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Dix ans après la dévaluation du franc CFA : "Sentiment mitigé" selon le DG de l’ONAC

Publié le mardi 13 janvier 2004 à 15h08min

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Dix ans après la dévaluation du franc CFA, intervenue le 12 janvier 1994, et dont les mesures avaient pour but de restituer la valeur réelle de notre monnaie conformément à la santé de l’économie de la région, des observateurs pensent aujourd’hui que les résultats escomptés sont encore mitigés. De ceux-là, le directeur général de l’Office national du commerce extérieur (ONAC), Sékou Bâ.

C’est un événement dont M. Bâ se rappelle comme si c’était hier parce qu’en ce moment-là, il était le secrétaire général du ministère du Commerce, de l’Industrie et des Mines.

A l’époque, le ministère était interpellé pour prendre toutes les mesures devant permettre de juguler les conséquences, notamment en ce qui concerne les prix afin de contenir l’inflation.

Les premiers instants qui ont suivi la dévaluation ont amené les commerçants à vouloir doubler les prix, ceci pour pouvoir préserver leur pouvoir d’achat. D’où un moment d’intense travail mais "je puis assurer que nous nous sommes acquittés de notre tâche avec une grande efficacité parce que de tous les pays de l’Union, je crois qu’au niveau du Burkina Faso, nous avons connu les taux d’inflation les moins élevés" , s’est-il félicité.

Quel impact pour l’économie nationale ?

Pour le directeur général de l’ONAC, il faut dire que la mesure de dévaluation de notre monnaie a eu une double conséquence : sur le plan des importations et celui des exportations.

En matière d’exportation, il y a eu un impact très important qui s’explique par un très fort accroissement des exportations en valeur (de 19 à 62 milliards soit une augmentation de plus 200% selon les statistiques de la douane). Mais a contrario, il y a eu un renchérissement des produits à l’importation ( de 114 milliards à 238 milliards) soit une hausse de plus de 65%. Ce qui a entraîné une augmentation du taux de couverture des importations par les exportations de 14 à 26%. La modification de la parité du franc CFA avec celui français a par exemple renchéri les factures pétrolières, les biens d’équipement et les produits importés. Cette situation a accentué le déficit de notre balance commerciale qui, rappelle M. Bâ, "a toujours été déficitaire".

L’embellie, comme l’on peut l’apercevoir, est venue des biens d’exportation. A cet effet, nos produits "se sont révélés moins chers que dans les autres pays, toutes choses étant égales par ailleurs". C’est le cas du secteur du bétail-viande qui a enregistré une augmentation, sinon un doublement de son chiffre d’affaires.

Malheureusement, nous n’avons pas su tirer profit de cette situation parce que nous n’avons vendu jusque-là que du bétail sur pied. Alors qu’il nous aurait fallu des infrastructures nous permettant de vendre des produits transformés, ce qui procure de la valeur ajoutée.

Dans ce registre, il faut reconnaître que les investissements sont trop lourds et n’ont pas permis jusqu’alors de mettre en œuvre un système de transformation de la viande incluant la continuité de la chaîne de froid entre l’abattage et l’exportation alors que les pays limitrophes sont demandeurs de produits de la filière animale.

"Un sentiment mitigé"

Cependant, après dix ans de dévaluation, le sentiment général est "mitigé", pense le DG de l’ONAC. Des économistes pensent qu’il aurait fallu effectivement dévaluer le franc CFA eu égard à sa surévaluation à un moment donné, par rapport à certaines monnaies de base (franc français...). Par contre, d’autres estiment toujours qu’elle a vraiment fait payer un lourd tribut à tous ceux qui importaient pour transformer et/ ou vendre. Si l’on compare le taux de couverture des importations par les exportations de l’année 2002 à l’année 1994 on se rend compte que ce taux est plus faible en 2002 (23%) qu’en 1994 (26%).

En dehors du secteur du bétail-viande que retenir ? D’autres secteurs en ont également bénéficié. Notamment les produits agricoles de base (fruits et légumes). Mais si l’on met en avant le secteur du bétail et de la viande, c’est que notre pays y avait un avantage comparatif le plus élevé par rapport aux autres produits. Alors que pour les fruits et légumes, "il existait la concurrence des autres pays" qui ont pris d’autres mesures permettant d’augmenter la qualité et même de réduire les coûts de production, d’avoir des infrastructures beaucoup plus adaptées pour l’exportation.

L’état de la balance commerciale

A comparer la balance commerciale anté et post-dévaluation, le DG de l’ONAC est assez catégorique : "nous avons une balance commerciale dont le déficit continue de se creuser" .

