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Société de l’information : Fracture numérique dans une dictature de velours

Publié le jeudi 17 novembre 2005 à 05h42min

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La vedette du sommet, l’ordinateur à 100 dollars

Les travaux du deuxième Sommet mondial de la société de l’information (SMSI) ont commencé hier à Tunis, la capitale tunisienne, avec deux préoccupations majeures au menu : la réduction de la fracture numérique et la démocratisation de la gouvernance d’Internet.

Des préoccupations de premier ordre quand on connaît l’importance et la place prépondérante qu’occupent les Nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) dans notre monde.

En effet, ces technologies, en plus d’informer et de former, sont devenues aujourd’hui de véritables outils de travail utilisés dans les domaines d’activités les plus diverses : commerce, défense nationale, enseignement, transactions financières, transports, recherches scientifiques, santé, sports et loisirs, agriculture, élevage, communications, etc.

Leurs applications sont si variées que même le paysan de Liptougou dans la Gnagna ou l’éleveur de Falangountou dans le sahel burkinabè peut, dans le cadre de ses activités, se faire assister par l’ordinateur.

Malheureusement, à cause de leur coût d’achat et des frais d’utilisation, qui sont pour le moins prohibitifs, ces technologies demeurent inaccessibles à des milliards de citoyens du monde surtout dans les pays en voie de développement sis pour la plupart en Afrique, en Asie et en Amérique latine.

En Afrique par exemple, ces outils ne sont pas détaxés et le tarif de la minute de communication téléphonique peut vous donner le tournis. Or, les NTIC sont le fruit d’un heureux mariage entre l’ordinateur et le téléphone. Résultat des courses : des centaines de millions d’Africains n’ont jamais vu un ordinateur ni un téléphone à plus forte raison n’ont eu l’occasion de les utiliser.

Ce sont autant de personnes qui sont laissées sur le bas côté de la route, car n’ayant ni la chance, ni les moyens de monter à bord de ce car flambant neuf battant pavillon NTIC. C’est ainsi qu’est née la fracture numérique, qui est, en fait, une fracture sociale.

A part quelques pays comme l’Afrique du Sud, la Tunisie, l’Egypte et le Nigeria, qui ont réussi une certaine percée dans ce domaine à cause du nombre important de leurs internautes et de la modernisation de leur infrastructures des NTIC, l’essentiel des pays africains sont encore loin de la route.

Un retard qui influe négativement sur les efforts de développement de nos Etats, qui n’arrivent pas à tirer tous les bénéfices de ces outils.

C’est en raison de ce constat, qu’au sommet de Genève en 2003, on avait mis en place un fonds de solidarité numérique dans le but d’aider les pauvres à combler leur retard.

Malheureusement, ce fonds n’a pas pu réunir des moyens suffisants, car la souscription est volontaire. A Tunis, on constatera une fois encore la large et profonde béance de la fracture numérique entre le Sud et le Nord.

Il ne saurait en être autrement, tant que nos Etats n’en feront pas une préoccupation de premier ordre en installant une réelle et moderne infrastructure des NTIC, en détaxant les ordinateurs et en baissant sérieusement le coût de la communication téléphonique.

Si des efforts sont faits dans ce sens, c’est clair que la communauté internationale pourra mieux jouer sa partition en apportant le soutien approprié.

Quant au deuxième point de ce sommet, on est tenté de dire qu’il n’intéresse pas l’Afrique à première vue : les productions africaines en ligne ne constituent qu’une tache à peine perceptible sur la toile mondiale.

On connaît les grands pays qui produisent l’essentiel du contenu du web : les Etats-Unis et l’Europe, les pays d’Asie comme la Chine et le Japon. La bataille pour le contrôle d’Internet est d’abord un combat de titans, un combat entre éléphants où la fourmi Afrique n’y a aucunement de place.

A ce jour, le réseau des réseaux, Internet, est géré par une société de droit américain basée à Los Angeles (en Californie) ; il s’agit de l’Internet corporation for assigned names and numbers (ICANN).

