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La médiation pénale en faveur des enfants en conflit avec la loi : L’intelligente entente entre justice formelle et chefferie traditionnelle

Publié le mercredi 12 mai 2021 à 22h40min

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La médiation pénale en faveur des enfants en conflit avec la loi : L’intelligente entente entre justice formelle et chefferie traditionnelle

La médiation pénale est une mesure utilisée dans le secteur de la justice, dans le but de trouver une solution entre deux parties confrontées dans un litige. Au Burkina Faso, conformément à la loi du 15 mai 2014 portant protection de l’enfant en conflit avec la loi ou en danger, seuls les enfants en conflit avec la loi peuvent bénéficier de la médiation pénale. Elle vise à leur éviter de passer par la case prison, en privilégiant la réparation du tort causé à la victime. Toujours selon cette même loi en son article 41, la médiation pénale est engagée suite à une plainte soit d’office par le procureur du Faso ou le juge des enfants, soit à la demande de l’une des parties.

Cette disposition a montré ses limites, car le nombre réduit de magistrats constituait bien souvent un obstacle à la mise en œuvre efficiente de la médiation pénale. Face à ce constat, l’ONG Terre des Hommes (Tdh) a initié un projet pilote qui a permis la mise en place d’un processus de réalisation de la médiation pénale par les chefs traditionnels, mais sous l’autorisation et le contrôle du procureur du Faso. Dans cet entretien qu’il nous a accordé, Boubacar Tchiombiano, conseiller technique régional pour la zone Afrique de l’Ouest dans le cadre du programme accès à la justice de Tdh, revient sur la valeur ajoutée de la médiation pénale, les dispositions de la loi, sa mise en œuvre sur le terrain.

Lefaso.net : Dans quel but est menée la médiation pénale ?

Boubacar Tchiombiano : De manière générale, la médiation pénale est une mesure qui est utilisée dans le secteur de la justice, pour trouver une solution entre deux parties, confrontées dans un litige. Il s’agirait qu’il y ait une tierce personne que l’on appelle médiateur, et cette personne va être le facilitateur entre les deux parties, pour que celles-ci arrivent à trouver une solution à leur litige. La médiation pénale vise premièrement à éviter la prison, particulièrement à l’enfant qui a commis l’infraction.

Deuxièmement, la médiation pénale met l’accent sur la réparation du dommage que l’enfant a causé à autrui. Et troisièmement, si l’enfant ne se retrouve pas en prison, la médiation pénale constitue un processus qui facilite sa réinsertion. Nous savons qu’aujourd’hui les difficultés liées à notre milieu carcéral ne sont malheureusement pas propices pour favoriser la réinsertion des enfants.

Que dit la loi burkinabè sur la médiation pénale en faveur des enfants en conflit avec la loi ?

Selon la loi, ce ne sont pas toutes les infractions qui peuvent faire l’objet de médiation. La loi exclut complètement les infractions criminelles. Cela parce que ce sont des infractions qui revêtent une telle gravité que le législateur estime qu’il est difficile, au vu de la gravité, qu’un simple pardon puisse effectivement réparer et effacer tout le tort subi. La médiation ne s’applique que pour les infractions délictuelles et pour les infractions contraventionnelles. Ces dernières citées sont encore moins graves que les infractions délictuelles. Ce qu’il faut préciser de très important, qu’il s’agisse d’une contravention ou d’un délit, il y a une personne qui apprécie l’éligibilité de ces faits à la médiation pénale. Et c’est le procureur du Faso. C’est à lui seul que la loi a donné compétence d’apprécier les faits et d’estimer si ceux-ci peuvent être éligibles à la médiation.

Comment s’organise la médiation pénale ?

Si l’on s’en tient à ce qui est prévu par la loi, la médiation devrait se faire soit par le procureur du Faso ou un de ses substituts à qui il aura donné cette autorisation, soit par le juge des enfants. Si l’on s’en tient à la rigueur de la loi, voilà les deux personnes qui sont en mesure de réaliser la médiation pénale au Burkina Faso. Sauf que, vous n’ignorez pas que nous n’avons pas de procureurs sur toute l’étendue du territoire, encore moins de juges des enfants.

Imaginez le procureur étant à Ouagadougou, et qu’à 80 km par exemple un litige nait et qui pourrait passer par la médiation pénale. Comment faire lorsque 80 km séparent les parties d’avec le procureur ? C’est extrêmement compliqué. Et quand bien même les parties pourraient venir à Ouagadougou pour rencontrer le procureur, vous savez très bien que l’on n’a pas accès automatiquement au procureur. Et même si les parties avaient la volonté de venir rencontrer le procureur, il faut déjà qu’elles sachent qu’effectivement elles peuvent venir rencontrer le procureur et que leur affaire peut passer par la médiation.

