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Dr Jocelyne Vokouma : « Au Burkina, les femmes s’illustrent le plus dans les domaines des sciences sociales et humaines et des sciences médicales »

Publié le lundi 8 mars 2021 à 09h36min

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Dr Jocelyne Vokouma : « Au Burkina, les femmes s’illustrent le plus dans les domaines des sciences sociales et humaines et des sciences médicales »

Anthropologue et chercheure à l’Institut des Sciences des Sociétés, Jocelyne Vokouma a également occupé des postes à responsabilités dans l’administration burkinabè : secrétaire générale du ministère en charge de la Promotion de la femme, Gouverneur de régions... Dans cet entretien qu’elle accorde à Lefaso.net à l’occasion du 8 mars 2021, elle fait le point de la contribution de la femme burkinabè dans le domaine des sciences.

Lefaso.net : Dans quelles branches des sciences retrouve-t-on le plus de femmes au Burkina Faso ?

Dr Jocelyne Vokouma : Selon la nomenclature consignée dans un rapport de l’UNESCO sur la science, au Burkina Faso (données de 2010), les femmes sont plus nombreuses dans les sciences sociales et humaines où elles constituent une proportion de 35,9%, tandis que de façon décroissante, elles représentent respectivement 27,7% en sciences médicales, 17,4% en agronomie, 11,6% en ingénierie et technologies et 10,1% en sciences naturelles.

Quelles sont les domaines dans lesquels elles s’illustrent le plus dans notre pays ?

En me référant aux données quantitatives de l’UNESCO citées plus haut, elles s’illustrent le plus dans les domaines des sciences sociales et humaines (plus de 35%) et des sciences médicales (plus de 25%).

Soixante ans après les indépendances, peut-on dire que les sciences restent encore le bastion des hommes ?

Non ! En réalité, les sciences n’ont jamais été le bastion des hommes. Car il a fallu démonter progressivement les pseudo-barrières établies sciemment, afin de les éloigner des femmes pour que la société sous la dynamique d’une révolution des mentalités comprenne que les filles comme les garçons disposent d’aptitudes pour exceller en science. Il suffit tout simplement de leur donner les mêmes opportunités et les mettre dans les mêmes conditions de sécurité psychologique et physique pour étudier.

En effet, si pendant que l’esprit du garçon est stable pour apprendre, la fille entretient dans le sien une peur constante qu’elle peut être conduite au couteau ou à la lame de l’excision à tout moment, elle peut être mise devant le fait accompli d’un mariage sans son consentement, etc., vous comprenez que le foyer de l’intelligence humaine n’est pas secoué, ni déstabilisé de la même manière selon qu’il s’agit d’une fille ou d’un garçon dans nos sociétés. C’est vers ces directions, qu’il faut regarder l’essentiel de ce qui limite fondamentalement le potentiel des filles et des femmes dans notre pays. Autrement, tout est possible pour les deux sexes dans le domaine des sciences. Le tout est une question de volonté et d’opportunité.

Si la situation est déséquilibrée entre hommes et femmes, qu’est-ce qui d’après vous peut l’expliquer ?

Ce sont les discriminations sociales. Et il faut que les gardiens des traditions – hommes comme femmes – fassent de plus en plus d’efforts en arrêtant de perpétuer les germes de ces discriminations qui empoisonnent de plus en plus l’épanouissement quotidien des femmes et des filles dans un monde en mouvements irréversibles, pendant qu’on leur demande de continuer à vivre comme leur arrière-grand-mères, grand-mères et mères, etc. La preuve est que de nos jours, si par la force d’un combat bien réussi, l’accès à l’éducation des filles a fini par être admis, leur maintien à l’école est encore l’objet d’un difficile plaidoyer qui n’a pas encore produit des résultats définitifs. Donc, beaucoup d’efforts restent encore à faire pour convaincre que c’est en laissant la fille finir son cursus qu’elle a des chances de s’en sortir dans la vie. La tâche ne sera pas facile, mais nous ne perdons pas du tout espoir.

Est-ce qu’on peut dire que la situation s’est améliorée ces derniers temps au Burkina Faso ?

Oui ! Sans hésitation aucune, on peut très bien l’affirmer. Car, en dépit de tout ce qui ne leur facilite pas la tâche au quotidien, nous sommes rassurée des effets d’une prise de conscience relative à la nécessité d’envoyer les filles et les garçons à l’école au même titre. Les orientations scolaires et universitaires ne souffrent pratiquement plus de formes patentes de discriminations. Et cela est une très bonne chose. Le professeur d’une discipline scientifique au niveau scolaire qui donne ses cours suivant une approche sexiste court un gros risque de nos jours. Ici, je fais allusion aux enseignants de certaines matières scientifiques qui préféraient interroger par exemple plus les garçons que les filles en classe.

Autrefois, il arrivait que certains ne supportent pas que les filles dominent les garçons dans leur matière et développent des stratégies personnelles pour influencer cette tendance. Nous avons entendu des témoignages de filles sur de telles pratiques dans le passé. Ce sont des comportements vraiment dépassés aujourd’hui qui appellent à la sagesse des uns et des autres. C’est ce que j’appelle un contexte favorable à l’épanouissement scientifique des filles en milieu scolaire. Et c’est tout le sens de notre espoir d’un lendemain encore meilleur.

Quelle potion pour faire évoluer les choses ?

En terme de parallélisme de forme dans la famille, la mère est le premier modèle de la fille tout comme le père représente un modèle de référence pour le garçon. Même analphabète, lettrée ou illettrée, la mère reste le modèle de sa fille. D’où la nécessité pour toute maman de ne pas perdre cette réalité de vue. Une mère qui travaille très bien dans la vie d’une manière générale va forcément influencer positivement ses enfants, mais les filles de façon très particulière. Ainsi, c’est à travers les encouragements, les motivations de toutes sortes qu’on donnera le minimum nécessaire à la fille pour d’abord vivre sans complexe devant un garçon. Ce qui va lui permettre de nourrir positivement son quotidien de la possibilité de pouvoir faire ce qu’elle envisage de bien avec un impact positif sur la société.

L’esprit de bâtisseur se construit progressivement ainsi. C’est en rassurant l’enfant dans la nécessité d’une confiance en lui, qu’il développera en lui l’audace de faire de grandes choses dans la vie. En tant que parents, nous devons bannir de notre jargon quotidien tout ce qui est en lien avec des propos discriminatoires. De notre positivité, dépendra la capacité de la fille à transcender les discours qui nivèlent ses potentialités au quotidien. En matière scientifique, les filles et les femmes ont besoin d’une force intérieure pour foncer et s’en sortir. Car, sans résister à la société et à ses entraves, elles ne pourront pas choisir des filières scientifiques à fortiori y rester.

Il y en a qui disent qu’il y a moins de femmes dans les sciences parce qu’elles sont moins intéressées … Que leur répondez – vous ?

Cela n’est pas du tout vrai. Il faut arrêter de les traumatiser dès le jeune âge par l’excision, le viol, le rapt, le mariage forcé, le sororat, etc., pour voir si elles ne vont pas exceller là où tout le monde les crois toujours incapables ou médiocres, hélas ! C’est en créant les conditions du succès, qu’une vie peut se transformer à tout moment par pur vouloir. Dans l’accès volontaire et non canalisé des filles aux filières scientifiques, leur élan est plus freiné par la peur de tout ce qu’elles doivent affronter comme entraves au quotidien que le potentiel de leurs capacités. Lire la suite

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