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Succès Masra, leader politique tchadien : « Plus jamais, les impossibilités ne feront partie de notre vocabulaire »

Publié le mardi 24 mai 2022 à 09h10min

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Succès Masra, leader politique tchadien : « Plus jamais, les impossibilités ne feront partie de notre vocabulaire »

C’est fort de la conviction que l’Afrique dispose de tout pour faire le bonheur de ses filles et fils, que Succès Masra a démissionné de son poste à la Banque africaine de développement pour davantage se consacrer au combat pour la transformation de son pays, le Tchad. « Les Transformateurs », c’est d’ailleurs le nom du mouvement politique sur lequel s’appuient Dr Masra et ses camarades pour engager le peuple tchadien dans un nouvel élan et avec dans le viseur, la quête du pouvoir d’Etat. De passage à Ouagadougou, où il dit être venu à la source d’inspiration de Thomas Sankara, Dr Succès Masra réagit à nos questions.

Lefaso.net : Quelle est l’histoire qui vous lie à la politique et d’où vient cette hargne dans votre engagement ?

Succès Masra : Je viens d’un milieu très modeste. Je viens d’un village, qui m’a vu grandir et où je suis resté, jusqu’à l’âge de dix ans, derrière les bœufs. J’y ai commencé l’école, en allant récolter les restes du mil, que je vendais pour mes besoins. Par le goût du travail et par la valeur de l’éducation des écoles jésuites notamment, par lesquelles je suis passé, j’ai pu gravir des échelons. Ainsi, de bourse d’excellence en bourse d’excellence, j’ai pu arriver à l’international, terminer mon doctorat et travailler comme économiste. J’ai choisi de rentrer sur le continent africain pour aider au développement, en entrant à la Banque africaine de développement. J’ai aussi vu la situation de mon pays, qui est resté dernier, sans faire du progrès, selon les indices de développement humain (capital humain, compétitivité…).

Dès lors, la question qui se pose à vous, c’est à quoi sert votre statut, fut-il de fonctionnaire international bien payé ? J’ai donc vu la situation de mon pays, le Tchad, qui est resté des décennies en arrière, alors que nous avons des potentialités énormes. Je me suis dit qu’il y a là un appel parce qu’il y a une obligation de résultat pour servir ce peuple-là, l’amener à transformer ses potentialités en opportunités. J’ai vu le chemin de la gouvernance qui était-là, plus de trente ans de perte de temps, pas de résultat. J’ai aussi vu la gouvernance antérieure à cette époque, qui a eu du temps pour pouvoir le faire. Je me suis dit qu’il y a là une autre voie que nous pouvons proposer.

C’est ainsi que j’ai démissionné le 29 avril 2018, au moment où (mauvaise cerise sur le mauvais gâteau) le président en place (feu Idriss Deby) a choisi de se déifier, presque, devenant lui-même Premier ministre, chef du gouvernement, président, sultan de son village, ministre de la défense… Nous avions donc vu qu’il y avait là une dérive d’une consécration d’un homme qui devenait un demi-dieu. Nous aurions d’ailleurs aimé ne pas avoir raison. Malheureusement, ce fut le cas car après, il s’est aussi attribué le titre de maréchal.

Donc, que restait-il, finalement ? C’est ainsi que nous avons choisi de nous engager en politique. Engagé en politique, par devoir, par mission. Je suis un docteur en économie, donc économiste à la base. Mais, qu’est-ce qui c’est qu’un grand doctorat en économie dans un pays où la majorité n’a pas deux repas par jour ? Qu’est-ce que c’est qu’un doctorat en droit dans un pays où la liberté ou le respect de la dignité humaine n’est pas réel ? Qu’est-ce que c’est qu’un grand diplôme d’ingénieur en agriculture dans un pays qui a faim ?

Ou un grand diplôme en énergie dans un pays qui est à 99% dans le noir, parce que sans électricité ? Voyez-vous, au final, c’est une question qui se posait à moi, mais aussi aux autres. C’est ainsi que nous nous sommes mis ensemble et on a créé les Transformateurs, pour libérer les énergies afin de transformer notre pays. Donc, je me sens engagé en politique par devoir de proposer une autre alternative au pays.

Vous lancez ainsi, en avril 2019, le mouvement politique, les Transformateurs. Dans un système politique qui n’est pas favorable à la jeunesse (caractérisée par la faiblesse des moyens financiers et économiques…), et après trois ans d’épreuves de terrain, ne regrettez-vous pas, par moments, d’avoir quitté un poste à l’international alors qu’également de nombreux jeunes africains rêvent plutôt d’une carrière internationale ?

