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Burkina/Insécurité : « Il faut s’attendre à ce que la situation ne s’améliore pas, si les différents acteurs ne jouent pas leur rôle » (Sanoussi Gansonré, expert en police de proximité)

Publié le mardi 15 mars 2022 à 21h33min

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Burkina/Insécurité : « Il faut s’attendre à ce que la situation ne s’améliore pas, si les différents acteurs ne jouent pas leur rôle » (Sanoussi Gansonré, expert en police de proximité)

Expert et consultant en Organisation de réseaux associatifs et en police de proximité, Sanoussi Gansonré planche, à travers cette interview, sur la dégradation continue de la situation sécuritaire au Burkina. Par la même occasion, il évoque une initiative portée par le Cercle pour la prévention en matière sécuritaire, la promotion de la paix et du développement humain (CE.SE. PA. D) qui consiste à un travail au sein des communautés à la base. Interview !

Lefaso.net : Comment pouvez-vous expliquer le niveau de dégradation continue de la situation sécuritaire de 2015 à ce jour ?

Sanoussi Gansonré : Personnellement, je pense que si la situation sécuritaire s’est dégradée au fil du temps, c’est parce que quelque part, tous les acteurs, à tous les niveaux, n’ont pas joué leur rôle. Depuis la conception du deuxième plan de la police de proximité et de la stratégie nationale de sécurité intérieure, sinon le premier plan quinquennal, les bases avaient été jetées en termes de diagnostic. Ce diagnostic a permis de savoir quelles sont les causes essentielles de l’insécurité et jusqu’à ce qu’on dégage un certain nombre d’axes pour, véritablement, prévenir l’insécurité.

Dans cet ensemble d’exercices, les différents acteurs sociaux, notamment les communautés, ont eu à connaître leurs parts contributives. Les communautés devraient être accompagnées par différents acteurs, dont l’Etat à travers notamment la Police de proximité, les organisations non-gouvernementales, les associations et d’autres organes pour que, véritablement, on puisse agir à la base. Une chose est d’appréhender les différentes dimensions de la problématique, une autre est de mettre effectivement en œuvre les solutions. Plusieurs diagnostics ont été faits, on sait qui doit faire quoi, les origines de l’insécurité. Il restait simplement à mettre en œuvre les solutions.

Malheureusement, les différents acteurs n’ont pas joué leur rôle, d’où la dégradation de la situation. Si actuellement, ces différents acteurs ne jouent pas véritablement leur rôle, il faut s’attendre à ce que la situation ne s’améliore pas. On a suffisamment parlé, maintenant, il faut agir. Tout le monde est attendu sur le terrain et à partir de là, on va pouvoir avoir une inversion de la tendance.

Qui devait faire en sorte que les acteurs jouent pleinement leur rôle ?

C’est l’Etat. Mais pas seulement lui. Il y a les organisations de la société civile (OSC) qui devaient s’investir aux côtés de l’Etat ou en mobilisant d’autres acteurs avec elles pour inverser cette tendance-là. Il faut aussi admettre que toutes les OSC ne sont pas au courant de l’existence de la police de proximité et comment est-ce que cela marche. Si fait que tout le monde attend tout de l’Etat. Nous qui avons eu la chance de travailler comme consultant auprès du ministère de la Sécurité sur la question de l’insécurité, nous avons justement compris la nécessité de mettre en place une structure qui s’occupe des aspects d’appui aux communautés, qu’est le Cercle pour la prévention en matière sécuritaire, la promotion de la paix et du développement humain (CE.SE. PA. D). Cette structure a commencé à jouer son rôle depuis un certain temps aux côtés des communautés. Si on arrive à faire en sorte que d’autres organisations fassent un pas dans une dynamique d’ensemble, ça va véritablement contribuer à changer les choses.

Avant d’arriver à cette initiative dont vous êtes porteurs…, pourquoi le décret portant définition des modalités de participation des populations, les « Koglweogo », à la mise en œuvre de la police de proximité n’a pas rencontré le succès escompté ?

