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Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

Publié le jeudi 11 novembre 2021 à 18h00min

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Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

Cette tribune de Joseph M. Somda est une invite à réfléchir sur une redéfinition éventuelle de ce que nous avons l’habitude de considérer comme fonctions régaliennes de l’Etat, afin de réorienter les ressources limitées de l’Etat vers les secteurs immédiatement contributifs à la guerre.

Depuis près d’une décennie, et de façon accélérée ces dernières années, nous assistons à une dégénérescence de l’Etat, voire une disparition dans certaines zones, provoquée par des attaques répétées d’hommes armés non identifiés. Cette déliquescence rapide trouve sans doute ses raisons d’une part, dans la faiblesse de nos Etats avant même les attaques terroristes, et d’autre part les contraintes qu’imposent ces attaques récurrentes sur un système peu enclin aux changements rapides pour s’adapter à la nouvelle donne.

Notre propos se veut humblement une contribution, aussi insignifiante soit-elle, à l’effort collectif de guerre. Il invite à réfléchir sur une redéfinition éventuelle de ce que nous avons l’habitude de considérer comme fonctions régaliennes de l’Etat, afin, et comme cela nous semble impérieux, de réorienter les ressources limitées de l’Etat vers les secteurs immédiatement contributifs à la guerre. Pour ce faire, nous proposons donc, dans un premier temps, d’examiner la notion de fonctions régaliennes de l’Etat pour en dégager le contenu et les conditions de mise en œuvre de ce rôle régalien. Dans une deuxième partie, nous proposerons les possibles restrictions de ces rôles que nous pensons indispensables dans le contexte actuel de guerre imposée par les terroristes, avec comme cible majeur, la reconquête de l’intégrité de notre territoire et notre liberté.

Le mot régalien (du latin regalis, royal), renvoie à tout ce qui se rapporte à la souveraineté d’un chef d’Etat, qui est du ressort exclusif de l’exercice de la puissance gouvernante (président, roi ou empereur). Ce mot est souvent utilisé dans les expressions « fonctions régaliennes », « droits régaliens », « pouvoirs régaliens », aux significations très proches qui peuvent rapidement se résumer aux pouvoirs, droits et fonctions appartenant exclusivement au roi, au souverain ou à l’Etat et qui ne peuvent faire l’objet de délégation.

Ainsi définies, plusieurs conceptions des fonctions régaliennes peuvent être envisagées, en rapport avec des chapelles idéologiques ou encore avec des réalités historiques ou économiques.

Ainsi, la liste des droits régaliens peut varier selon les systèmes ou courants de pensées politiques, allant des « universalismes » aux « contingences » de l’Etat, on peut citer :

• Faire les lois,
• Emettre de la monnaie,
• Lever les impôts,
• Lever une armée, faire la guerre, signer la paix,
• Assurer la douane,
• Assurer la sécurité intérieure,
• Rendre la justice,
• Accorder des grâces,
• Réaliser des infrastructures publiques,
• Etc.

La seule considération d’une telle liste impose déjà forcément à l’esprit la relativité du contenu des fonctions régaliennes de l’Etat. Par exemple, en France, les ministères régaliens sont la Défense, les Affaires étrangères, la justice, les Finances et l’Intérieur. Aux Etats Unis, les fonctions régaliennes sont encore plus restrictives, essentiellement constituées par la Défense et les Affaires Etrangères, et depuis le 11 septembre 2001, par le tout sécuritaire.

Ce que nous retenons de constant dans les fonctions régaliennes de l’Etat, quelques soient les idéologies et la pratique, ce sont les secteurs de la Justice, de l’Intérieur, des affaires Etrangères, de la Défense et de la monnaie. Pour les autres secteurs, par exemple les Infrastructures, l’Education, les soins pour tous, l’accès à l’eau et à l’énergie, ils ne seraient régaliens pour certains que lorsqu’un entrepreneur privé ne peut les financer lui-même rentablement. Certains pays ont trouvé une forme de délégation de la fonction régalienne d’émission de la monnaie sans pour autant renoncer à leur souvérainété monétaire.