Si c’était à refaire, je l’aurais refait. Pour tout vous dire, ma détermination est multipliée par au minimum dix, voire cent. C’est dire que l’énergie que j’ai aujourd’hui est cent fois supérieure à celle que j’avais au moment où on lançait les Transformateurs parce qu’au final, je me sens encore plus fort parce que mon épaule est adossée aux autres épaules. Nous sommes plus nombreux que jamais, parce que, justement, la population s’est approprié le mouvement politique. Et cette population est jeune à 80%.

Donc, la jeunesse s’est appropriée ce projet, qui est un projet inter-générationnel, qui touche toutes les couches de la société. La moyenne d’âge des Tchadiens est de 19 ans, en Afrique, elle est de 25 ans. Donc, nous sommes au cœur du combat, nous parlons un langage et nous proposons des solutions, que, je crois, parlent à cette abondante population. Il n’y aucun regret, sinon la conviction que, plus jamais, les impossibilités ne feront partie de notre vocabulaire.

Nous avons transformé les impossibilités en possibilités et cela se voit au jour le jour. Nous avons tellement été approuvés par le peuple que, la seule chose que le président Déby a trouvée à l’époque, c’est de relever l’âge prévu par la Constitution, pour nous empêcher d’être candidat (à la présidentielle du 11 avril 2021, l’âge minimum est passé à 40 ans, alors que Succès Masra avait 38 ans : ndlr). C’est vous donner un indice de ce que nous représentions justement comme ‘’danger’’ pour le système injuste.

Nous l’avons assumé et nous avons fait la promesse devant notre nation que nous n’allions pas reculer, jusqu’à ce que nous mettions fin à un système d’apartheid et d’injustice dans lequel notre pays était installé. Quand on regarde le chemin parcouru, qui aurait cru que nous serons obligés de passer par une période transitoire ? Qui aurait cru que les élections qui semblaient jouées à l’avance, leurs résultats seraient jetés à la poubelle ? Qui aurait cru que le président qu’on croyait indéboulonnable ne serait plus là ?

Tout cela n’est pas arrivé par hasard, nous y avons contribué abondamment, en actions, en restructuration, en paroles… par tous les moyens et comme on le dit en politique, il faut aussi un peu de la baraka ou de la bénédiction. Mais, je crois qu’il n’y a aucun regret à avoir, au contraire, ce qui semblait impossible hier dans le cœur des Tchadiens, ils ont maintenant des arguments de savoir que les impossibilités sont en train de devenir des possibilités. Comme le dit Nelson Mandela, ce semble toujours impossible, jusqu’à ce que ce soit fait.

C’est d’ailleurs la phrase que vous lisez en ressortant du siège de Les Transformateurs. C’est avec cette conviction que nous sommes en train d’avancer. Et je crois que nous allons arriver à ce que nous considérons comme une terre promise de justice, d’égalité, d’opportunités, de protection sociale. C’est au nom de la justice que nous sommes engagés et de sa jumelle qui s’appelle la dignité. Voyez-vous donc que pour la dignité, toutes les options sont sur la table et notre détermination est plus que jamais au sommet.

Aux actions internes, vous avez joint une dimension internationale ; vous étiez en France en janvier 2022 et êtes en train d’achever une visite au Burkina. A quoi répond cet autre volet de votre démarche-stratégique ?

J’appartiens à une génération décomplexée, qui veut parler au monde. Je veux dire aux Africains, qu’ils ont le meilleur chez eux, dont ils peuvent s’inspirer. L’un des meilleurs fils d’Afrique s’appelait Thomas Sankara. Je suis venu au Burkina Faso, à la source d‘inspiration de l’un des meilleurs fils d’Afrique, pour dire aux Africains que vous avez un des meilleurs dont vous pouvez vous inspirer aujourd’hui pour établir le leadership serviteur.

Je suis allé aussi en France, comme en Afrique du Sud, aux USA, etc. Je suis donc de cette génération d’Africains qui n’ont pas de complexe à se faire. Moi, j’ai étudié dans la même école que cinq présidents français. Et je n’y étais pas dernier (pour ne pas dire plus). J’ai fait les mêmes écoles que ceux qui ont dirigé les Etats-Unis d’Amérique ou l’Angleterre. Je veux dire aux présidents de ces différents pays-là que, nous aussi, en Afrique, c’est la même manière qu’on a été capable, certains parmi nous, d’être meilleurs qu’eux, dans leurs propres écoles. Nous n’avons donc pas de complexe.

