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Haïti : Si l’État meurt, personne ne demeure

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Publié le jeudi 8 juillet 2021 à 22h55min

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Haïti : Si l’État meurt, personne ne demeure

Aux premières heures du mercredi 7 juillet 2021, des hommes armés non identifiés, comme l’annoncerait un communiqué burkinabè, ont attaqué la résidence du président de la République d’Haïti. Ils ont assassiné le président et blessé son épouse. Comment se fait-il que cela ait pu se produire ? Comment ce pays a-t-il glissé peu à peu dans la violence au point que l’État ne puisse même pas garantir la sécurité à son chef et à sa famille ? Quel est le poids de l’histoire et de la géographie dans cette descente inexorable aux enfers d’Haïti ? Regardons Haïti avec les larmes aux yeux et le cœur triste et surtout lisons entre les lignes ce qui est à l’œuvre chez nous.

Haïti, première République noire indépendante depuis plus de deux cent ans, fière et rebelle à tous ceux qui en ont voulu à sa liberté, souffre de ses hommes et de son climat. Son passé est glorieux, les Haïtiens peuvent être fiers de leurs ancêtres. Cette terre a donné de grands hommes : Toussaint Louverture, Christophe, Dessalines, qui ont vaincu des officiers de Bonaparte et arraché l’indépendance.

République fondée par des esclaves noirs révoltés, vigie des opprimés du monde, elle a symbolisé l’horreur pour les puissantes nations esclavagistes européennes et américaines. La France, l’Espagne, Les États Unis et l’Angleterre n’ont jamais aimé cette terre de liberté où, comme dit Césaire, « la négritude se mit debout pour la première fois… » La liberté et l’indépendance ne se gagnent pas une fois pour toutes. Il faut à chaque instant se battre pour en être digne, les mériter et les conserver.

Dictatures, coups d’État, corruption, impunité

Après avoir payé à prix d’or son indépendance à la France, pour qu’elle la reconnaisse, Haïti a eu un parcours politique où des dictateurs installés par les étrangers étaient chassés par des soulèvements populaires ou des coups d’État. Les États unis vont aussi occuper le pays, avec toujours une instabilité politique due au manque d’unité et de vision de l’élite. Une dictature dynastique va prendre le pouvoir pendant trente ans jusqu’en 1986, les Duvalier père et fils aussi appelés Papa Doc et Baby Doc.

Les Duvalier vont instaurer une terreur par la violence des tontons macoutes qui tuent opposants et journalistes et déclenchent une vague migratoire importante des Haïtiens.
Un prêtre partisan de la théologie de la libération, le Père Aristide, prendra le pouvoir par des élections justes mais les perdants ne le reconnaîtront pas et il sera renversé par un coup d’État, remis en selle par les Américains pour quelques mois. Battu aux élections, il est réélu et chassé par une révolte populaire. D’autres présidents comme le chanteur Michel Martelly vont diriger le pays sans aucune action sur la vie de la population. Jovenel Moïse, le dernier président, qui vient d’être assassiné, a été élu en 2016 et est resté le président des riches, sourd aux pauvres.

Si on regarde l’histoire d’Haïti, on a une succession de présidents, une élite divisée qui n’est pas d’accord sur l’essentiel et qui abandonne le pays aux mains des puissances extérieures qui font ce qu’elles veulent. La population abandonnée est en proie à la famine et aux catastrophes cycliques : ouragans, éruptions volcaniques avec pour conséquences des émeutes et des pillages.

La violence existant depuis la période Duvalier se décline sous forme de gangs qui font du trafic humain (rapt contre rançons) et autres activités criminelles comme le trafic de drogues et la prostitution. Il existe, dans le pays, des zones rouges où l’État est absent et ne contrôle pas le territoire. Les bandes rivales armées se battent dans des quartiers de la capitale forçant les habitants à fuir, les journalistes, les syndicalistes et ceux qui s’opposent à eux sont régulièrement tués comme Jean Dominique en 2000, Vladjimir Legagneur en 2018.

La corruption des institutions est aussi une des conséquences de cet état de fait où les criminels, se sentant très forts, ont tué le président Jovenel Moïse qui n’avait plus de parlement et gouvernait par décrets un pays qui estimait que son mandat était échu. Le Premier ministre qui vient d’être nommé la semaine dernière assure l’intérim. Mais comment arrivera-t-il à organiser des élections dans un pays où l’élite n’a jamais eu l’intérêt général en considération ?

Abandonné à ses démons internes et aux déchaînements de la nature (volcans et ouragans) la première République noire s’enfonce dans les ténèbres de l’humanité. Mais les nations africaines qui ont retrouvé la liberté longtemps après n’ont pas été solidaires d’elle. Certaines d’entre elles comme celles du Sahel ont des ressemblances troublantes avec Haïti. Comme le refus des partis politiques de rechercher des solutions aux problèmes du pays et à n’avoir que pour seul objectif de remplacer celui qui est au pouvoir par tous les moyens, quitte à employer les mauvaises solutions de leur prédécesseur qui ne marchaient pas.

Les groupes terroristes du Sahel cherchent le pouvoir pour avoir le contrôle sur les richesses du pays parce que l’élite a failli à exercer un contrôle sur des pans entiers du pays et pire elle ne s’entend pas et se dispute pour des futilités. Les groupes terroristes et les bandes criminelles prospèrent sur l’impunité et la corruption. Quand l’élite ne veut pas que l’un des leurs paye pour ses fautes, elle crée les conditions pour que ce qui est arrivé à Haïti advienne.

Sana Guy
Lefaso.net

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