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Pr Aristide Yoda : « C’est le Commonwealth qui a permis à la reine Elizabeth II de tisser des liens forts avec l’Afrique »

Publié le lundi 19 septembre 2022 à 22h30min

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Pr Aristide Yoda : « C’est le Commonwealth qui a permis à la reine Elizabeth II de tisser des liens forts avec l’Afrique »

Le Pr L. Aristide Yoda, est enseignant chercheur de traductologie, de civilisation britannique et des pays du Commonwealth à l’UFR-LAC de l’université Joseph Ki-Zerbo. Il décrypte dans cet entretien accordé à Lefaso.net, les relations qu’entretenait la reine Elisabeth II, décédée le 8 septembre 2022, avec le continent africain.

Lefaso.net : En quelques mots comment peut-on qualifier le rapport qu’entretenait la reine Elisabeth avec le continent africain de manière générale ?

L. Aristide Yoda : C’est très complexe, compte tenu du fait que le Royaume-Uni est une monarchie constitutionnelle où la reine est cheffe de l’Etat, un chef d’Etat dont le pouvoir reste symbolique car la réalité du pouvoir est détenue par le Premier ministre et le gouvernement, on a coutume de dire que « The Queen reigns but does not rule » (la reine règne mais elle ne gouverne pas). Cependant, on peut dire qu’il existe des liens très forts entre elle et l’Afrique. Il faut rappeler que ce fut lors d’une tournée dans les pays du Commonwealth en 1952 qu’elle a appris la mort de son père, le roi George VI, alors qu’elle était en Afrique, précisément au Kenya.

Elle a dû écourter sa tournée et rentrer précipitamment à Londres pour lui succéder au trône. Mais je pense que c’est surtout le Commonwealth dont le monarque britannique constitue le chef qui a permis à la Reine Elizabeth II de tisser des liens forts avec le continent dans la mesure où toutes les anciennes colonies britanniques y compris celles d’Afrique sont toutes membres du Commonwealth, même si aujourd’hui on trouve des pays membres qui ne faisaient pas partie de l’empire colonial britannique. C’est le cas, par exemple, du Mozambique, du Rwanda et tout récemment le Togo. La preuve que cette organisation dont la reine est cheffe est prisée par les pays africains.

Si beaucoup en Afrique regrettent son décès, certains ne la pleure pas, son décès ayant ravivé un débat sensible sur le passé colonial de son pays en Afrique et sur le rôle de la reine comme cheffe d’État durant la domination britannique sur plusieurs pays du continent...

En effet, certains évènements douloureux dans l’Empire colonial britannique se sont déroulés sous son règne. On peut citer la déclaration unilatérale d’indépendance en Rhodésie du Sud (actuel Zimbabwe) en 1965 où la minorité blanche s’est emparée du pouvoir. La plupart des pays africains membres du Commonwealth ont estimé que la puissance coloniale a manqué de fermeté face au régime minoritaire blanc de la Rhodésie du Sud.

La politique d’apartheid en Afrique du Sud qui a vu le jour avant son accession au trône mais elle s’est poursuivie pendant son règne, avec le Royaume-Uni comme principal soutien parmi les pays membres du Commonwealth. Même si le président sud-africain, Cyril Ramaphosa a rendu hommage à la reine Elizabeth II, tout comme la plupart des dirigeants africains, on note que Julius Malema, leader populaire d’un parti d’extrême gauche estime que les sud-africains ne doivent pas pleurer sa disparition, car elle rappelle une période très tragique de l’histoire sud-africaine.

Au-delà de ces récriminations, quels reproches peut-on objectivement faire à la reine dans ses relations avec l’Afrique ?

A mon avis, si on se limite à la nature de son pouvoir, à savoir qu’elle ne dirige ni ne définit la politique étrangère du pays, il serait difficile de s’en prendre à elle. Cependant, elle exerce une autorité morale sur le gouvernement. En effet, les audiences hebdomadaires qu’elle accorde au Premier ministre constituent des moments importants pour elle pour donner son opinion sur les questions importantes et prodiguer des conseils que le gouvernement ne saurait ignorer compte tenu de son expérience en tant que cheffe de l’Etat. Liz Truss, l’actuelle Première ministre, est le quinzième chef de gouvernement qu’elle a nommée 48 heures avant de tirer sa révérence.