Ce qu’ils veulent faire pour leur pays, nous sommes aussi en droit de le faire pour les nôtres. Je suis donc allé dire, à Paris ou à Washington, qu’on ne peut pas regarder l’Afrique, le Tchad, le Burkina 3.0 avec les loupes du 20ème siècle et que le monde de demain dans lequel je crois, est un monde pluriel, où les partenariats, le multilatéralisme doivent être au rendez-vous. C’est aussi un monde dans lequel, les valeurs, comme la liberté, l’égalité, la fraternité, l’opportunité, la sécurité… n’appartiennent pas à un pays, ce sont des valeurs universelles.

C’est avec de cet esprit de génération décomplexée, je suis allé hors de l’Afrique pour leur dire d’apprendre aussi à nous regarder avec les loupes du 21ème siècle. En Afrique, je viens dire à mes compatriotes africains, que nous pouvons aller dire au monde que nous sommes aussi des milliers de Sankara, en étant capables de tirer le meilleur de ceux qui nous ont précédés et d’y ajouter les solutions du 21e siècle. C’est comme cela que nous allons honorer la mémoire de Sankara, qui dit que « malheur à ceux qui ne font pas mieux que leur père ».

Ramener au continent, c’est à cette phrase que je veux donner vie. Cette tournée est donc à la fois une source d’enrichissement, parce que je crois à l’intelligence qui est au pluriel, à la solution qui est plurielle. C’est pourquoi, le nom de notre mouvement politique est au pluriel. J’ai rencontré des talents tchadiens, africains, qui croient dans la nécessité d’un leadership serviteur et d’un panafricanisme nouveau pour qu’ensemble, nous puissions utiliser ces solutions-là pour bâtir nos nations.

Quelle est l’idéologie que vous voulez qu’on colle au mouvement politique, Les Transformateurs ?

Leadership serviteur. Ce dont l’Afrique a besoin le plus, ce sont des leaders serviteurs, à tous les échelons. Du préfet au président de la République. Le panafricanisme du 21e siècle, c’est du leadership serviteur. La démocratie du 21e siècle, c’est du leadership serviteur. La gouvernance du 21e siècle, dont nous avons besoin, c’est du leadership serviteur. Si vous avez des leaders serviteurs, toutes les solutions seront au rendez-vous, parce qu’un leader serviteur rend compte au peuple, il ne se comporte pas comme un roitelet, assis sur le peuple. Donc, il faut inverser cette conception de la gouvernance et du leadership.

Le drame de l’Afrique, il est là. Donc, si nous avons des leaders serviteurs, l’essentiel de nos problèmes seront résolus. Un leader serviteur ne part pas faire son bilan de santé, en tant que ministre de la santé, en Europe. Un leader serviteur n’est pas un président qui prend un jet privé pour aller dans un autre pays pour se soigner. Un leader serviteur ministre de l’économie ne se précipite pas pour ouvrir son compte bancaire dans un pays étranger. Un leader serviteur ministre de l’enseignement n’envoie pas ses enfants étudier hors de l’Afrique.

Ce, parce qu’ils auraient pris leur peine pour mettre en place des structures qui permettront à l’échelle de leur pays, du continent, de s’occuper de cela. Donc, le leadership serviteur élève la dignité humaine au-dessus de tout. Tout le monde peut être leader, parce que tout le monde peut servir, et la véritable nature du leader, c’est de servir. Donc, si vous êtes un serviteur, vous êtes un leader. Voyez-vous, tout le monde peut donc être leader ! Il ne s’agit pas d’avoir des suiveurs, il s’agit d’avoir des leaders parce qu’ils seront des serviteurs.

Vous avez eu des activités à Ouagadougou, dont une conférence publique avec la jeunesse tchadienne, voire africaine, que souhaiteriez-vous que l’on retienne de cette étape de Ouagadougou ?

Mon discours du 14 mai, je l’ai intitulé : « nous sommes des milliers de Sankara ». C’est cela que je souhaite que la jeunesse africaine retienne. Que chacun de nous fasse partie de ces milliers de Sankara. Qu’est-ce que c’est que faire partie des milliers de Sankara ?

