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Burkina : « Pour une réconciliation nationale vraie et sincère, aucun type de justice ne devrait être une fin en soi ! », foi de l’ATR/DI

Publié le lundi 22 février 2021 à 11h30min

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Burkina : « Pour une réconciliation nationale vraie et sincère, aucun type de justice ne devrait être une fin en soi ! », foi de l’ATR/DI

Que l’on soit pour ou contre la justice classique ou la justice transitionnelle pour parvenir à la réconciliation nationale ou que l’on estime qu’au Burkina Faso, il n’y a nullement un problème de réconciliation nationale, le fait est là que le thème ne laisse personne indifférent. Or, en société, ce qui constitue une préoccupation (qu’elle soit réelle ou ressentie) ne peut ni ne doit être éludé. C’est le sens de la présente réflexion de l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI). La première partie qui est relative aux faits que sont les positions de quelques animateurs de la vie politique et de la société civile vous est proposée dans les lignes qui suivent (1re partie).

Voilà près de quatre décennies que la réconciliation des Burkinabè entre eux et entre eux et leur histoire est une constante. Toutefois, il ressort qu’elle se pose avec plus acuité de nos jours du fait de l’accumulation des fractures sociopolitiques datant de l’avènement, le 07 novembre 1982 du Conseil de salut du peuple (CSP) I et II (correspondant respectivement à l’avant et à l’après-arrestation du capitaine Thomas Sankara) jusqu’à l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 qui a donné naissance à la Transition puis à l’élection de Roch Marc Christian Kaboré à l’issue de la présidentielle de 2014 sous les couleurs du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP).

En écoutant la chronique de la cité, le vécu est partagé qui veut que nous soyons au paroxysme des contradictions qui minent notre société avec les conflits intra et intercommunautaires, l’extrémisme violent généralement précédé par une radicalisation subtile ou tonitruante, les frustrations politiques légitimes vécues par nombre d’opposants à la Révolution démocratique et populaire (RDP), les victimes ou les ayants-droit des victimes des crimes de sang des presque 40 dernières années et plus récemment les morts et les blessés tous bords confondus des 30 et 31 octobre 2014 et du putsch manqué des 15 et 16 septembre 2015 ; pour ne citer que ces éléments-là !

Certes, ils ne sont pas numériquement négligeables les Burkinabè qui estiment qu’il n’y a pas matière à réconciliation nationale et que la rigueur de la loi doit prévaloir. Contrairement à ce que l’on peut penser ils ne manquent pas d’arguments poignants pour corroborer leurs positions. Cependant, ce n’est pas tant la justesse ou la légitimité des thèses des partisans de la réconciliation qui importent que leurs ressentis et leur perception de l’ordre social des choses.

Ces ressentis et ces perceptions, si tant est qu’il ne s’agit que de cela, peuvent impacter négativement l’épanouissement de la collectivité tout entière : l’action des groupes armés, nombre de revendications politiques ou syndicales… Et si, d’une façon ou d’une autre, il ne leur est pas prouvé, preuves à l’appui, que leurs sentiments ne sont pas fondés, les décisions de justice les plus justes peuvent se révéler inopportunes si les condamnés n’en épousent pas les bien-fondés. Le cas de la destruction le 07 septembre 2020, suite à une décision, d’une mosquée et d’une école franco-arabe à Pazanni (secteur 37, arrondissement/Ouagadougou) illustre ce type de situation en dépit du fait que la gravité des faits n’est pas du tout la même.

Ce faisant, il n’est pas illégitime de se demander ce qu’il importe de faire de sorte que la justice qui est une voie pour arbitrer, sans parti pris, les rapports entre les parties en conflit en toute indépendance et en adéquation avec l’intérêt général pour une société de paix et de concorde ne se transforme pas, en son corps défendant, en problème pour toute la collectivité politique. C’est pourquoi, la réconciliation est à l’ordre du jour, quelle que soit la forme qu’elle prendra. Un autre fait qui s’inscrit dans le même sens est la promesse de campagne que le président du Faso élu Roch Marc Christian Kaboré a faite à ce sujet : c’est en effet une des premières priorités de son second programme quinquennal et il devra joindre l’acte à la parole.

