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Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (21)

Publié le jeudi 3 novembre 2005 à 10h07min

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Blaise et François Compaoré

"L’affaire Zongo" va empoisonner les relations franco-burkinabè pendant bien des années. Son traitement par la presse française (et, plus encore, par la presse panafricaine) va m’exaspérer. Je ne suis pas dupe : il s’agit là, pour beaucoup, d’un joli fonds de commerce.

Norbert Zongo ne manquait pas de sponsors ; il n’était pas qu’un journaliste d’investigation mais un patron de presse qui disposait de moyens... et de relations ; avec ce que cela implique : il ne roulait pas que pour son journal. Cela ne justifie pas un crime odieux. Cela ne justifie pas, non plus, que l’on se fasse une rente de situation en dénonçant, à longueur d’années, un président Blaise Compaoré
"prédateur de la liberté de la presse ". Reporters sans frontière ne manque pas, non plus, de sponsors. Et je me pose parfois la question de savoir si la liste exhaustive est à jour !

En 1998, j’avais relancé un magazine panafricain pour le compte d’un éditeur camerounais. Sous de multiples pseudonymes pour éviter les états d’âme (et pas seulement les états d’âme) de mes ex-éditeurs.

Au lendemain de la réélection de Compaoré à la présidence du Faso, je constatais avec satisfaction le retour sur le devant de la scène de quelques personnalités politiques auxquelles j’étais particulièrement attaché. C’était le cas, notamment, avec l’entrée dans le gouvernement, en janvier 1999, de l’ex-premier ministre Youssouf Ouédraogo. Il était depuis ambassadeur à Bruxelles (point de chute des ex-premiers ministres burkinabè puisque ce sera, également, la destination de Kadré Désiré Ouédraogo quand il quittera la Primature en 2000).

Youssouf prend en charge les Affaires étrangères. Ce qui me laisse penser que, occupé par les affaires de l’Afrique je rappelle qu’il préside l’ OUA depuis juin 1998), Compaoré entend attribuer à un homme de confiance, qui sait être rigoureux et pragmatique, la délicate gestion des relations internationales du Burkina Faso mises à mal par "l’affaire Zongo ".

Au début de l’année 1999, il fallait poser la question. Je l’ai posée : "Faut-il brûler Blaise Compaoré ? ". "L’incontournable" de la deuxième moitié des années 1980 devenait
"l’infréquentable ".

La mort de Norbert longo ne profitait pas au chef de l’Etat. Les investigations de L’Indépendant concernaient des affaires crapuleuses, pas des affaires politiques. Même si la marge, en l’occurence, était étroite entre les unes et les autres. C’était une affaire de justice et de société civile.

Il a été irresponsable, selon moi (car cela n’a pas fait avancé le dossier), de la part de l’opposition burkinabè de s’engouffrer dans la brèche. Son job, c’était d’affronter les élections et les électeurs lors de la présidentielle du 15 novembre 1998 ; pas de vouloir organiser un "deuxième tour" en instrumentalisant "l’affaire Zongo ".

En Afrique et ailleurs bien d’autres ont franchi le pas. Compaoré avait des ambitions pour l’OUA (et il est rare de rencontrer un chef d’Etat africain qui a des ambitions pour l’ensemble du continent). Mais ses prises de position étaient dérangeantes pour beaucoup. Sur l’Ecomog et son mode d’intervention en Sierra Leone, sur la mondialisation sans justice et sans solidarité, sur l’ingérence de l’Onu dans les affaires concernant l’OUA (notamment en Angola), sur la vision franco-togolaise de la force d’interposition, sur la volonté de Denis Sassou Nguesso de régler seul, et sans jamais dialoguer, ses très nombreux problèmes intérieurs, sur l’intangibilité des "frontières héritées de la colonisation ", sur le Maroc et le Polisario, sur la participation de l’UDPS et des autres formations politiques à la solution des problèmes de la RDC, etc.

Pour l’Afrique, 1999 aura été l’année de tous les dangers. 1998 le laissait présager : la 4ème session ordinaire de l’Organe central du mécanisme de l’OUA pour la prévention, la gestion et le règlement des conflits au niveau des chefs d’Etat, réunie à Ouagadougou le 17 décembre 1998, s’était achevée, aux dires des commentateurs, "par un constat d’échec ".

Sierra Leone (Freetown incendié par les rebelles), Angola (reprise des combats et destruction en vol de deux avions de l’Onu), RDC (progression de la rébellion dans l’est et multiplication des camps de réfugiés), Congo (affrontements entre Cobras et Ninjas à Brazzaville et dans le Pool), Ethiopie-Erythrée (tension sur la frontière et tirs d’artillerie), Somalie (chefs de guerre faisant la loi), etc.

Compaoré ne se lasse pas, ne se décourage pas, mais se refuse à ne pas regarder la réalité en face. Dans le quotidien La Croix (mercredi 20 janvier 1999), il tiendra un langage de vérité, parfois même émouvant, qui se veut, aussi, un langage d’espoir. "Même au plus sombre de la nuit, l’aube est à portée de main ", rappele-t-il, à Julia Picatier, la journaliste qui l’interroge. Il ajoutera : "C’est sûr, la responsabilité des guerres sur le continent est d’abord africaine. Les Africains n’ont su gérer ni les libertés, ni les biens publics, ni les relations entre communautés, et encore moins assurer la protection des minorités. Nous n’avons pas encore trouvé, nous, Africains, les moyens adéquats pour arrêter les conflits ".

