LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Culture : « La situation du cinéma aujourd’hui, c’est comme si on tombait du 50e étage », Evariste Pooda, directeur du cinéma et de l’audiovisuel

Publié le jeudi 11 février 2021 à 10h30min

PARTAGER :                          
Culture : « La situation du cinéma aujourd’hui, c’est comme si on tombait du 50e étage », Evariste Pooda, directeur du cinéma et de l’audiovisuel

Depuis 1960, le Burkina Faso a amorcé une dynamique dans la production cinématographique et audiovisuelle. Le pays demeure en Afrique comme une référence du 7e art. Malheureusement, aujourd’hui le pays des hommes intègres est l’ombre de lui-même en matière de performance. Pourtant, une direction générale est dédiée au secteur. Le mardi 9 février 2021, Lefaso.net a échangé sur cet état de fait avec le directeur général du cinéma et de l’audiovisuel, Evariste Pooda. Interview !

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter aux lecteurs de Lefaso.net ?

Evariste Pooda : Je suis professeur certifié de Français à la base. Je suis diplômé en cinéma et technique de l’audiovisuel de l’école supérieure de cinéma de Paris. Je suis actuellement en charge de la direction générale du cinéma et de l’audiovisuel.

Rares sont les personnes qui connaissent votre département. Qu’est-ce que la direction générale du cinéma et de l’audiovisuel ?

Vous faites très bien de nous poser cette question. On n’est pas très connu dans le paysage burkinabè en dehors des professionnels qui nous fréquentent. Il faut faire un bref historique de cette direction. Elle est créée depuis 1960. A l’indépendance, déjà le 5 août 1960, le président Maurice Yaméogo dans ses choix prioritaires a fait du cinéma et de l’audiovisuel sa carte principale pour le décollage de la Haute-Volta. Il y a eu l’inauguration de la télévision nationale en 1960. Le premier film qui a été diffusé, c’est la nuit d’indépendance. La radio est intervenue une dizaine de jours plus tard. A la base, pour les autorités de l’époque, le cinéma et l’audiovisuel sont au cœur des choix pour le développement.

Dans la même année, il y a eu la création justement au sein du ministère de l’Information, d’un service qui avait en charge la production d’actualités cinématographiques. C’était un centre de production cinématographique. Ce centre avait pour mission principale de produire des œuvres d’actualités essentiellement éducatives, les sensibilisations pour la Haute-Volta. Ce centre a été formalisé en 1961. Il a pris la dénomination de centre de production cinématographique. Dans la foulée, l’Etat a permis avec la Coopération française, mais entièrement financé par nous à hauteur de 18 millions de Fcfa, la construction d’une salle de 200m2 qui comprenait une salle de montage, une cinémathèque, un studio de mixage, une salle de visionnement de 50 places.

Ça, c’était déjà en 1961. Je donne ces exemples pour que vos internautes comprennent pourquoi aujourd’hui le Burkina occupe une place importante dans le cinéma africain et mondial. Cette initiative avait été portée aussi, il faut l’avouer, grâce à l’entregent d’un coopérant qui s’appelait Serge Virqui. Il a été recommandé par Jean Rouch, un documentaliste ethnologue de renom. A l’époque il était basé au Niger pour faire ses films. En 1973 ce coopérant a dû repartir. Quand il est parti, il y a eu une baisse tout de suite de la production cinématographique. L’Etat voltaïque ayant constaté cela a décidé de donner un coup de fouet à la production cinématographique en créant la Direction nationale du cinéma (DCN). La gestion a été confiée à un de nos illustres cinéastes en la personne de Gaston Kaboré. C’est la DCN qui deviendra plus tard la DIPROCI (Direction de la production cinématographique) avec les mêmes missions.