Un bref tour d’horizon sur la question chez les politiques

Le 31 octobre 2020 dernier, le programme du candidat Roch Marc Christian Kaboré présenté par son parti politique, le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), faisait ressortir dix grands chantiers dont le deuxième concerne, entre autres, la réconciliation des Burkinabè et la consolidation de la paix et de la cohésion sociale. Au lendemain de son élection, il a confirmé cela le 27 novembre 2020 sur France 24 en disant que pour « Tout ce qui concerne les questions sécuritaires, de réconciliation nationale… nous allons nous atteler très rapidement ». On connaît maintenant le début de la suite avec la nomination de Zéphirin Diabré comme ministre d’Etat auprès du président du Faso chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale.

Ce dernier, alors qu’il était encore le chef de File de l’opposition politique, déclarait le 30 septembre 2020 que « La construction de la réconciliation nationale doit se faire sous le triptyque vérité-justice-réconciliation [en rassemblant] toutes les forces-vives de la nation pour réfléchir sur la trajectoire…pour le retour de la paix et la réconciliation. » Il a ajouté que « La réconciliation doit surtout rétablir la vérité sans complaisance…[et] éviter ‘’la vérité des vainqueurs’’. » « Les Burkinabè doivent savoir qu’il y a des concitoyens qui ont souffert dans leur chair et dans leur esprit du fait des agissements des régimes politiques passés et actuels » a-t-il conclu.

Eddie Komboïgo, quant à lui, écrivait dans son programme de candidat à la présidentielle posté par Netafrique.net le 31 octobre 2020 que « Dans le domaine de la réconciliation nationale, les crises socio-politiques qui ont jalonné les six (06) dernières décennies de notre histoire socio politique ont laissé des stigmates plus ou moins profonds sur notre tissu social dont la reconstitution constitue une des préoccupations majeures et urgentes de notre peuple. Pour ce faire, la réconciliation nationale demeure la réponse qui correspond le mieux aux attentes du peuple burkinabè. »

Enfin, du point de vue du Premier ministre Christophe Dabiré qui a prononcé sa Déclaration de politique générale le 04 février 2021 à l’Assemblée nationale, « la réconciliation nationale… constitue un enjeu majeur pour mon gouvernement. C’est l’ampleur de ce défi qui a commandé la nomination d’un ministre d’Etat, ministre auprès du Président du Faso et qui en a la charge. Une des actions phares pour relever ce défi est de réussir l’organisation du forum de réconciliation nationale annoncé par le Président du Faso, en s’appuyant sur les résultats [du travail effectué] par le Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale ».

Qu’en pense la société civile ?

Au sein de la société civile, les leaders religieux et les coutumiers (même si l’appartenance de ces derniers à la société civile est sujet à caution) ont livré à toute la nation burkinabè, le vendredi 10 janvier 2020 à partir du palais de Sa Majesté le Moogho Naaba Baongho un message. De leur appréciation, il ressort qu’« Au niveau politique national, la situation nous appelle à définir de nouveaux chemins de dialogues. Ce dialogue doit être inclusif et impliquer tous les citoyens à travers une synergie d’actions porteuse d’un plus grand engagement au niveau national. Un dialogue profond passe par une réconciliation ouverte et effective. La paix ne peut être atteinte sans réconciliation. »

Avant eux, a été lancé le samedi 15 juin 2019 dans le village de maître Titinga Pacere l’appel pour la sauvegarde de l’unité nationale et le vivre ensemble et contre l’incitation aux conflits ethniques religieux et la stigmatisation, dénommé, “l’appel de Manéga”. Les initiateurs préconisaient, « Dans le souci de parvenir à l’apaisement, à la décrispation et à un environnement politique et social favorables à la tenue d’élections apaisées en 2020 et d’une entente nationale durable…, un dialogue direct inter-Burkinabè, un forum de réconciliation nationale inclusif auquel prennent part les exilés politiques… »