Quelques jours plus tard, il accordera un entretien à Francis Kpatindé de Jeune Afrique (16-22 février 1999). Pour l’essentiel, cet interview porte sur "l’affaire Zongo" et l’implication (selon certains) de François Compaoré dans ce dossier. Compaoré aborde tout cela avec la sérénité et le recul nécessaires ; et dit ce qui devait l’être : "Prenons garde à ne pas brader nos acquis. On ne peut instaurer un système démocratique irréprochable du jour au lendemain ".

Kpatindé va dérouler la longue liste des reproches formulés à l’encontre du chef de l’Etat burkinabè, président de l’OUA : le soutien aux rebelles sierra-léonais du RUF, les camps d’entraînement de l’Unita au Burkina Faso, son amitié avec Charles Taylor, ses relations avec l’officier camerounais Guerandi Mbara Goulongo, ses mauvaises relations avec Gnassingbé
Eyadéma et Lansana Conté, etc.

Là encore, Compaoré restera serein. "Ce sont les situations propres à chaque pays, les violations des droits de l’homme et la répression qui créent des troubles, pas le Burkina ! ", répondra-t-il à Kpatindé. Une réponse qui garde toute son actualité depuis que le puissant voisin du Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, a sombré dans la guerre civile.

Francis Kpatindé développera à nouveau, longuement, cette présentation du Burkina Faso,
"bastion de la subversion ", dans Jeune Afrique (22-28 juin 1998) au lendemain de l’assassinat du général Ibrahim Maïnassara Baré, le chef de l’Etat du Niger. "Le Togo, la Guinée, la Côte d’Ivoire (où vivent plusieurs millions de Burkinabè), le Tchad, la Sierra Leone, le Mali, le Nigeria et, plus loin, l’Algérie, l’Angola, le Cameroun, le Congo-Brazzaville - pour ne citer que ces exemples - tiennent le régime du président Blaise Compaoré en haute suspicion ", écrit Kpatindé. Il dresse également la liste de tous ceux qui, opposants dans leur pays, viennent trouver à Ouagadougou "un interlocuteur courtisé et, surtout, un bailleur de fonds apprécié".

Le fait que le 15 juin 1999, Alassane Ouattara, "directeur général adjoint du Fonds monétaire internaitonal (FMI) et candidat déclaré à la présidentielle (ivoirienne] de 2000 ", ait été reçu à dîner à Ziniaré, résidence privée de Compaoré, est perçu, à Abidjan, comme un
"encouragement ". Les autorités burkinabè feront remarquer que sont reçus à Ouaga ceux-là et bien d’autres ; et surtout des hommes au pouvoir dans la sous-région et ailleurs.

Dès 1998-1999, Compaoré dérange la classe politique africaine au pouvoir ; non pas parce que son pays est un
"bastion de la subversion" mais parce qu’il ose poser les vraies questions et tente d’y apporter des réponses sensées. Il est vrai que si on compare l’évolution du Burkina Faso depuis l’accession au pouvoir de Compaoré à celle des autres pays d’Afrique noire pendant la même période, le bilan n’est pas en faveur des "autres" !
Et rien que cela est dérangeant pour les "autres".

Nous sommes à mi-parcours de l’année 1999. Personne ne le sait encore mais l’Afrique de l’Ouest va connaître, dans les six mois qui viennent, une crise majeure.

A suivre

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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Vos commentaires

  • Le 3 novembre 2005 à 17:22, par J8 En réponse à : > Chronique de la métamorphose du Burkina Faso de Blaise Compaoré (21) : Vous me fascinez monsieur Bejot

    Juste des mots de remerciements à Monsieur Béjot. Je ne sais pas qui vous êtes ni vos intentions mais laissez-moi vous dire que c’est la première que je suis impressionné de cette façon après avoir decouvert le travail que vous avez (ou que vous menez) sur la vie politique du Burkina Faso. Je n’entre pas dans le fond mais je crois que tout Burkinabè devrait vous remerciez pour ça. Souvent on s’interesse à l’histoire d’un peuple sans pour autant s’intéresser à son histoire politique. Voyez qu’avec des mots on peut construire ou détruire, avec vos dire on comprend certaines choses de la politique burkinabè ou du moins à partir de 1987. Le plus souvent ce sont nos propres intellectuels ignorant la situation ou voulant profiter d’une situation au lieu d’améliorer cherche à détruire ce qui existe en promettant autre chose meilleure. Je vois moi dans certaines situations que "certains cherchent à tuer leur enfant pour attendre un autre parce qu’ils ne peuvent pas éduquer le premier". On a toujours des questions à se poser, c’est bien que vous nous donnez des informations pour faciliter la formulation de ces questions (liées au développement du Burkina Faso, à son sous développement, à la gouvernance, à la justice, etc.) Voici quelques questions que j’avais besoin de vos articles pour bien les formuler : le Burkina Faso est supposé le dernier (ou parmis), et le Burkina Faso se trouve des moyens pour former tout ce que le monde a besoin pour destabiliser n’importe quel régime au vue et au su de toutes les puissances ? Ou elles sont complices ? Et d’autres questions liées à l’affaire Zongo, etc.

    Je vous prie monsieur Bejot, d’accepter tous mes sentiments les meilleurs pour vos travaux de recherche qui permettent à tous de critiquer ou d’apprécier ce qui existe au Burkina Faso aujourd’hui.

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