Au Burkina Faso, comme dans plusieurs pays africains, à l’observation, c’est le presque tout régalien qui est la pratique générale, bien-sur avec toutes les insuffisances qu’on connait : la Défense, la justice, les Affaires étrangères, l’Intérieur, les Infrastructures, l’Education, la Santé, mais paradoxalement pas la monnaie (allons savoir !). Cette situation tient bien sur à la faiblesse des acteurs non étatiques et à l’urgence des priorités dans tous les domaines.

Bref, sans verser dans le vieux débat sur les « universalismes » et les « contingences » de l’Etat, car notre objectif étant tout pratique, il y a lieu de se poser la question de savoir si le Burkina Faso, peut et doit abandonner certains secteurs antérieurement considérés comme prioritaires pour ne se consacrer qu’aux secteurs liés à la guerre ? C’est la proposition que nous osons faire dans la deuxième partie de notre réflexion.

Notre proposition part d’un postulat et de deux constats :

• Pour postulat : les fonctions régaliennes de l’Etat doivent être assurées de façon équitable pour tous les citoyens ou ne pas alors cesser d’en être ;

• Pour les constats :

• le premier est constitué par l’observation de la privation des services de télécommunications : il y a une trentaine d’années, les services de télécommunications étaient encore étatiques et rares ; au début de la privatisation, il était difficile d’imaginer que ces services dont le coût était prohibitif seraient rapidement vulgarisés au point d’en trouver dans tous les hameaux de culture et possédés par toutes les couches sociales alors que l’Etat était incapable d’en disposer seulement dans ses propres services.

• Le deuxième constat est qu’aujourd’hui, l’Etat est incapable d’apporter les services sociaux : santé, éducation, accès à l’eau potable et autres besoins de base à tous les Burkinabè, et surtout dans les zones sous occupations terroristes.
Notre proposition est que les services qui ne peuvent profiter à tous les Burkinabè de tout le territoire doivent cesser d’être fournis sur une partie du territoire par l’Etat, et cela non pas par gaité de cœur, mais par souci d’équité d’une part, et d’autre part pour ainsi mobiliser toutes les ressources pour assurer la seule fonction qui profite à tous les Burkinabè : l’intégrité du territoire et la paix.

Equité, parce que les populations des territoires non occupés peuvent encore vaquer à leurs occupations, donc s’occuper de leur santé et leur éducation par le biais du privé ou des initiatives communautaires alors que les habitants des zones occupées ne le peuvent plus. D’ailleurs, quels messages envoyons-nous à nos compatriotes quand nous inaugurons des centres de santé et des écoles auxquels eux n’ont plus accès ? Laissons pour le moment la construction des routes, des écoles, des hôpitaux, des universités pour nous consacrer à la guerre.

L’Etat peut renoncer à investir dans certains les secteurs sociaux sans altérer ses fondements pour peu qu’il reste équitable. On nous demandera, pendant combien de temps ? Nous répondrons alors : jusqu’à ce que nous soyons assurés que ces écoles, ces universités et ces hôpitaux ne seront pas transformés en temples de l’obscurantisme par les barbares, ce qui n’est plus une hypothèse impossible aujourd’hui. A la limite, les seuls investissements dans les secteurs non liés à la guerre, devraient l’être dans les territoires immédiatement libérés et ce de façon temporaire, le temps de permettre la prise en charge par le privé et les communautés.

Nous sommes convaincus que les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’eau potable, et autres non liés à la guerre, bien que différents des services de télécommunication, prendront le même envol dès lors que l’Etat s’en dégagera totalement. Les populations elles-mêmes, libérées de la menace terroriste par un Etat recentré sur la défense, peuvent assurer l’essor de ces secteurs. Par exemple, les hôpitaux, sous la gestion de l’Etat peinent à assurer leur rôle, tandis que des privés avec des moyens réduits sont enviés. A notre avis, l’Etat n’a plus rien à faire dans les services de santé de pointe et doit éviter de corrompre la concurrence en libéralisant totalement le secteur, sauf pour les hôpitaux des armées. Il en est de même des universités où les saupoudrages successifs apportés comme thérapies chaque année ne servent plus qu’à ralentir le développement de l’enseignement supérieur par le secteur privé.

Certains aussi nous diront que la marche du pays ne doit pas s’arrêter, car ce serait faire le jeu des terroristes : nous ne disons pas que l’activité économique du pays doit être arrêtée, mais que l’Etat s’occupe de faire la guerre, seule activité qui apporte un bien commun à tous les Burkinabé du nord au sud et d’est en ouest. De toutes les façons, tout sera arrêté si la guerre est perdue par nous, et ne nous méprenons point, les Cambodgiens et les Afghans, eux aussi ne s’attendaient pas à ce que les Khmers rouges et les Talibans transforment leurs universités et autres infrastructures en temples de l’obscurantisme.

