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Laurent Gbagbo et le syndrome Mélenchon : Le « bonapartisme » plutôt que l’union !

Publié le mercredi 25 août 2021 à 17h17min

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Laurent Gbagbo et le syndrome Mélenchon : Le « bonapartisme » plutôt que l’union !

Ceux qui ont pensé que Laurent Gbagbo, après ce qu’il a vécu et à l’âge qui est le sien (il a eu 76 ans voici quelques mois), allait se consacrer à la rédaction de ses mémoires doivent être étonnés par sa décision de quitter le FPI et de fonder un nouveau parti. Dommage d’ailleurs : les zones d’ombre ne manquent pas dans son existence militante et politique.

Le Front populaire ivoirien (FPI) n’a jamais été la grande organisation politique, démocratique et socialiste, qui aurait engagé un rude combat contre la « dictature » de Félix Houphouët-Boigny ; et Gbagbo n’a pas été ce leader politique qui aura dû choisir l’exil en France pour sauver sa peau. De retour sur la scène politique, à défaut d’en écrire une nouvelle, Gbagbo décide donc de tourner la page du FPI. C’est qu’il veut un parti à sa dévotion. Le « bonapartisme », spécificité du populisme à la française, est bien dans l’air du temps… !

« Santia », puis « Djédjé Léon » (ce sont ses blazes quand il se revendiquait tout à la fois « marxiste » et « maoïste »), ayant cédé la place à Laurent Gbagbo celui-ci n’avait alors qu’une seule obsession : participer au pouvoir en Côte d’Ivoire !

« Exilé » en France depuis le début des années 1980, il reviendra à Abidjan le 13 septembre 1988 (la République de Côte d’Ivoire ne lui ayant offert, commentera-t-il, qu’un billet en classe économique). Les 19-20 novembre 1988 se tiendra le congrès constitutif du FPI (le parti vivait dans la « clandestinité » depuis 1982). Le 19 janvier 1989, il épousera Simone Ehivet. Le 30 avril 1990, le multipartisme était officiellement institué en Côte d’Ivoire. Gbagbo pourra être candidat à la présidentielle du 28 octobre 1990 face à Félix Houphouët-Boigny.

Dix ans plus tard, il accédera au pouvoir suprême et s’y maintiendra pendant dix autres années sans jamais avoir organisé une seule élection. Battu dans les urnes en 2010, il tentera de se maintenir au pouvoir par les armes. On connaît la suite : la capture, la CPI, le procès qui tourne court, la libération et l’assignation à résidence en Belgique ; le retour, enfin, en Côte d’Ivoire, les retrouvailles avec ses deux « bêtes noires » d’autrefois, Henri Konan Bédié d’abord, Alassane D. Ouattara ensuite.

Dans le même temps, il aura dégagé en touche Simone Gbagbo (au plan sentimental ; pas au plan politique) puis, désormais, le FPI où ses inconditionnels, appelés les GOR (« Gbagbo ou rien »), étaient confrontés à la légalité de la nouvelle équipe rassemblée autour de Pascal Affi N’Guessan, un des leaders historiques du parti. Le FPI vient d’ailleurs de constater officiellement que Gbagbo n’était plus un FPI bien qu’il se soit, récemment encore, affirmé président du parti. Rien d’étonnant à tout cela : Affi N’Guessan a été, au nom du FPI, le signataire des accords de Linas-Marcoussis (15-24 janvier 2003) dont la finalité était d’écarter Gbagbo du pouvoir (finalement, ce sera N’Guessan qui sera écarté du pouvoir !). Cela laisse des traces… !

Un Gbagbo accommodant. Rien d’un idéologue

La volonté de Laurent Gbagbo de créer un nouveau parti et son exclusion, subséquente, du FPI, ont le mérite de clarifier non pas le jeu politique ivoirien (le FPI n’est pas plus significatif, en tant que parti, dans ce jeu, que le RHDP, seuls leurs leaders comptent) mais l’ambition politique de Gbagbo. Il n’est pas revenu en Côte d’Ivoire pour jouir de son statut d’ancien président de la République. Il entend jouer pleinement le rôle qui a toujours été le sien depuis son « retour au pays natal » en 1988 : ni la « révolution » ni même le « socialisme » ; rien d’autre que « la démocratie pluraliste ». Autrement dit n’effaroucher personne à Abidjan, Paris et Washington ; être « bankable » politiquement, socialement et diplomatiquement.