En réalité, on peut avoir des lectures partagées sur les résultats d’associer ces groupes à la lutte contre l’insécurité. Au moment où on devait avoir une dynamique très forte autour de ces initiatives locales de sécurité, que sont les « Koglweogo » et les « dozos », c’est en ce moment justement qu’il y a eu le faux pas au niveau de l’Etat. De 2005 à 2009, on a connu la mise en place du premier plan de la police de proximité. On a fait son bilan en 2010, qui a relevé le fait qu’il y a des initiatives locales de sécurité qui avaient commencé à impacter leurs communautés du point de vue sécuritaire. Les résultats étaient édifiants. C’est ce qui a fait qu’on a « réécrit » la police de proximité, en tenant compte de ces initiatives locales de sécurité et des contextes locaux, avec un deuxième plan quinquennal 2011-2016. Ça n’a pas été véritablement mis en œuvre par le ministère de la Sécurité pour un certain nombre de raisons.

Sinon, tout y était indiqué. Lorsque vous voyez ces initiatives locales de sécurité travailler dans le nord, l’est, les résultats sont en réalité là. Si on arrivait à faire un bilan de l’action de ces initiatives locales de sécurité, on allait se rendre compte qu’elles ont eu d’énormes résultats, même s’il y a eu quelques faux pas. Leur contribution a été énorme en matière de prévention. L’autre visage de l’insécurité, à savoir le terrorisme, ne doit pas nous faire oublier les autres aspects de crimes et de délinquance sur lesquels, ces initiatives locales de sécurité ont joué un rôle majeur. Même en matière de terrorisme, les textes les plaçaient au niveau du travail pour la prévention. Malgré tout, elles jouent un rôle en matière de mobilisations sociales. Pour me résumer, je dirai simplement que leurs actions ont produit beaucoup de résultats, il faut simplement arriver à les capitaliser. Malheureusement, il n’y a pas cet espace ou cette institution pour cette capitalisation, alors que nous sommes amenés à envisager d’autres textes, d’autres structurations pour aller de l’avant au lieu de stigmatiser ces initiatives-là pour avoir posé certains actes condamnables vis-à-vis de la loi.

Les dirigeants n’ont-ils pas eu peur de ces forces, quand on sait qu’à un moment donné, il y avait des velléités d’opposer « koglweogo » aux « dozos » !

Tout à fait ! Et j’allais même ajouter certaines presses, parce qu’en réalité, les gens n’ont pas rapporté les faits comme il se doit. D’abord, le fait d’appeler ces initiatives locales de sécurité des « groupes d’auto-défense » est biaisé. Ce ne sont pas des « groupes d’auto-défense », ce sont des communautés qui se sont organisées. On dit que les « dozos » et les « koglweogo » ne s’entendent pas, alors que dans le cadre de la politique nationale de sécurité intérieure, ces deux entités se sont retrouvées à plusieurs reprises pour accorder les violons sur la question. Il y a un seul objectif, la sécurité ; il n’y a pas d’objectifs antagoniques. D’ailleurs, quand vous prenez le schéma de sécurité, dans une localité, on n’a pas besoin de deux entités, c’est une seule. Cela, pour éviter justement qu’il y ait une sorte de conflit d’intérêts.

Vous constaterez même que les « dozos » sont une organisation plus ancienne que les « koglweogo », parce qu’ils ne sont pas mis en place pour des questions de sécurité prioritairement, mais pour défendre un groupe d’acteurs, une confrérie de chasseurs qui avaient un certain nombre de pratiques de la chasse et de promotion de valeurs morales. C’est après que les questions de sécurité se sont invitées à leur niveau, au regard du contexte, notamment le vol de bétail et d’autres biens. Donc, il n’y a pas de raison que les deux s’opposent. Les gens ont parlé d’opposition, mais ce n’est pas le cas. Vous avez suivi avec nous ce qui s’est passé au niveau de Karangasso-vigué, où il y a justement cette histoire d’opposition. En réalité, on ne peut pas obliger les communautés à mettre en place un type d’organisation d’initiative locale de sécurité, ce sont les communautés elles-mêmes qui décident de la structure et de l’appellation. C’est leur liberté.

