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RDC : Attaques d’une exceptionnelle gravité contre les lanceurs d’alerte, la presse et la société civile

Publié le jeudi 4 mars 2021 à 16h03min

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RDC : Attaques d’une exceptionnelle gravité contre les lanceurs d’alerte, la presse et la société civile

Des révélations sur une banque congolaise et un homme d’affaires sanctionné entrainent une vague de représailles contre des piliers de l’intérêt public.

(Paris, le 4 mars 2021) - Les enquêtes rendues publiques ces derniers temps par des médias et des ONG se fondant sur des documents transmis par des lanceurs d’alerte particulièrement courageux entraînent une vague d’actes de représailles d’une rare intensité, a déclaré aujourd’hui la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF). Ces attaques ont atteint leur paroxysme avec la condamnation à mort par contumace en RDC de deux lanceurs d’alerte, au cours d’une parodie de procès.

Ces agissements trahissent l’extrême embarras vécu par celles et ceux qui sont visés par ces révélations qui, au lieu de répondre sur le fond, font condamner à mort des citoyens agissant dans le strict cadre de l’intérêt général, intimident et menacent les journalistes et les ONG, quand ils ne répandent pas de fausses informations d’une manière obsessionnelle sur les réseaux sociaux.

« PPLAAF condamne avec la plus grande fermeté ces méthodes qui visent à entraver la liberté d’expression et supprimer les voix de celles et ceux qui luttent contre la corruption en République Démocratique du Congo et ailleurs », a déclaré Henri Thulliez, directeur de PPLAAF. « Le but évident est d’empêcher l’opinion publique congolaise et internationale d’avoir accès à des informations tangibles sur les agissements de ceux qui, par leur prédation systématique, pillent les ressources du Congo ».

PPLAAF soutient depuis plusieurs mois MM. Navy Malela et Gradi Koko, ces lanceurs d’alerte ayant fait l’objet de la condamnation à mort au cours d’un jugement frauduleux, et continuera à les soutenir et à les défendre face aux représailles, et ce jusqu’à ce que les faits qu’ils dénoncent soient pleinement rendus publics.

Le 26 février 2021, ces deux lanceurs d’alerte congolais ont révélé qu’ils étaient à la source des enquêtes ayant mené à la publication du rapport « Des Sanctions, Mine de Rien » et d’articles d’investigation parus en juillet dernier dans Le Monde, Bloomberg et Haaretz. Depuis, des journalistes ont continué à enquêter sur les documents remis par les deux lanceurs d’alerte. Des articles ont ainsi été publiés depuis fin février dans les médias suivants : RFI, Bloomberg, Africa Confidential, Haaretz et Mail & Guardian.

MM. Navy Malela et Gradi Koko ont travaillé pendant plusieurs années au département d’audit d’Afriland First Bank, la filiale congolaise d’une banque camerounaise. Devant l’ampleur des malversations dont ils ont été témoins, ils ont lancé l’alerte en interne puis, devant le manque de réaction et les menaces, ont transmis des documents compromettants à des ONG et des journalistes. Ils ont pris d’énormes risques pour leur sécurité personnelle, et celle de leur famille, tant ils étaient indignés par ces atteintes sans précédent à l’intérêt général congolais.

Ces enquêtes montrent que le magnat des mines Dan Gertler avait bénéficié de ce qui s’apparente à un réseau de blanchiment pour contourner les sanctions américaines. La banque Afriland apparaissait comme jouant un rôle central dans les mécanismes mis en œuvre. En 2017, les Etats-Unis ont sanctionné Dan Gertler, un ami proche de l’ancien président de la RDC, Joseph Kabila, en raison de ses « contrats miniers et pétroliers opaques et entachés de corruption ». Le 15 janvier 2021, l’administration Trump a discrètement octroyé une licence permettant à Gertler et ses sociétés d’accéder au système financier américain jusqu’au 31 janvier 2022, s’attirant les critiques de membres du Congrès américains et d’une trentaine d’ONG congolaises et internationales.

Les investigations montrent également que la banque hébergeait des comptes bancaires pour des individus nord-coréens agissant apparemment pour le compte de leur pays, et pour des sociétés sanctionnées par les Etats-Unis pour leur proximité avec le Hezbollah. En outre, elles indiquent que des hommes politiques congolais et des institutions publiques menaient des opérations frauduleuses à la banque.

