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Dépigmentation au Burkina : « Il faut accompagner celles qui décident d’arrêter », Dr Awa Traoré dermatologue-vénérologue

Publié le dimanche 15 mai 2022 à 21h56min

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Dépigmentation au Burkina : « Il faut accompagner celles qui décident d’arrêter », Dr Awa Traoré dermatologue-vénérologue

La dépigmentation est un phénomène qui a la peau dure au Burkina Faso. Malgré les initiatives pour lutter contre le phénomène, il connaît une progression au fil des années. Dans cet entretien qu’elle nous a accordé, Dr Awa Traoré, dermatologue-vénérologue et membre d’honneur de l’Initiative africaine stop dépigmentation (IASD) revient sur l’ampleur de la dépigmentation au Burkina Faso, ses conséquences et sur des pistes de solutions pour accompagner ceux qui veulent arrêter de se dépigmenter.

Lefaso.net : Quelle est l’ampleur de la dépigmentation au Burkina ?

Dr Traoré : La dépigmentation n’est pas un phénomène nouveau. C’est un phénomène qui prend de l’ampleur. En 2005, au Burkina Faso, nous avions 44,30% de femmes qui utilisaient des produits dépigmentant. Dans la ville de Ouagadougou, ce taux est passé de 22% en 1997 à près de 40% en 2005. Dans la ville de Bobo-Dioulasso, il était à 50% en 2005 et en 2016, on était à près de 68% de femmes qui utilisent des produits dépigmentant. Quant à la ville de Ouahigouya, une étude menée entre 2016 et 2017 montrait que 73% des femmes utilisaient des produits dépigmentant. C’est un véritable fléau qui prend de l’ampleur et il faut vraiment travailler à éradiquer cela.

On remarque ces derniers temps qu’il y a de plus en plus d’enfants qui sont dépigmentés par leurs mamans, avez-vous été confrontée à ces cas ?

Pour le moment, nous n’avons pas encore reçu d’enfants qui le font. Mais dans la ville de Bobo-Dioulasso, c’est un phénomène qui prend de l’ampleur et qui a de multiples conséquences. Généralement, les femmes, soit, elles commencent pendant la grossesse, ce qui peut entraîner un retard de croissance ou la mort de l’enfant, soit dès que l’enfant est en bas âge, elles utilisent leurs produits sur les enfants. Cela a de multiples conséquences, puisque ces produits agissent sur la formation des os, donc il y aura des retards de croissance chez ces enfants et les mêmes conséquences qui se retrouvent chez les adultes vont être retrouvées chez les enfants, mais en plus grande envergure.

Qu’est-ce qui explique selon vous que ce phénomène ne régresse pas, malgré les efforts pour lutter contre la dépigmentation ?

Je peux dire que c’est toujours ancré dans la tête des Africains, que la femme claire ou l’homme clair est synonyme de beauté. Il y a des personnes qui continuent de fabriquer de manière clandestine ces produits dépigmentant et aussi nous avons des stars burkinabè ou pas qui utilisent ces produits. Et les jeunes tendent à s’identifier à eux et utilisent ces produits pour paraître beaux.

Il y a de plus en plus de personnes qui se proclament « chimistes » et qui font des mélanges de produits sensés rendre clair la peau. Qu’avez-vous à dire à ce sujet ?
Ces personnes profitent des réseaux sociaux pour vendre leurs produits et comme il n’y a pas de contrôle, c’est dommage. L’idéal serait de contrôler tous ces produits avant leur mise sur le marché. Les consommateurs ne se renseignent pas pour savoir ce qu’il y a dedans alors que ce sont des produits très toxiques et nuisibles pour la santé.

Venons-en à la question sur les conséquences de la dépigmentation ; quelles sont-elles ?

Les conséquences sont multiples. Quand on prend d’abord sur la peau, ce sont des produits qui peuvent être utilisés de manière locale par les savons, les crèmes mais aussi de manière générale par les comprimés, les injections. Ces produits contiennent des ingrédients tels que l’hydroquinone et ses dérivés, les corticoïdes et des dérivés mercuriens. Tous ces produits ont des conséquences sur la peau mais aussi sur la santé en générale.