C’est parce que les communautés elles-mêmes n’ont pas d’informations sur ces initiatives que ça crée des frictions, sinon les premiers responsables sont ensemble et se parlent. Ils ont même reçu, en 2011, je pense, des médailles d’honneur de la police nationale par rapport à leur contribution à la sécurité. Ce sont les gens qui polémiquent donc, sinon il n’y a pas de matière à s’inquiéter. Donc, il faut un travail d’envergure, pour expliquer à ces acteurs communautaires, aux communautés, quels sont leur rôle, pour qu’on puisse dissiper effectivement certains concepts ou flous qui peuvent opposer. Depuis 2003, on est là à expliquer encore ce que c’est que la police de proximité. C’est une tour de Babel, un éternel recommencement.

C’est parce que les textes ne sont pas mis en application, sinon le plan quinquennal et ces nombreuses initiatives engagées par la direction de la police de proximité de 2011 à 2014 avaient prévu beaucoup de formations pour que les populations, les acteurs, comprennent ce que c’est que la police de proximité, ce qu’on peut faire dans ce cadre et ce qu’on ne peut pas faire. C’est un travail titanesque qui doit être fait. L’Etat a, à mon avis, joué son rôle par l’élaboration de la politique nationale de sécurité, le cadre institutionnel. Il appartient aux autres acteurs d’apporter leur contribution, surtout en synergie d’actions avec d’autres acteurs (les organisations de la société civile). C’est ce que notre structure a commencé à faire depuis un moment. Malheureusement, nos moyens sont limités par rapport à l’énorme besoin sur le terrain.

Justement, vous nous tendez la perche…, quelle est la démarche du Cercle pour la prévention en matière sécuritaire, la promotion de la paix et du développement humain (CE.SE. PA. D) ?

Nous avons décidé, au regard du diagnostic du terrain, de passer par l’éducation. Nous avons fait une lecture objective, parce que même au niveau mondial, vous verrez que le diagnostic de tous les acteurs qui travaillent sur la sécurité indique que la cause réelle d’insécurité, il faut aller la chercher au niveau de l’offre éducative. L’offre éducative au niveau de la famille et de l’école. Rarement, un adulte devient subitement un criminel. Ce sont des signes qui sont développés depuis le bas âge. Au fur et à mesure qu’il grandit, il les renforce et une fois l’occasion se présente, il saisit l’arme et devient un criminel. Sinon, quelqu’un qui a connu un développement selon un certain nombre de normes et de valeurs sociales, ne va pas se laisser convaincre par une tierce personne pour basculer dans le cercle criminel ou terroriste.

Donc, il faut penser et miser sur l’éducation. Tout le monde est convaincu aujourd’hui que l’éducation a des insuffisances. Donc, il faut agir. La grande réflexion, c’est comment donc agir ; sur quel segment de l’éducation. Voilà pourquoi, notre structure a opté de développer des initiatives en matière d’éducation vertueuse au sein des familles. Ces initiatives portent sur le déroulement de conférences thématiques au cours desquelles nous posons le diagnostic avec les acteurs sociaux sur les comportements déviants notamment chez les jeunes. Ces diagnostics sous forme de constats nous conduisent à formuler des interrogations majeures et fortement interpellatrices et à esquisser des recettes pratiques et efficaces pour une éducation porteuse d’espoir et pour la récupération des enfants en situation de déviance.

Nous partageons avec les participants « quoi dire aux enfants, comment, quand, par qui, quel comportement parental, quel type de famille promouvoir pour une éducation réussie etc. » Et ce sont des recettes éprouvées qui donnent des résultats extraordinaires à très court terme, sinon immédiats. Les acteurs sont-là pour témoigner. Nous sommes actuellement à environ 60% de jeunes. S’ils ont de bons comportements, c’est que tout est bien parti pour des communautés paisibles. Je me souviens qu’un jour, au cours d’une conférence qu’on animait à Gaoua dans le cadre des activités de la police de proximité en 2011, un étudiant a pris la parole et a dit ceci : « monsieur, ce que vous dites-là est juste et pertinent, mais ce message, ce n’est plus pour nous, parce que pour nous-là, c’est déjà gâté. Ce sont les enfants qui peuvent être façonnés par ce message, pour nous, c’est gâté ». Imaginez un étudiant qui a fait cette réflexion. C’est pour dire que pour avoir une société où ses membres ont des valeurs, il faut commencer maintenant et avoir les résultats des années plus tard.

