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Bintou Diallo, directrice générale de SN-CITEC : “La lutte contre la fraude dépasse la douane”

Publié le vendredi 23 décembre 2005 à 08h13min

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Bintou Diallo

Les entreprises burkinabè ne cessent de subir de plein fouet les effets pervers de la fraude, de la contrefaçon, de la crise ivoirienne, de la concurrence déloyale... Mme Bintou Diallo, directrice générale de la SN-CITEC réagit par rapport aux maux qui menacent les unités industrielles au Burkina Faso.

Elle se prononce particulièrement sur la lutte contre la fraude, la fiscalité, l’implication des entreprises aux actions du gouvernement, les capacités des managers nationaux...

Sidwaya (S.) : Comment la SN-CITEC vit-elle la situation de crise actuelle en Côte d’Ivoire ?

Bintou Diallo (B.D.) : La crise ivoirienne remonte à 2002. Elle a entraîné sur la SN-CITEC les mêmes contre coûts que ceux subis par les autres sociétés de Bobo-Dioulasso. Ceux-ci portent essentiellement sur les coûts de transport. Car la SN-CITEC dispose au sein de son usine d’un terminal ferroviaire. Avec la crise, les produits de base transitent par le Ghana. Ce qui a augmenté les coûts de revient et entraîné une baisse du chiffre d’affaires. En un mot, la situation en Côte d’Ivoire a en partie créé un préjudice à la performance de SN-CITEC.

S. : Les actions menées par le gouvernement pour dénoncer la fraude et procéder à la fermeture des huileries clandestines ont-elles donné une bouffée d’oxygène à votre unité ?

B.D. : Nous sommes préoccupées aujourd’hui par deux soucis. La première étant la fraude qui, malheureusement continue. Ce n’est pas un phénomène que l’on éradiquera du jour au lendemain. Et nous osons croire que la lutte contre ce fléau se poursuivra. En témoigne le séminaire sur la lutte contre la fraude organisée par l’Association des industries africaines (AIA). Nous y avons pris part. Et il est temps que les entreprises mettent en place elles-mêmes leur police économique pour la combattre efficacement. La lutte contre la fraude dépasse la douane. C’est un phénomène de société et une question de mentalité. Chaque acteur économique doit s’y impliquer activement. Si les unités industrielles attendent que ce soit la direction générale des douanes seule qui mène la lutte, cette structure sera très vite débordée car le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur.

Il faut que les entreprises fournissent le maximum d’informations sur la question et s’impliquent davantage et activement dans les initiatives de répression de la fraude. Ce sont des aspects que les sociétés n’ont pas toujours perçus.

Pour ce qui est des huileries clandestines, elles posent plutôt un problème de santé publique.

Il faut le reconnaître, tous les producteurs d’huiles locaux n’arrivent pas à couvrir le marché national. Mais ce que l’on reproche aux unités artisanales, c’est qu’elles produisent pour la plupart, sinon toutes, des huiles de mauvaises qualités. Leur production n’est pas raffinée et elle est impropre à la consommation. En réalité, ces unités pourraient se moderniser et remplir les normes demandées sur le marché international.

S. : Comment des unités industrielles peuvent-elles mettre en place elles-mêmes une police économique dans un Etat de droit pour se rendre justice ?

B.D. : De toute façon dans le secteur informel, on a déjà ces espèces de polices que sont les indicateurs pour savoir ce qui se passe aux postes frontières ou à l’intérieur de la ville. L’important, c’est de bien organiser toutes ces sources d’informations.

Lorsque j’emploie le terme « police économique », cela peut d’emblée surprendre. Mais elle est déjà une réalité dans beaucoup de pays et pourrait voir le jour dans notre pays en concertation avec la Chambre de commerce.

La police économique ne s’adresse pas seulement aux huileries. Elle constituera une réponse aux menaces qui pèsent sur toute l’industrie nationale. La police économique combattra la fraude et la contrefaçon, les deux fléaux majeurs auxquels sont confrontées les unités de fabrique du Burkina Faso.

S. : En dépit de la conjoncture générale qui frappe l’industrie nationale, qu’est-ce qui explique que ce sont les unités de Bobo-Dioulasso qui semblent la ressentir plus ?

B.D. : La contreperformance des unités industrielles s’explique de façon générale par les coûts élevés des facteurs de production : l’eau, l’électricité, le téléphone... Il faut avoir le courage de le souligner. Ces facteurs empêchent la compétitivité de l’industrie locale. A cela, s’ajoute les redressements fiscaux. Car il y a un réel problème au niveau de la fiscalité. Les entreprises ne demandent pas de facilités fiscales. Elles sont des unités formelles, apportent des valeurs ajoutées et paient régulièrement l’impôt.