Ces révélations ont entrainé une vague de représailles inédite contre les lanceurs d’alerte, les journalistes et les ONG.

Une peine de mort monstrueuse et frauduleuse

Le 25 février 2021, soit la veille de la publication de ces nouvelles révélations, les avocats d’Afriland (dont l’avocat français Eric Moutet – qui précédemment était membre du conseil d’administration de Sherpa, une ONG française luttant contre la corruption et créée par William Bourdon - qui se présentait dans ses relations avec les parties et dans les médias comme l’avocat de Dan Gertler) ont tenu une conférence de presse à Kinshasa indiquant que ces deux lanceurs d’alerte avaient été condamnés à mort par un tribunal de Kinshasa en septembre 2020, ainsi qu’à des peines de prison, pour pas moins de 8 chefs d’accusations.

Da manière tout à fait singulière, ce jugement apparaît comme frauduleux en de nombreux points, tel que RFI l’a déjà relevé :

• Deux procédures parallèles ont été intentées contre les deux lanceurs d’alerte, devant la même juridiction et devant la même formation de jugement.

Une première procédure (numéro de rôle 27.012) a été initiée par deux citations directes transmises par Afriland via un huissier français au siège de PPLAAF. Elles visaient les deux lanceurs d’alerte et reprenaient les mêmes allégations colportées par la banque, Dan Gertler et leurs représentants depuis plusieurs mois. Ces citations étaient irrégulières à bien des égards, notamment parce qu’une telle citation ne peut être envoyée au siège d’une association ou à un cabinet d’avocats. Il est utile d’indiquer qu’en juin 2020, les avocats de Dan Gertler et de la banque ont montré à PPLAAF des documents élaborés par des enquêteurs privés indiquant l’adresse en Europe d’au moins un lanceur d’alerte : ils avaient donc à l’époque la possibilité de lui transmettre une citation régulière. Envoyer une citation au siège de PPLAAF n’était qu’une énième manœuvre d’intimidation.

Ces citations n’incluaient pas d’accusations passibles d’une peine de mort.

PPLAAF a toutefois engagé un avocat congolais, Me Jean-Marie Kabangela Ilunga pour la représenter devant le TGI de la Gombe (Kinshasa) à l’audience du 7 septembre 2020 afin d’informer la Cour de l’irrégularité de la citation, mais l’audience a été immédiatement renvoyée en raison de l’absence de représentants de la banque Afriland.

Ce même 7 septembre, une seconde audience s’est tenue, devant la même formation de jugement, où cette fois les avocats d’Afriland étaient présents, mais pas l’avocat de PPLAAF qui n’en était pas informé. C’est la procédure enregistrée au rôle 27.071. Dans cette seconde procédure, les lanceurs d’alerte n’apparaissaient pas comme résidant en Europe, mais en RDC. En effet, elle reposait sur des citations directes prétendument envoyées aux domiciles kinois des lanceurs d’alerte. Ces derniers étant évidemment absents puisque vivant en Europe depuis plusieurs mois (ce qui est d’ailleurs indiqué dans les citations), les citations directes n’ont pu être signées que par des prétendues « voisines » dont seul le prénom est indiqué.

Or c’est au cours de cette procédure irrégulière que la juridiction a conclu à la condamnation à mort des deux lanceurs d’alerte.

• Il existe deux versions différentes du jugement.

Pendant les dernières enquêtes menées par les journalistes, Dan Gertler et la banque ont répété que les deux lanceurs d’alerte avaient été condamnés à mort. Malgré de nombreuses demandes visant à récupérer une copie authentique du jugement, les journalistes ont reçu des fins de non-recevoir. De la même manière, l’avocat de PPLAAF, Me Jean-Marie Kabangela Ilunga, n’a cessé de tenter d’obtenir de telles copies. En vain. A la suite de la conférence de presse des avocats d’Afriland, une copie du jugement a été mise en ligne et partagée sur les réseaux sociaux. Ce jugement condamne les lanceurs d’alerte pour vol, faux en écriture, corruption privée, violation de secret professionnel et association des malfaiteurs, et les acquitte pour dénonciation calomnieuse, abus de confiance et recel.