Malheureusement, nous ne nous projetons sur le long terme, on voit les choses dans l’immédiat. Ce que nous sommes aujourd’hui sont des choses qu’on a laissées passer, il y a vingt, trente, quarante ans. Il y a des choses qu’on laisse passer aussi aujourd’hui et qu’on met sous le compte de la modernité, mais qui en réalité vont rejaillir sur notre société dans quelques années. Aujourd’hui, la seule valeur qui compte, malheureusement, c’est l’argent. Mais est-ce une valeur ? L’argent permet-il seul, à une communauté de s’épanouir ? Même la dépravation est érigée en valeur. Tout le monde sait que ce ne sont pas nos valeurs, mais apparemment personne ne veut travailler à inverser la tendance. On n’a pas la même appréciation du terme dépravation.

Pendant que X pense que tel comportement est de la dépravation, Y pense que la modernité lui donne le droit de se comporter comme tel. Il faut qu’on s’interroge courageusement pour amorcer un changement. C’est dans ce souci qu’à notre niveau, nous essayons d’aller vers les communautés à travers des conférences avec le thème : « Place et rôle de l’éducation et de la société dans la prévention des comportements déviants chez les jeunes ». Nous apportons donc des messages. Dans la première partie, on fait un état des lieux, on présente la communauté telle qu’elle est et on se pose des questions. Après cette vague de lecture objective de notre environnement, on propose des alternatives, qui sont des recettes. Nous avons une vingtaine de recettes que nous proposons pour que les acteurs partent implémenter au niveau de leur famille. Ce sont des recettes pour avoir des enfants qui grandissent avec un certain nombre de valeurs, de vertus, qui vont être plus sensibles à la douleur des autres.

Les enfants qui vont aimer leurs prochains, qui vont respecter leurs enseignants et avoir l’amour vis-à-vis de cette personne qui porte une tenue (policier, gendarme, militaire, paramilitaire) et qui se sacrifient pour la vie de l’autre. Et même ceux d’un certain âge, qui pensent que pour eux est déjà gâté, il y a des messages également à leur endroit, qui leur permettent de changer. Quel que soit le niveau de dépravation d’une personne, les recettes permettent de la changer. Et le changement, nous le sentons sur le terrain. Avec les recettes que nous avons mises en place, quand les gens implémentent, les résultats sont immédiats. Imaginez des jeunes qui organisaient des rencontres dans des espaces clos, qu’ils appellent QG, où ils s’adonnaient à la consommation de stupéfiants, au sexe, etc. On appelle les membres et on leur livre un message.

Le lendemain, ils partent eux-mêmes raser le QG. Ils repartent également vers les parents pour s’excuser de tous les torts qu’ils leur ont posés. Des enfants fréquentent l’église, la mosquée … alors qu’ils n’y mettaient pas les pieds. Voilà quelques résultats que nous avons pu obtenir sur le terrain. Nous avons des éducateurs (enseignants, surveillants, responsables d’établissements), des hommes religieux, des forces de défense et de sécurité, qui nous disent par exemple qu’ils pensaient être des éducateurs, mais que c’est la première fois qu’ils entendent ce genre de messages et qu’ils se rendent compte qu’ils étaient loin d’être des éducateurs. On a remarqué que les gens se sentaient coupables et se remettaient en cause.

