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Prix Martin Ennals : « C’est une victoire pour les défenseurs des droits humains au Burkina », selon Dr Daouda Diallo du CISC

Publié le vendredi 28 janvier 2022 à 16h39min

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Prix Martin Ennals : « C’est une victoire pour les défenseurs des droits humains au Burkina », selon Dr Daouda Diallo du CISC

Le prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’homme, encore appelé prix Nobel international des défenseurs des droits humains a été décerné au Burkinabé, Daouda Diallo, secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC), lauréat avec deux autres grands défenseurs des droits humains. Il a accordé un entretien à Lefaso.net pour mieux expliquer le combat qu’il mène au quotidien à travers le CISC qui a comme objectif de construire la cohésion sociale sur une approche basée sur les droits humains.

Lefaso.net : Vous êtes le secrétaire général du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés. Quel a été le déclic de votre engagement pour la défense des droits humains ?

Dr Daouda Diallo : Il faut dire que c’est une longue histoire parce que depuis tout petit, j’ai appris à me mettre au service des autres et a être solidaire des autres. De telle sorte que, depuis l’école primaire, j’ai toujours eu la chance d’être leader, délégué de classe. Au secondaire et à l’université, j’ai également occupé des postes de responsabilité dans le milieu syndical. Ce qui a renforcé fortement ma conviction à assister autrui et à œuvrer pour la défense des droits humains. C’est la seule manière pour améliorer les conditions de vie et de travail des populations mais également pour cultiver les valeurs d’humanisme. Voilà autant d’éléments qui font qu’aujourd’hui, je suis fortement engagé sur le volet des droits humains. J’ai consacré plus de 20 ans à militer dans différentes organisations de droits humains avant même le massacre de janvier 2019 de Yirgou.

Quelle appréciation faites-vous de la situation des droits humains au Burkina ?

Les droits humains, c’est un terrain de lutte permanente et continue. Il y a eu au fil des années à travers d’autres organisations très bien reconnues dans notre pays, des espaces de libertés démocratiques qui se sont dégagés. Mais il faut dire que depuis 2015, avec l’avènement du terrorisme qui frappe notre pays, il y a un recul, fortement marqué en termes de respect des droits humains. Pour preuve, il y a eu plusieurs cas d’exactions ou certains éléments des Forces de défense et de sécurité (FDS) se sont retrouvés impliqués ou fortement accusés. Dans un pays, si ceux qui sont censés protéger la population ne le font pas bien, ça pose problème.

Forcément, il y a des inquiétudes. Deuxièmement, il y a les milices d’auto-défense qui sont de plus en plus impliquées dans les questions de conflits. En janvier 2019, des milices d’auto-défense ont commis un grand massacre sur un rayon de 50 km dans une vingtaine de villages et pendant trois jours sans l’intervention des services étatiques. Ce qui constitue une violation grave et un recul des droits humains. Pourtant, le chef de l’État avait juré de garantir la sécurité aux citoyens burkinabè.

Les massacres des citoyens burkinabè de janvier 2019 ont été faits sur un fond de délit de stigmatisation. Pour moi, il y a une forte inquiétude, aujourd’hui, sur la question des droits humains. Après janvier 2019, il y a eu d’autres exactions et des crimes de masse notamment à Arbinda en avril 2019, à Barga en mars 2020, à Tanwalbougou en mai 2020, et à Solhan en juin 2021. Nos FDS ont été également massacrées à Inata.

C’est l’occasion pour moi de féliciter ces braves hommes de défense et de sécurité qui se battent au péril de leur vie pour garantir la sécurité des Burkinabè mais qui, également, ne sont pas aidés par les autorités du pays. Ils ne sont pas très bien équipés parce que pour le cas de Inata, ont les a affamés avant de les livrer à la mort. Ce qui se passe aujourd’hui, démontre à suffisance que la question des droits humains est fortement dégradée. Il y a lieu de prendre la question au sérieux pour porter encore à un niveau élevé le respect et la protection des droits humains au Burkina Faso.

Face à cette situation peu reluisante, quelles sont les actions que vous menez sur le terrain pour y remédier ?

