LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Distribution de la musique burkinabè : Seydou Richard Traoré, PDG de Seydoni production, prône la mise en place d’une plateforme de streaming

Publié le mercredi 21 juillet 2021 à 22h29min

PARTAGER :                          
Distribution de la musique burkinabè : Seydou Richard Traoré, PDG de Seydoni production, prône la mise en place d’une plateforme de streaming

L’industrie musicale burkinabè n’a plus de secret pour Seydou Richard Traoré. En 1999, il a créé la société de production « Seydoni ». Grâce à son génie, plusieurs artistes ont pu exprimer leur talent. Seulement, depuis un moment, la distribution de la musique rencontre d’énormes difficultés. Les nouvelles technologies sont passées par là. Des maisons de production ont disparu. Pour redonner à la musique ses lettres de noblesse, Seydou Richard Traoré suggère la mise en place d’une plateforme de streaming. Il nous l’a dit au cours d’une visite qu’il nous a rendue. Interview !

Lefaso.net : Qui est Seydou Richard Traoré ?

Seydou Richard Traoré : Je suis économiste gestionnaire. J’ai été également auteur-compositeur quand je faisais mes études de science économique à l’université de Ouagadougou. Je jouais à la Maison du peuple. J’ai produit des albums. Disons que c’est quand j’ai quitté l’université de Ouagadougou en 1979 pour le « master business administration » à l’université de Washington aux Etats-Unis que j’ai laissé la musique. Depuis 40 ans, je n’ai pas joué à la musique. On continue à m’appeler musicien alors que je suis plutôt économiste.

En 1982, quand je suis venu avec mon MBA, j’ai travaillé à l’USAID comme économiste et à la suite à la Banque mondiale à leur bureau de Ouagadougou. C’est en 1987 que j’ai quitté la Banque mondiale pour la Suède d’où vient ma femme. Là-bas, j’enseignais à l’université en marketing. J’ai créé ma société de trading et de commerce. Ce n’est qu’en 1999 que je suis revenu, si on peut le dire, à la musique en créant Seydoni production.

Un long parcours. En 1999, vous choisissez de créer Seydoni production, pourquoi une telle initiative ?

Disons que j’ai choisi de me lancer dans la production musicale parce qu’il n’y avait pas d’usine au Burkina où on faisait des cassettes et des CD. Du temps où je chantais, quand j’étais à l’université, c’était comme un hobby mais ça me permettait de payer les scolarités de mes frères et sœurs. En 1999, j’ai pensé à créer la société duplication de cassettes et de CD parce qu’on en n’avait pas au Burkina. Il y en avait en Côte d’Ivoire où nous faisions nos premiers singles.

A l’époque quand on disait le single 45 tours, c’était deux chansons. Le Mali avait déjà son usine de cassettes. Le Benin et le Togo aussi. Il n’y avait que le Burkina qui restait. Je me suis dit que pour qu’un artiste puisse s’appeler artiste, ce n’est pas une maquette qu’il présente aux gens qui peut faire qu’on l’appelle artiste. C’est comme l’écrivain. Tant qu’il n’a qu’un manuscrit, il n’est pas écrivain. Le jour qu’il présente quelque chose qu’il a relié, qu’il a un éditeur, on dit lui c’est un écrivain même si les gens ne vont pas lire. Cela a permis à 1 000 personnes de devenir artistes par la production donc de CD et de cassettes. Cela vaut la peine d’exister.

Une maison de production au Burkina Faso pour la première fois. C’est un peu osé. Comment les gens appréciaient votre initiative ?

Les gens étaient surpris par la qualité des clips qu’il y avait déjà. Ils étaient surpris par le nombre d’artistes qu’on avait déjà, qui avaient donc leur maquette à la maison, en attendant un producteur. On a produit à outrance, on a distribué ceux qui avaient des productions.

Quelles sont les grandes réussites que vous avez pu engranger ?

Il faut dire que Seydoni n’avait pas été faite comme une association. Seydoni a été créée comme une société anonyme au capital de 1 200 000 000 de FCFA. C’est quand même une affaire qu’on voulait faire. Cela a permis de révolutionner la musique, de mettre sur orbite beaucoup d’artistes et même de lancer des artistes comme Tiken Dja Fakoly et autres de l’extérieur au Burkina. Cela a permis de donner au Burkina la vison des artistes de l’extérieur, et donner à l’extérieur ce que le Burkina produisait . Moi, je ne me suis pas produit. C’est une chose bizarre mais ce n’est que partie remise.

Ce n’est que partie remise. D’ici là, Richard Traoré va encore se remettre à jouer ?

Ce n’est pas évident. Quand je dis ce n’est que chose remise, je veux dire qu’il y a des albums que j’avais créés qui ne sont même pas sortis. Il y a eu un best of, un 33-12. On chantait contre la corruption déjà à l’époque. Tout ce qu’il y a comme maux de la société.