Pour caractériser la situation de la Côte d’Ivoire à la fin de la décennie 1980, il évoquait « une crise économique, une crise morale, une crise de confiance du peuple de Côte d’Ivoire en lui-même et en ses dirigeants ». Il me l’avait dit en mai 1989, alors que nous prenions une bière (en compagnie de ma collaboratrice, Catherine Jacquin, qui avait initié le rendez-vous) dans une brasserie de la place de la Bastille à Paris. Gbagbo était alors une star politique en Afrique francophone ; un des rares opposants (qui, pourtant, ne manquaient pas) significatifs. Plus encore, l’énorme stature africaine et internationale de Félix Houphouët-Boigny faisait que sa seule ombre paraissait être un rai de lumière pour Gbagbo ! A l’époque, on l’avait affublé du sobriquet de « nivaquine » : « amer mais indispensable ».

Pour Houphouët, dans le contexte du début de la décennie 1990, Gbagbo était effectivement le joker idéal. Il avait une réputation d’opposant strict et crédible mais se montrait, à l’occasion, accommodant : rien d’un idéologue. La suite le démontrera sous Alassane D. Ouattara, inattendu Premier ministre ; sous Henri Konan Bédié, incertain président de la République ; sous Robert Gueï, général putschiste malgré lui. Ses dix années au pouvoir et son éviction catastrophique de celui-ci en 2011 confirmeront la façon d’être politique de Gbagbo. Une façon d’être que lui-même exprimait en quelques mots : « J’y suis, j’y reste ».

Le syndrome Mélenchon

Aujourd’hui, à Abidjan, tout le monde (enfin, le monde politique) feint de croire que Laurent Gbagbo a changé et, à l’instar de Alassane D. Ouattara, qu’il pense que « ce qui importe, c’est la Côte d’Ivoire, c’est la paix pour notre pays ». S’il y a du Ouattara chez Emmanuel Macron (prééminence de l’économique sur le politique ; défiance vis-à-vis des partis et des syndicats ; primauté de la société civile sur les corps constitués ; conviction qu’avoir raison vaut action, etc.), il y a du Jean-Luc Mélenchon chez Gbagbo : le pouvoir quel qu’en soit le prix, y compris celui qu’il faut payer cash au populisme et à la désunion.

Cette fascination du pouvoir ne vise pas que le pouvoir suprême ; en l’occurrence – en ce qui concerne la France comme la Côte d’Ivoire – la présidence de la République. Elle s’exerce à tous les échelons de la vie politique. On me rétorquera que c’est le cas pour tous ceux, hommes et femmes, qui s’engagent dans la vie politique. Ou dans le monde du business. Sauf que le « syndrome Mélenchon » a sa spécificité. C’est la conquête du pouvoir – à tous les échelons – par la voie de l’opposition plutôt que celle de la collaboration (même si cette collaboration débouche, à l’occasion, sur la réfutation : les meilleurs exemples français en sont les duos Giscard/Chirac, Chirac/Sarkozy, Hollande/Macron…).

C’est aussi que Gbagbo et Mélenchon ont été formatés par une idéologie totalitaire : le stalinisme-maoïste pour Gbagbo ; le léninisme-trotskyste pour Mélenchon (alias « Santerre » au sein de l’Organisation communiste internationaliste/OCI de Pierre Boussel dit « Lambert »). L’un et l’autre, rapidement, prendront conscience que la révolution n’est pas aussi imminente qu’ils le proclamaient jusqu’alors. Et que ce n’était pas la porte d’entrée du pouvoir.

Gbagbo, autrefois adepte du stalinisme maoïste, se fera désormais le chantre du multipartisme.

