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Putsch manqué au Niger : Mohamed Bazoum mesure le poids de la victoire

Publié le vendredi 2 avril 2021 à 11h01min

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Putsch manqué au Niger : Mohamed Bazoum mesure le poids de la victoire

À quelques heures de sa prestation de serment, le nouveau président élu, Mohamed Bazoum, peut mesurer que le poste qu’il va prendre de chef de l’État de la République du Niger n’est pas une sinécure, ou tout au moins que son mandat ne sera pas du tout un travail paisible sous des manguiers ombrageux sur les rives du fleuve Niger.

Durant l’élection, les attaques terroristes ont repris avec des agents électoraux assassinés et après son élection, les groupes terroristes ont attaqué des villageois et des forains qu’ils ont massacrés dans une boucherie incroyable dans la région de Tillabery et de Tahoua, faisant près de 200 morts.

L’opposition conteste toujours la validité de sa victoire, quand bien même la Cour constitutionnelle du Niger a reconnu celle-ci. Mais voilà que des militaires, à deux jours de la prestation de serment, veulent prendre le pouvoir des mains du président adulé et honoré par le prix Ibrahim Mo 2020. Que cache ce coup d’État manqué ? Mohamed Bazoum peut-il gouverner sans tenir compte des multiples oppositions qui se sont faits jour avant même sa prise de pouvoir ?

Ces assaillants de la nuit du 29 au 30 mars 2021 de la présidence de la République du Niger, visaient-ils la chute du président Mahamadou Issoufou au terme de son mandat, ou la non prestation de serment de Mohamed Bazoum élu le 21 février 2021 et qui devrait devenir le chef d’État élu du pays le 2 avril à l’issue de sa prestation de serment ? Si le coup avait réussi, ils auraient fait d’une pierre deux coups.

L’opposition conteste la validité de l’élection du dauphin de Mahamadou Issoufou et avait prévu des marches de protestation ces jours-ci, malgré la validation du processus par la Cour constitutionnelle du pays. Le Niger, comme ses voisins du Mali et du Burkina, est coutumier des coups d’État et la dernière intervention des militaires était en février 2010 contre le président Mamadou Tandja, ancien militaire qui s’est fait élire et qui a modifié la Constitution pour se donner une prolongation de trois ans pour terminer, soi-disant, ses chantiers.

Si la passation de charges entre Mohamed Bazoum et son mentor se fait sans autres accrocs ce vendredi, ce sera la première fois que le Niger connaîtra une alternance pacifique entre civils élus. Cette victoire pour la démocratie qui a déjà été saluée à l’étranger et au plan continental par l’attribution du prix Ibrahim Mo 2020, (qui était sans lauréat depuis 2017) au président sortant qui a résisté aux sirènes du troisième mandat en ne révisant pas la constitution et en ne briguant pas un mandat de trop. Voici ce que le jury international du prix Ibrahim dit de lui : « Le Comité du prix souligne le leadership exceptionnel du président Issoufou, à la tête d’un des pays les plus pauvres au monde, confronté à un cumul de défis apparemment insurmontables ».

L’urgence pour les militaires patriotes n’est pas la prise du pouvoir

Pourquoi au plan interne ne voit-on pas l’effort et l’esprit patriotique du chef de l’État nigérien, alors qu’il aurait pu suivre les mauvais exemples qui se multiplient en Afrique de l’Ouest : Guinée Conakry, Côte d’Ivoire, les velléités au Sénégal ? Pourquoi des militaires, alors que le Niger est confronté à des attaques terroristes récurrentes dans les zones frontalières avec le Burkina Faso, le Mali, sans compter les incursions de Boko Haram, pourquoi des militaires sentent-ils le besoin de venir prendre le pouvoir sans avoir fini de faire leur mission régalienne ? Dans les pays du Sahel, l’urgence pour les militaires est de balayer les zones infestées par les groupes terroristes. Ce n’est pas en prenant les palais présidentiels qu’ils arriveront à défendre les pays sahéliens.

Au début des coups d’État, en temps de paix aux frontières et à l’intérieur du pays, nos militaires criaient au désordre à la tête de l’État, l’inorganisation et la pagaille caractéristique des civils qui ne savent pas marcher au pas, ce qui nécessitait de leur part qu’ils viennent donner un coup de balai salutaire et regagner leurs casernes après la mission salvatrice. Et ce temps nécessaire, c’est eux qui le définissait et le travail pouvait durer jusqu’à ce qu’un autre militaire ou groupe de militaires juge que les précédents étaient incapables et les remplace par la force des canons et des fusils d’assaut.

En ces temps-là, les années 1960-1990, le monde, les grandes puissances d’Europe, d’Amérique, de Russie et d’Asie trouvaient cela bien ainsi, car les coups d’État, quel que soit le vocable par lequel les putschistes baptisaient leur forfait, ne changeaient en rien la domination des pays, reconnaissaient tous les accords internationaux signés par le pouvoir renversé. Et c’est toujours leur dogme aujourd’hui.

Nos pays ont-ils avancé sur l’échelle du développement humain avec les coups d’État ? On avait cru que les élites africaines s’étaient converties à la démocratie, mais les vieux démons reviennent. Mais alors que le Niger est en feu et que des bandits, des terroristes le guettent de toutes parts, si les soldats du feu, les gardiens du pays, les militaires chargés de préserver son intégrité, abandonnent leurs postes, comment l’incendie sera-t-il éteint ? Les militaires sont ceux qui détiennent les armes et les utilisent, mais parfois les coups d’État ont des commanditaires et des alliés civils, malheureux après un scrutin, ou incapables d’avoir les faveurs de la population lors des votes.

Comment gouverner dans ce climat d’hostilité après la victoire électorale ?

On espère que les forces politiques défaites à l’issue du scrutin de février 2021 ne sont pas mêlées à cette tentative, et qu’elles sont restées républicaines. Si des forces sociales et politiques sont parties prenantes du putsch manqué, la situation du pays confronté à de multiples défis colossaux (terrorisme, sécheresse, désertification, démographie galopante, emploi des jeunes, émigration…) avec peu de ressources exploitées (uranium et pétrole) même si le sous-sol est riche, ne sera que des plus explosives.

Le Niger a besoin d’éviter les querelles politiques interminables alors que ses ennemis sont à ses portes. Les politiciens peuvent-ils comprendre cela ? Peuvent-ils accepter de ne pas être président ou ministre pour l’intérêt général ? Ils sont invités à suivre l’exemple de Mahamadou Issoufou en donnant une chance au nouveau président pour s’attaquer aux multiples problèmes. De son côté, il serait bien inspiré de ne pas être sectaire et de chercher à travailler avec tous ceux qui voudraient bien le faire, quel que soit leur bord politique.

Le Niger a besoin de paix à ses frontières, de paix à l’intérieur et de paix des cœurs des politiciens. Voilà l’équation du mandat de Bazoum que ses adversaires voient comme un troisième mandat de son mentor. A lui de leur montrer que Mahamadou Issoufou et lui sont biens deux personnes différentes et que sa politique sera différente.

Sana Guy
Lefaso.net

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