S’agissant du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) né au lendemain du massacre des Peulh dans la commune de Barsalogho consécutivement à l’assassinat du chef coutumier du village de Yirgou/Barsalogho/Centre-Nord et de cinq (05) de ses proches le 1er janvier 2019, son porte-parole le Dr Daouda Diallo estime, comme le ministre d’Etat auprès du président du Faso chargé de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale Zéphirin Diabré que la réconciliation nationale ne concerne pas seulement les politiques. Ainsi, dans les colonnes du journal Lefaso.net du 14 janvier 2021, il explicite ses propos : « Aujourd’hui, au Burkina, il y a des groupes sociaux qui se sentent marginalisés. Même au sein d’un même groupe social, il y a des discriminations, des formes de stigmatisation et tout cela est un handicap pour la construction d’une nation véritable et pour un développement réel ».

Quant à l’Association des blessés de l’insurrection populaire (ABIP) des 30 et 31 octobre 2014, dont le président M. Dramane Ouédraogo s’exprimait dans une interview parue dans L’Observateur Paalga n° 10 273 du jeudi 28 janvier 2021, « Il faut qu’on sache qui a fait quoi et qui doit pardonner à qui…La question de la justice telle que les gens l’abordent, c’est comme s’il fallait forcément juger quelqu’un et le condamner à 20 ou 30 ans de prison. Or, quand nous disons vérité, justice et réconciliation, nous voulons que les gens acceptent de reconnaître leurs actes, qu’ils plaident coupables, que les victimes sachent au moins ce que la personne a posé comme actes et que malgré cela, on accepte de lui pardonner. »

Enfin, pour le Balai citoyen, « Le peuple burkinabè n’a pas un problème de réconciliation nationale. Qui veut-on réconcilier avec qui ? De quoi parlent ces agitateurs de la réconciliation nationale. Si ce n’est de l’impunité à accorder à ceux qui ont commis des crimes économiques ? »

Pour une réconciliation nationale vraie et sincère, aucun type de justice ne devrait être une fin en soi !

Comme promis, nous vous proposons la seconde partie de la réflexion de l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI) sur la problématique de la réconciliation. En rappel, la première partie s’était appesantie sur les positions de quelques politiques et acteurs de la société civile. Cette partie-ci met l’accent sur les obstacles, les craintes compréhensibles de certains pans de la société burkinabè et l’importance du rôle des victimes et des ayants droit des violences en politique et des conflits intercommunautaires (IIe partie et fin).

Le réalisme commande que l’on se rende à l’évidence que tous les Burkinabè ne sont pas partisans de la réconciliation nationale : il y en a qui qui estiment qu’il suffit que le droit soit dit par l’institution judiciaire de la façon la plus rigoureuse et le sort de la réconciliation nationale sera réglée grâce au temps ; lequel a, tôt ou tard, vient à bout de tout. Un deuxième groupe conditionne la réconciliation nationale au passage par la justice dite moderne. Autrement dit, une fois les vérités connues et les peines prononcées, on pourrait alors se réconcilier sur ces bases en principe saines.

Ces deux courants d’idées tirent leur légitimité du fait que les précédentes initiatives dans ce sens ont été des rendez-vous manqués. Il s’est d’abord agi du Forum de réconciliation nationale (FRN) ouvert le 11 février 1991, au moment où le pays avait opté pour le retour à l’Etat démocratique et libéral au terme de quatre (04) Etats d’exception (Comité militaire de redressement pour le progrès national, Conseil de salut du peuple I et II, Conseil national de la révolution et Front populaire) en une décennie. Aussitôt ouvert, il a été aussitôt fermé.

Ce vrai-faux départ est consécutif au désaccord entre le pouvoir de l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail (ODP/MT) présidé par le Dr Bongnessan Arsène Yé (et ses alliés) dont le bras armé était l’Alliance pour le respect et la défense de la constitution (ARDC) d’une part et d’autre part la Coordination des forces démocratiques (CFD) regroupant les partis politiques de l’opposition politique et des organisations de la société civile avec pour tête de proue la Convention nationale des patriotes progressistes/Parti social-démocrate (CNPP/PSD) du Pr Joseph Ki-Zerbo. S’en est suivie l’organisation de la Journée nationale de pardon le 30 mars 2001. Cette manifestation résulte des recommandations du Collège de sages mis en place suite à la crise sociopolitique dans laquelle le pays a sombré au lendemain de l’assassinat du directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant et de ses trois (03) compagnons. Organisée sans avoir reçu l’accord ni l’adhésion de toutes les forces politiques et sociales au contraire du rapport du Collège de sages, elle ne pouvait avoir les retombées que l’on était en droit d’attendre.