C’est dire qu’elle a la capacité d’influencer les choix politiques du gouvernement en place. Mais c’est difficile de savoir parce que la reine est apolitique, elle est au-dessus des partis politiques. D’ailleurs, elle ne vote, ni n’exprime ses opinions en public. Mais dans les années 1990 au plus fort de la lutte contre l’Apartheid en Afrique du Sud marquée par l’engagement de tous les pays membres du Commonwealth contre le régime minoritaire blanc, à l’exception du Royaume-Uni, Margaret Thatcher, alors Première ministre, aurait retiré son pays du Commonwealth n’eût été les pressions exercées par la reine, cheffe du Commonwealth pour l’en dissuader. Mme Margaret Thatcher envisageait de quitter l’association parce la Grande-Bretagne se sentait de plus en plus isolée à cause de l’Apartheid en Afrique du Sud.

Si l’on vous demande de citer quelques faits positifs les plus marquants de son règne, qu’est-ce qui vous viendrais en tête ?

Une fois de plus la reine est une figure symbolique, donc il serait difficile de lui attribuer des faits précis. La plupart des dirigeants des pays membres du Commonwealth estiment qu’elle a contribué au rayonnement cette organisation dont, on l’a dit, elle est la cheffe. De façon générale, la reine et la famille royale sont perçues comme des symboles de la stabilité et de l’unité de la nation. Par ailleurs, l’action caritative de la reine et de la famille royale est très remarquable. La reine et les membres de la famille royale parrainent notamment les « charity », terme utilisé pour désigner les associations caritatives dont l’action va au-delà des frontières nationales. On se rappelle de la visite de la princesse Anne, la seule fille de la reine, chez nous en 1984 en tant que marraine de Save the Children.

Les sondages montrent régulièrement que les Britanniques restent en grande majorité attachés à la couronne. Qu’est-ce qui explique cela ? La personnalité de la reine Elisabeth y est-elle pour quelque chose ?

On a là un grand paradoxe, la Grande-Bretagne, la plus vieille démocratie au monde avec un monarque, c’est-à-dire un dirigeant qui ne reçoit aucun mandat du peuple dans la mesure où la monarchie est un système héréditaire, comme chef d’Etat. Effectivement, la monarchie britannique qu’incarne la reine Elizabeth II est très populaire parce qu’elle représente la tradition et les valeurs culturelles britanniques. Les Britanniques sont attachés à leurs traditions et à leurs valeurs culturelles symbolisées par la reine, cheffe de l’Eglise anglicane.

D’ailleurs ce deuil qui frappe le pays a permis aux Britanniques de montrer non seulement leur amour pour la reine, mais également de voir l’importance qu’ils accordent à l’ordre et à la discipline que l’on observe à travers la queue qu’ils font dans les lieux publics. En effet, les Britanniques ont bravé la pluie et le froid pour faire la queue dans une file d’attente de plus d’une dizaine kilomètres pendant plus de 24 heures pour pouvoir s’incliner devant le cercueil de la reine Elizabeth. Il n’y a aucun doute sur la popularité de la reine et de la monarchie, qui aux yeux des britanniques symbolisent le passé, l’histoire, l’unité politique et la culture du pays.

Durant ses 70 ans de règne Élisabeth II aura beaucoup marqué ses compatriotes. Le roi Charles III pourra-t-il être à la hauteur ?

On pense que oui, si on observe les premiers pas du nouveau roi qui, tout en voulant moderniser la monarchie, s’inscrit dans la continuité dans la mesure où il veut poursuivre l’œuvre de sa mère. Mais le Charles III, contrairement à sa mère qui est devenue reine à l’âge de 26 ans, accède au trône à 73 ans. On pense qu’il sera un roi de transition en raison de son âge. Il faut noter également qu’il ne jouit pas la même popularité que sa défunte mère. Tout dépendra de lui.

Avec ce décès peut-on s’attendre à une nouvelle ère dans les relations entre la Grande Bretagne et l’Afrique, les anciennes colonies britanniques en particulier ?

Comme indiqué plus haut, en dehors du passé colonial de la Grande-Bretagne qui a créé des liens historiques avec le continent, la Grande-Bretagne est certainement le membre le plus important du Commonwealth qui compte de nombreux pays africains. Personnellement, je ne m’attends pas à une rupture dans la manière dont la Grande-Bretagne gère ses relations avec l’Afrique. Le monarque faut-il le rappeler est une figure symbolique, ce n’est pas lui qui gère le pays, par conséquent, il ne détermine sa politique étrangère même s’il est le chef de l’Etat.

Propos recueillis par D. Sawadogo
Lefaso.net

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