En 1991, il y a eu une volonté d’avoir une nouvelle vision politique et on a procédé à la création du centre national de cinéma burkinabè qui sera fusionné quelques années plus tard avec la DIPROCI pour redevenir encore la DCN. Ensuite la DCN va évoluer pour devenir une direction générale de cinéma national (DGCN). Elle deviendra par la suite DGCA, Direction générale du cinéma et de l’audiovisuel aujourd’hui. Elle est constituée de trois directions, six services et des services rattachés qu’on va appeler des commissions. Il s’agit de la commission « délivrance de visa d’exploitation », de qualification. Il y a aussi le registre du cinéma et de l’audiovisuel.

Quelles sont les missions qui sont assignées à la direction générale du cinéma de l’audiovisuel ?

Les choix ont été très forts et très clairs dès le départ. C’est celui de faire du Burkina un pays de cinéma et de l’audiovisuel. Une de nos principales missions, c’est de promouvoir le développement de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel au Burkina. Nous avons aussi une mission de réglementation, de contrôle du secteur. On a besoin qu’il y ait un peu d’ordre, de structuration pour se donner le maximum de chance de voir ce cinéma émergé. Nous avons aussi une mission de délivrance des différentes autorisations. Pour réaliser un film au Burkina Faso, il y a un certain nombre de règles à respecter. Il y a des autorisations à avoir. Ce n’est pas parce que vous avez fait une école de cinéma que vous aurez forcement une carte professionnelle. Il y a des critères et c’est au vu de cela qu’on vous autorise à exercer la profession.

Nous avons pour mission de tenir le registre du cinéma et de l’audiovisuel. Cela veut dire que normalement dans une production, il y a un ensemble de contrats. Ils doivent être immatriculés et enregistrés au sein de ce service de telle sorte qu’ils soient publics. Normalement, n’importe qui, qui a un intérêt avec une production peut demander à voir les contrats qui ont été signés. Nous avons aussi pour mission de gérer la billetterie nationale. C’est une source principale qui alimente les fonds cinéma. Enfin nous avons une mission d’appui à la structuration du secteur du cinéma et de l’audiovisuel.

Le directeur général du cinéma et de l’audio-visuel espère que le fonds cinéma sera alimenté pour relancer la production cinématographique

Depuis longtemps, l’Etat s’investit pour que le cinéma et l’audiovisuel soient une réalité. Malheureusement on a l’impression que le cinéma n’arrive pas à décoller. Qu’est-ce qui explique cette situation ?

C’est vrai que de ma position, quand on regarde la situation du cinéma aujourd’hui, ça fait très mal. C’est comme si on tombait du 50e étage. A un moment donné, le Burkina a porté le cinéma africain au plus haut sommet. Il a été le pays phare. Il abrite d’ailleurs le siège de la Fédération panafricaine du cinéma, le siège du Fespaco. Il abritait l’école régionale de cinéma la plus performante de l’époque à savoir l’INAFEC. En moins de dix ans, elle a sorti au moins des professionnels de très haut niveau parmi lesquels on peut citer Idrissa Ouédraogo. Il y avait plein d’éléments qui ont permis au Burkina d’être justement ce pays leader en matière de cinéma. Il y avait CINAFRIC également. Un joyau a été créé en 1979 déjà pour que se fassent les tournages, les résidences, les montages, les visionnages sur place ici. C’est ce que le Sénégal est en train de faire aujourd’hui en 2021. Quand on voit tout ça qui tombe, vraiment ça fait très mal. Mais, il y a des raisons.

Quelles sont ces raisons ?

De mon point de vue, le virage désastreux a commencé dans les années 90 avec le Plan d’ajustement structurel (PAS). On a estimé que le secteur de la culture n’était pas rentable. Donc il fallait le privatiser. Ce n’est pas la privatisation en tant que telle qui est mauvaise. C’est peut-être la manière dont on a procédé. On sait que la même pression a été mise sur d’autres pays comme la France. Mais, elle a su résister pour parler de l’exception culturelle.