C’est à cette question que chacun doit pouvoir répondre et c’est cela la quintessence de mon message, que j’invite à découvrir dans son intégralité (voir l’intégralité de ce discours au bas de l’interview). C’est cela que je veux que la jeunesse africaine retienne de mon passage à Ouagadougou ; parce qu’à Ouagadougou, il y avait eu aussi, il y a quelques années, un message qui a été envoyé (discours du président français, Emmanuel Macron, en novembre 2017 à Ouagadougou : ndlr).

Peut-être la réponse de la nouvelle génération africaine à une nouvelle génération de dirigeants occidentaux face auxquels, nous n’avons aucun complexe à avoir et à qui, nous pouvons dire des choses dans le respect, dans l’égalité. C’est cette Afrique-là je souhaite incarner, et donc, faire partie de ces milliers de Sankara.

Entretien réalisé par Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net


NOUS SOMMES DES MILLIERS DE SANKARA
Intégralité du Discours de la Maison de la Femme de Ouagadougou
Par Dr Succès MASRA, 14 mai 2022

1. Mes chers Compatriotes Tchadiens, Chers Compatriotes Burkinabé et chers Compatriotes Africains,

2. Quelle joie de vous retrouver en si grand nombre, pour parler de l’avenir, de l’engagement à transformer nos sociétés qui sont à la croisée des chemins. De Ouagadougou à Ndjamena en passant par Dakar et Bamako, il y a une espérance nouvelle, celle d’une Afrique nouvelle, décomplexée qui va bousculer les statuquos.

3. Ici dans ce pays qui nous a donné un des meilleurs fils d’Afrique, ici, en cette terre du Faso, ici en cette terre des Hommes intègres, moi, petits-fils des tirailleurs tchadiens, je suis venu dire merci à la famille Sankara. Merci à la famille Sankara de nous avoir donné Thomas Isidore. Je suis venu dire ici aux cousins burkinabés, merci d’avoir donné à l’Afrique Thomas Sankara.

4. Hier, accompagné de Valentin Sankara, le frère de Thomas, après la visite du Mémorial Sankara, nous nous sommes rendus à la résidence familiale de Thomas Sankara. Je vous invite à aller tous voir cette demeure de la simplicité et de la modestie d’un Leader Serviteur hors norme. C’est sans doute après ma visite il y a quelques mois chez Nelson Mandela en Afrique du Sud, la deuxième demeure la plus inspirante que j’ai visitée de toute ma vie. Il y a des endroits qui vous inspirent et vous transforment la vie. A la fois modeste composée d’à peine deux chambres, mais dense par l’histoire qu’elle renferme, personne ne pourrait imaginer que dans cette si modeste maison, vivait celui dont la grandeur a inspiré et continue à inspirer des générations entières, la nôtre aussi. Et c’est là que les parents de Thomas Sankara aussi sont enterrés dans l’anonymat complet, sans avoir eu l’occasion de voir la tombe de leur fils. Avec Thomas Sankara, je partage la passion de la guitare, et que ne fut ma fierté d’avoir eu l’occasion de jouer à la guitare du grand homme. Un vrai privilège inouï pour moi de lui avoir rendu hommage en chanson car quelqu’un me souffle à l’oreille que chanter, c’est rendre hommage deux fois. Est-ce qu’on peut ensemble chanter en l’honneur de Thomas. Thomas, Thomas, Sankara, Sankara. Thomas, Thomas Thomas, Sankara, Sankara.

5. Je pouvais presque ressentir comme un dialogue intergénérationnel où de là où il est, Thomas Sankara peut presque rappeler à notre génération, malheur à ceux qui ne font pas mieux que leurs pères et mères et malheurs à ceux qui bâillonnent leurs peuples.

6. Mais sur l’essentiel, je suis sorti de cette visite dans cette modeste demeure avec beaucoup de questions sur le sens de la vie et sur le sens de l’essentiel.

7. Au fond, qui se souvient de combien d’argent, celui qui gagnait à peine 130 mille FCFA (250 dollars ?) avait en compte bancaire ? Qui se souvient des voitures de luxe qu’il aurait amassées avec l’argent de ses compatriotes ? Qui se souvient des villas de luxe qu’il aurait construites avec l’argent détourné ?

8. Personne. Personne, simplement parce qu’il n’en avait pas. Il n’en avait pas ce grand Monsieur qui remettait même dans le patrimoine de l’État, tous les dons qu’il recevait. Valentin, le frère de Thomas, me racontait hier encore, le nombre de fois où Thomas prenait les cadeaux qu’il recevait dans ses voyages et les déposait dans les biens de l’Etat. Ce Thomas Sankara, humain, mortel parmi les mortels, était sans doute l’une des plus grandes fiertés de notre continent et de par sa vie, il nous a appris que la grandeur d’un Homme ne dépend pas de ce qu’il a mais de ce qu’il est et du sens du service des autres.

