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Internet et droit : Retour sur les coupures emblématiques de l’accès à internet au Burkina Faso

Publié le lundi 14 mars 2022 à 21h00min

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Internet et droit : Retour sur les coupures emblématiques de l’accès à internet au Burkina Faso

Les 20 novembre 2021, 10 janvier et 23 janvier 2022, le gouvernement burkinabè a décidé dans un premier temps de la coupure totale de l’accès à internet via les données mobiles et dans un second temps de bloquer l’accès au géant Facebook. Pour ce faire, le gouvernement s’est appuyé sur la loi 061-2008 portant réglementation générale des réseaux et services de communications électroniques au Burkina et plus précisément sur le chapitre IX intitulé « qualité et sécurité des réseaux et des services et respect des obligations de défense nationale et de sécurité publique ».

En effet, ces décisions ont été prises au lendemain de l’attaque meurtrière d’Inata ayant suscitée de nombreuses révélations d’activistes sur les réseaux sociaux et suite à la rumeur de tentative de coup d’Etat. La justification semblerait la protection des citoyens ou du moins, l’impératif de sécurité nationale.
En général, la censure de l’Internet s’opère de deux manières : la fermeture et le blocage ou le filtrage.

Par fermeture d’internet, on entend toute « perturbation intentionnelle de l’Internet ou des communications électroniques, les rendant inaccessibles ou inutilisable, pour une population spécifique ou dans un lieu donné, souvent pour exercer un contrôle sur le flux d’information ». Quant au blocage, il consiste à « empêcher l’accès à des sites web, domaines, adresses IP, protocoles ou services spécifiques figurant sur une liste noire ».

Les coupures d’accès à internet mettent à rude épreuve les droits fondamentaux et intérêts juridiques de manière redoutable. Pour mieux cerner l’incidence de ces mesures de coupure d’internet sur les différents enjeux juridiques (II), il convient préalablement de mettre en évidence les obligations auxquelles sont soumis les opérateurs qui doivent exécuter ces injonctions (I).

I. Le contenu obligationnel des opérateurs de réseaux et services en matière
d’accès à internet

Afin d’empêcher une déflagration de l’accès à internet, des dispositions du chapitre IX de la loi précitée impose aux opérateurs de réseaux et services de communications électroniques certaines obligations pouvant se subdiviser en trois catégories selon la personne à l’égard de laquelle elles ont été établies. Il s’agit des obligations à l’égard des clients, du régulateur et de l’Etat.

S’agissant en premier lieu de l’obligation des opérateurs à l’égard de leurs clients, son siège est fixé aux articles 44 et 45 de la loi précitée. Ainsi, les dispositions de l’article 44 impose aux opérateurs de réseaux et services de communications électroniques une obligation de sécurité et de qualité de leurs réseaux et services. À cet effet, les opérateurs sont tenus de prendre toutes les mesures techniques et organisationnelles nécessaires.

Ils doivent opérer de bons choix en ce qui concerne la qualité de leurs installations, matériels et logiciels et même du personnel. Pour ce qui concerne les matériel et logiciels, ils doivent choisir ceux présentant plus de garantie et moins de risques, recourir aux services de personnes qualifiées pour les installations, faire régulièrement des back up, mises à jour, des renouvellements, etc. Ainsi, les opérateurs doivent identifier tous les risques potentiels et trouver des moyens appropriés pour limiter au maximum leur réalisation.

Les outils des opérateurs doivent être fonctionnels de manière permanente et continue ; les défaillances ne devant qu’être très exceptionnelles et surtout très brèves. Cela implique que les opérateurs prévoient des redondances fonctionnelles et efficaces afin que l’exploitation de leurs réseaux et services puissent être ininterrompue ou s’ils devraient l’être, que la durée soit aussi brève que possible. Autrement dit, il leur faut assurer et garantir un service disponible de manière permanente et continue.

Quant à l’article 45, il exige des opérateurs qu’ils protègent leurs clients contre tout risque dû ou lié à leurs installations ou toute menace. Ils doivent leur fournir un service ininterrompu et satisfaisant et surtout garantir un accès permanent aux services d’urgence. Ils ont, en outre, dans un délai injustifié, l’obligation de mettre en place des moyens appropriés et efficaces susceptibles de pallier les conséquences désastreuses de leurs défaillances ou de la destruction des installations.

Au regard de ces obligations légales, des règles du droit des contrats électroniques et même des principes du droit commun des contrats, il va sans dire qu’ils pourront être poursuivis par leurs clients en cas d’interruption totale ou partielle de l’accès à internet ou d’accès de mauvaise qualité. Il resterait alors de prouver entre autres l’existence d’un dommage. Cependant, cela n’empêche pas que, conformément aux causes d’exonération de responsabilité, les opérateurs puissent opposer l’ordre de la loi ou du respect de l’autorité légitime. Dès lors, il faudrait en vérifier les conditions.