Mélenchon se dira adepte de « l’entrisme » et rejoindra le PS avant d’entrer dans le gouvernement de Lionel Jospin (lui aussi un ex-OCI). A l’intérieur du PS, il va s’adonner avec délectation au jeu des « tendances », passant de l’une à l’autre, en créant de nouvelles, nouant des alliances éphémères, revendiquant être un électron libre, un jour fervent partisan de l’accord de Maastricht et de la monnaie unique puis, subitement, farouche opposant. En 2008, il quittera le PS, se rapprochera du PCF, fondera le Parti de gauche (dont il sera le candidat à la présidentielle de 2007 obtenant le soutien officiel du PCF) puis La France insoumise (LFI), prônera la « révolution citoyenne » dès lors que le populisme centriste de Macron et le populisme nationaliste de Marine Le Pen auront fait la démonstration qu’ils occupent ainsi, a eux deux, la quasi-totalité du terrain politique en France, reléguant Mélenchon en quatrième position lors de la présidentielle de 2017 derrière François Fillon, le candidat de la droite traditionnelle, mais devant Benoît Hamon, le candidat du PS. Quant au PCF il n’avait pas présenté de candidat ni même, cette fois, soutenu la candidature de Mélenchon. Qui, avec moins de 20 % des suffrages exprimés, faisait un score inférieur à celui de… l’abstention (plus de 22 des électeurs inscrits !).

La « révolution citoyenne », dont Mélenchon se fera désormais le chantre, aura beau surfer sur le mouvement des « gilets jaunes » puis la mobilisation des « anti-pass sanitaire », elle ne débouchera que sur l’implosion définitive de la gauche française. Le PCF est fantomatique ; le PS est problématique ; les écologistes composent autant de partis qu’il y a de leaders (pas moins de cinq candidats potentiels à la présidentielle 2022 !). Il ne faut pas s’en étonner.

Mélenchon n’a jamais été, depuis qu’il milite, que l’homme de la désunion. C’est dans sa nature politique. Et dans les gènes du trotskysme français. Aujourd’hui, il n’est pas parvenu (il n’en n’avait pas l’ambition d’ailleurs) à imposer LFI comme un parti de gouvernement ; mais son discours politique et son action personnelle (parce que l’air du temps était favorable à cela) ont dynamité le PS et le PCF mais aussi tout mouvement qui tendrait à une « union de la gauche ». Et ne parlons pas de « programme commun » ! LFI ne se porte pas mieux que le PS et le PCF. La façon d’être de Mélenchon l’a marginalisé dans les sondages qui lui accordent, actuellement, entre 7 et 10 % des voix et jamais mieux qu’une quatrième place. Et face à Marine Le Pen, à l’occasion d’un hypothétique second tour, il ne ferait que 40 % !

Des leaders sans partis ! Et la démocratie dans tout cela ?

« La République, c’est moi ! » de Jean-Luc Mélenchon vaut bien le « J’y suis, j’y reste » que l’on a prêté à Laurent Gbagbo. Une même vision personnelle du pouvoir. Ce n’est pas nouveau, certes ; en France, comme ailleurs dans le monde et en Afrique bien sûr. Cette vision est même « agrémentée » aujourd’hui d’un volet « autoritaire ». Le journaliste et géopoliticien Robert D. Kaplan l’écrivait déjà en 2012 : « Le totalitarisme peut, dans certaines circonstances, être préférable à une situation où personne ne gouverne ». Charles De Gaulle l’avait laissé entendre en 1965, à la veille de la première élection du président de la République française au suffrage universel : « Moi ou le chaos ». Des militaires français, dont des officiers supérieurs, l’ont redit le 11 mai 2021 dans l’hebdomadaire de l’ultra-droite Valeurs actuelles : « déchéance », « chaos », « violence », « Etat failli », « tyrannie brutale », etc. Le message était sans ambiguïté : « L’armée [française] maintiendra l’ordre sur son propre sol ».

Faut-il se résoudre à la fin des partis, tels qu’on les a connus jusqu’à présent, et, du même coup, du parlementarisme (composante essentielle de la démocratie moderne), sous la pression de leaders qui confondent la partie (eux et rien qu’eux) et le tout (le parti, ses structures, ses représentants élus, ses militants) ? La droite, trop souvent, n’y rechigne pas ; la gauche non plus, à l’occasion. Faut-il se contenter, pour faire face aux problèmes du monde, de personnalités politiques (ou qui, parfois même, se veulent « apolitiques » !) qui s’érigent d’eux-mêmes en chefs ?