Cette version du jugement est différente de celle finalement donnée le 1er mars par l’huissier près le Tribunal de Grande Instance de Kinsahsa/Gombe à l’avocat de PPLAAF. Cette version condamne les lanceurs d’alerte pour vol, corruption privée, violation du secret professionnel et association des malfaiteurs, et les acquitte pour faux en écriture et usage de faux, dénonciation calomnieuse, abus de confiance et recel.

Les deux versions du jugement sont estampillées du sceau du même greffier.

Selon la journaliste de RFI, une enquête a été ouverte par le TGI de Kinshasa-Gombe le 2 mars 2021 après la diffusion d’un faux jugement, se référant apparemment au jugement mis en ligne peu après la conférence de presse des avocats d’Afriland.

• Les deux jugements condamnent les lanceurs d’alerte à des peines non prévues par le Code pénal congolais.

Les lanceurs d’alerte sont condamnés à « 4 ans de servitude pénale principale pour violation de secret professionnel », alors que l’article 73 du Code pénal prévoit des peines « d’une servitude pénale de un à six mois » pour la révélation du secret professionnel.

Les lanceurs d’alerte sont condamnés à mort en vertu de l’article 156 du Code pénal alors que ce dernier est placé sous le titre « Infraction contre la sécurité publique », laissant donc entendre que les intérêts d’Afriland et ceux de l’Etat congolais se confondent. Avec l’article 156 l’intérêt de l’Etat étant en jeu, seul le Parquet aurait pu mettre en mouvement l’action publique.

• Le jugement comporte des allégations absolument erronées.

Certains faits présentés dans le jugement sont absolument faux et les avocats d’Afriland et Dan Gertler en ont déjà été informés par le passé. Ainsi par exemple, en juin 2020, PPLAAF et Global Witness ont affirmé à ces derniers que les accusations qu’ils proféraient contre Mme Carina Terstakian, une ancienne chercheuse de Global Witness, était entièrement faux, cette dernière n’ayant jamais mené d’enquête sur Dan Gertler et quitté l’organisation en 2009.

Toute preuve ou prétendu témoignage indiquant le contraire est donc nécessairement faux.

Cette peine a été décidée malgré un moratoire sur la peine de mort, en vigueur en RDC depuis presque 20 ans.

Ce jugement n’a pas été signifié aux lanceurs d’alerte. Il ne peut donc être exécuté en l’état.

En outre, le parquet est tenu de faire appel en vertu de l’article 175 de l’arrêté d’organisation judiciaire selon lequel « L’officier du Ministère public devra obligatoirement exercer son recours à toutes fins utiles, toutes les fois que le prévenu aura été condamné à la peine de mort ou de servitude pénale à perpétuité ».

Cette condamnation aberrante a été condamnée par le Bureau Conjoint des Nations Unies pour les Droits de l’Homme en RDC, ainsi que par les ambassades de la Belgique, de la France et des Etats-Unis. Au moins deux députées européennes ont également apporté leur soutien à Gradi Koko Lobanga et Navy Malela.

« Quand on démasque les plus grands réseaux de corruption au monde, la riposte peut être d’une violence extrême. Nous appelons les autorités judiciaires congolaises à faire annuler ce jugement inique et rendu au cours d’une parodie de procès à l’encontre des lanceurs d’alerte », ont déclaré William Bourdon, président de PPLAAF, et Henri Thulliez, directeur de PPLAAF.

Des représailles contre le père de l’un des lanceurs d’alerte

Depuis quelques jours, la banque semble s’attaquer aussi aux proches des lanceurs d’alerte.

Le père d’un des lanceurs d’alerte, M. Gradi Koko Lobanga, qui est lui aussi un employé d’une branche d’Afriland, a été convoqué au siège de la banque le 1er mars 2021. Présenté devant les directeurs et l’avocat de la banque, et quelques « journalistes », il a été soumis à une véritable pression afin qu’il démente les propos de son fils. Cet entretien aurait été enregistré.

Il a été à nouveau convoqué le 2 puis le 4 mars 2021.

« Quand on n’arrive pas à démentir de graves accusations et qu’on ne parvient pas à réduire au silence un courageux lanceur d’alerte, on s’en prend à sa famille. Ce sont des méthodes indignes », ont déclaré William Bourdon et Henri Thulliez, respectivement président et directeur de PPLAAF.

Menaces et chantage contre les médias et les ONG

Outre ces actes de représailles, des intimidations hors-norme ont eu lieu avant les publications, afin de tenter de les annuler, et après, afin de les décrédibiliser.