La peau devient fine, très fragile, ce qui ne permet pas les sutures en cas d’intervention chirurgicale, ça retarde la cicatrisation. On a aussi les vergetures parce que ces produits vont entraîner la destruction des fibres élastiques de la peau et donc il y aura l’apparition des vergetures.

Il y a aussi les infections. Ce sont des personnes qui sont très sujettes aux infections telles que les furoncles, les infections dues aux champignons, les mycoses, même la gale peut survenir chez ces patients. Et aussi l’acné qui peut être induit par les corticoïdes.

Et aussi sur le plan de la santé en général, les corticoïdes peuvent être sources d’hypertension et de diabète cortico-induit. Et étant donné qu’ils agissent sur la mélanine qui nous protège du soleil, qui protège contre les effets négatifs du soleil comme le cancer, lorsqu’on détruit cette mélanine, il y a l’apparition de cancer. Les corticoïdes sont des hormones et ça va agir sur tout ce qui est trouble menstruelles. Il peut y avoir des troubles comme l’infertilité, il peut même avoir la dépression et chez les enfants, ça agit sur les os.

Les conséquences sont multiples et la plus fréquente que l’on rencontre avec l’hydroquinone c’est l’ocronose exogène. Ce sont des plaques noires, dures avec des boutons qui siègent au niveau des zones photoexposées.

Vous êtes membre d’honneur de l’Initiative africaine stop dépigmentation (IASD), que faites-vous concrètement pour lutter contre cette pratique ?

J’ai été approchée par le responsable de l’IASD pour une conférence sur la dépigmentation et j’ai trouvé que leur initiative était noble parce qu’il y a peu de personnes qui s’intéressent à cela. Ils sont plus dans la sensibilisation pour arrêter la dépigmentation et je trouve que c’est très bien, parce qu’il faut promouvoir la beauté naturelle, communiquer toujours. Il ne faut pas stigmatiser les personnes qui se dépigmentent, elles ont besoin d’un soutien psychologique. Une personne qui se dépigmente, il faut savoir pourquoi elle le fait et quand elle décide d’arrêter, il faut l’accompagner dans ce processus pour ne pas qu’elle flanche avec le regard des autres. Il y a des personnes qui chutent et reprennent l’utilisation des produits à cause du regard des gens. Il faut donc les accompagner et c’est surtout la sensibilisation qui pourra nous accompagner à éradiquer ce phénomène pour que les gens prennent conscience que ce n’est pas anodin et qu’il faut arrêter.

Il faut aussi impliquer les personnes qui se sont dépigmentées et qui ont eu des conséquences négatives parce que la plupart du temps, en tant que médecin, les gens pensent qu’on exagère, il faut donc impliquer ces personnes pour qu’elles témoignent et montrent qu’il y a beaucoup de complications. Lorsqu’on mène nos études, on se rend compte que les adolescentes, très tôt vers l’âge de 13 ans commencent à se dépigmenter parce que c’est très accessible et moins cher.
Il faut aussi porter un regard sur ce qui entre sur le marché burkinabè. Il y a des crèmes cosmétiques qui passent, pourtant ce sont des corticoïdes et les concentrations qui se retrouvent dans ces crèmes sont au-delà des normes, par exemple, l’hydroquinone pour un produit cosmétique ne doit pas dépasser 2%, mais nous avons des produits où ça peut atteindre près de 10%.

Il y a des femmes qui paient les produits dépigmentant à la pharmacie, elles se disent que comme c’est à la pharmacie, ce n’est pas nuisible, pourtant ce n’est pas vrai. Il faut augmenter les taxes sur ces produits et faire des visites inopinées dans les marchés, parce qu’il y a des gens qui font des mélanges artisanaux.

Quelle démarche suivre quand on décide d’arrêter de se dépigmenter ?

Il faut d’abord féliciter la personne qui décide d’arrêter de se dépigmenter. Nous recevons des femmes qui décident d’arrêter, mais elles ne vont pas au bout de leur démarche. Quand elles viennent au bout de quelques temps, elles ne poursuivent pas, parce qu’elles disent que les gens leurs disent qu’elles ont trop noircies, donc elles replongent. En plus du dermatologue, il faut un psychologue pour les accompagner dans ce processus, parce qu’il est très long et souvent elles disent que c’est comme une drogue, ça devient une addiction, il faut donc les aider, il ne faut pas les brimer ou les réprimander, il faut les accompagner.