En tant qu’organisation de la société civile impliquée dans la question des droits humains, nous faisons de la veille et la communication autour des incidents, des cas de violation des droits humains, d’abus ou même de torture. Il y a même également le cas des violences basées sur le genre. Quand on voit des jeunes filles et des femmes se faire agresser sexuellement, c’est une explosion grave des violences basées sur le genre. Nous travaillons aussi sur la documentation à travers notre réseau, parce que nous sommes structurés au niveau national. De telle sorte qu’on a des points focaux dans les régions qui arrivent toujours à documenter tous les cas d’incidents et à réunir toutes les preuves. Ce qui nous amène à communiquer sur les faits.

Depuis l’avènement du terrorisme à ce jour, on a documenté plus de 1 000 cas d’exécutions sommaires. Ce qui est extrêmement inquiétant quand on voit qu’il y a autant de vies humaines qui sont perdues. Beaucoup de FDS ont également perdu la vie dans ce contexte très difficile. On mène aussi des actions de plaidoyer c’est-à-dire qu’on va vers les décideurs avec des recommandations très précises afin qu’ils puissent aussi mettre en œuvre des actions pour soulager les populations. Outre cela, on mène des actions humanitaires notamment sur le volet sanitaire, alimentaire et même l’assistance psychologique.

Beaucoup de victimes sont traumatisées parce qu’elles ont vu leurs parents tués devant eux, ou leurs enfants tués par des groupes armés terroristes ou par des éléments supplétifs de l’armée ou encore par certains éléments de l’armée. Aujourd’hui, cela n’est un secret pour personne au Burkina. En plus de toutes ces activités, nous travaillons sur les questions de sensibilisation et de formation des jeunes engagés dans la société civile. Le week-end dernier, nous avons fait une formation au profit d’une vingtaine de jeunes sur les questions de documentation et de respect des droits humains.

Egalement, nous organisons des séances de dialogue ou de médiation entre les communautés pour leur permettre de s’unir pour faire face à l’ennemi qui aujourd’hui piège les identités, les communautés et instrumentalise tout pour pouvoir nous amener à nous entre-tuer.

Est-ce que vos actions contribuent à créer une évolution positive ?

A travers nos actions, nous avons pu aider à retrouver plus d’une centaine de personnes qui étaient victimes de disparition forcée. Ce qui est énorme. Deuxièmement, de par nos actions de plaidoyer, on a pu contribuer à la scolarisation d’au moins 200 enfants, notamment des orphelins et des victimes de violences. Troisièmement, on a pu influencer le discours politique qui a accepté porter le terme stigmatisation, qui était tabou auparavant. De nos jours, les premières autorités nationales parlent de la stigmatisation sans gêne.

L’autre élément, c’est qu’on a pu influencer l’acceptation du principe de révision du décret portant sur les forces spéciales où l’article 10 mentionnait clairement une impunité par rapport aux éléments de forces spéciales qui étaient impliquées dans la lutte contre le terrorisme. Relativement à la loi portant sur les VDP, nous avons fait des apports constructifs pour que cette initiative soit inclusive et non partisane qui peut diviser encore les communautés. Nous avons de très bons rapports avec les organisations humanitaires qui, en fonction des populations ou de la détresse humanitaire qui est sur le terrain et qui arrivent, quand on les informe, à secourir la veuve, l’orphelin et la victime. Voilà autant d’éléments qui nous réconfortent à continuer notre combat en termes de défense et de promotion des droits humains.

Quelles sont les situations difficiles auxquelles vous êtes souvent confrontés ?

En plus d’être confrontés à des menaces de mort, on est souvent victimes d’intimidation. Il y a également une publicité souvent mensongère sur le travail que nous faisons. Quand on nous traite de terroristes, on estime que c’est extrêmement grave. Lorsqu’un défenseur des droits humains est confondu à un terroriste, cela montre qu’il y a certains citoyens burkinabè qui ne comprennent pas que c’est surtout en temps de crise qu’on a besoin des droits humains. Par moment aussi, on est incompris en fonction de nos prises de position. Cela constitue une difficulté en termes de droits humains sur le terrain. Mais rassurez-vous, nous sommes des citoyens burkinabè fortement engagés pour les principes qui vont grandir la République. Notre vision, c’est de construire une nation burkinabè ou la négation de l’autre n’a pas sa place.

Et si on vous demandait aujourd’hui quel est votre plus belle satisfaction ?