Enfin, il ne faut non plus oublier que tout le monde n’est pas à l’aise de venir échanger avec le procureur, très souvent on a peur du procureur, alors qu’il est là pour défendre les populations.

Les mêmes difficultés qui s’observent chez le procureur, s’observent également pour la saisine du juge des enfants. Donc la loi a prévu la médiation pénale, mais la réalité sur le terrain fait que la médiation ne peut pas se mettre en place. C’est ainsi que Terre des Hommes a posé la réflexion sur comment arriver à opérationnaliser cette médiation pénale. Comme l’acteur clé qui doit réaliser la médiation pénale n’est pas tout le temps disponible et est difficile d’accès, nous nous sommes interrogés à savoir si le procureur du Faso, en tant que médiateur tel que la loi l’a prévu, délègue ce pouvoir à une autre personne qui est disponible et accessible, est ce que l’on n’arriverait pas au moins à réaliser la médiation pénale ?

C’est à partir de cette question que nous avons entrepris d’échanger avec les acteurs de la justice (magistrats au sein des juridictions pour enfants et celles de droit commun, acteurs au sein des services techniques de la justice), les services spécialisés de l’action sociale, les communautés, les enfants. Et finalement, nous nous sommes rendus compte qu’une bonne partie des litiges dans les milieux communautaires sont référés à certains acteurs communautaires, avant même qu’ils ne parviennent au niveau de la justice formelle. Près de 70% des litiges sont plutôt référés aux chefs traditionnels. Au regard de ces statistiques, nous nous sommes demandé s’il n’était pertinent d’envisager une collaboration entre les acteurs de la justice formelle et la chefferie traditionnelle vers qui les populations se tournent le plus souvent.

Nous avons été surpris de constater que aussi bien les acteurs communautaires que les communautés, tout le monde est d’avis que s’il y a une collaboration entre ces deux acteurs (justice formelle et justice informelle), la médiation pénale peut voir le jour. Nous avons à cet effet organisé un grand cadre de concertation qui a réuni procureurs, juges des enfants, les services techniques du ministère de la Justice, les différentes chefferies des villes de Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Tougan ; cadre au cours duquel tous les participants ont unanimement répondu favorablement à une collaboration entre acteurs de la justice formelle (les procureurs du Faso) et la chefferie traditionnelle. Mieux, les participants à ce cadre de concertation ont même émis le souhait que Tdh les accompagne à concrétiser cette collaboration. C’est à partir de là que Tdh a initié un projet pilote qui avait pour but d’expérimenter la réalisation des médiations pénales par les chefs traditionnels, mais sous l’égide des parquets. Voilà comment est né le processus de réalisation de médiation pénale par les chefs traditionnels.

Toutefois, il ne s’agit pas de tous les chefs traditionnels ; il s’est agi de quatre chefferies à Ouagadougou et de quatre autres à Bobo-Dioulasso. Mais avant tout, ces chefs traditionnels ont bénéficié d’une série de formations sur les droits de l’enfant, sur la médiation pénale et sur leurs rôles et leurs attitudes dans la réalisation de la médiation pénale. Ces formations ont été assurées par les procureurs du Faso. Aujourd’hui, lorsque les dossiers arrivent chez le procureur du Faso, une fois que les faits sont établis et que le dossier est éligible à la médiation, il appelle automatiquement un acteur communautaire notamment un chef traditionnel, à qui il réfère le cas pour tenter la médiation. Si la médiation réussit, le même chef dresse un procès-verbal qui sera transmis au procureur du Faso. Celui-ci s’assure que les conditions de la médiation ont été respectées, et homologue l’acte comme s’il était passé en justice et l’affaire est classée.

Si les parties ne s’entendent pas, l’affaire revient toujours chez le procureur et c’est lui qui décidera de la suite à lui donner. Je précise que le ministre de la Justice a pris une circulaire pour donner un fondement à l’intervention de l’acteur communautaire dans le processus de médiation. Et c’est cette circulaire qui instruit les procureurs à référer les cas éligibles à la médiation pénale aux chefs traditionnels. Voilà comment se passe le processus depuis 2018.

Quelles sont les zones dans lesquelles ce projet est mis en œuvre ?

Nous avons commencé par un projet pilote, qui a concerné particulièrement Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Et dans chacune de ces deux villes, nous travaillons avec quatre groupes de chefferies. Après deux ans de mise en œuvre de cette phase pilote, nous avons fait un bilan et nous avons partagé les résultats au ministère de la Justice. Et face aux résultats probants, le ministère a demandé à Tdh de continuer l’action sur le terrain. Et l’objectif c’est de s’élargir à l’ensemble du territoire. A cette date, nous sommes en train de vouloir initier le même projet à Fada. Le ministère de la Justice œuvre également à ce que le projet soit étendu à l’ensemble du territoire.