C’est cette structure qui est chargée d’allouer l’espace des adresses de Protocole internet (IP), d’attribuer les identificateurs de protocole, de gérer le système de nom de domaine pour les codes génériques et nationaux et d’assurer les systèmes de gestion des serveurs racines.

L’ICANN est donc « le grand aiguilleur du réseau mondial » placé sous le contrôle du gouvernement américain à travers le département du Commerce. Mieux, c’est aux States que sont basés 10 des 13 puissants ordinateurs, les « serveurs racines », qui constituent la clé de voûte d’Internet dans le monde. Sans ces machines, le système s’effondre.

Il faut savoir aussi que le saint des saints, l’ordinateur-mère, qu’on appelle la « racine ultime » et qui sert de référence au 12 autres « serveurs racines », se trouve dans le pays de George Bush.

Avec cette position, l’Oncle Sam a le pouvoir de limiter l’accès à tout site du réseau dans quelque pays que ce soit et peut aussi bloquer tous les envois de courriers électroniques sur la planète ou encore empêcher qu’un ordinateur donné soit connecté au net.

Si jusqu’à présent les Américains n’ont pas exercé cette censure, il ne faut pas pour autant perdre de vue qu’ils ont la possibilité de le faire. En un clic, on débarque du réseau votre site internet.

C’est cette hégémonie des Yankees que les pays européens et d’autres tels le Brésil, l’Inde, l’Iran, la Chine veulent contester en proposant de mettre l’ICANN sous la coupe d’une institution internationale dans laquelle tous les pays auront leur mot à dire.

Une proposition balayée du revers de la main par la semaine dernière, para Washington qui appelle l’Union européenne à « reconsidérer sa position sur la gouvernance de l’internet », car « la structure de gouvernance et la stabilité continue de l’internet sont d’une importance capitale pour les Etats-Unis ».

De plus, pour l’Amérique, il ne faut pas que des pays peu portés sur la liberté d’expression aient un droit de regard sur le net, et toute réforme de l’ICANN ne ferait que retarder les innovations sur la toile.

Pour le vice-secrétaire américain au Commerce, si on réformait l’ICANN, ce serait comme si on voulait avoir plus de cent conducteurs pour un seul bus. Pour lui, « à l’heure actuelle, nous avons un seul conducteur (Ndlr : les Etats-Unis) et jusqu’ici, il a fait un bon boulot ». C’est dire en un mot comme en dix, que les négociations sont mort-nées.

Peut-être que le choix du pays qui abrite ce sommet y est pour quelque chose. S’il est vrai que la Tunisie n’a rien à envier à nombre de pays du Nord dans le domaine des NTIC, il n’en est pas de même dans le domaine de la liberté d’expression et des droits de l’homme du pays de Ben Ali.

Et les journalistes de certains médias européens (France et Belgique) comme Libération, RTBF et TV5 sont bien payés pour le savoir, eux qui, à l’avant-veille du sommet, ont été molestés pour avoir osé travailler librement sur un sujet tabou en Tunisie : la question des droits de l’homme.

En tout cas, en tenant à Tunis ce sommet, c’est comme si la communauté internationale venait donner un blanc-seing au pays de Ben Ali. Il faut parier qu’il saura saisir l’occasion pour se faire une virginité et redorer son blason, à la face du monde en matière de droits humains où il a encore beaucoup de gages à donner. En témoignent tous ces prisonniers d’opinion qui croupissent toujours dans ses geôles.

Finalement, l’Afrique risque d’être la grande perdante de ce sommet qui se tient sur son sol, car les grands, occupés à voir comment ils vont s’entre « tacler », ne vont pas se pencher sérieusement sur le problème du tiers-monde.

Conséquence, ce n’est pas sûr qu’à Tunis on trouve le bon plâtre pour réduire la fracture numérique, dont souffre un continent comme l’Afrique. Et pourtant, que d’espoirs fondés depuis, sur les lendemains de cette grande rencontre !

San Evariste Barro

Observateur Paalga

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