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Côte d’Ivoire : La mort de Charles Gomis, vétéran de la diplomatie ivoirienne. Mais aussi bien plus que cela !

Publié le lundi 19 juillet 2021 à 12h07min

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Côte d’Ivoire : La mort de Charles Gomis, vétéran de la diplomatie ivoirienne. Mais aussi bien plus que cela !

C’est à Paris – où il avait été, de 2012 à 2020, ambassadeur de la République de Côte d’Ivoire – qu’est mort, le vendredi 16 juillet 2021, Charles Gomis. Il était âgé de 80 ans. Le président Alassane D. Ouattara en avait fait, le mercredi 3 avril 2019, un des 33 sénateurs nommés par ses soins. Charles Gomis avait alors obtenu le poste de deuxième vice-président du Sénat.

Il était, avec élégance et discrétion – et beaucoup de sincérité dans le propos – une des grandes mémoires de la Côte d’Ivoire contemporaine. C’est dire qu’il était, au sein de la classe politique ivoirienne, un homme rare.

C’est le 5 février 1941, à Grand Bassam, sur la côte atlantique, qu’était né Charles Gomis. Dans une famille sénégalo-cap verdienne. Mais c’est en France, au sein de l’Institut Saint-Charles de Thouars, dans le département des Deux-Sèvres, établissement catholique d’enseignement (où il figure parmi les personnalités majeures ayant été formées par cet établissement) qu’il fera ses études.

Il n’avait pas encore vingt ans quand la République de Côte d’Ivoire a accédé à l’indépendance. Mais, dans les années qui suivirent, il se trouvait au bon moment au bon endroit. En l’occurrence aux Etats-Unis. Diplômé en sciences politiques et en relations internationales, il étudiait à « University of California, Los Angeles », la fameuse UCLA, avant d’obtenir un poste de stagiaire à l’ambassade de Côte d’Ivoire. L’ambassadeur à Washington, aîné de Charles Gomis de quelques années seulement, s’appelait alors Henri Konan Bédié. C’est aussi à Los Angeles que Gomis fera la connaissance de Jean-Pierre Ndiaye, le plus afro-américain des sénégalo-guinéens, figure majeure de l’intelligentsia franco-africaine. En 1963, Ndiaye allait rentrer à Paris où il envisageait de créer le Bureau d’études des réalités africaines (BERA) et Gomis était disposé à l’y rejoindre après ses études. Mais Konan Bédié allait être rappelé à Abidjan et Gomis restera dans son sillage. Il deviendra le chef de cabinet de celui qui sera nommé ministre délégué aux Affaires économiques et financières. Gomis obtiendra, dans le même temps, la présidence d’un certain nombre d’entreprises publiques (dont Sitram, Federmar…), investira dans le business (Ivoire Conseil) et présidera le conseil de surveillance de la Bourse des valeurs d’Abidjan (BVA).

Le Brésil d’abord ; les Etats-Unis ensuite

Le 20 juillet 1977, Henri Konan Bédié perdra son job de ministre de l’Economie et des Finances et sera recasé auprès de la Société financière internationale (SFI), du groupe de la Banque mondiale. C’est alors que Charles Gomis va débuter sa carrière diplomatique : il sera ambassadeur au Brésil avec attribution pour la Colombie (février 1978-août 1986) ; destination exotique mais les deux pays étaient des concurrents de la Côte d’Ivoire sur le marché des produits tropicaux. En 1986, il sera nommé ambassadeur à Washington où il restera jusqu’en 1994 ; il y fera la connaissance de Alassane D. Ouattara, alors en poste au FMI, mais également du marocain Omar Kabbaj, administrateur suppléant au FMI et à la Banque mondiale, et futur président de la BAD dont Gomis deviendra, par la suite, un des collaborateurs.

Cette connexion avec Ouattara lui vaudra, dira-t-on alors, d’être rappelé de Washington quand Konan Bédié accédera à la présidence de la République après la mort de Félix Houphouët-Boigny. Gomis se retrouvera sans affectation. Mais non sans relations. Il sera consultant pour des cabinets et des multinationales US.

Cependant, en 1995, Konan Bédié va se souvenir de lui. La Banque africaine de développement (BAD), dont le siège est à Abidjan, était à la recherche de son président. Konan Bédié soutiendra la candidature de Kabbaj, craignant que Ouattara ne soit intéressé par le poste. Gomis va organiser la campagne en faveur du banquier marocain. Qui sera élu le 26 août 1995 et le nommera conseiller supérieur du président dans le cadre d’un contrat qui courra jusqu’en mai 2000.

Auprès de Gueï : compréhension plutôt que confrontation !