Le président de PPLAAF, William Bourdon, avait indiqué à Médiapart dès juillet 2020 avoir fait l’objet d’un véritable chantage diligenté par les avocats de M. Dan Gertler, notamment en faisant planer le risque d’une campagne publique et en faisant allusion à un enregistrement effectué à son cabinet une année auparavant dans des conditions absolument frauduleuses.

William Bourdon a également été contacté à de nombreuses reprises par un média israélien, Yediot Aharonot, dans les jours précédant la publication du rapport en juillet. Ce média a fait les mêmes allégations fantaisistes mentionnées par les avocats de Gertler et certaines vidéos diffamatoires, en menaçant de publier des articles d’investigation, avant de cesser la correspondance subitement.

La veille de la publication du rapport, le 1er juillet 2020, la principale banque visée par les enquêtes, Afriland, a déposé plainte contre PPLAAF et Global Witness devant le parquet de Paris. Elle faisait suite à une menace faite par Dan Gertler par l’intermédiaire de ses avocats, notamment le cabinet londonien Carter Ruck, qui ont expressément évoqué la possibilité de déposer une telle plainte pénale, le 11 juin 2020. Cette plainte pénale reprend les principales allégations contenues dans les citations directes envoyées au siège de PPLAAF et dans le jugement du 23 septembre 2020.

Enfin, le 2 octobre 2020, plusieurs avocats connus en France pour leur prétendu engagement en faveur des droits de l’Homme ont annoncé avoir déposé trois plaintes avec constitution de partie civile en diffamation contre PPLAAF et Global Witness : Me Emmanuel Daoud (un des avocats de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme), avocat de Dan Gertler, Me Eric Moutet (ancien avocat anti-corruption et ancien membre du conseil d’administration de Sherpa), avocat d’Afriland, et Me Patrick Klugman (ancien adjoint à la Maire de Paris en charge des Relations internationales et de la Francophonie) avocat de deux personnes visées par l’enquête (MM. Elie Berros et Ruben Katsobashvili).

Ces procédures baillons ont été vivement dénoncées par 48 organisations de protection des lanceurs d’alerte et de la presse, de groupes anti-corruption et de protection des droits humains.

Journalisme d’investigation contre fausses informations en masse

Ces plaintes et ces révélations se sont accompagnées d’une campagne diffamatoire contre les deux associations et les journalistes sur les réseaux sociaux. Certains des éléments diffusés sur les réseaux sont des enregistrements que M. Gertler et ses représentants avaient menacé de publier en cas de publication du rapport.

Depuis quelques jours, une chaine Youtube qui se faisait passer pour l’organisation Transparency International, a pu diffuser des publicités payantes (elles ont été vues des dizaines de milliers de fois) sous la forme de vidéos diffamatoires et grotesques contre PPLAAF, Global Witness et les lanceurs d’alerte.

Ces attaques ne sont qu’une campagne grossière et malveillante, dont le but est de distraire l’opinion publique et d’épuiser ceux qui se battent pour l’intérêt public. La banque et les hommes d’affaires concernés sont accusés de faits extrêmement graves de blanchiment. Au lieu de répondre sur le fond aux enquêtes, des ressources considérables sont dépensées pour intimider et pour répandre de fausses informations dommageables pour l’intérêt public.

Quant aux procédures judiciaires, le but réel n’est de toute évidence pas de faire condamner des journalistes ou des associations, mais de les harceler, les pousser à l’auto-censure, de décrédibiliser leur parole et de détourner l’attention de l’opinion publique de l’extrême gravité des informations publiées.

PPLAAF reste confiante que ces révélations portant sur des faits extrêmement graves, mèneront à des enquêtes et des sanctions, montreront la nécessité de reformer le système financier congolais et international, et – surtout- encourageront d’autres citoyens congolais à dénoncer la corruption qui gangrène leur pays.

Ces attaques montrent une énième fois que de courageux citoyens congolais sont prêts à tout pour combattre la corruption et défendre les intérêts de leur pays. Ils devraient être célébrés, remerciés et non condamnés.

PPLAAF et William Bourdon ont chargé leurs Conseils d’initier toute procédure aux fins qu’il soit mis un terme à ces agissements et que les responsables de l’ensemble de ces infractions soient punis et condamnés, et ce tant en France qu’à l’étranger.

Source : PPLAAF

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