En somme, pour nous, tout investissement non lié à la guerre cessant, de la part de l’Etat bien sur, celui-ci doit s’atteler rapidement à mobiliser les ressources en levant un impôt de guerre pour lever une armée à même de couvrir le territoire, acquérir l’équipement militaire, développer le renseignement, la maitrise de l’énergie de guerre, renforcer les relations avec les pays amis, administrer la justice, assurer la sécurité intérieure et ce jusqu’à la reconquête intégrale du territoire national. Dans ce cas l’Etat n’assurerait que temporairement les besoins sociaux de base dans les territoires nouvellement libérés, réduisant ainsi son rôle pour s’adapter à cette guerre qui semble de longue haleine.

Pour conclure, notre objectif n’est pas, loin s’en faut, de donner une solution (qu’individuellement personne n’a d’ailleurs), mais plutôt de provoquer la nécessaire réflexion chez ceux qui me liront, pour éventuellement guider l’action par ceux qui en ont la noble et lourde charge. Il va donc sans dire que nous serons réceptifs à tous les apports, même des plus vives critiques qu’humainement nous souhaitons courtoises.

SOMDA M. Joseph

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Vos commentaires

  • Le 11 novembre 2021 à 18:15, par Sidpawalemde Sebgo En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

    Ah... Le grand père, là là, tu as tapé dans poteau hein...

    Car tu as oublié que quand on ferme une école au sahel pour cause de djihadisme, on continue de payer les enseignants déplacés ailleurs.

    Donc, si on ferme TOUTES les écoles, lycées, universités et TOUS les centres de santé du pays, mais qu’on continue de payer les fonctionnaires, qu’est ce qu’on aura économisé au juste et qui pourrait être réorienté vers l’effort de guerre ?

    Tout au plus, on aura donné une (grande) victoire aux terroristes : ils auront réussi à priver la majorité des burkinabè, les plus pauvres, ceux qui ne peuvent pas aller au privé, des services de base. Et pour combien de temps ?

    Maintenant, s’il s’agit de nouvelles constructions, on peut éventuellement reporter. Encore faut-il que ce soit des investissements sur le budget national, sinon cela n’aurait encore aucun sens, puisque même si la Banque Mondiale ne nous construit pas les écoles, elle ne nous donnera pas cet argent pour acheter des armes !

    Maintenant, un scoop : C’est déjà fait ! Pour augmenter le budget de la défense, le gouvernement et l’assemblée ont coupé (beaucoup) dans la santé, l’éducation, etc...

    • Le 12 novembre 2021 à 08:51, par kwiliga En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

      Ne suffirait-il pas de suspendre, voire tout simplement d’annuler tous les séminaires, groupes de concertation, plateformes de formation,... et milliers de prétextes à perdiem particulièrement inutiles et budgétivores, qui nous donnent l’illusion d’avoir les fonctionnaires les mieux formés de la planète.
      Limiter les déplacements de ministres, députés, gouverneurs,... qui nous font inéluctablement sombrer dans la gabegie.
      Interdire tous les festivals, salons et autres foires, tant que le pays est en guerre et qu’on est en train de la perdre.

  • Le 11 novembre 2021 à 18:20, par Paligba En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

    Je reprend mon post du 21 aout 2019 car je pense qu’il est plus que d’actualite. Je pense qu’a un moment donne il faudra meme fermer toutes les radios privees et arreter les forums des internautes. Nous sommes en train de reflechir pour les terroristes qui se contentent desormais de faire des syntheses et de planifier leurs actions. Tous ces spécialistes en terrorisme et analystes politiques ne font que donner des pistes aux terroristes. Quand le nouveau ministre de la sécurité est arrivé, il a dit quelque chose sur la région des cascades, et j’espère qu’il a compris que la réaction de l’enemi a été immédiate.