En second lieu, des obligations des opérateurs existent à l’égard du régulateur. Il s’agit notamment d’une obligation de notification. Ainsi, conformément à l’article 45 de la loi 0612008, les opérateurs sont dans l’obligation de notifier à l’autorité de régulation toute atteinte à la sécurité ou à l’intégrité ayant impacté significativement le fonctionnement de leurs réseaux et services ; tel pourrait être le cas de dynamitage des antennes par les attaques terroristes. Cette disposition responsabilise les opérateurs en les laissant le soin de « dénoncer » eux-mêmes leurs défaillances.

En dernier lieu, des obligations sont imposées aux opérateurs à l’égard de l’Etat. Ainsi, ils ont une obligation de collaboration avec les pouvoirs publics dans leurs missions de défense et de sécurité. Dans cette veine, ils doivent le cas échéant fournir l’identité de tout abonné à l’autorité compétente. Cela concerne notamment les procédures judiciaires dans lesquelles l’autorité judiciaire peut requérir des opérateurs des informations sur certains abonnés.

Ils doivent également en cas de crise de nécessité impérieuse, établir des liaisons ou équipements spécialement réservés pour la défense et la sécurité. Les opérateurs doivent mettre en œuvre les mesures demandées par les pouvoirs publics dans le cadre de leurs plans de secours. Cette dernière obligation semble avoir justifié les coupures et blocages sus-mentionnés qui, d’ailleurs, portent atteinte à certains droits et libertés des citoyens. C’est précisément l’objet du point suivant.

I. L’incidence d’une mesure de coupure d’internet sur les enjeux juridiques

L’avènement du numérique a révolutionné les habitudes en s’imposant dans la quasi-totalité des activités humaines. Ces bienfaits sont remarqués à plus d’un titre. Internet permet la personnalisation et diversification des informations, biens et services pour le consommateur : il a cette capacité unique d’offrir à la fois une diversité de biens et services. Véritable place de marché, il est un domaine de transaction par excellence.

Avec les facultés d’internet, d’un clic à un autre, l’individu surfe à sa guise et à l’occasion de choisir les informations, biens et services qui lui conviennent. Il favorise le développement du commerce en ligne en s’imposant comme un outil permettant la création de boutiques virtuelles. Les coupures d’accès à internet et blocages de plateformes sont de nature à léser considérablement des droits et libertés fondamentaux, notamment le droit d’accès à Internet, la liberté d’expression et le droit à l’information.

Le droit d’accès à l’internet, dans son contenu, comporterait une double dimension. En amont, il impliquerait le droit d’accéder à l’infrastructure technologique, matériel, logiciel, services et réseaux de communications électroniques. En aval, il impliquerait le droit d’accéder au contenu ou de diffuser du contenu sur internet. Dans l’attente d’un cadre juridique peut-être plus adéquat, la jurisprudence européenne a rattaché le droit d’accès à internet au droit fondamental de la liberté d’expression.

Ce rattachement au droit à la liberté d’expression, qui est par contre, déjà protégée par les instruments internationaux et constitutionnels, en l’occurrence burkinabè est décisif. L’article 8 de la constitution burkinabè prévoit cette protection en disposant que « les libertés d’opinion, de presse et le droit à l’information sont garantis. Toute personne a le droit d’exprimer et de diffuser ses opinions dans le cadre des lois et règlements en vigueur ».

Le conseil constitutionnel ne devrait pas rencontrer de difficultés pour opérer un tel rattachement comme l’avait réalisé la CEDH dans l’affaire Ahmet Yildirim c. Turquie . Plus clairement, elle a opéré le rattachement en décidant que, lorsqu’elle s’applique à internet, la protection de la liberté d’expression ne concerne pas que le contenu, mais aussi et surtout le moyen. Par ailleurs, une autre lecture suggère de faire de l’accès un internet un droit fondamental, totalement autonome. C’est cette lecture, au plan formel que l’on pourrait faire de l’article 29 du projet de nouvelle constitution burkinabè « « l’accessibilité numérique » relève « des droits sociaux de base ».

En droit comparé français, la Conseil Constitutionnel l’avait affirmé dans la décision HADOPI. Cette position s’appuie sur l’importance particulière de l’internet et ses spécificités qui le distinguent des médias classiques. Il en est ainsi de son caractère désintégré, individuel et de ses outils tels que les moteurs de recherches et les liens hypertextes qui n’existent pas dans les autres médias. Une telle considération est soutenue dans les recommandations d’organisations internationales comme l’UNESCO, le conseil des droits de l’homme des Nations Unies.