Notre plus belle satisfaction, c’est de voir ces milliers de populations victimes d’abus, de violation des droits humains reposer leur espoir sur notre organisation. J’estime que c’est énorme. C’est aussi une source de motivation pour nous de continuer notre combat. Deuxièmement, c’est le fait de recevoir les encouragements des intellectuels honnêtes, des hommes de medias intègres et des amis qui sont sensibles à ce qu’on fait.

Parlant du prix Martin Ennals pour les défenseurs des droits de l’homme, dont vous êtes, avec deux autres personnes, le lauréat. Est-ce que vous vous attendiez à cette distinction ?

Pour ce prix, je n’ai pas personnellement candidaté. Il a été attribué sur la base de propositions faites à travers des grandes organisations de défense des droits humains au niveau national et international. C’est dans le tamisage des candidats qui ont été proposés que je me suis retrouvé aujourd’hui, retenu avec deux autres au niveau international, à savoir une journaliste vietnamienne, Pham Doan Trang, et un Bahreïnien, Abdul-Hadi Al-Khawaja. A lire le travail de ces deux derniers par rapport à ce que je fais, je trouve qu’on a un grand point commun. On est soucieux de la vie humaine, et de la dignité humaine.

Nous sommes des gens qui se battent au quotidien pour que la vie humaine soit respectée quelle que soit l’appartenance géographique, religieuse, philosophique de la personne qui est victime des violences. Le fait d’avoir octroyé ce prix à ma modeste personne, c’est une victoire pour les défenseurs des droits humains au niveau du Burkina Faso. C’est également une victoire pour mes camarades, pour tous ces hommes de medias qui ont toujours accepté de nous accompagner et qui font un travail formidable d’éveil et de sensibilisation de la communauté burkinabè pour qu’elle soit sensible à la question des droits humains. Aujourd’hui, les Burkinabè sont de plus en plus réceptifs aux critiques. Ce prestigieux prix international, qui est l’équivalent du prix Nobel en droit humains est, pour mes camarades et moi, une satisfaction interne énorme. On a eu raison de tenir bon malgré les nuits blanches, les menaces, et les critiques que nous avons subies. Il y a lieu de garder le cap pour l’avenir.

Vous l’avez dit, ce prix est un vecteur de motivation. Quels sont vos grands chantiers pour 2022 ?

La question du dialogue intercommunautaire et la médiation est une priorité pour nous. En plus de la question du suivi de la promotion de la défense des droits humains. On estime aussi qu’il faut lutter contre l’impunité qui est, aujourd’hui, une source d’aggravation de la situation sécuritaire. Nous allons continuer à attirer l’attention des dirigeants burkinabè, des amis et partenaires de notre pays ainsi que de la communauté internationale sur les questions de gouvernance, notamment la lutte contre la corruption. Il faut que la société civile soutienne, selon notre mandat, l’effort national pour assurer la sécurité et la paix au Burkina Faso.

Le président Roch Kaboré vient d’être renversé par un coup d’État pour mauvaise gestion de la situation sécuritaire, entre autres. A votre avis, est-ce que la junte a bien mûri ce coup d’Etat ?

Ce coup d’Etat est la conséquence d’une mauvaise gouvernance qui était devenue comme une tradition pour notre pays. C’est également la conséquence d’une crise économique, socio-politique, avec une insécurité très grandissante. A partir du moment où le minimum n’est plus garanti aux citoyens, je trouve que ce qui est arrivé n’est rien d’autre que la conséquence d’un malaise profond que traversait notre pays. Pour le moment, je ne peux pas dire si la junte s’est bien préparée ou non mais je leur souhaite beaucoup de courage pour la suite.

Je souhaite également que les nouvelles autorités prennent en compte les aspirations profondes du peuple burkinabè et qu’elles prennent des mesures efficaces contre la crise sécuritaire pour soigner la détresse humanitaire qui prévaut aujourd’hui sur le terrain et surtout travailler à installer des institutions républicaines afin d’asseoir une république véritable où les Burkinabè vont se considérer en tant que citoyen burkinabè sans discrimination d’appartenance ethnique et religieuse. Ce sont ces petits éléments qui sont les ingrédients de division dans notre pays. Je souhaite que la junte soit permanemment à l’écoute du peuple mais surtout qu’elle écoute les voix inaudibles. Ainsi, nous sortirons grandis de cette transition que notre pays est en train d’entamer.

Lire aussi : Prix Martin Ennals 2022 : Dr Daouda Diallo lauréat

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
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