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Santé : La musicothérapie pour soigner la drépanocytose

Publié le jeudi 5 mai 2022 à 12h04min

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Santé : La musicothérapie pour soigner la drépanocytose

Pour Ye Lassina Coulibaly, la finalité de la musicothérapie c’est de contribuer au bien-être des personnes en favorisant la restauration de l’estime de soi ainsi que l’apaisement des tensions du corps et de l’esprit.

Sensibilisé très tôt à cette affection fréquente en Afrique qu’est la drépanocytose, j’en ai approfondi la connaissance lorsqu’un membre de ma proche famille en a été atteint.

J’ai très vite compris que le fait qu’il s’agisse d’une maladie génétique héréditaire touchant les globules rouges, l’impact sur la vie familiale et les retentissements psychologiques sur les patients et leurs familles pouvaient être importants, allant de l’angoisse de mort à la culpabilité pour les parents d’avoir transmis la maladie.

Or, pour moi, la finalité de la musicothérapie c’est de contribuer au bien-être des personnes en favorisant la restauration de l’estime de soi ainsi que l’apaisement des tensions du corps et de l’esprit.

C’est pourquoi, cette pratique peut s’avérer bénéfique pour accompagner les personnes atteintes de drépanocytose comme de nombreuses autres pathologies.
En Afrique, l’art a toujours eu une place centrale dans l’éducation comme dans le soin. Si mon approche de la musicothérapie se fonde sur mes racines africaines, ma pratique s’appuie également sur mes observations, expériences et connaissances acquises en Afrique et en Occident. Ma compétence est reconnue sur le plan international.

Compte tenu d’un contexte et d’un mode de vie très différents, il n’est évidemment pas possible de transposer intégralement cette approche dans la société occidentale. On peut cependant en retenir les valeurs humaines et de fraternité qui sous-tendent majoritairement, en Afrique, la prise en charge par le groupe des personnes atteintes de drépanocytose.

En premier lieu, lors des séances de musicothérapie, j’essaie de partager la présence de la personne et d’échanger par la salutation, puis par l’évocation de choses simples : des évènements de la vie de tous les jours, des liens familiaux, des relations amicales, de l’environnement social, de l’école, des centres d’intérêt, des préoccupations personnelles...

En règle générale, amener les participants à parler de ce qui les anime leur permet naturellement d’entrer en contact avec les autres et de goûter à la sérénité du partage...

Pour entrer dans la dynamique de soin il faut que le patient nous laisse accéder à sa sensibilité, même par le silence : sa posture, son regard, sa présence en disent parfois plus que la parole. C’est au musicothérapeute d’adapter sa pratique à l’état du patient. Cela peut s’apparenter à une démarche d’apprivoisement mutuel au sens noble du terme...

Il s’agit, en exploitant totalement la puissance et le pouvoir de la musique, d’établir une communication humaine basée sur le respect et l’échange, de sauvegarder la pudeur et la dignité des personnes quels que soient les problèmes liés à leur pathologie, de leur faire prendre conscience de leur propre richesse, de réveiller leurs potentialités et de les aider à les utiliser dans la vie quotidienne.

Réveiller le corps

J’essaie de leur insuffler la confiance en eux en commençant par de modestes objectifs qui deviennent autant de petites victoires sur leurs peurs. Pas à pas on avance, on trouve le courage de bouger, de relever la tête, de sourire, d’ouvrir les yeux sur l’extérieur et sur soi-même.

L’atelier de musicothérapie doit offrir un espace où peuvent s’exprimer, de manière non-verbale, les émotions et le mal-être, se libérer les tensions, mais doit aussi procurer du plaisir et être un lieu d’épanouissement où l’on se ressource et retrouve l’estime de soi.

Il existe une grande variété de techniques, chaque musicothérapeute y puise en fonction de sa sensibilité personnelle, de la pathologie et de la psychologie du patient.

Mes ateliers de musicothérapie comportent, en règle générale, cinq grands axes : toucher des instruments, écoute de la musique, reproduction des sons et du rythme, expression corporelle, relaxation.

Dans le cadre d’ateliers d’initiation et de découverte de la musicothérapie, je m’appuie principalement sur le travail sur les instruments à peaux (djembé, doumdoumba, tama) et la sanza.

Le frottement des peaux des instruments à différentes intensités, auquel j’initie les participants, est un excellent moyen de les rendre acteurs des séances, de les connecter avec eux-mêmes, avec les autres et avec le thérapeute. Ensemble, nous produisons des vibrations sonores basses, je joue de manière à évoquer les battements du cœur et cerne le moment précis pour qu’il y ait une résonance profonde.

