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Démocraties africaines : Sérieux déficit de qualité

Publié le mercredi 21 décembre 2005 à 10h03min

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Dis-moi quel peuple tu gouvernes et je te dirai quel dirigeant tu es ; et de
quelle façon tu accèdes au pouvoir d’Etat et je te dirai la qualité de la brise
de démocratie qui souffle sur ton pays. Point n’est besoin de rappeler encore
que chaque peuple a les dirigeants qu’il mérite.

Roger Dehaybe,
administrateur général sortant de l’Agence intergouvernementale de la
francophonie, a mis le doigt sur un problème crucial qui retarde assurément
l’avancée des jeunes démocraties africaines. Il s’agit évidemment de
l’analphabétisme qui plombe sérieusement notre développement à tous les
niveaux.

Comme il le souligne lui-même, même si, en la matière, il enfonce
une porte déjà entrebâillée, comment parler de démocratie dans des Etats où
plus de 80% de ceux qui sont appelés à accorder leurs suffrages sont
analphabètes ? L’Occident qui s’est, à diverses reprises, empressé de féliciter
certains chefs d’Etat africains, à la suite de résultats électoraux constestables
et de victoires sans relief, n’en pense sans doute pas moins. Mais tant pis
pour ces républiques bananières. De toute façon, la démocratie est un "luxe
pour l’Afrique", pour reprendre les termes du président français Jacques
Chirac.

Pourvu que cette espèce de démocratie - celle "des nègres"- ne soit
pas un produit exportable en Occident et auquel l’on doive imposer des
normes, comme à des produits dans le cadre du libre échange. Pourvu
qu’elle ne soit pas applicable à leurs citoyens et qu’elle ne les affecte pas
directement. Le reste, on passe dessus. C’est dire que, dans le fond, les
démocraties tropicalisées ont de quoi faire sourire les Occidentaux. De la
pseudo-démocratie, ni plus ni moins. Et dans certains Etats du continent, des
dictatures "civilisées".

Donner des airs de démocratie à des régimes qui ne le sont pas en réalité,
faire croire que tout va bien dans le meilleur des mondes... Il y a assurément
lieu de croire que des Etats africains ne sont pas prêts à faire cette transition
véritable vers une démocratie de qualité, ou ne le souhaitent pas du tout.
Bien des consultations électorales, sur le continent, se sont apparentées des
fois au "vote des bêtes sauvages", pour caricaturer l’écrivain ivoirien, feu
Ahmadou Kourouma.

A la plupart des dirigeants africains, on peut leur poser
ces questions : quelle fierté tirer d’une victoire électorale obtenue sur fond de
contestations et avec, en toile de fond, des achats de consciences, un
environnement gangrené par une corruption généralisée et une population,
en majorité, plongée dans les ténèbres de l’obscurantisme ? Quelle gloire
tirer d’une victoire électorale quand le scrutin a donné lieu à la convocation
d’un important "bétail électoral", qui ne sait pas donner un sens à son vote,
qui n’a pas une idée de l’enjeu électoral ? La démocratie doit, assurément,
s’apprécier en termes de qualité.

Mais, après tout, peut-être que certains dirigeants africains ne se plaignent
pas de l’obscurantisme de ces électeurs. Si tout le corps électoral était
conscient et éclairé, la donne changerait au désavantage de certains
gouvernants africains.

Que vaut par ailleurs une démocratie dans un Etat où
prime la loi du scrutin de liste, au détriment du scrutin nominal ? C’est connu,
dans le scrutin de liste, le parti le plus fort a beau jeu d’imposer le candidat
de son choix, peu importe qu’il soit connu ou aimé des électeurs. Et que dire
des candidatures indépendantes qui ne sont pas encore une réalité dans les
pays africains, pour ce qui concerne les scrutins municipaux et législatifs ?

Lorsque l’adhésion à un parti politique est avant tout plus une affaire
d’enrichissement personnel que de conviction politique, de quel militantisme
et de quel idéal parle-t-on finalement ? Le suffrage universel direct ayant
montré, à certains égards, ses limites, l’Afrique ne peut-elle pas s’aventurer
dans une autre voie, celle du scrutin universel indirect, par exemple ?
Peut-être. Sauf que, là encore, la gangrène de la corruption et des achats de
consciences pourrait toujours constituer un obstacle majeur.

De fait, il est clair que les démocraties africaines ne sauraient véritablement
aller de l’avant sans une véritable éducation à la citoyenneté. Si, aujourd’hui,
une bonne frange des populations manifestent peu d’engouement pour les
élections, c’est parce qu’elles sont, bien souvent, appelées à voter des
candidats qu’elles ne connaissent même pas et qui ne proposent pas
toujours une alternative véritable et crédible.

Opposition et pouvoir en Afrique étant bien souvent bonnet blanc et blanc
bonnet, où les acteurs de terrain se connaissent généralement comme
larrons en foire, on a souvent l’impression que l’arène politique est réservée
aux mêmes et seuls individus, et qu’elle fonctionne comme un système
verrouillé de l’intérieur.

Au total, Roger Dehaybe est loin d’avoir tort quand il parle de démocratie de
république bananière. En Afrique, les résultats électoraux ne sont pas
toujours l’expression des réalités tangibles en termes de choix, de
connaissances des enjeux nationaux et du sens même du scrutin.
Analphabétisme, misère, ignorance, achats de consciences et corruption sont
de véritables fléaux qui défigurent nos démocraties.

"Le Pays"

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Vos commentaires

  • Le 21 décembre 2005 à 15:07, par Abdoul Aziz Diallo En réponse à : > Démocraties africaines : Sérieux déficit de qualité

    Parfait article à mon sens de compilation de lieux communs qui se contredisent eux-même et qui ne veulent, à force d’être torturés dans tous les sens, ne veulent rien dire. Comme beaucoup d’eux, le discours dominant (ie. l’incapacité pour les ressortissants du continent noir de s’assumer) est ici repris sans analyse ni du sens des mots ni prise en compte de la perpestive historique. Le discours est d’abord uniformément globalisateur. Démocraties africaines, l’adjectif Afrique donne tout de suite une perspective globalisante et de médiocrité. Comme si du nord au sud et d’est en ouest, les vécus historiques et les rendus démocratiques sont les mêmes.
    Évitons-nous même de nous auto-flageller et considérons que si les valeurs des droits humains sont universelles, chez nous comme ailleurs, il n’en reste pas moins que les ressorts du consensus soient différents.
    Jeunes démocraties africaines, cela veut dire quoi ? La France pour prendre l’exemple connu, parce qu’elle nous serine à tour de bras qu’elle est une vieille démocratie, est-elle pour autant une démocratie mature ?
    Et puis comment un citoyen burkinabè peut-il parler d’analphabétisme en prenant le francais ou tout autre langue occidentale comme norme pour indexer la cause du mal "démocratique" de nos pays.... L’alphabétisation en francais est-elle un gage d’une meilleure citoyenneté ? Un journal comme le vôtre qui s’exprime et transpire la langue francaise, a-t-il une incidence sur cette grande masse qui ne lit ni ne comprend le francais ? En somme, c’est revenir à dire que l’impact de votre journal est tout aussi insignifiant que nos théories sur nos "jeunes démocraties".
    Il faut arrêter d’emboucher les mêmes trompettes que tout le monde et avoir du recul dans le propos et l’analyse.....
    Bonne journée...
    Abdoul Aziz Diallo

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