Elles considèrent, d’une part qu’internet est devenu un bien dont la consommation doit être facilitée par les Etats et d’autre part, que le droit d’accès à internet permettrait le plein exercice de droits fondamentaux telle la liberté d’expression, nécessaire dans une société démocratique. Il n’est pas de doute que l’accès à internet est capital aujourd’hui. Internet favorise l’exercice de droits fondamentaux et constitue un véritable cadre de promotion d’activités diverses génératrices de revenus. Ainsi, fermer ou bloquer internet, revient à porter atteinte à de nombreux droits fondamentaux et pis, à porter un coup considérable à l’économie numérique.

Internet se révèle être un vecteur de nombreux intérêts dont la liberté d’expression, de communication : La liberté d’expression est un droit fondamental constitutionnellement reconnu. Elle est prévue par l’article 8 de la Constitution du 02 juin 1991, l’article 09 de la CADHP, l’article 19 de la DUDH. Internet favorise la participation au débat démocratique en permettant à toute personne d’exprimer sa voix, sa personnalité.

Du même coup, il permet de s’informer, de choisir le canal par lequel on souhaite s’informer, de critiquer et d’apporter par là sa contribution au débat démocratique. Par ailleurs, internet permet la naissance de nouveaux médias tels que les médias en ligne. Les mesures de filtrage peuvent alors porter atteinte à la liberté de la presse spécialement pour les journaux en ligne, leurs activités et leurs libertés

commerciales. Le fonctionnement de ces nouveaux médias se trouve intrinsèquement lié à la fourniture d’internet.

Internet permet également la liberté d’association ou au droit de nouer des relations avec ses semblables, à travers les milliers de groupe de discussion dans les réseaux sociaux et les plateformes telles que Facebook, des messageries comme WhatsApp, Télégramme, etc.

Du coté des opérateurs de télécommunications et des plateformes, la coupure d’internet ou l’injonction de mettre en œuvre les mesures de filtrages et de blocages peut porter atteinte à leur liberté de commerce, leurs activités commerciales lorsque que le déploiement de ces mesures leur revient très coûteux en termes de manque à gagner et de coûts financiers qu’il occasionne pour la conception de ces technologies.
La loi autorise cependant les opérateurs et l’État à conclure des conventions à cet effet. Cela ne légitime pas pour autant ces mesures dès lors que les intérêts des autres acteurs sont sacrifiés par cette convention.

L’on se rend compte alors combien les coupures et fermetures d’internet portent atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. Le caractère disproportionné de ces mesures les rend d’une gravité particulière, d’autant plus qu’elles emportent les communications de nature purement commerciale, du moins économique et purement divertissant qui n’ont rien à voir avec les abus de la liberté d’expression ou les secrets de la défense et la sécurité publique. Dans sa décision du 25 juin 2020, la Cour de justice de la CEDEAO a considéré que les coupures volontaires d’internet opérées par le gouvernement togolais violaient la liberté d’expression des citoyens.

En effet, elle a relevé que ses coupures ont empêché les OSC ainsi que les manifestants de s’exprimer, de recevoir des informations, de se documenter et ont empêcher toute personne de communiquer. Dans cette même lancée, le Rapporteur Spécial des Nations Unies a relevé que le blocage de plateformes et les fermetures d’internet sont d’une menace persistante dans la mesure où ils bloquent les communications de millions de personnes même s’ils sont fondés sur la sécurité nationale et l’ordre public .

Quant au Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies, il condamne sans équivoque les mesures visant à interrompre l’accès à internet du moment où elles violent le droit international des droits de l’homme . En somme, pour qu’une atteinte à internet soit légitime, elle ne doit pas consister en une coupure totale ou partielle, de même qu’elle ne doit consister en une mesure de surveillance générale. Les mesures de

surveillance et de filtrage doivent être légales, ciblées (aussi bien à l’égard des contenus, des utilisateurs et des plateformes), elles doivent en outre être proportionnées, équilibrées nécessaires, pertinentes et justifiées par l’existence d’une infraction grave.

Sans doute, les événements récents témoignent des difficultés d’appliquer les mesures classiques de censure des libertés en matière d’internet. Ce cas d’école témoigne surtout qu’au risque de créer un naufrage des droits fondamentaux que véhicule ce nouveau média, on ne censure pas internet ; on le régule. Malgré l’existence d’un corpus consistant, la question de savoir quel droit et quelle régulation des communications électroniques à l’heure d’internet apparait alors restée entière dans la culture juridique burkinabè.

DEMBÉLÉ S. Bertille, Doctorante à l’Université Thomas SANKRA
Tel : + 226 70557397/54631222
TANKOANO Gnoari, Doctorant à l’Université Thomas SANKARA
Tel : 73655729/64748560

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