Les nombreux témoignages de parents qui ont agréablement vu le changement de leur enfant, alors qu’ils avaient désespéré, c’est énorme et incroyable. Par exemple, nos messages ont servi à des sermons lors des prières de vendredi à Bani et dans d’autres localités. C’est un travail que nous avons pu faire à travers des localités et grâce à l’appui également de l’agence belge Enabel à travers son programme police de proximité au Centre-est. On n’est pas extraordinaire, mais au moins, les résultats sont-là, palpables et partout où nous sommes passés, les gens peuvent témoigner du changement. Si fait qu’aujourd’hui, pour avoir été de bouche à oreille informés, les gens nous appellent de partout pour ces conférences. Malheureusement, nos moyens ne nous permettent pas de répondre aux nombreuses sollicitations.

Nous pensons que la démarche que nous avons prise est celle qui est attendue aujourd’hui, parce que si vous regardez la place qui est réservée à l’éducation dans les pays développés, on se rend compte que l’éducation vient avant tout, et qu’il faut y mettre l’accent. Comme le dit l’ancien président sud-africain, Nelson Mandela, l’éducation est l’arme la plus puissante pour changer le monde. Le changement ne s’impose pas, il faut passer par des méthodes douces et nous pensons les avoir trouvées. En dehors du fait que les parents n’ont parfois pas de moyens pour éduquer les enfants, il y a le fait qu’ils sont eux-mêmes coupables parfois de la déviance de leurs enfants pour avoir eu des comportements qui les poussent à sortir de la famille. Imaginez dans une famille où l’un des parents est décédé, laissant l’enfant et tout le monde se comporte également de sorte à le rejeter.

Cet enfant va souffrir et quand il va grandir, il n’aura aucune pitié pour la société. Il n’aura aucune pitié pour l’être humain. Ou bien encore, dans la famille, il n’y a pas d’entente. Conséquence, il n’y a personne pour éduquer l’enfant, qui va ainsi se sentir abandonné. Dès lors, il va sortir du cercle familial et va être récupéré par des délinquants qui auront constaté qu’il n’a pas de cadre familial. Donc, les parents, par leurs comportements non exemplaires, peuvent pousser leurs enfants à avoir des comportements déviants. Et on se met maintenant à crier qu’il y a des attaques terroristes, du banditisme… et on cherche des raisons, alors qu’elles sont à côté de nous et fabriquées par nous.

La solution est simple, il faut donner et inculquer des valeurs aux enfants. Un homme de valeurs ne peut jamais se laisser acheter pour prendre une arme contre une autre personne. Regardez par exemple une erreur que nous faisons dans le discours en famille : on dit à l’enfant d’aller à l’école, s’il travaille bien, il va avoir tel diplôme et il va devenir un grand quelqu’un. On le fait, mais ce n’est pas bien ; parce que l’enfant se met en tête qu’il part à l’école pour devenir un grand type, amasser de l’argent. Non, dites à l’enfant qu’il part à l’école pour pouvoir avoir des connaissances ; parce que l’être humain sans connaissances est inutile.

De la sorte, quelle que soit la difficulté qui va se présenter à lui, il va s’en sortir. Il peut même finir ses études en médecine et revenir être un grand jardinier. Nous ignorons ce genre de messages. Il faut lui apprendre à avoir des connaissances et lui faire comprendre que c’est avec les connaissances on se crée tout. L’éducation doit tenir compte de cela, du type de société qu’on veut demain. S’il faut focaliser l’éducation sur les perspectives de gain, d’avoir beaucoup d’argent, il faut s’attendre demain à ce que tout le monde use des armes pour atteindre cet objectif. Mais si on enseigne des valeurs, chacun va se sentir parce qu’on aura une société à visage humain et c’est sur cela que notre organisation se bat aujourd’hui.

De façon concrète, comment s’organisent vos conférences, quel public visent-elles et comment assurez-vous que vos messages soient largement partagés dans les communautés ?

Nous les organisons en tandem avec les autorités locales. C’est la mairie qui est la porte d’entrée (maintenant, les délégations spéciales communales). Lorsque nous arrivons, nous voyons ces personnes-ressources pour présenter les termes de référence, identifier les participants souhaités, les critères de choix, les thèmes de la communication. Donc, en plus du Conseil municipal, il y a le service de l’action sociale, les forces de défense et sécurité territorialement compétentes, qui se joignent à notre équipe (qui est dotée d’un conférencier principal et d’assistants).

