur scientifique. La plupart des théoriciens à qui on a confié des responsabilités d’utilité publique ont lamentablement échoué. C’est le cas des "grands orateurs ", experts en tout qui passent de plateau télé ou radio à un autre. Si l’école ou l’université burkinabe ne vaut rien, pourquoi y aller se réfugier, prendre la disponibilité au lieu de démissionner, et vilipender la même université par opportunisme et non par raison. Si l’on ne veut pas quelque chose, on dit non. Merci aux braves enseignants qui malgré les conditions difficiles continuent de former des burkinabe que de jouer au zoro de la connaissance.

  • Le 27 septembre 2022 à 04:35, par Tounsida En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    J’ai écouté la petite vidéo de Dr Ra-Sablga, mais je n’ai vraiment rien trouvé d’insultant dans ce qu’il dit. Bien au contraire il invite les gens à faire mieux que ce qu’ils font déjà. Je ne comprends vraiment pas tout ce acharnement sur sa personne si ce n’est que certains guettaient la moindre occasion pour se défouler et de ternir l’image du monsieur.
    C’est le propre du Burkinabè : toujours entrain de vouloir salir ou rabaisser celui qui essaie d’être different que eux. Dr Bouraïman ZONGO, j’ai regardé votre nom sur Google Scholar et je n’ai trouvé aucun bon article dans une bonne revue internationale de vous pour le moment. Plutôt que de vous livrer à des querelles inutiles d’une autre époque avec Dr Ra-Sablga, travaillez plutôt à exceller dans votre domaine, cela nous rendra fière de vous.

  • Le 28 septembre 2022 à 06:13, par SAWADOGO OUMAROU En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    Bla bla, bla bla ! Monsieur le Sociologue êtes-vous fier des résultats de votre université ces 20 dernières années ? Combien d´espoirs et de talents se sont éteint dans votre université parce que vous avez perturbé au profit de vos intérêts le cours normal des études ? Combien d´étudiants font 3 années successives sans quitter la première année à l´université ? Pendant que leurs propmo soutiennent ailleurs !? Si vous n´êtes pas capables de solutionner le bon déroulement de votre propre travail, celui pour lequel on vous paie, comment voulez vous qu´on pense que vous êtes capable de trouvez la solution pour notre société. Un intellectuel ne doit pas prendre la critique pour une indexation mais ça doit lui amener à faire une introspection et une remise en soi rigoureuse ! Nous les pas intellectuels ne sommes pas dans les théories, nous voulons les choses simples et palpables. Comment après plus de 40 années d´existence les étudiants préfèrent les universités nouvelles ? Vous avez raté un tournant, acceptez le et remerciez ceux qui vous le.montre comme l´à fait le Dr SAWADOGO

  • Le 28 septembre 2022 à 18:25, par Sidbala En réponse à : Du procès de l’université qui doit être réinventée : Le mépris et le populisme comme fondements d’un argumentaire décalé

    Cette empoignade montre à souhait qui est le burkinabé. Je me rappelle comme si c’était hier, que SIDNABA en ouvrant sa radio, des burkinabé ont dit :il n’a pas fait de journalisme, il va échouer. Aujourd’hui l’audimat de sa radio est sans appel. Sur le même SIDNABA, mieux au-delà de la radio il a ajouté une télé et ça marche. Les conformistes n’étaient pas encore réveillés qu’il sest engagé sur le cinéma. Sans leçon apprise , des burkinabé ont encore réagi en disant qu’il n’a pas fait l’école des beaux-arts. Là également le résultat est sans conteste.
    Frères burkinabé, arrêtons le complexe et posons nous les vraies questions. Je trouve que rasalblga, tout en étant issu de ce milieu souhaite que l’on casse les paradigmes du confort intellectuel légué par la métropole. A quoi sert le CAMES sinon qu’à capitaliser ceux qui, comme lui sont des indépendants intellectuels et intelligents.
    A un moment donné, il faut accepter de se regarder dans la glace et se poser les bonnes questions.
    Bravo RASSABLGA

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