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Equation à cinq « inconnus » pour Eric Tiaré, secrétaire exécutif du G5 Sahel

Publié le jeudi 29 juillet 2021 à 17h08min

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Equation à cinq « inconnus » pour Eric Tiaré, secrétaire exécutif du G5 Sahel

Il n’est pas un jour sans que soit évoqué le G5 Sahel. Mais ce qui ne semble être, à première vue, qu’un club de chefs d’Etat sahéliens – de la Mauritanie au Tchad en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger – demeure une institution aussi « grise » que la Bande sahélo-saharienne (BSS). Et un septennat après sa création, beaucoup se posent la question de l’opérationnalité de cette institution.

Jouer collectif sans appartenir à la même équipe

C’est le 19 décembre 2014 – voilà près de sept ans – qu’a été signée à Nouakchott la Convention portant création du G5 Sahel. Les signataires en ont été Michel Kafando, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), Mohamed Ould Abdel Aziz, Issoufou Mahamadou et Idriss Déby Itno. Aujourd’hui, l’un deux est mort ; les quatre autres ont quitté le pouvoir.

Le G5 Sahel, dont la finalité, pour faire simple, est la sécurité et le développement de la BSS, a pour organe de décision la Conférence des chef d’Etat assistée du Conseil des ministres (qui réunit les « ministres en charge du développement ») ; l’organe de coordination est le Secrétariat exécutif dont le titulaire est nommé pour quatre ans (son mandat était, jusqu’à cette année, renouvelable une fois ; ce n’est plus le cas). Il existe encore un Comité de défense et de sécurité composé des chefs d’état-major et des Comités nationaux de coordination des actions du G5 Sahel composés « d’experts ».

La Conférence des chefs d’Etat est à géométrie variable. Au-delà des chefs d’Etat des cinq pays membres, il arrive que des chefs d’Etat et de gouvernement soient « invités ». Pas seulement des « régionaux » ou des « continentaux » à l’instar de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Maroc, du Sénégal, du Soudan… Mais aussi des pays non africains (Emirats arabes unis, Espagne, France…) et des institutions et organisations régionales et internationales.

Or, jouer collectif, en matière de sécurité et de développement, ce n’est pas vraiment dans l’habitude de la région. C’est que le Mali n’est pas le Tchad, la Mauritanie n’est pas le Burkina Faso et le Niger n’est pas le Mali. Le plus grand dénominateur commun entre les cinq pays, c’est le sous-développement + l’insécurité. Et même cette équation doit être nuancée : la Mauritanie est moins impactée par le terrorisme (depuis quelques années en tout cas) que le Niger et le Burkina Faso ; l’insécurité qui règne au Tchad est largement imputable (depuis toujours) à l’opposition politique armée ; quant à l’insécurité au Nord du Mali, elle n’a jamais été une réelle préoccupation pour Bamako qui ne prête guère attention à ce qui se passe au-delà du 15è parallèle.

Le secrétariat exécutif est d’abord un secrétariat permanent

Difficile donc, dans la BSS, de présenter un front unique. C’est pourtant le job du secrétariat exécutif, la seule structure permanente puisque son titulaire est nommé pour quatre ans. Le G5 Sahel définit cette structure comme un « important cadre de coopération et de coordination entre les cinq pays ». Et, le 15 février 2021, à Ndjamena, lors de la 7è session de la Conférence des chefs d’Etat, ceux-ci ont « réaffirmé leur volonté de [le] consolider ». Il s’agit, disaient-ils alors, « d’accélérer la finalisation du processus de réforme entamé pour doter l’organisation d’une structure institutionnelle efficace pour la mise en œuvre de sa stratégie ». Sauf que c’est le Conseil des ministres du G5 Sahel qui définit l’organisation et le fonctionnement du secrétariat exécutif. Et que, il y a à peine plus de cinq mois, à l’occasion de cette 7è session, si Mohamed Ould Cheikh el-Ghazouani présidait la Mauritanie et Roch Marc Christian Kaboré le Burkina Faso, c’est Bah N’Daw qui présidait la transition au Mali, Issoufou Mahamadou qui présidait le Niger et Idriss Déby Itno qui présidait le Tchad.