La culture, ce n’est pas que des spaghettis, ce n’est pas une boutique. Donc les autres ont réussi à faire en sorte qu’il y ait effectivement de l’exception culturelle. Mais nous parce qu’on n’a pas les moyens certainement de résister aux injonctions des établissements de BRETON WOOD, on a cédé. On a privatisé. Les salles étant privatisées, on n’a pas certainement les hommes ni les moyens qu’il fallait pour pouvoir les reprendre et les faire vivre. Donc je pense que d’abord, il y a eu donc ces effets pervers du PAS mais aujourd’hui, je pense que véritablement, on a raté le coach définitivement à partir du moment où le fonds cinéma a été créé en 1970, ça veut dire l’année où l’Etat burkinabè a décidé de nationaliser les salles.

Ça veut dire qu’on a décidé qu’on veut exercer notre souveraineté sur notre cinéma. On doit compter à l’époque, les soldats, Sangoulé Lamizana, Marc Garango, des militaires qui n’avaient rien à voir avec le cinéma à priori, ont compris que pour qu’on puisse vraiment être souverain, il faut un mécanisme de financement et ils ont créé le fonds de développement et de l’extension de l’activité cinématographique. Ce fonds malheureusement a quasiment disparu. Or, si vous n’avez pas ce levier-là, qui vous permet d’investir, qui vous permet d’innover, vous aller sombrer. De mon point de vue, c’est le gros problème actuellement du cinéma. C’est le financement.

Des films réalisés, mais il n’y a pas de canaux de diffusion. N’est-ce pas mieux une chaîne de cinéma à l’image de Nollywood au Nigeria ?

Je serai le premier à applaudir si un tel projet voyait le jour. Mais le cinéma est une chaîne de valeurs. Pour qu’une télévision puisse vivre, consacrée au cinéma, il faut que cette chaîne soit alimentée. Pour être alimentée, il faut beaucoup de productions de qualité. Pour cela, il faut des professionnels biens formés. Il faut une bonne école performante, des gens qui sont en mesure de créer des œuvres qui fassent rêver. Il faut aussi qu’ils aient les moyens de produire. Sans cela, si vous créez une chaîne de télévision, elle ne sera pas viable. Or nous notre problème, c’est à ce niveau.

On a une école de cinéma, bien ambitieuse, mais du fait de pas mal de problèmes dont les problèmes financiers, les problèmes infrastructurels, les problèmes techniques, elle n’arrive pas à performer autant que l’INAFEC. On a aujourd’hui une direction générale du cinéma qui n’a pas les moyens de soutenir la production cinématographique. Du coup, c’est vrai il faut le reconnaitre, il y a une bonne volonté des autorités actuellement parce qu’en 2018 déjà, le président du Faso a accordé quand même au cinéma un milliard de Fcfa. C’est inédit. Ce milliard a malheureusement eu des effets pervers mais c’est l’intention qu’il faut voir. Pour moi, c’est la preuve qu’au niveau du politique, il y a une volonté de relancer la production cinématographique.

Quelle est la place institutionnelle de votre direction vis-à-vis de l’Institut supérieur de l’image et du son (ISIS) et du Fespaco ?

Dans les pays civilisés, pour qu’un cinéma soit performant, ce n’est pas sorcier. Il vous faut disposer d’une bonne structure administrative de gestion du cinéma. Ensuite il vous faut une bonne école de formation. Il faut une bonne structure de promotion des films. Le Burkina en a eu. Donc, on a la direction générale du cinéma, la tutelle administrative de conception, de pilotage et on a l’Isis qui est l’école de formation et on a le Fespaco. Normalement, ce n’est pas étonnant que le Burkina ait brillé de mille feux dans l’univers cinématographique. La relation qu’il y a entre nous, c’est que nous, nous mettons en œuvre la politique nationale en matière de cinéma. Tout ce qui est vison part d’ici. Tout ce qui est règlementation, tout ce qui est création d’environnement favorable à l’éclosion d’une cinématographie dynamique, ça part d’ici.

Des pays qui se basent sur l’expérience du Burkina s’en sortent mieux. Qu’est-ce qui coince chez nous avec le fonds cinéma ?