Parmi les artistes burkinabè, quel artiste avez-vous pu bien produire et qui aujourd’hui est une fierté ?

Disons pratiquement tous les artistes qui sont passés directement ou indirectement par Seydoni. Je peux dire que Georges Ouédraogo était vraiment l’artiste phare. Il y a Solo dja Kabaco, Alif Naaba et beaucoup d’autres artistes. Maintenant, le producteur de Floby, le commandant Papus, était un agent de Seydoni. Après cinq ans de contrat, il a décidé de voler de ses propres ailes. Walib Bara était par exemple manager des Yeleen. Yeleen a été pratiquement distribué par Seydoni. On pourrait même dire édité. Pratiquement la plupart des artistes sont passés par Seydoni. Ce n’est pas de diminuer de dire qu’ils sont passés. Au contraire, il y a des gens qui disent à l’extérieur que si tu as été produit par Seydoni, c’est que tu étais bon. Pour nous, c’était une histoire de business, on n’était pas le ministère de la Culture.

Un business, est-ce que finalement cela vous a rapporté ?

On peut dire que Seydoni dans les premières années a rapporté. Mais on peut dire aussi que quand le crash du disque est venu et qu’on ne fait plus de CD de disque, on était dans une situation comme les autres maisons de disque dans le monde... Sony musique, Universal. Actuellement on est entrain de se réorienter dans le cinéma, pour faire beaucoup de films et continuer la production. Si on ne le fais pas, notre âme se meurt. On ne fera que interpréter les autres. Donc il faut que des sociétés de production soient encouragées à continuer à produire et même à perdre parfois.

C’est là où l’idée de subvention à la production est bien abordée par des pays comme la France et la Suède et même les Etats-Unis. C’est cette idée qu’on doit apporter dans nos pays comme le Burkina. C’est un peu ça parfois le malentendu. On dit mais si vous êtes un privé, vous n’avez pas à avoir des subventions. Mais ce sont des faux problèmes, parce qu’il y a des gens qui subventionnent le riz pour vendre au Burkina. Si nous on produit et ce n’est pas rentable ça devient un problème. Ça c’est un débat qu’il faut avoir avec les décideurs. La production qui est notre identité, notre fierté disparaît et on devient de plus en plus dépendants des autres. On ne connait pas notre propre culture. Ça devient un problème.

Vous parlez de vos difficultés. Que devient en fait Seydoni production aujourd’hui ?

Seydoni production existe, contrairement à ce que beaucoup de gens disent. J’ai appris que c’était fermé, c’est faux. Tout à l’heure même au festival de Zorgho Nabasga, c’est nous qui avons fait la sono et la lumière. On ne fait pas que des cassettes. On fait du cinéma. Ma fille avait fait le film « Ouaga girl en 2017 » en co-production. Donc Seydoni est coproducteur de film avec une maison suédoise. La maison continue mais pas au rythme que moi je souhaiterais. C’est pourquoi je vais associer d’autres personnes pour que ça ne soit pas toujours moi, tout en voyant mon côté. Dans ma vie, j’ai plutôt été économiste et homme d’affaires avec des activités au Ghana, en Côte d’Ivoire et en Suède. Dans tout ça, il faut une équipe. Au niveau de Seydoni qui revoit..., parce que les films Nollywood que vous voyez maintenant, nous en 2002, on avait tout le matériel numérique.

Qu’est-ce qui n’a pas marché à cette époque ?

Ce qui n’a pas marché, c’est qu’à l’époque, la is3, une caméra numérique, coûtait 25 millions de FCFA. On en avait trois. On voulait que les producteurs burkinabè viennent louer notre matériel pour faire donc des films comme Nollywood. Mais personne n’est venu. Maintenant, Seydoni va produire lui-même ses films. Elle continuera la production de ce qui peut vendre à l’extérieur. Vous voyez quand vous vendez une musique que vous avez produite au Burkina, dans du matériel haut de gamme comme à Seydoni, vous pouvez être sûr que cette musique pourra être jouée à l’extérieur en streaming. Il y a des gens qui paient. Cet argent revient au Burkina, au BBDA. Donc c’est un retour de devises. C’est comme exporter la musique.

Depuis 1999 que vous existez, est-ce qu’il y a un artiste burkinabè sur lequel vous avez fait un retour sur investissement ?

Le but de Seydoni, ce n’est pas de se substituer au ministère. Comme l’a dit un grand directeur de télé que je ne vais pas citer, Seydoni a subventionné la musique. On a produit des artistes qui étaient des pépinières, pour les faire connaitre. Donc il y a une question ambiguë parce qu’il y a le business et il y a le côté patriotique parce qu’on est en retard. Nous, quand on a fait nos premiers albums en Côte d’Ivoire dans le quartier Koumassi dans les année 75, il fallait être là-bas pour le faire. On est passé à la RTI, il y avait Boncana Maïga qu’on avait fait venir, pour faire l’orchestre de la télé. Au Burkina on n’a pas eu d’orchestre de télé.