Cet exercice permet de sentir les vibrations, d’essayer de créer un mouvement entre le corps et l’esprit. Afin de "réveiller" le corps j’utilise les fréquences basses car en musicothérapie, les fréquences basses et médiums ainsi que les vibrations et zones de sonorités sont à la base de l’exploration musicale. On peut ensuite développer la polyrythmique, la coordination, l’écoute, et valoriser le silence, le tempo et les accélérations.

Ye Lassina Coulibaly

Ce travail passe aussi par l’apprivoisement du rythme à l’aide de mouvements des pieds et des mains. Cette gestuelle a une résonance physique qui favorise la remise en mouvement harmonieuse de l’ensemble du corps.

Progressivement, j’invite les enfants ou les adolescents à produire du rythme afin qu’ils prennent conscience que leur corps est vivant. Ils peuvent se mouvoir en rythme et créer ensemble un mouvement harmonieux : il ne s’agit pas de danse mais d’expression corporelle sur fond musical. Cela permet de faire tomber les tensions profondes et est source de plaisir et de satisfaction.

La musique est dans notre corps, dans notre âme, dans notre fonction, tout dépend de la manière dont on l’aborde et l’utilise. Il suffit d’introduire la musique, comme une respiration, pour détendre et accompagner.

Cette remise en mouvement du corps, qui favorise l’équilibre et une meilleure maîtrise de la respiration, a une fonction apaisante et rassurante.

Puis vient le travail vocal basé sur des sons pour réchauffer la voix, cet exercice permettant de libérer le sternum et le corps tout entier.

Je me sers du chant de toutes sortes de manières : description chantée de ce qui se passe, le chanté-parlé, l’improvisation avec ou sans paroles ainsi qu’instrumentale.

Avec certains groupes, j’utilise la voix d’abord sur un mode ludique : par exemple imiter les cris d’animaux ou les bruits de la rue... C’est une manière de briser la glace et de rire de soi-même et du thérapeute ! Et je constate combien le plaisir du son peut être motivant.

Pour ce travail vocal je puise aussi dans mon répertoire. Sans les obliger à produire, j’installe comme un jeu, ça peut devenir drôle et favoriser le lâcher-prise.

La musique, une nourriture de l’esprit

J’utilise une très grande palette musicale : la souplesse de l’harmonie, les accords diversifiés, les percussions, les sonorités de la kora et du balafon, celles de la flûte et des techniques vocales...

Toutes les sonorités de la musique traditionnelle africaine suscitent des réactions corporelles et émotionnelles différentes. Selon les accords, les gammes utilisées peuvent faire écho avec notre corps et notre cerveau et créer des émotions : "la musique est le langage des émotions" (Kant).

Toutes les musiques du monde peuvent apaiser les maux du corps et de l’esprit. Pour moi, la musique est, depuis longtemps, une nourriture de l’esprit
Ainsi, on pourra tenter de réveiller leur énergie perdue pour de multiples raisons : fatigue, souffrance physique et psychique, peur de l’avenir, perte de l’estime de soi... Dans la période de l’adolescence, c’est particulièrement important d’insuffler aux jeunes la confiance en leurs potentialités et dans l’avenir.

Faire avec et ensemble me semble être une règle essentielle héritée de mon enfance africaine, de même que le sens de l’humour et la place laissée à la légèreté afin de ne pas dramatiser le mal et offrir aux patients une belle récréation artistique.

Quel que soit le type de prise en charge qui m’est demandée je suis l’élément central. Comme un artisan j’ai ma caisse à outils, si l’un ne marche pas j’en essaie un autre, Il faut être constamment à la recherche de ce qui fera sens pour l’autre et ne négliger aucun petit caillou susceptible de faire grandir la montagne...

Dans tous les cas, mon intervention se veut respectueuse de l’énergie et de la perception de chaque personne. Pour ce faire, je suis attentif à la personnalité, la singularité, au ressenti et aux réactions de chacune d’elles.

Il faut savoir faire preuve d’intelligence et de sensibilité humaine au-delà des codes, et croire en l’extraordinaire capacité et force de la musique pour rassembler les hommes d’origines diverses mais aussi dotés de qualités artistiques différentes. Celui qui est enraciné dans sa culture et son histoire n’a pas peur de l’ouverture et du dialogue, au contraire il s’en nourrit.

Solidarité, générosité, fraternité, partage, sont les valeurs qui sous-tendent la dimension universelle de mon travail...

Yé Lassina Coulibaly
https://www.yelassina.com/accueil/

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