9. Venir en cette terre de Thomas Sankara est pour moi un vrai pèlerinage, au moment où mon pays le Tchad et même le Burkina Faso sont à la croisée des chemins et se cherchent un chemin d’avenir pour établir des leaderships enfin serviteurs de nos peuples, dans le respect de la dignité et de ce qui est cher aux autres peuples.

10. Venir en cette terre de Thomas Sankara est un privilège et un pèlerinage à la source de celui qui a appris à ma jeune conscience politique que votre impact ne dépend pas de ce que vous amassez et avez comme richesse, mais plutôt de la grandeur de votre service aux autres.

11. Au moment où de nombreux Africains hésitent à s’engager et pensent que c’est en amassant du bien pour soi et sa famille et son clan qu’on réussit sa vie, Thomas Sankara nous laisse là une leçon de leadership serviteur à épouser.

12. Au moment où nombreux parmi nous, craignant pour leur vie, leur emploi, leur décret, leur statut et les voyages touristiques de leurs épouses au moyen orient et finissent ainsi par être neutres face aux injustices de nos pays, Thomas Sankara nous laisse là à travers sa vie, une leçon d’engagement au prix de sa vie.

13. Alors, face à ces tentations de résignations, Thomas Sankara nous invite à nous engager, à nous engager sans compter, à nous engager en groupe, à nous engager au pluriel. Alors est-ce que nous pouvons enfin donner vie à ses paroles prophétiques et dire au monde enfin, par nos actions que nous sommes des milliers de Sankara ?

14. Oui, nous sommes des milliers de Sankara. Quelqu’un peut-il le dire avec moi ? Nous sommes des milliers de Sankara. Oui nous sommes des milliers de Sankara.

15. Oui nous sommes des milliers de Sankara, décidés à exiger aux partenaires de notre continent, de ne plus regarder l’Afrique 3.0 avec les loupes du 20ème siècle. Du haut de la tribune de cette maison de la femme de Ouagadougou, je veux m’adresser à nos partenaires pour rappeler ce que j’ai en vos noms, écrit dans ce livre, le courage de la liberté et que vous venez d’entendre.

16. J’en appelle à la France, pays avec lequel nous avons une relation si singulière, au nom de ces milliers de Sankara, qu’elle ne peut fermer ses oreilles et ses yeux face aux cris qui montent du Burkina Faso au Mali en passant par le Tchad, la RCA, le Sénégal, le Niger, la Guinée. Ces cris ne sont pas des sentiments anti-français, c’est des sentiments pro-leadership serviteur et pro-Afrique. Si les dirigeants français continuent à sacrifier les valeurs de la France pour des intérêts de court terme immédiats, ils finiront par faire sortir définitivement la France du cœur des Africains. Oui, comme vous venez d’en entendre la lecture dans cette lettre que nous adressons aux dirigeants français et à travers eux les partenaires de l’Afrique, le moment est venu pour eux tous de dépoussiérer ces relations qui n’ont que trop souffert des pratiques d’un autre temps. Ces conventions, ces ententes et ces méthodes du siècle dernier doivent être dépoussiérés et transformés pour arriver enfin aux relations gagnant-gagnant, dans l’intérêt de nos deux peuples. Ces Africains qui crient dans le désert savent bien faire la différence entre la France et la France-Afrique portée par quelques élites pour des raisons souvent égoïstes.

17. Cela fait des années, des mois, des semaines que nous disons cela et nous l’avons consacré dans un livre, LE COURAGE DE LA LIBERTE, livre aujourd’hui confisqué par les services de renseignements du Tchad pour en interdire la vente. C’est dire.
18. Aujourd’hui, notre génération dit à la France que la Liberté qu’elle a tant chérie au point de la mettre en premier dans la devise de son pays, cette Liberté est une valeur universelle aussi chérie par notre Peuple. Et la première des Libertés d’un peuple, c’est la Liberté de choisir ses dirigeants.

19. Un peuple qui ne choisit pas ses dirigeants est un peuple qui n’est pas Libre. En tant qu’ami du Peuple français, formé dans les mêmes écoles que les dirigeants français, en tant que petit fils des tirailleurs tchadiens qui ont aidé la France à se sauver du nazisme, en tant que un des porte-voix de cette nouvelle génération d’Africains qui n’ont aucun complexe, nous disons ceci à la France d’aujourd’hui pour qu’elle change définitivement sa politique africaine en écoutant ces cris dans le sahel et dans toute l’Afrique dite francophone.