Comme pour éviter de vivre la « prophétie » de l’adage selon lequel, « Il n’y a jamais deux sans trois », ceux qui nient la nécessité de la réconciliation nationale ou qui estiment qu’il faut le faire en passant par la justice dite moderne n’ont peut-être pas tort. Les partisans de ces deux camps se recrutent au sein du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti politique majoritaire, des partis politiques qui lui sont alliés, de certaines organisations de la société civile…

Au-delà des craintes compréhensibles, peut-on faire objectivement l’économie de la réconciliation nationale ?

Soit, la question telle que posée comporte elle-même des éléments de réponse de manière sibylline mais il sied de passer en revue quelques facettes du contexte social, politique, communautaire et sécuritaire du Burkina Faso actuel avant de se faire une opinion qui, en tant qu’opinion, peut être désapprouvée et contredite mais qui aura le mérite d’avoir été exprimée par les citoyen(ne)s que nous sommes.

Ainsi, il est clair aux yeux de tous que le Burkina Faso de 2021 n’est pas, du point de vue politique, similaire à celui de 2001, encore moins à celui de 1991 : le personnel politique est resté à peu près le même mais les cartes ont été profondément rebattues.

En outre, la réconciliation nationale a été une des principales promesses de campagne du candidat Roch Marc Christian Kaboré qui, fort heureusement pour lui, a été réélu. A moins de vouloir renier ce qu’il a promis hier, il se doit de parvenir à réaliser sa promesse et de quitter, la tête haute, la magistrature suprême de son pays au terme de son second mandat. Dans ce sens, il est politiquement bienséant que ceux qui ont œuvré à ce qu’il soit réélu se convainquent (si ce n’est pas encore le cas) de la pertinence de sa promesse et qu’ils l’aident à la réaliser. La question ne devrait donc plus relever du principe mais simplement de la procédure afin de savoir comment cela se ferait.

Au-delà de la réconciliation nationale qui prendrait en compte les membres du dernier gouvernement du président Blaise Compaoré et des proches de ce dernier, il est une catégorie de citoyens dont on ne parle pas et qui ne parle pas non plus des violations des droits dont ils ont fait l’objet sous la Révolution démocratique et populaire (RDP) dirigée par le Conseil national de la révolution (CNR). Ce sont ceux que l’on qualifiait, à tort ou raison, de membres du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) clandestin.

Nombre d’entre eux ont été contraints à la clandestinité, privés de bourses de l’Etat, licenciés de la Fonction publique ou des sociétés publiques et parapubliques, bloqués dans leurs carrières, interdits de postuler pour l’acquisition des villas construites sous la RDP ou d’emprunter les bus de la société d’Etat des transports en commun X9… Résultat : certains sont tombés dans la déchéance avec des conséquences peu enviables pour leur progéniture.

De nos jours, on retrouve ces parias de la RDP dans les mouvements de défense des humains les plus en vue, les centrales syndicales (et les syndicats autonomes) les plus mordantes, les ONG de lutte contre la corruption, les organisations de lutte contre la cherté de la vie…. Ces personnes n’étaient certes pas des enfants de chœur mais la légitimité (ne parlons pas de légalité) du sort qui leur a été réservé était discutable (et c’est un euphémisme).

A l’échelle du rapport de certaines communautés avec les institutions étatiques, la dégradation s’est traduite depuis 2015 par les attaques armées contre des symboles de l’Etat avec pour justification la lutte contre les injustices (redistribution inique des richesses nationales dont certaines régions sont particulièrement l’objet, stigmatisation et/ou massacres de certaines communautés, etc.) et le délitement religieux et moral de la société. Il faut y ajouter les attaques armées contre les civils (chefs religieux de toutes confessions, chefs traditionnels et coutumiers des différentes communautés, hommes, femmes, enfants, commerçants, agents publics, éleveurs, agriculteurs…).