A côté de ces acteurs, il y a cinquante autres personnes que nous identifions et qui sont issues du monde de l’éducation, des associations du monde économique, des femmes, des jeunes, des CVD, des initiatives locales de sécurité. Nous étalons la conférence sur deux jours ; chaque jour a un groupe. Nous commençons d’abord par demander aux acteurs locaux de sécurité de présenter le visage sécuritaire de la commune. C’est à l’issue de cela que nous posons les problèmes et donnons les recettes.

Tout cela se fait dans les langues locales. Généralement, au lieu d’arrêter à 13h comme prévu, les conférences partent jusqu’à 16h et là aussi, on force pour arrêter. Les gens ont sérieusement des problèmes d’éducation et ils nous posent leurs préoccupations, de façon crue. Les communautés ont, notamment au Centre-est, demandé à ce qu’on mette, à l’issue de la conférence, une plateforme éducative ; une sorte d’organisation qui va être constituée de toutes les composantes et qui va travailler à démultiplier ces messages de sensibilisation à travers des théâtres-foras, des émissions dans les radios, etc.

La durabilité est donc assurée et nous souhaitons l’accompagnement de beaucoup d’acteurs pour qu’on porte l’initiative à l’échelle nationale à travers d’autres localités. Si on arrive à avoir cela, vous verrez que les résultats vont être immédiats. Ce ne sont pas des initiatives qui demandent de grands moyens. Ceux qui veulent consulter les rapports et autres peuvent les consulter, tout est là. Dans toutes les communes où nous sommes passés, les maires nous font savoir qu’ils n’ont jamais vu une conférence où les gens sont restés du matin au soir. C’est pour dire que ça répond à des préoccupations réelles. La lutte contre l’insécurité doit se faire à travers plusieurs fronts, pendant que les spécialistes du combat sont sur le front, d’autres acteurs doivent faire le travail sur d’autres aspects pour qu’il y ait de la complémentarité.

On imagine que vos recettes sont fonction du diagnostic que vous faites dans chaque localité !

Effectivement. Mais, l’essentiel touche à tout le monde ; parce que ce sont des questions de valeurs humaines, d’humanisme. Par exemple, l’enfant, on commence à l’éduquer avant même qu’il ne vienne au monde. Comment ? Par le choix des parents. Un bon couple, bien choisi selon un certain nombre de critères, augure une famille où les enfants vont être éduqués selon des valeurs d’éthique. L’environnement, la cohésion au sein de la famille sont indispensables. Il faut ensuite voir comment suivre l’enfant, une fois née. Même quand on a un enfant difficile, il faut choisir les mots et les attitudes aptes pour le ramener sur le chemin.

Ce sont des valeurs universelles, même s’il y a des cas spécifiques, selon l’environnement. Ce sont des recettes très simples, mais lorsque vous les faites sortir, vous avez des parents qui pleurent, des responsables coutumiers qui versent des larmes, parce qu’ils se rendent compte qu’ils ont failli. Tous les jours, la société évolue et on tient compte de cette réalité dans notre démarche, sans céder à la tendance de l’évolution qui conduit vers l’abîme. Il faut amener l’être humain à travailler pour lui, pour les autres et pour l’avenir.

Votre offre permet-elle aujourd’hui de couvrir une grande partie du territoire ?

C’est l’accompagnement qui fait défaut, sinon, on a la ressource humaine et la volonté pour cela. C’est d’ailleurs le terrain qui nous intéresse que le travail de bureau. C’est le terrain qui va réellement impacter les communautés. C’est vrai qu’Enabel nous accompagne, mais c’est au niveau du Centre-est uniquement, sa zone d’intervention. Ceux qui ont l’information nous appellent pour demander notre intervention, mais les moyens font d’abord défaut à cette ambition. Nous restons donc disponibles à échanger avec tout acteur ou institution qui voudrait nous accompagner dans ce combat pour une société plus sécurisée, de paix, de cohésion, un espace à visage humain.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Vidéo et photos : Auguste Paré
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