20. Le Président Macron qui s’est engagé ici même à Ouagadougou a la toute dernière chance qui s’offre à lui en tant que premier responsable démocratiquement choisi par le Peuple français, de s’engager sur une voie nouvelle, avec une nouvelle méthode et même de nouvelles équipes. C’est bien la dernière chance.

21. Oui nous sommes des milliers de Sankara et nous rappelons, en tant qu’amis du Peuple français que la France n’est pas défendable lorsque, nous, petits fils de tirailleurs tchadiens et sénégalais ayant secouru la France pour la libérer du joug du nazisme, voyons que des dirigeants de cette même France aujourd’hui libre, mènent des actions qui tendent à installer à la tête de nos États des dirigeants politiques illégitimes, minoritaires et qui n’ont d’autres légitimités que celles de l’imposition en ayant recours au mercenariat, à l’élimination des acteurs politiques alternatifs ou en cautionnant les coups d’États constitutionnels, voire des coups d’États militaires dont on prend acte immédiatement comme ce fut le cas au Tchad à la mort du Président Deby dont le fils, qui n’était ni chef d’Etat-Major de l’Armée, ni ministre de la Défense, a pris la tête d’une junte, mais que la France s’est évertuée à vendre au monde comme n’étant pas un coup d’État. A qui a profité ce crime ? Ce n’est ni à notre Peuple, ni à la Démocratie, mais au fils de l’ancien Président qui pour la circonstance s’est entouré d’un comité militaire dont 80% des membres viennent d’une partie du Tchad ne représentant même pas 1% de la démographie du pays mais qui a été imposée à la tête du Tchad ainsi depuis des décennies sans onction démocratique réelle du Peuple. Heureusement que cette France a ajouté le 27 avril 2021 qu’elle ne soutiendra pas un plan de succession dynastique à la tête du Tchad. Le Peuple tchadien observe donc et jugera sur actes.

22. Oui nous sommes des milliers de Sankara et nous disons que la France n’est pas défendable lorsque dans un silence approbateur, elle acquiesce et soutient le dirigeant d’un pays africain qui avoue que s’il est là au pouvoir ce n’est pas la volonté de son Peuple mais la volonté de la France qui lui impose même de modifier la Constitution de son pays au mépris de tout minimum démocratique. Cette France-là n’est pas défendable. Que la France, pendant des décennies, considère que la misère du Peuple tchadien n’est rien et que le Tchad ne doit être vu que comme un territoire et un régime militarisé mais jamais sous l’angle d’un Peuple avec ses aspirations démocratiques légitimes, n’est plus acceptable et la France doit changer cette politique au risque de quitter définitivement le cœur de cette génération debout et à l’ouvrage.

23. Oui nous sommes des milliers de Sankara et nous disons que la France n’est pas défendable lorsqu’elle dit qu’il y a des coups d’États et des juntes légitimes d’un côté et de l’autre, dans un même espace géographique, elle condamne des coups d’États qualifiés d’illégitimes, tout en disant qu’elle défend la Démocratie. Cette France du deux poids deux mesures n’est pas défendable, car inaudible et inconstante. Car, jamais il ne vient à l’esprit d’un Français que parce qu’un chef d’État de l’armée ou un officier de l’armée n’est pas d’accord avec un Président, qu’il a la droit de le renverser. Car si tel était le cas, le Général De Villiers qui était en désaccord avec le Président Emmanuel Macron par exemple aurait dû organiser un coup d’État ? Enfin, malgré le rôle prépondérant joué par le Général De Gaulle dans l’histoire de libération du Peuple français avec l’aide des Africains morts en abondance pour cela, jamais il n’est venu à l’idée des Français qu’il revient aux enfants du Général De Gaulle de diriger la France. Pourquoi ce qui est inimaginable et impensable en France serait acceptable au Tchad ou en Afrique ?

24. Oui, nous sommes des milliers de Sankara et nous disons à la France qu’elle n’est pas défendable lorsqu’elle dit dans un cas qu’elle ne laissera personne violer l’intégrité territoriale d’un pays allié et qu’à la seule demande du dictateur en place, elle peut envoyer des avions bombarder toute force d’opposition à ce dictateur notoire (cas du Tchad sous Idriss Deby) et de l’autre, n’ose pas avoir le même zèle, lorsqu’un autre pays allié est envahi par une autre force étrangère ( cas de l’Ukraine envahie par la Russie). Cette France qui choisit les valeurs à géométrie variable n’est pas audible et pas défendable.