Quels conseils pour ceux qui veulent garder leur teint naturel et prendre soin de leur peau ?

Pour bien prendre soin de la peau, il faut bien s’hydrater, il faut manger équilibré. Manger des fruits et des légumes qui contiennent des antioxydants qui vont aider à lutter contre le vieillissement prématuré. Il faut pratiquer une activité physique régulière et pour choisir sa gamme de cosmétique, il faut toujours lire les ingrédients de ces produits parce que même les acides de fruits sont dangereux. Ce n’est pas seulement l’hydroquinone qui est un produit dépigmentant. Les acides de fruits, le glutathion sont des ingrédients éclaircissants. Même si vous ne le savez pas, lorsque vous les utiliser, au bout d’un certain temps, votre entourage va vous dire que vous devenez clair. Il faut aussi avoir une bonne hygiène de vie.

Justine Bonkoungou
Photo et vidéo : Auguste Paré
Lefaso.net

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Vos commentaires

  • Le 15 mai 2022 à 14:20, par Patchenke bourrousika En réponse à : Dépigmentation au Burkina : « Il faut accompagner celles qui décident d’arrêter », Dr Awa Traoré dermatologue-vénérologue

    Pauvre Afrique. Ces mêmes anti-français qui expulsent les militaires européens aptes à les défendre, ces mêmes qui portent des prénoms franco chrétiens et qui veulent avoir la peau claire des blancs.

  • Le 16 mai 2022 à 08:06, par nidale En réponse à : Dépigmentation au Burkina : « Il faut accompagner celles qui décident d’arrêter », Dr Awa Traoré dermatologue-vénérologue

    Je peux dire que c’est toujours ancré dans la tête des Africains, que la femme claire ou l’homme clair est synonyme de beauté . Docteur, vous avez posé le bon diagnostic. les femmes ne font que se conformer aux canaux de beauté définis par les hommes. le jour où les hommes arrêteront de se "dépigmenter" l’esprit, les femmes cesseront de se dépigmenter la peau ; et de depuis le Gandaogo national Georges Ouédraogo aves son titre phare Pougsinga

  • Le 16 mai 2022 à 09:37, par Dibi En réponse à : Dépigmentation au Burkina : « Il faut accompagner celles qui décident d’arrêter », Dr Awa Traoré dermatologue-vénérologue

    Merci à vous Dr Awa Traoré !
    C’est la première fois que cette question est abordée frontalement dans un média burkinabè par la Dermatologue-Médecin que vous êtes.
    La femme africaine d’extraction sociale de petite bourgeoisie aliénée porte en elle une image de soi peu valorisée ; d’ou cette tendance massive, du recours à la dépigmentation, au moyen de toutes sortes mixtures et crèmes de dépigmentation.
    Le phénomène va croissant, de paire avec l’urbanisation et la dictature d’une prétendue esthétique corporelle qui se veut en phase avec l’air du temps. Un air irrespirable où transpire l’idéologie néocoloniale frelatée qui pousse les femmes à se conformer à des modèles d’esthétiques corporelles marchandes. Mais à quel prix ?
    Au prix de défiguration corporelle malodorante et à zones d’ombres de soi, et dont les effets sur la santé de la peau peuvent être désastreux. Aussi, votre interview, est à saluer. Elle satisfait à une politique de prévention et de sensibilisation au plan de la santé publique et par rapport à cette question de la dépigmentation, à laquelle recourent, massivement de plus en plus de jeunes femmes burkinabé et africaines dans toutes nos villes ; phénomène devant lequel la classe politique et les élites intellectuelles et médiatiques néocoloniale ne font absolument rien ! La santé et l’aliénation-soumission des femmes à des injonctions de malades sexuels, ne sont pas leurs affaires !
    Encore merci à vous Madame Traoré Awa pour ce début de prévention salutaire !
    Na an lara, an sara !
    La patrie ou la mort !

  • Le 16 mai 2022 à 11:58, par P En réponse à : Dépigmentation au Burkina : « Il faut accompagner celles qui décident d’arrêter », Dr Awa Traoré dermatologue-vénérologue

    Il est inconcevable de vouloir accompagner les dépigmentés volontaires avec les fonds publics. Inconcevable. Apprenons à nous assumer comme des adultes.
    Merci.

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