Le bilan humain de cette situation se chiffre à des milliers de morts. S’il n’y a pas de doute qu’il faut opposer aux agresseurs armés des ripostes armées sinon supérieures du moins égales, il n’en demeure pas moins que la réponse armée doit être un des moyens et pas une des fins, encore moins la fin ! Autrement dit, il faut dissuader militairement et judiciairement les éléments extrémistes tout en œuvrant à parvenir à réconcilier les autres franges de la population les unes avec les autres par les voies du dialogue. En tout état de cause, le but ultime de toutes les initiatives doit la réconciliation nationale.

Le débat justice pénale-justice transitionnelle/réparatrice

La quasi-unanimité des Burkinabè semblent, comme nous l’avons déjà affirmé, favorables à la réconciliation. La principale pomme de discorde réside dans le choix d’un des éléments de l’alternative suivante : de la justice pénale et de la justice transitionnelle/réparatrice laquelle serait convenable pour une réconciliation vraie, sincère, honnête et durable entre les Burkinabè ?

Les fervents défenseurs de la justice transitionnelle/réparatrice qui, pour la plupart, se recrutent dans les milieux proches de l’ancien président Blaise Compaoré craignent, en réalité, que l’institution judiciaire soit utilisée contre eux à des fins de règlement de comptes et au mépris d’une administration orthodoxe et indépendante de la justice. A n’en pas douter, c’est une crainte bien compréhensible car en dépit des exégèses qui nous sont servies quotidiennement, le droit est généralement le fidèle reflet des rapports des forces dans l’arène sociale.

En retour, les partisans d’une justice implacable contre les instigateurs, les auteurs et les complices de violences en politique sont des citoyens, des acteurs sociaux, des militants politiques plus ou moins proches du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) qui soupçonnent et qui accusent même les chantres de la justice transitionnelle/réparatrice de vouloir ainsi échapper à la justice pénale. A leurs yeux, ce serait là une prime à l’impunité dont souffre déjà le pays.

Toutefois, pour compréhensible que puisse être la position du camp de la justice transitionnelle/réparatrice, cette attitude peut se révéler spécieuse car une fois que la justice est saisie ou se saisit d’un cas de crime, l’action publique ne peut être interrompue que par le ministère public. Peut-être que le Forum de la réconciliation nationale (FRN) saura construire des passerelles avec l’institution judiciaire de sorte que ce qui sera fait ne soit pas entaché d’illégalité.

Il sied plutôt de se battre, en prenant l’opinion publique nationale et internationale à témoin, pour qu’en cas de procès les choses soient faites dans les règles de l’art ; du reste, les magistrats ont, d’ailleurs, tout à gagner en conduisant les éventuels procès de façon professionnelle car ils font déjà l’objet de tirs croisés venant de toutes les composantes de l’opinion et dénonçant la gestion des dossiers judiciaires.

Avec ceux qui arguent qu’il ne peut y avoir un épilogue de l’impunité que par le biais de la justice classique, il faut convenir que dans un Etat de droit démocratique et libéral c’est le principe de base. Mais à l’opposé de leur argument, il faut noter que dans l’histoire (surtout récente) du Burkina Faso, les procédures et les verdicts de cette justice ont souvent été, non sans raison d’ailleurs, sujet à caution. En outre, s’il est certain que des magistrats intègres il en existe dans cette institution, il n’y a point de doute que des indélicats on en trouve aussi. Enfin, le personnel judiciaire est quasiment le même que celui d’avant l’insurrection des 30 et 31 octobre 2021 et les contradictions qui ont traversé la société burkinabè a également « irradié » le corps de la magistrature ; ce qui, subséquemment et peut-être inconsciemment, peut influer de façon non objective sur certaines décisions de justice.