N’Daw, installé à la suite d’un coup d’Etat militaire a été renversé par la réplique de ce même coup d’Etat et a été placé en résidence surveillée ; Mahamadou a cédé démocratiquement la présidence à Mohamed Bazoum (dont les relations avec l’actuel leader malien sont exécrables) ; Déby est mort et son fils s’est emparé du pouvoir. Dans ces conditions, difficile d’assurer la cohérence des décisions et la continuité dans l’action. Surtout pas pour un secrétariat exécutif qui est pourtant un secrétariat permanent ; chacun sait qu’en Afrique, hors du chef d’Etat il n’y a pas de salut.

Sidikou, opérationnel deux ans et demi seulement !

Le premier secrétaire exécutif du G5 Sahel a été un diplomate nigérien : Maman Sambo Sidikou. Ancien ministre des Affaires étrangères (1er décembre 1997-9 avril 1999) du président Ibrahim Baré Maïnassara. Celui-ci avait accédé au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat militaire, Sidikou avait accepté le poste de directeur de cabinet du commandant Daouda Malam Wanké, qui venait de prendre le pouvoir. Ce qui n’avait pas manqué d’être mal perçu par la classe politique nigérienne, pourtant peu encline aux états d’âme. Par la suite, Sidikou fera carrière au sein de l’Unicef, de la Banque mondiale, de l’Onu, de l’UA et sera ambassadeur à Washington (2011) sous la présidence de Issoufou Mahamadou. Il aura aussi dirigé la mission de l’UA en Somalie (2014) puis la mission de l’Onu en RDC (2015). C’est en 2018 qu’il avait été nommé secrétaire exécutif du G5 Sahel, poste qu’il quittera après seulement trois ans et demi de mandat (mais, en fait, il n’aura été opérationnel que deux ans et demi !). Il a été nommé depuis représentant de l’UA pour le Mali et le Sahel (mardi 18 mai 2021).

Sidikou n’est pas un homme incompétent. Ni démuni d’expérience. Mais il n’avait sans doute pas l’envie de cohabiter, sur le dossier du G5 Sahel, avec le président Bazoum, élu en 2021, lui aussi diplomate, lui aussi ancien ministre des Affaires étrangères (21 avril 2011-25 février 2015 mais aussi 1995-1996) mais pas seulement.

Au secrétariat exécutif du G5 Sahel, il faut non seulement un homme de réflexion mais également un homme d’action. Il faut aussi un homme qui soit dans une relation forte avec son propre président ; et que le président soit déterminé à soutenir l’action du secrétaire exécutif. Sidikou n’était plus l’homme de la situation ; si tant est qu’il l’ait jamais été !

Tiaré, réflexion et action

Le vendredi 9 juillet 2021, c’est le diplomate burkinabè Eric Tiaré qui a pris la suite de Maman Sambo Sidikou. Dans un contexte particulièrement délicat : le Burkina Faso est régulièrement frappé par les groupuscules « terroristes » (Solhan est l’attaque la plus récente et la plus meurtrière : 132 morts officiellement !) ; la France restructure l’opération « Barkhane » et retire une partie de ses troupes du Nord du Mali ; l’UE change de représentant spécial pour le Sahel (l’italienne Emanuela Del Re remplace l’espagnol Angel Losada) ; la Côte d’Ivoire tend à devenir un objectif pour les « terroristes »… Et par-dessus tout cela, la pandémie ne facilite par les contacts et les échanges.

Tiaré est un juriste, diplômé de l’Ecole supérieure de droit de Ouagadougou et de l’ENAM (section diplomatie) dont il est sorti en 1985. Il ne manque pas d’expérience. Il a été en poste à Ottawa (1995-2000), en stage à Paris au Quai d’Orsay où il a appris un nouveau job, celui de communicant et de porte-parole (Youssouf Ouédraogo était alors le patron de la diplomatie burkinabè et entendait avoir un porte-parole à l’instar de ce qui se faisait en France). Mais Ouaga n’était pas alors le hub diplomatique qu’il a été par la suite, à compter des années 2000.