En décembre 1999, Henri Konan Bédié était renversé ; le général Robert Gueï s’emparait du pouvoir alors que l’opposition politique tergiversait. Gueï va rencontrer Charles Gomis le 6 janvier 2000. « Vous êtes le « fils » d’Houphouët, lui dira-t-il. J’ai besoin de vous ». Le 11 janvier 2000, Gomis rejoindra donc le premier cercle qui gravitait autour de Gueï ; il y avait là Essy Camara, Mouassi Grena, Tidjane Thiam, Zirimba Aka Marcel, Georges Ouégnin…

Le 10 mars 2000, Gomis sera nommé ministre des Relations extérieures. Il lui faudra alors s’efforcer de convaincre les partenaires de la Côte d’Ivoire que Gueï était l’homme qu’il fallait à la place qu’il fallait dans la perspective de la présidentielle d’octobre 2000. Mais c’est Laurent Gbagbo qui l’emportera et, une nouvelle fois, Gomis va se retrouver « à la rue ».

Il retournera à ses affaires jusqu’à sa nomination comme directeur du bureau de la Mission des Nations unies au Congo (Monuc), en Ituri, le coin le plus pourri qu’on puisse trouver en RDC (qui, pourtant, n’en manquait pas), chargé de la démobilisation des ex-combattants.

A l’issue de cette mission, à compter de décembre 2007, il sera nommé conseiller spécial du directeur général de SIFCA, le numéro un de l’agro-industrie ivoirienne, le groupe dont un de ses gendres était le patron.

Gomis, Billon, Tanoh

C’est qu’il est impossible d’évoquer Charles Gomis sans évoquer sa famille. Lui, avait épousé une ivoirienne de père turc et de mère guinéenne (Conakry). Le couple aura quatre filles. L’aînée, Henriette, a épousé, en 1992, Jean-Louis Billon, fils d’une personnalité du monde des affaires sous Félix Houphouët-Boigny ; les familles Gomis et Billon étaient très proches, Henriette et Jean-Louis étaient amis d’enfance. Le gendre de Charles Gomis s’est illustré à la présidence du groupe SIFCA, holding de tête d’un conglomérat qui contrôle quelques belles pépites agro-industrielles et commerciales de la Côte d’Ivoire. Il a été aussi ministre d’Alassane D. Ouattara avant que les deux hommes ne prennent leurs distances. Sylvie a, comme son père et deux de ses sœurs, fait des études supérieures aux Etats-Unis sanctionnées par deux masters de l’université de Boston (sciences de l’environnement et télédétection). Elle est l’épouse de Thierry Tanoh (« Ce qui me fait un peu d’ombre… je dois avouer » me confiait-elle en 2012 avec humour feignant de s’étonner de la notoriété de son époux).

Tanoh est l’homme de la nouvelle génération. Formé à Harvard, il a fait carrière dans la finance internationale (SFI puis Ecobank) avant de rejoindre la présidence de la République en tant que secrétaire général adjoint à la suite de l’accession au pouvoir de Ouattara. Puis ce sera le gouvernement. Mais étant très ancré au sein du PDCI, Ouattara, à l’instar de ce qui s’est passé avec Billon, prendra ses distances avec celui qui pouvait apparaître, aux yeux de certains, comme ayant un destin national. La troisième des filles de Charles Gomis est Evelyne. Elle est, elle aussi, diplômée d’une université US (Thunderbird/Arizona). Elle a épousé le financier camerounais Cyrille Nkontchou, Sciences Po-Paris + Harvard, lui aussi éduqué dans une famille de diplomates. Enfin, la « petite dernière » est Camille-Alexandra, une communicante formée en France, en Bretagne et dans le Nord.

Paris enfin

Quand, en 2012, il faudra trouver à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris un successeur à Ally Coulibaly, nommé ministre de l’Intégration africaine, c’est Charles Gomis qui se retrouvera en tête de liste. L’ambassade était alors livrée, à la suite des péripéties politiques des années 2010-2011 (et de l’absence de patron tout au long de l’année 2012), au désordre le plus total. Il fallait remettre de la rigueur ; Gomis s’y attellera.

Il lui faudra « restructurer » l’ambassade, ce qui ne se fera pas sans tensions. Cependant, adepte de la compréhension plutôt que de la confrontation, avant même son arrivée à Paris, le jeudi 27 septembre 2012, il avait été reçu, à sa demande, « au nom de l’intérêt national », en audience par le président par intérim du FPI, Miaka Ouretto, afin que l’ex-parti présidentiel calme ses militants dans la capitale française.

Charles Gomis aura passé une part essentielle de sa vie professionnelle à l’étranger en charge des plus hautes fonctions diplomatiques. Et c’est modestement qu’il aura exercé quelques responsabilités politiques partisanes. Il aura été notamment secrétaire général de sous-section du PDCI-RDA et membre du bureau politique d’octobre 1975 à septembre 1980.

Récemment, à la suite de son retour à Abidjan, il avait choisi de rejoindre les rangs du RHDP. Il n’était pas du genre à s’emballer pour un leader, quel qu’il soit, et enclin à jouer le griot. Compréhension plutôt que confrontation une fois encore. Acteur, certes, et non des moindres, mais à sa place. « Spectateur engagé » aurait dit Raymond Aron ; pas au point, cependant, de risquer de perdre son âme.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
18 juillet 2021

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