Mais elles ne sont pas à l’abri des redressements fiscaux, car l’on estime que quelque par l’argent se trouve dans cette option. Les entreprises burkinabè paient non seulement leur quote-part, mais doivent aussi supporter celle du secteur informel. Il faudrait bâtir une vision fiscale à long terme pour permettre à chaque opérateur économique de payer réellement ce qu’il doit et éviter que certains paient pour d’autres. Cela relève d’une question d’organisation. Je ne suis pas fiscaliste mais j’estime que si je paie ma quote-part, celui qui est installé ailleurs à son petit niveau doit aussi apporter sa contribution.

C’est une lutte de longue haleine mais il va falloir y arriver. Car si l’on veut uniquement taxer les grandes entreprises en procédant à des redressements fiscaux à hauteur de somme qui dépasse parfois le capital de l’entreprise, les unités industrielles burkinabè ne s’en sortiront jamais. Il faut donc être raisonnable pour fixer l’impôt en fonction de la taille de l’entreprise. Toutes les entreprises nationales connaissent actuellement des difficultés. Si une société déficitaire de un (1) milliard se bat pour relever la pente et on vient lui coller un redressement fiscal de quatre (4) milliards, c’est l’asphyxie programmée.

S. : SN-CITEC n’a-t-elle pas suffisamment bénéficié des bons soins des autorités burkinabè pour jouir d’une meilleure santé financière ?

B.D. : A quel moment, la société a-t-elle bénéficié de cette attention particulière du gouvernement ? L’Etat accourait au chevet de cette entreprise quand celle-ci lui appartenait. Car il ne faut pas perdre de vue que la SN-CITEC était une société nationale qui a été privatisée, il y a une dizaine d’années. Toute une période d’exonération a accompagné cette privatisation. Mais ces facilités fiscales ont pris fin en 2003. Depuis sa privatisation, la SN-CITEC n’a éprouvé aucun signe de « souffrance financière ». Les problèmes ont commencé avec l’ouverture des marchés de l’UEMOA et l’entrée massive des produits de façon générale dont les huiles sur le marché local.

C’est peut-être parce que notre entreprise a toujours la chance de crier qu’elle continue de donner de la voix. Sinon il y en a d’autres qui ont plus de difficultés. Mais l’huile étant un produit de grande consommation, il est évident que ce produit intéresse tout le monde. Et cherche à savoir ce qui se passe sur ce marché.

S. : Que répondez-vous aux analystes qui estiment que c’est parce que les managers burkinabè ne sont pas assez outillés pour faire face aux exigences de la mondialisation que les entreprises locales ont des problèmes ?

B.D. : Il ne faut pas être de mauvaise foi. Le Burkina Faso regorge de managers suffisamment formés à la base. Si on leur a confié des sociétés, c’est qu’ils sont jugés aptes à faire le travail. Avant que ces managers n’accèdent à la tête de ces entreprises, il y a leurs prédécesseurs qui ont réalisé des chiffres d’affaires satisfaisants. Maintenant comment se fait-il que ces unités connaissent brusquement des difficultés suite à l’ouverture des frontières ? La réponse réside une fois de plus dans le coût élevé des facteurs de production. Comment voulez-vous que les entreprises burkinabè soient compétitives devant celles des pays qui disposent de main-d’œuvre et de facteurs de production les plus bas de la planète ? Encore faut-il démontrer que les produits locaux ne sont pas compétitifs. Pour ce qui concerne l’huile, une étude prouve que l’huile de palme importée d’Asie ne peut pas arriver sur le marché national moins chère que celle de la SN-CITEC. Donc, il y a quelque chose qui ne va pas. Et il va falloir la corriger pour assainir l’environnement économique. Nous ne rejetons pas tout sur les autorités.

Les unités font des efforts à leur niveau. Elles sont engagées dans les programmes de qualité. Il y en a qui sont autonomes sur le plan de l’énergie. Des actions sont également entreprises pour réduire les achats consommés. Ce serait trop facile de remettre en cause les capacités de gestion de managers africains. Il n’y a pas de thérapie avec un grand « T » applicable aux entreprises burkinabè. Il y a toute une réflexion à mener pour sortir l’industrie nationale de l’impasse.

Ce que le Groupement professionnel des industries (GPI) avait demandé à l’Etat, c’est de mettre en place les Etats généraux des industries. Cela permettra de réfléchir sérieusement sur l’existence et la survie des entreprises nationales. Il faut susciter le débat autour de la question maintenant. Cela évitera à l’industrie locale d’être envahie dans cinq ou dix ans par des difficultés majeures. Pour le moment, on a l’impression que le sujet ne préoccupe personne. Or il faut des décisions d’envergure pour sauver ce qui peut l’être. Chaque opérateur tentera de son possible pour ne pas mettre la clé sous le paillasson. Et je pense fermement qu’il y a un marché dans ce pays pour les produits CITEC.

Car le Burkina Faso est le premier producteur africain de coton. Et il serait dommage qu’il n’y ait pas d’unités de transformation qui se crée autour de cet or blanc.

Interview réalisée par Jolivet Emmaüs (joliv_et@yahoo.fr)
Sidwaya

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