Lors de la crise ivoiro-ivoirienne, Tiaré va se retrouver ministre-conseiller en Côte d’Ivoire. Il va y rester jusqu’en février 2007 (avant que ne soient signés les Accords de Ouagadougou) et y vivre des moments cruciaux, douloureux, dramatiques. Son séjour à Marcory n’est pas pour lui son meilleur souvenir ; mais il y a pris conscience de l’extrême volatilité des situations diplomatiques. C’est alors qu’il va être chargé, le 25 octobre 2006, en tant que ministre-conseiller, chargé d’affaires a.i., de l’ouverture de la représentation diplomatique du Burkina Faso en Afrique du Sud. Un poste où, dira-t-on à Ouaga, il s’est illustré tout particulièrement.

Il reviendra à Ouaga comme directeur général des affaires juridiques et consulaires avant d’être nommé ambassadeur, secrétaire général du MAE/CR le 4 juillet 2011. Il a pris en charge l’administration diplomatique burkinabè dans un contexte ouest-africain délicat au lendemain du « printemps arabe » dont nul ne savait encore sur quoi il allait déboucher (mais dont on savait qu’il favorisait la diffusion massive et incontrôlée d’armes auprès de civils et de groupes terroristes partout dans la BSS). A Abidjan, la situation s’était normalisée ; mais n’était pas pour autant stabilisée et Tiaré, qui connait parfaitement les rapports de force sur le terrain ivoirien, politiques et militaires, restait préoccupé par l’évolution du grand voisin. Et voilà que (sans compter les deux Guinée, toujours à la limite de l’implosion, et le Nord du Nigeria), le Sénégal entrait dans la danse aussitôt rejoint, bien plus dramatiquement, par le Mali, alors que Djibrill Y. Bassolé, ministre des Affaires étrangères, était encore mobilisé sur le dossier du Darfour.

Tiaré était d’autant plus préoccupé par la situation de l’Afrique de l’Ouest qu’il avait été nommé président du conseil d’administration de l’Institut des hautes études internationales (INHEI) – un job pour le secrétaire général du MAE/CR – qui, après bien des vicissitudes, ambitionnait de devenir un pôle d’excellence qui permettrait, enfin, de capitaliser les expériences du Burkina Faso en matière de relations internationales.

Tiaré au G5 Sahel jusqu’à la fin du mandat Kaboré

« Capitaliser », c’était le mot-clé de Tiaré lorsqu’il m’avait reçu à Ouaga au début de l’année 2012 au moment de la tenue de la XIIè Conférence des ambassadeurs (20-22 février 2012). Mais le temps va lui manquer. A Paris, l’ambassadeur Joseph Paré, moins d’un an après avoir présenté ses lettres de créance au président Nicolas Sarkozy (c’était le jeudi 22 décembre 2011), se trouvera mis en cause par l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat (ASCE) pour sa gestion lorsqu’il était ministre des Enseignements secondaire et supérieur. Une affaire de dépenses non justifiées, rien de plus (semble-t-il !). Mais Paré demandera a être déchargé de son poste d’ambassadeur pour se consacrer à sa défense. Après de multiples tergiversations et un imbroglio politico-administratif, Paré rentrera à Ouaga et c’est Tiaré qui prendra sa suite à Paris (il sera nommé en conseil des ministres le mercredi 8 mai 2013).

La chute du régime Compaoré en 2014 et la mise en place de la « Transition » le propulseront à New York comme représentant permanent du Burkina Faso auprès des Nations unies (il a présenté ses lettres de créance le 20 décembre 2015).

Après ce très long séjour new yorkais (cinq ans et demi !), Tiaré va donc retraverser l’océan Atlantique pour s’installer à Nouakchott et, depuis la capitale mauritanienne, arpenter de long en large la BSS. Il ne manque pas d’atouts et, surtout, d’expérience. Il a, aussi, la connaissance des situations de crise.
En un temps où la diplomatie burkinabè n’est plus ce qu’elle a été mais a gardé, pour l’instant, le souvenir de qu’elle fut, Tiaré a l’opportunité de replacer Ouaga sur le devant de la scène régionale.

Son mandat au secrétariat exécutif du G5 Sahel, si tout va bien, s’achèvera en 2025. Tout comme celui – présidentiel – de Roch Marc Christian Kaboré. Or, l’Histoire retiendra ce que chacun des chefs d’Etat de la BSS (sans oublier ceux de la sous-région) aura fait pour la paix et le développement. Jusqu’alors, il ne faut pas se voiler la face, l’état des lieux n’est pas en faveur des hommes au pouvoir ou qui l’ont été.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
29 juillet 2021

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