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La mort de Assimi Kouanda : Plus qu’un politique, il était un intellectuel engagé

Publié le vendredi 4 juin 2021 à 17h20min

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La mort de Assimi Kouanda : Plus qu’un politique, il était un intellectuel engagé

Il avait émergé sur la scène politique le 5 mars 2004 quand il avait été nommé directeur de cabinet du président du Faso avec rang de ministre. Il avait pris alors la suite de Yéro Boly nommé, lui, ministre de la Défense. Assimi Kouanda vient de mourir, le mardi 1er juin 2021. Il s’était exilé à Abidjan à la suite de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014.

J’ai rencontré Assimi Kouanda, au cours de l’été 2004, à Ouagadougou. Nous ne nous connaissions pas. J’avais cependant le vague souvenir qu’il avait été, au lendemain de la publication (c’était le 3 octobre 1983) du fameux Discours d’orientation politique – le DOP dans le jargon de la Révolution – un des animateurs de l’Inter-CDR qui se voulait, en quelque sorte, la Garde Rouge de la Révolution voltaïque (qui n’était pas encore la Révolution burkinabè) contre « la déviation, les analyses gauchisantes et tous les trafiquants de mentalité ».

Assimi Kouanda sortait alors de l’université. Né le 31 décembre 1956, cet historien de formation, se revendiquant Mandé (groupe linguistique burkinabè) mais aussi grand amateur de chevaux, était titulaire d’un doctorat de troisième cycle en histoire obtenu à Paris I Panthéon-Sorbonne. En 1981, il avait présenté un mémoire de maîtrise à l’université de Ouagadougou sur « Les conditions sociologiques et historiques de l’intégration des Yarse dans la société mossi de Ouagadougou ». Sa thèse de doctorat, en 1984, s’intitulera : « Les Yarse, fonction commerciale, religieuse et légitimité culturelle dans le pays moaga (évolution historique) ». Son directeur de thèse était Jean Devisse qui animait alors un troisième cycle Histoire de l’Afrique à Paris I.

Les premiers soubresauts de la Révolution terminés, Assimi Kouanda débutera sa carrière professionnelle en 1984 à l’université de Ouagadougou. Il sera assistant au département d’histoire et d’archéologie ; en 1989, il sera inscrit sur la liste d’aptitude aux fonctions de maître-assistant. Et deviendra le chef du département d’histoire et d’archéologie avant d’être nommé vice-doyen des affaires académiques à la faculté des langues, des lettres, des arts, des sciences humaines et sociales de l’université de Ouagadougou.

Un parcours intellectuel et professionnel qui ne faisait pas abstraction, pour autant, de l’action politique. Maire de la commune de Nongr-Massom à Ouagadougou de 1989 à 1991, il sera conseiller municipal de la ville de Ouagadougou de 1995 à 2000 avant d’être nommé ambassadeur du Burkina Faso auprès du Maroc puis, en 2004, directeur de cabinet à la présidence du Faso.

De son séjour à la direction du cabinet de Blaise Compaoré, Kouanda me dira, quelques années plus tard, que cela a été « une expérience exceptionnelle et particulièrement enrichissante ». Il me disait encore : « Les Burkinabè s’adaptent. C’est ce qui fait leur force ». L’Histoire lui donnera raison.

Les années de braise et de sang

Au printemps 2010, alors que la rumeur bruissait que Assimi Kouanda serait le directeur de campagne du « candidat » Blaise Compaoré à la présidentielle, je l’avais interrogé sur la distanciation qui, selon moi, caractérisait le mode de fonctionnement de Compaoré depuis un certain temps. Il m’avait rétorqué que cette distanciation était l’expression que les relais politiques mis en place depuis la démocratisation de la vie politique fonctionnaient bien : le président préside ; le gouvernement gouverne ; le parlement parlemente ; l’administration administre ; l’opposition s’oppose ; la presse met la pression.

« La forme a peut-être changé, me concèdera-t-il, mais pas le fond. Des institutions ont été mises en place depuis l’instauration de la démocratie, il faut qu’elles fonctionnent en toute indépendance. C’est ce qu’elles font. Notre système politique, diversifié, ne nécessite plus l’omniprésence du chef de l’Etat sur la scène politique », me déclarera-t-il en substance. Il ajoutait : « Le bilan du président du Faso est globalement perçu positivement et les Burkinabè sont, par ailleurs, satisfaits de l’image qui est désormais celle de leur pays.

Assimi Kouanda sera effectivement directeur de campagne de Blaise Compaoré. Il prenait ainsi la suite de Salif Diallo qui avait assumé cette tâche lors de la présidentielle de 2005. Kouanda remplira son contrat : le taux de participation sera, officiellement, supérieur à 50 % (mais il y avait peu d’inscrits sur les listes électorales) et le président sortant l’emportera au premier tour avec 81 % des voix. A moins de soixante ans, Compaoré entamait donc un deuxième, et ce qui devait être le dernier, quinquennat (article 37 de la Constitution de mai 2000 : « Le président du Faso est élu pour cinq ans au suffrage universel direct […] Il est rééligible une fois »).

Au lendemain de la présidentielle de 2010, alors qu’une crise sociale pouvait être redoutée, ce sera l’armée qui implosera. Les mutineries vont semer l’horreur et le chaos dans tout le pays.