Au début, ce n’était même pas pour faire un gros business d’un seul artiste. C’était pour lancer tout le monde. Maintenant, il est temps qu’on voit plus loin, c’est-à-dire lancer des artistes pas seulement vers le Burkina mais aussi vers l’extérieur. Ça prend des millions voire des milliards. Je ne citerais pas un homme du gouvernement qui disait à l’époque qu’il faut attendre qu’on mange d’abord. La musique on va voir ça après. Alors que ce n’est pas ça. La culture de l’honnêteté de la paix, de tout, ça se cultive dans les films, dans la musique et ça ne peut pas attendre. Sinon ce sont les valeurs des autres qu’on prend.

Vous avez investi beaucoup dans la musique burkinabè par patriotisme. Avez-vous l’impression qu’il y a eu un peu de l’ingratitude de la part du ministère de la Culture ?

Moi je ne vais pas accuser quelqu’un. Je m’en voudrais de ne pas dire ce que j’ai dit sinon c’est eux-mêmes qui vont accompagner la rumeur que Seydoni est fermée. Je crois qu’en parlant, il peut avoir des initiatives qui se mettent en route à côté ou bien du côté du secteur privé. Il y a des hommes d’affaires qui ont beaucoup d’argent, qui peuvent aussi financer. A Seydoni, ce n’est pas une aumône qu’on demande. Pour les hommes d’affaires, ça sera pour faire des affaires pour gagner mais ça va aider la cause nationale. Pour le gouvernement, c’est pour permettre aux jeunes pépinières d’être produites auprès des gens qui peuvent les faire sortir avec des produits de qualité pour leur donner un espoir d’avoir un staff et beaucoup d’emplois crées dans ce qu’ils font.

Beaucoup de maisons de production ont été créées et elles ont disparu plus tard. Qu’est-ce qui peut expliquer cela et qu’est-ce que vous souhaitez qu’on fasse pour vous ?

Ce n’est pas étonnant. Ce n’est pas seulement ici. Dans beaucoup de pays, que ce soit en Afrique ou en Europe, le disque est carrément parti et c’est surtout les téléchargements numériques. Il faut une plateforme. Au Burkina depuis trois ou quatre ans, il y a un dialogue avec le gouvernement mais il n’y a pas de plateforme. Une erreur qui allait être commise, c’était d’essayer d’avoir une plateforme du gouvernement pour vendre des œuvres des artistes. Ça ne se fait pas. Je pense qu’il faut oser soutenir un acteur du privé pour qu’il crée cette plateforme de streaming pour qu’on puisse vendre.

Sinon, nous on utilise une plateforme américaine actuellement pour vendre la musique mais on ne contrôle rien. On ne sait pas s’ils nous donnent des solutions. On fait de la diffusion digitale. Même avec nous, ce n’est pas une solution. Donc les producteurs ne peuvent pas s’en sortir. Les petits producteurs sont la plupart des artistes eux-mêmes. Ils sont obligés de s’autoproduire. Ils prennent 500 000 chez leurs tantes, leurs oncles, se débrouillent pour faire une œuvre. Ce qu’ils font rencontre une œuvre faite par un autre. Ce sont des concurrents. Ils rencontrent des producteurs qui mettent pas moins de 5 millions dans une œuvre comme Seydoni le fait.. ça devient difficile de percer pour ces artistes.

Comment vous voyez l’univers musical burkinabè ; est-elle dynamique, stagnante ?

Je crois que la musique burkinabè, il y a trois ou quatre vedettes qui sont entrain vraiment de travailler. Il y a une vingtaine d’artistes qui font de leur mieux. Et puis il y a un millier d’artistes qui attendent qu’on leur donne l’occasion d’exprimer leur talent.

Vos quatre vedettes ce sont…

Je ne vais pas faire de jaloux. Je pense qu’on les connait

En créant Seydoni, est-ce qu’aujourd’hui vous avez des regrets ?

Je n’ai pas l’habitude de regretter ce que j’ai fait. Quand je l’ai fait avec conscience que c’est une bonne chose. Imaginez seulement si Seydoni n’avait pas existé. Quelqu’un d’autre aurait peut-être fait une usine de disque plus tard mais il y a beaucoup d’artistes qui ne seraient pas connus.

Dimitri OUEDRAOGO
Augustin PARE (Photo et vidéos)
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Dédougou : Le festival des masques signe son retour
Burkina / Musique : Patrick Kabré chante Francis Cabrel