Bien vrai, beaucoup de choses rentrent en ligne de compte, de telle sorte que la dévaluation a permis dans un premier temps de réduire le déficit. Mais cela n’a pas duré (une saison peut-être) puisque les gens se sont très vite habitués à cette nouvelle parité. Ainsi, à cause de la forte demande des produits étrangers, des réformes économiques qui ont entraîné la libéralisation (presque) totale de notre économie, le non-contingentement des importations, l’abaissement des droits et taxes de douane, l’on a assisté à une augmentation du flux des importations.

Souleymane SAWADOGO
Enok KINDO


Quelques commerçants apprécient

M. Richard Tondé, commerçant de motocycles et divers  :

J’exerce dans le commerce général depuis 1975. Avant la dévaluation du franc CFA en 1994, les marchandises au marché central de Ouagadougou étaient très chères, aujourd’hui je les trouve moins chères mais le pouvoir d’achat fait défaut. Au Burkina Faso, le pouvoir d’achat est si faible que les affaires ne marchent pas bien. Ce sont les fonctionnaires qui sont nos principaux clients.

Et comme les fonctionnaires ne tiennent pas les deux bouts, les commerçants ne peuvent que crier. Les marchandises sont devenues moins chères mais il n’y a pas beaucoup d’achats. Avant la dévaluation nous faisions plus de bénéfices. Sur le prix par exemple d’une moto, nous pouvions avoir 25 000 F CFA de bénéfice. Et les produits provenant des pays francophones sont encore plus onéreux que ceux fabriqués dans les pays anglophones. Actuellement, si les commerçants veulent être honnêtes, ils vous diront tous que les affaires ne marchent pas. S’il l’on veut faire beaucoup de bénéfices, on ne pourra pas vendre parce que les consommateurs sont pauvres.

M. Issouf Sini, commerçant :

Aujourd’hui les activités commerciales ne fonctionnent pas comme nous le souhaitons. Avant cette dévaluation lorsque nous achetions nos marchandises au Ghana, nous avions beaucoup plus de bénéfices. Maintenant ce sont les grands opérateurs économiques et les grossistes qui font de bonnes affaires. Nous faisons le commerce actuellement pour survivre sinon il n’y a plus de bénéfices. Lorsque vous gagniez 1000 F CFA dans la vente d’un produit, maintenant ce n’est plus possible d’avoir 500 F de bénéfice sur le même produit.

Mme Aminata Guira, vendeuse de plats  :

Avec la dévaluation, beaucoup ont prospéré tandis que d’autres ont été ruinés. Ceux qui se sont enrichis sont ceux qui avaient constitué des stocks de marchandises avant la dévaluation. Elle a été très dure pour nous mais aujourd’hui les gens ont tendance à oublier cette douleur. Dix ans après, on peut dire que ça va un peu. Actuellement, beaucoup de biens de consommation s’obtiennent moins chers mais le problème est qu’il n’y a plus d’argent. Les gens sont pauvres et ils ne font pas beaucoup d’achats. Les produits vivriers comme les céréales sont moins chers mais il n’y a pas d’acheteurs. Or, si les cultivateurs n’arrivent pas à écouler leurs produits, ils ne pourront pas acheter nos marchandises. Néanmoins j’arrive à réaliser quelques bénéfices, même s’ils ne sont pas à comparer à la situation d’avant-dévaluation.

El Adj Harouna Ouédraogo marchand de colas :

J’exerce dans ce domaine depuis 1948. Parlant de la dévaluation, je dirai qu’elle ne m’a pas surpris. Certains diront qu’ils ont été surpris mais moi personnellement, elle m’a paru inévitable. Les recettes de nos pays étaient en déficit et l’argent qui nous était prêté était mal géré. C’est pourquoi la dévaluation est intervenue en 1994. Nous pouvons affirmé que cette dévaluation n’a pas eu trop d’impact sur le commerce de cola. Lorsqu’en Côte d’Ivoire ou au Ghana nous trouvons que la cola est abondante nous la vendons à des prix très abordables dans les marchés burkinabè. Par contre, si elle devient rare là où nous l’importons, son prix est obligé de grimper chez nous. Entre 2000 et 2001 par exemple le panier de cola est vendu à 150 000 F CFA.

En août dernier, il se vendait à 45 000 F CFA ; présentement nous le vendons entre 20 000 et 25 000 F CFA et cela dépend de la qualité du produit. Nous pouvons dire à notre niveau que la dévaluation n’a pas été désastreuse pour nous vendeurs de cola. Si la production est abondante nous la vendons moins cher, et si elle devient rare, nous ajustons les prix. Nos clients le savent bien. La douane aussi nous aide un peu en facilitant l’importation de cette marchandise.

S.S. et E.K.
Sidwaya

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