Au début de l’année 2011, Assimi Kouanda était entré au gouvernement comme ministre chargé du cabinet présidentiel. Une dénomination quelque peu déroutante. Ibrahima Sakandé, alors DG des Editions Sidwaya, écrira que « fortement sollicité à l’intérieur et à l’extérieur du Burkina Faso, le président du Faso a besoin d’un homme de confiance et de grande fidélité pour gérer son agenda tant à la présidence qu’au sein du gouvernement ». Et Kouanda deviendra ainsi l’homme de la présidence du Faso au sein du gouvernement !

Patron d’un « regroupement politique présidentiel » qui se délite

En 2012, à la veille de l’ouverture du 5è congrès ordinaire du CDP, le regroupement politique présidentiel, il était acquis que Roch Marc Christian Kaboré était partant de la direction du parti. Des noms circulaient pour le remplacer : Ernest Paramanga Yonli, Alain Bédouma Yoda, Bongnessan Arsène Yé et même celui de Salif Diallo. C’est Assimi Kouanda qui obtiendra le job. Dans le même temps, il sera nommé ministre d’Etat, ministre chargé de mission à la présidence du Faso.

La tâche de Assimi Kouanda était de préparer le CDP aux échéances de 2015 et, surtout, de l’après-2015. Avec le titre de secrétaire exécutif national alors que Kaboré était jusqu’alors président du Bureau politique national, ce BNP étant supprimé au profit d’un BEN, Bureau exécutif national de 38 membres dont 14 femmes. C’était, indéniablement, une mise sous tutelle présidentielle du CDP qui n’était plus une structure autonome mais une structure de l’exécutif. D’autant moins autonome qu’au prétexte de prendre en compte « la société civile » le CDP accueillait en son sein la Fédération associative pour la paix et le progrès avec Blaise Compaoré (Fédap-BC) de François Compaoré, petit-frère du président du Faso. Interrogé sur cet entrisme du Fédap-BC dans le parti, Kouanda n’y verra « pas de problème ».

« L’homme n’est pas connu comme un activiste mais plutôt comme une personne qui a de la pondération, écrira alors le quotidien privé Le Pays. Ce caractère ne devrait pas lui être de trop en ce moment où le pays ne s’est pas encore remis de la crise qui l’a secoué en 2011 ».

Le 22 janvier 2014, Assimi Kouanda sera remplacé à la direction du cabinet à la présidence du Faso par Sanné Mohamed Topan. Il s’agissait de recentrer Kouanda sur son cœur de métier : le parti présidentiel plutôt que la présidence du Faso. D’autant plus que le 23 janvier 2014 était constitué le Front républicain, rassemblement d’une quarantaine de partis et groupuscules qui se voulait « une force de propositions, un outil de partenariat politique et de collaboration avec toute autre formation, structure ou institution ».

A force d’être partout, Assimi Kouanda donnait l’impression d’être nulle part. Quant au CDP, il semblait être à côté de la plaque. D’autant plus que des cadres du parti, et non des moindres, avaient fait scission ; le 5 janvier 2014, Kaboré remettait sa démission du CDP, suivi en cela par des nomenklaturistes du parti présidentiel, et allait créer le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP). Blaise Compaoré tentera de recoller les morceaux en proposant un dialogue politique national inclusif. Mais deux semaines après avoir engagé ce dialogue, Kouanda y mettra fin le 6 octobre 2014.

Le CDP était disposé à des « fléchissements » et des « rapprochements » avec l’opposition sur les deux questions majeures de la légalité de la révision de l’article 37 de la Constitution et de la mise en œuvre du Sénat. L’opposition voulait élargir le débat : élection présidentielle de 2015 ; organisation et fonctionnement du Conseil constitutionnel ; contribution de la société civile. Le 21 octobre 2014, les dés étaient jetés : le conseil des ministres adoptait son projet de loi convoquant le référendum sur la révision de l’article 37.

On connait la suite : une insurrection populaire va balayer le CDP et le régime de Blaise Compaoré. Assimi Kouanda va se retrouver dans l’œil du cyclone. Il réapparaitra publiquement le 31 janvier 2015 à l’occasion de la 53è session ordinaire du BPN du CDP. « Toutes mes excuses à tous » dira-t-il à l’endroit de « toutes mes sœurs et de tous mes frères qui nous ont apporté soutien et réconfort afin de nous permettre de nous soigner, de nous vêtir et de nous loger ».

Plus qu’un politique, Kouanda était un intellectuel engagé. Le « produit » d’une époque. Je serais tenté de dire d’une époque révolue dès lors que le technocratisme d’une part, le populisme d’autre part – l’un faisant le lit de l’autre (en attendant que les militaires remettent « de l’ordre ») – sont devenus les seules alternatives qui nous sont proposées.

Inutile d’écrire qu’à l’âge qui est le mien j’ai la nostalgie de ces hommes et de ces femmes qui, en Afrique comme ailleurs, mais particulièrement au Burkina Faso, ont, modestement et sans ostentation, marqué de leur empreinte l’Histoire des Hommes. Une Histoire qui est faite de démarches contradictoires ; mais il faut bien, cependant, s’efforcer d’avancer. Victor Hugo l’a écrit : « Chaque homme dans sa nuit s’en va vers sa lumière ». J’ose espérer seulement que l’Histoire n’oubliera pas ceux qui, comme Assimi Kouanda, en ont été des acteurs significatifs.

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis
2 juin 2021

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