La clé de voûte de la réconciliation nationale : le sort des victimes, de leurs ayants droit et des blessés des violences en politique

Par-delà les polémiques, parfois oiseuses, entre les pour et contre la voie judiciaire classique comme passage obligé pour aller à la réconciliation nationale, la voix des victimes, de leurs ayants droit et des blessés des violences en politique de toute l’histoire du Burkina Faso et singulièrement de l’insurrection et du coup d’Etat des 15 et 16 septembre 2015 doit être entendue. Ce qui se fera en leur nom, pour eux mais sans eux se révélera être contre eux. Commençons donc par-là en leur permettant d’adopter une position qui, tout en prenant appui sur les défis structurels auxquels le pays fait face, ne soit pas le fruit de la pression d’un ou de l’autre des camps qui, en réalité, sont tous mus par des motivations qui ne sont toujours pas conformes ni à l’intérêt général, ni à celui des premiers intéressés.

Au titre de ces défis, on peut citer le conflit quotidien que les Burkinabè entretiennent envers eux-mêmes à travers les infractions des lois et règlements que la plupart connaissent. Par exemple, le fait de ne pas respecter les règles élémentaires du code de la route (feux tricolores, rue à sens unique, port obligatoire du casque pour les motocyclistes, etc.) est un cas pathétique. S’agissant du terrain politique, les choses se passent de commentaires : la rue, les ondes des médias traditionnels, les colonnes des médias écrits, les espaces des médias sociaux et des réseaux sociaux ressemblent plus à des champs de batailles dignes de celles des gladiateurs (mais au contraire de ces derniers, il n’y a presque pas de règles ou lorsqu’il y en a elles ne sont nullement respectées) qu’à des lieux de convivialité, leur vocation initiale.

Au plan religieux, les choses ne sont guère fondamentalement différentes de la sphère politique tant au niveau de la radicalité des discours qu’à celui des canaux de communication utilisés. De nouveaux prêcheurs, singuliers dans leurs comportements et dans leurs propos, qui exploitent à la perfection les anciens et les nouveaux supports de communication incitent (ouvertement ou subtilement) leurs coreligionnaires à construire des cloisons entre les confessions ou parfois même au sein des confessions religieuses ; seule voie supposée mener au paradis.

Concernant les relations interethniques, elle semble lointaine la période où, malgré les préjugés et les stéréotypes que les différentes communautés collaient les unes sur les autres mais sans méchanceté particulière, l’harmonie sociale et l’entente fraternelle étaient de mise. De nos jours, les conflits armés intra et intercommunautaires sont malheureusement légion sur fond de repli identitaire, de revendications d’une meilleure gouvernance du pays, de réaction aux actes de stigmatisation, de représailles suite aux actes terroristes…

De telles réalités exigent un sursaut de la part de tous. Si les différentes formes de justice (justice classique et justice transitionnelle ou réparatrice) peuvent servir de moyens pour reconstruire des relations apaisées, elles ne sont pas des fins en soi au service des règlements de comptes personnels ou politiques ou pour permettre à d’aucuns d’échapper à bon compte aux peines qu’ils méritent pour avoir commis ou été complices de crimes de sang. La fin ultime de toute action dans ce sens doit concourir, dans la tolérance, à réaliser le rêve partagé par les Burkinabè de l’avènement de l’Etat-nation en soldant, une bonne fois pour toutes, le passif que constituent les violations des droits humains à travers la violence en politique et les conflits intercommunautaires.

La tolérance dont il est question ici n’est pas à confondre avec le laxisme, la complaisance, la condescendance. Elle est synonyme de respect et d’acceptation de l’expression des spécificités et des droits d’autrui. Ointe par des valeurs sociétales telles que la tolérance, l’intégrité, la solidarité et l’équité, la démarche vers la réconciliation nationale devra éviter de chercher à réinventer entièrement la roue.

Dans cette optique, elle pourrait capitaliser sur les recommandations et les conclusions du rapport du Collège de sage sur les crimes impunis de 1960 à juillet 1999 mis en place au lendemain de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois (03) compagnons. Cependant, cela ne doit pas éluder la plus-value inestimable que les recherches en sciences sociales (déjà effectuées ou à commanditer) peuvent apporter à l’accomplissement de cette œuvre titanesque. En attendant, les multiples audiences qu’accorde le ministre d’Etat Zéphirin Diabré peuvent participer d’une simple prise de contact avec les acteurs dont la contribution sera d’une valeur ajoutée certaine dans l’accomplissement de sa mission.