    DECISIONS A PRENDRE URGEMMENT POUR SAUVER LE FASO

    1- Suspendre les partis politiques
    2- Suspendre les activites syndicales
    3- Suspendre les emissions interactives de toutes les radios et televisions
    4- Imposer la fermeture de tous les debits de boisson a partir de 18 heures
    5 - Suspendre toute mainiestation festive sur toute l’etendue du territoire (Mariage, funerailles, baptemes, etc).
    6- Nommer un nouveau premier ministre
    7- Former un nouveau gouvernement de 10 membres : a) Defense et Securite b) Sante c) Education Nationale et Recherche Scientique d) Developpement Rural e) Communications f) Relations exterieurs g) Economie et Developpement h) Affaires sociales et familiales i) Commerce, Industrie et artisanat j) Energie, mines et carrieres.
    8- Suspendre le proces du coup d’etat. On reglera les comptes entre nous lorsque nous aurons fini avec nos ennemis communs
    9- Liberer Gilbert Diendere et lui donner une derniere chance de se racheter et racheter les siens
    10- Faire revenir Fatou pour permettre a Gilbert de retrouver un certain equilibre lui permettant d’accomplir sa mission

    La patrie ou la mort, nous vaincrons !

    • Le 12 novembre 2021 à 10:53, par LE COUSIN DU VILAIN En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

      Bonjour voici quelqu’un au moins qui réfléchit bien et aime son pays. Cette guerre de l’assassinat ou coup d’état ne vont rien nous apporté à part une nouvelle politique comme vous l’aviez bien situé. Il va falloir que nous fassions revenir tous ces gens qui ont quitté le Faso pour des raisons politiques. Même ZIDA le grand traite doit revenir sans crainte et reprendre sa place dans l’armée avec ses grades de Lieutenant Colonel.

  • Le 12 novembre 2021 à 12:19, par skitter En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

    Moi je propose qu’on s’inspire de l’Ouest américain des années 1800.Tout hors la loi et autres bandits se voyaient la tête mise à prix.Nous devons imiter cela.La tête d’un terrotiste doit être mise à prix:et je propose la somme de 1 million avec retenu de 10% pour l’armée pour chaque terroriste abattu. Si un militaire ou un VDP tue un terroriste, on lui donne 1 million après avoir déduit les 10%.S’il tue deux, il a droit à ses deux millions payés cash !On peut faire appel à toute personne qui veut le "million contre la tête du terroriste" vient se signaler et va aussitôt en guerre.
    Ainsi pour 4000 terroristes tués, cela nous reviendra à 4 milliards de Francs.Je vous assure, que le terroiriste va finir dans notre pays.Il ya des milliers de jeunes qui prennent des risques dans les trous lugubres pour chercher de l’or en mettant en danger leur vie.Je crois que beaucoup vont prendre le risque de s’engager pour l’argent.Comme on le dit, l’argent est le nerf de la guerre !
    J’invite l’Etat à imposer une taxe de guerre sur les telecommunications, l’essence, la boisson et de prelever 10% des tous les salaires durant 6 mois pour tenter cette strategie à la western !

  • Le 13 novembre 2021 à 08:45, par Kidrh En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

    A primer tous ceux qui présenteront des têtes de terroristes on risque tous de perdre les nôtres à un tournant des routes qui nous mènent dans nos quartiers où villages

  • Le 14 novembre 2021 à 17:23, par KAM Sanwè2 En réponse à : Burkina Faso : Face à la guerre, le tout régalien de l’Etat est-il encore tenable ?

    L analyse n est pas sans intérêt.Seulement elle semble réduire la lutte contre le terrorisme à un défaut de moyens financiers.Si aujourd’hui nous peinons,est ce parce que les ressources manquent ? À mon avis non ! Le Burkina souffre de la démission des décideurs politiques et militaires. Pour ce qui est des politiques, c est la corruption,les détournements,le népotisme.les fonds alloués à l achat des armes sont purement et simplement détournés en témoignent les nombreux scandales dénoncés par la presse.Les militaires, notamment les colonels,les généraux qui refusent d aller aux fronts et jettent les jeunes sans expérience en pâture. La guerre ne se gagne pas par des soldats uniquement.les hauts gradés ont leur partition à jouer .Mais pour le monde ce sont des enfants de 20à 30 ans qui se font massacrer. Voilà aussi des pistes,car si l État même aban donné certaines de ses prérogatives et que les fonds sont détournés,les hauts gradés dans les bureaux ,je penses cette guerre ne sera pas gagnée.

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