25. Oui, nous sommes des milliers de Sankara et nous disons à la France qu’elle n’est pas défendable lorsqu’elle tente de justifier son silence face à un dirigeant qui change la Constitution pour faire 3, 4 voir 5 et 6 mandats d’un côté et de l’autre s’insurge contre celui qui ose un troisième mandat. Cette France-là, c’est celle qui sort du cœur des Africains dans le Sahel et les pays d’influence et d’expression française et qui l’expriment à travers des mouvements divers de désamour que certains Responsables français, par arrogance et volonté de continuer à raconter la même histoire tronquée de l’Afrique, continuent de qualifier de petit mouvement.

26. Oui, nous sommes des milliers de Sankara et à l’image de Sankara qui a dit que son ennemi c’était l’impérialisme, nous disons aujourd’hui que notre ennemi c’est l’injustice et le sous-développement, d’où qu’ils viennent, qui installent notre Peuple dans l’indignité et la misère. Ce que nous voulons et exigeons maintenant, c’est le Leadership Serviteur qui commence par notre capacité à choisir librement nos dirigeants.

En vérité, ces mouvements qui s’observent et qui sont latents dans de nombreux pays africains ne sont pas des mouvements anti-français, mais plutôt des mouvements pro-Afrique et pro leadership serviteur, car faut-il le rappeler, ce que les Peuples africains veulent par-dessus tout, c’est la Démocratie et le leadership serviteur qui permettent aux Africains de choisir librement leurs dirigeants sur la base d’un programme politique et de la volonté de leurs Peuples, comme cela se passe dans n’importe quelle Démocratie.

27. Le moment est venu pour la France, et à travers elle, les autres partenaires historiques ou nouveaux de notre continent, d’arrêter de faire à notre peuple ce qu’ils ne souhaiteront jamais nous voir faire à leur peuple. L’avenir du monde est dans les partenariats, le multilatéralisme et la capacité à défendre des intérêts copartagés, mais dans le respect de la différence dans laquelle, chaque Peuple doit avoir le dernier mot, car Vox Populi, Vox Dei.

On peut être en désaccord sans être désagréable, on peut être exigeant, sans être malveillant.

28. Autant quand des politiques pratiquées sur notre sol ne sont pas dans l’intérêt de notre Peuple, nous les dénonçons et le faisons savoir, autant je veux ici m’adresser à la jeunesse africaine pour lui demander de s’élever dans les hauteurs en allant à l’autel de la vérité.

29. La vérité avec laquelle nous devons nouer est la suivante : la première responsabilité du destin de l’Afrique incombe à nous Africains qui devons travailler à lui dessiner un meilleur avenir. Si les autres peuples viennent vers l’Afrique, si les autres puissances viennent vers l’Afrique, ce sera toujours pour défendre leurs intérêts.

30. L’Africain du 21ème siècle qui remplace le drapeau d’un pays étranger par celui d’un autre n’a rien compris au message panafricaniste et serviteur de Thomas Sankara. Ne remplacez pas le drapeau de la France par le drapeau de la Russie, élevez les drapeaux du Tchad, du Burkina, du Mali, du Nigéria, du Rwanda, de la RCA. Oui, ne vous y trompez pas : la Russie défendra en Afrique ses intérêts et c’est normal. La France défendra ses intérêts et c’est normal. La Chine défendra ses intérêts et c’est normal. La Turquie, le Qatar ou que sais-je encore défendront tous en Afrique leurs intérêts et c’est normal.

31. La question à laquelle nous devons tous répondre, la question à laquelle notre génération doit répondre par fidélité à l’esprit de nos dignes pères fondateurs c’est : est-ce que nous Africains, sommes capables, au-delà de l’émotion, de nous engager durablement et stratégiquement pour tirer le drap vers notre côté et établir des relations gagnant-gagnant qui ne sont possibles que dans notre capacité à transformer ces vieux contrats et ces vieux engagements poussiéreux qui freinent les énergies de transformation de nos pays.