Association pour la Tolérance religieuse
et le Dialogue interreligieux (ATR/DI)

Pour le Bureau national,
Le Président

Issaka SOURWEMA
Dawelg Naaba Boalga

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Vos commentaires

  • Le 22 février 2021 à 16:49, par koh En réponse à : Burkina : « Pour une réconciliation nationale vraie et sincère, aucun type de justice ne devrait être une fin en soi ! », foi de l’ATR/DI

    bien dit. La question je me pose est la suivante. Qui est victime et qui est bourreau ? Même ceux sont pris en flagrant délit refusent de reconnaitre leur tors et demandent même leur acquittement et réparation. en exemple le coup d’état de septembre. Le général Djendéré a crié sur tous les toits qu’il était responsable de ce coup. Au jugement il ne reconnait aucun fait et dit d’être embarqué par le RSP.
    Blaise Compaoré après 27 ans de présidence au BF pour fuir la justice de son pays devient ivoirien. En somme PERSONNE NE ASSUMER CE QU’IL A FAIT.
    il faut que les uns et les autres reconnaissent leur tords et demandent humblement pardon et seront pardonner.
    à cette allure la réconciliation au B F EST UNE LEURRE et il n’ y aura JAMAIS DE RÉCONCILIATION comme on le souhaite

  • Le 22 février 2021 à 17:39, par Sidpassata Veritas En réponse à : Burkina : « Pour une réconciliation nationale vraie et sincère, aucun type de justice ne devrait être une fin en soi ! », foi de l’ATR/DI

    - Pourvu que l’injustice, l’impunité, les passe-droits ne soient pas envisager comme des moyens de satisfaire des gens qui, indument (sur l’unique base de leur ressenti) se plaignent d’être lésés alors que c’est plutôt eux qui, par je ne sais quelle logique, suppose qu’ils ont des droits qui, en réalité, ne sont pas leurs.
    - Il faut que petit-à-petit, ces gens-là aussi comprennent que désormais, "plus rien ne sera comme avant" et que tous les citoyens sont égaux en droit, et que eux aussi peuvent se plaindre en justice contre leurs bourreaux et réclamer Justice et non des passe-droit.
    - Si des gens ont été victimes d’abus de la part de certains individus, il faut ce soit les coupables qui payent et non le denier public, sinon c’est une injustice faite aux contribuable burkinabè qui a payé et aux plus pauvres qui manquent de l’assistance de l’État pour cause de faiblesse budgétaire. Si l’on parle de réconciliation à caractère national, il ne faut pas qu’elle se fasse au détriment des plus faibles de la nation. C’est surtout pour cela que je suis de ceux qui insiste pour la justice dans toute ses dimensions et pas seulement judiciaire. Ce n’est pas avec des biens de la nation qu’il faut consoler les déçus qui ont perdu des avantages suite aux différents changements politiques.
    - Oui, si on tient à dire que la réconciliation est nationale, j’admettrai qu’elle l’est de la même manière que la nécessité de modifier l’article 37 de la Constitution était devenue un problème national par le désir de certains hommes politiques et non par la légitime aspiration du commun des citoyens. Elle est nationale, comme l’est actuellement l’utilité de passer à la 5e république qui est un projet voulu par certains partis politiques et non par le commun des citoyens.
    - Le thème de la réconciliation nationale comme plusieurs autres thématiques amenés par des hommes politiques ne peuvent pas passer par un référendum parce qu’ils sont imposés à la nation par des moyens biaisés et par des voies de contournement, empruntés sciemment par des hommes politiques. Ce sont des thématiques qui naissent rarement au sein de l’Assemblée Nation et n’y font jamais objet de sérieux débat que quand elles proviennent des leaders de la majorité au pouvoir. Il y a là le signe d’un déficit démocratique entretenu par des politiques d’un régime à l’autre.

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