Combien d’enfants ont pu bénéficier de la médiation pénale grâce au projet ?
De fin 2018 à ce premier trimestre de 2021, on dénombre environ 250 enfants qui ont bénéficié de médiation pénale. Il faut juste faire la part des choses entre le nombre d’enfants bénéficiaires de médiation pénale et le nombre de médiation pénale. Parce que des enfants peuvent être en groupe et commettre une même infraction. Donc dans la même infraction on peut avoir plusieurs enfants.

Selon Boubacar Tchiombiano, de fin 2018 à ce premier trimestre de 2021, on dénombre environ 250 enfants qui ont bénéficié de médiation pénale

Est-ce que grâce à ce projet, la médiation pénale est en phase de devenir le premier recours en cas d’infraction commise par un mineur ?

La médiation est ce processus-là qui cherche à ce que la victime ait réparation très rapidement. Le plus souvent toutes les médiations réalisées, au bout de dix jours l’affaire est classée. Et chaque partie a eu sa réponse. Nous n’avons pas la prétention de dire que la médiation s’applique sur toute l’étendue des villes pilotes, mais pour ce qui est des cas qui ont été passés à la médiation pénale, le premier but a été évidemment d’assurer les réparations des torts qui ont été causés aux victimes, mais en même temps c’est de faciliter l’accès de ces populations au système judiciaire.

Qu’est ce qui selon vous peut être fait pour une meilleure pratique de la médiation pénale ?

La première des choses c’est déjà le texte de loi. La circulaire c’est bien, mais c’est encore mieux si c’est un texte de loi qui donne les différentes modalités d’application de la médiation pénale. C’est une des premières limites. Et pour en arriver vers une application effective sur toute l’étendue du territoire, c’est d’abord que la loi dise expressément que le procureur du Faso peut aujourd’hui référer les litiges éligibles à la médiation pénale, à des acteurs communautaires. En deuxième lieu, il faut sensibiliser les magistrats, car eux tous n’ont pas connaissance de l’existence de ce mécanisme.

Et comme il peut arriver que des magistrats soient réticents, il est important que des plaidoyers se fassent, afin que ceux-ci voient en la médiation pénale, un mécanisme qui vient faciliter leur travail. Troisième défi, il faut continuer la formation des acteurs communautaires aussi. Et enfin, travailler à aider le médiateur communautaire à pouvoir faire le travail. Cela engage des déplacements, des coûts de communication, qu’il serait intéressant que le ministère de la Justice prenne en charge, pour pouvoir motiver ces acteurs communautaires à réaliser la médiation pénale. Si toutes ces conditions sont réunies, je pense que l’on pourrait passer à l’échelle et faire appliquer la médiation sur l’ensemble du territoire.

Avez-vous un dernier mot ?

Grâce aux partages d’expérience, plusieurs pays ont été captivés par l’expérience du Burkina Faso dans le processus de la médiation pénale et veulent désormais la développer sur leur territoire. Aujourd’hui, le Burkina Faso a quand même une longueur d’avance sur beaucoup de pays de la sous-région. Ces propos se corroborent par l’impressionnante participation du Burkina Faso au Congrès mondial sur la justice juvénile, qui s’est tenu à Paris en 2018, et qui a réuni plus de 90 pays. Conduite par le ministre de la Justice, Béssolé René Bagoro, la délégation du Burkina Faso a été à l’honneur.

Pendant qu’au plan international, les Etats sont encouragés à mettre l’accent sur l’hybridité des systèmes de justice, le Garde des Sceaux venait expliquer les avancées du Burkina Faso sur une telle approche novatrice, qui a pour finalité d’améliorer l’accès des populations à la justice. Ce serait regrettable qu’avec le niveau que l’on a atteint, que l’on recule et que finalement les autres pays passent devant nous. J’ajoute en disant que finalement nous ne sommes plus dans une approche d’un seul pays, mais plutôt dans une dynamique régionale et pourquoi pas, peut être que ça va s’élargir au-delà même de la sous-région ouest africaine. Il faut reconnaitre que le pays des hommes intègres a été l’initiateur de ce concept de médiation pénale assurée par les acteurs communautaires et il faut saluer la collaboration des acteurs du ministère de la Justice sans qui nous n’aurions pas pu atteindre de tels résultats.

Armelle Ouédraogo
Lefaso.net

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