32. Pour élever le drapeau du Tchad ou du Burkina Faso, nous n’avons pas besoin de rabaisser celui d’un autre pays. Notre seul ennemi c’est l’injustice dans toutes ses formes, et non pas une ethnie, un clan, encore moins un pays et son drapeau. Si je vous disais que brûler le drapeau d’un autre peuple est une bonne chose, c’est comme si je vous disais qu’avoir la haine d’un peuple ou d’une ethnie à cause du comportement d’un de ses enfants serait une bonne chose. La haine de l’autre ou d’un pays n’est pas un projet Transformateur. Et comme nous l’avons fait dès les premiers jours, c’est cette force intérieure de l’amour du prochain qui a fait que face à des forces armées qui parlaient une langue familiale tchadienne entre eux et qui ont abattu nos marcheurs le 27 avril 2021, qui nous ont blessés ou arrêtés injustement dans cette lutte, nous avons répondu par l’amour transformateur du prochain.

33. L’amour du prochain pour le transformer, ce n’est pas la naïveté ou la faiblesse. Si nous n’étions pas des transformateurs, nous serions des tenants du statuquo ou alors des tueurs.

34. C’est par cette même force d’aimer que nous arriverons à la terre promise de justice pour tous. Car si nous devions faire comme les autres, en quoi serions-nous transformateurs ? Alors amis, malgré la colère légitime que vous pouvez ressentir vis-à-vis des politiques françaises que je combats à vos côtés, colères que je peux entendre à Ndjamena, à Bamako, à Bangui ou à Ouaga, je vous exhorte à voler haut et ne pas vous rabaisser en brûlant le drapeau français qui appartient au Peuple français. Il ne vient à l’esprit d’aucun transformateur d’avoir la haine d’une ethnie parce qu’un mauvais dirigeant du Tchad vient de cette ethnie.

35. Est-ce qu’un Tchadien sérieux demandera aux Tchadiens de détester les Sara parce que Tombalbaye et Malloum ont mal conduit le pays ? Est-ce quelqu’un de sérieux vous demandera de détester les Zaghawa parce que Deby a mal conduit le pays ?

36. Est-ce que quelqu’un de sérieux peut vous demander de détester les Gorane parce que Goukouni et Hissein Habré ont mal conduit le Tchad ?

37. En RCA, les dirigeants Tchadiens s’étaient comportés en bourreaux et en dominants au point de créer un assentiment parmi la population centrafricaine vis-à-vis des Tchadiens. Mais est-ce qu’un Tchadien dans cette salle ou en ligne qui me suit peut me donner une seule raison qui selon lui peut justifier qu’on marche sur les drapeaux du Tchad ou qu’on s’en prenne aux Tchadiens parce qu’un dirigeant tchadien était mauvais dans ses choix ?

38. Évidemment non. Alors pourquoi aurions-nous la haine des symboles chers à un autre peuple parce que nous ne sommes pas d’accord avec le comportement d’un de ses fils ou ses représentants. Voyez-vous, nous ne voulons pas faire aux autres ce que nous ne voulons pas qu’ils nous fassent, c’est pour cela que nous sommes Transformateurs pour servir notre Peuple en l’élevant dans les hauteurs d’une justice qui ne tranche pas seulement dans le vif mais qui transforme et éduque pour le meilleur.

39. Oui, nous sommes des milliers de Sankara et nous allons vaincre avec class, car la majorité du Peuple qui veut la justice est avec nous. Ne dénaturons jamais notre ADN et colonne vertébrale, ce n’est pas de la lâcheté, c’est une grandeur supérieure à laquelle vous accédez.

40. Ne vous rabaissez jamais à avoir la haine de l’injuste, qu’il soit Tchadien ou autre, ayez plutôt la haine de l’injustice et transformez-les tous par votre force de caractère et votre détermination à tracer un chemin différent de ce à quoi on a été habitué dans notre pays et notre monde.

41. Assumons d’être des non-conformistes, des thermostats et des transformateurs de cette société et des relations internationales entre les peuples. C’est aussi cela être Transformateur. Alors oui élevons le drapeau du Tchad sans rabaisser celui d’un autre pays. Élevons le drapeau du Burkina Faso sans rabaisser celui d’un autre peuple. Élevons le drapeau de l’Afrique sans rabaisser celui d’un autre continent.

42. Oui, nous sommes des milliers de Sankara qui nous demande de faire mieux que lui, mieux que nos pères et mères en nous mettant en garde comme ceci : honte à ceux qui bâillonnent leurs peuples. Alors oui soyons fidèles à cette leçon de leadership serviteur que l’un des plus utiles africains du 20ème siècle a donné en héritage pour nous tous.

43. Que Dieu vous bénisse, que Dieu bénisse la terre des hommes intègres dans une Afrique que nous devons transformer en une Afrique des travailleurs.

44. Je vous remercie.

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