Ce n’est pas ce que l’on peut attendre des démocrates ; plus encore des démocrates se réclamant d’une gauche responsable. Et, surtout pas, d’un leader politique qui revendique, à l’instar de Laurent Gbagbo, l’exil politique, le combat pour le multipartisme, un leadership en matière d’opposition, une présidence mise à mal par des régimes post-coloniaux et impérialistes, une élection présidentielle volée, une capture inhumaine par une armée étrangère, un emprisonnement injuste, etc. Qu’on le veuille ou non, que l’on juge cela abusif ou sous-estimé, Gbagbo est une figure incontournable de la vie politique ivoirienne depuis plus de quarante ans. Mais il n’est plus en âge d’être un « va-t-en guerre » politique qui, d’un coup, d’un seul, pour sa satisfaction personnelle faite d’ego et d’orgueil, tire un trait sur le passé d’un parti qui a rassemblé des millions d’électeurs ivoiriens et qui a été une espérance pour la majorité d’entre eux.

Il est le mieux placé pour tirer les leçons de ce qu’a été le FPI, de ce qu’il a fait, de ce qu’il a défait, de ce qu’il a réussi, de ce qu’il a raté. Au-delà des états d’âme des uns et des autres. Le FPI a-t-il failli ? Fallait-il boycotter la présidentielle de 1995 ? Fallait-il jouer le jeu de l’exclusion des autres en 2000 ? Fallait-il se prendre au jeu du pouvoir en 2002 ? Fallait-il refuser de participer à Marcoussis en 2003 ? Ce sont là quelques questions qui se posent. Et auxquelles il faudrait des réponses qui ne soient pas qu’opportunistes.

Gbagbo peut rester dans l’histoire de l’Afrique francophone comme une personnalité politique majeure. Il peut aussi n’être que celui qui, par passion du pouvoir, n’aura été qu’un acteur d’une « guerre des chefs » qu’il n’aura cessé d’instrumentaliser. Pour, finalement, la perdre.

aIl ne faut pas s’y tromper, Gbagbo, en annonçant la création d’un nouveau parti, entend surtout ne pas avoir à dresser l’inventaire des années 1990-2010 et a assumer, du même coup, le bilan de son action. Mais peut-on vouloir la « réconciliation » avec ses « ennemis » d’hier tout en organisant la désunion au sein de son propre camp ? Ce serait vouloir le « bonapartisme » plutôt que l’union pourtant essentielle pour le devenir de la Côte d’Ivoire et des pays de l’Afrique de l’Ouest.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
22 août 2021

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Vos commentaires

  • Le 26 août 2021 à 13:53, par JB himself En réponse à : Laurent Gbagbo et le syndrome Mélenchon : Le « bonapartisme » plutôt que l’union !

    Avant même le lancement de son nouveau parti politique GBAGBO continue de vous faire peur et vous tentez le coup du Média mensonges, vous voulez forger nos opinions pourquoi ? Nous sommes assez mûres en Afrique pour décider. Mariage forcé France Afrique qui n’avantage que la France va à sa fin. Et vous autres d’ailleurs

  • Le 7 octobre 2021 à 14:12, par africadiwe En réponse à : Laurent Gbagbo et le syndrome Mélenchon : Le « bonapartisme » plutôt que l’union !

    Analyse qui me semble assez juste : nos deux "chefs" (ou qui se
    posent en chefs ) sont de vieilles figures prétentieuses qui aspirent d’abord au POUVOIR, et n’ont en réalité que faire du peuple. Tous les deux sont à mettre à la retraite, en espérant que se feront entendre de jeunes voix plus crédibles et plus à l’écoute des petites gens. Afrique ou Europe, c’est toujours la même chanson : ne laissons pas le pouvoir aux "grandes gueules" , ne laissons pas les politicards de service nous abuser !

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