Une très belle question. Vous avez si bien dit que le Burkina est un pays du paradoxe. On a les génies du cinéma ici. Les meilleurs cerveaux en matière de cinéma, on a les meilleurs documents en matière de cinéma. Beaucoup nous sollicitent. Le dernier pays qui nous a sollicités c’est le Centrafrique qui est dans les guerres mais qui a mis en place son fonds de cinéma. Ce pays a demandé comment on organise une administration du cinéma. Il vient de mettre son fonds cinéma en place de 250 millions. On dit que c’est petit et je ne peux même pas leur dire que nous on n’en a pas. Le législateur a donné pouvoir à l’exécutif de créer justement ce fonds de cinéma là. Notamment en adoptant la loi d’orientation n°47 portant droit d’orientation du cinéma et de l’audiovisuel en 2004.

L’article 21 de cette loi autorise donc la création de ce fonds par voie règlementaire. En 2013, l’ensemble des professionnels de cinéma africain ont adressé au président de l’époque ce qu’on a appelé la déclaration de Ouagadougou. Dans cette déclaration, ils demandaient que notre pays qui est la maison de tous les cinéastes puisse être le porte-parole auprès des autres pays pour qu’au sein de chaque pays soit mis en place un fonds d’avance sur recettes pour le développement du cinéma. A l’époque le président du Faso a fait le plaidoyer au niveau de l’Union africaine qui l’a adopté et a pris la décision applicable à tous les Etats.

Depuis cette date, des pays comme le Sénégal se sont lancés et ils ont créé dans la foulée le fonds. Dès qu’ils ont créé leur fonds, on dirait que leur cinéma qui était derrière, tout s’est transfiguré. Deux ans après, ils viennent au Fespaco et prennent l’Etalon d’or. L’édition qui suit, ils viennent même chose. Ils reprennent l’Etalon. Ils prennent même le deuxième prix. L’année qui suit, et ça en 2019, leur cinéaste Mati Diop avait son film « atlantique » était à un pas de décrocher la palme d’or à Cannes. Depuis lors, ce sont les constructions des salles, des multiplexes, ils ont des salles en 3D et même en 5D. Tout est parti de ce fonds doté d’un milliard et cette année, il y a à peine trois mois, ce fonds a été renforcé avec un autre milliard, ça passe à deux milliards. C’est pareil pour la Côte d’Ivoire. Le Benin est en train de le faire. Le Mali l’a fait avec un budget de 6 milliards. Le Burkina tire le diable par la queue et vit encore du ressort de sa nostalgie de l’histoire.

Le Fespaco est reporté en raison du covid-19. Qu’en pensez- vous ?

C’est navrant pour tout le monde, les Burkinabè, les professionnels et ceux qui travaillent dans l’administration du cinéma. Je dis, faisons confiance aux autorités. Ils ont un certain nombre d’informations et en plus de cela, il y a effectivement la remontée de la pandémie qu’il ne faut pas ignorer. Ils ont aussi un devoir de responsabilité. Est-ce qu’il fallait permettre aussi un important regroupement pour faire la fête du cinéma pour après s’en tirer avec des malades ?

Le Fespaco est reporté en raison du Covid-19, mais les inscriptions des films se poursuivent

Je pense qu’ils ont dû peser le pour et le contre. Ils se sont dits : gardons cette fête belle. Ayons un esprit dégagé et fêtons. C’est ce qu’on a de plus cher. Je pense que raisonnablement, c’était la décision la plus sage. A quelques semaines du Fespaco, sur les 800 films enregistrés, le comité de sélection n’a pas fait le travail. 800 films, on ne peut pas visionner ça en quelques jours. Les autres festivals au niveau international ayant été reportés, les festivals se parlent. Ce sont les mêmes qui tournent dans les différents festivals. Il ne faut surtout pas l’annuler. Reporté pour donner la chance aux professionnels, du fait du calendrier bouleversé par le covid-19, qui a perturbé le décaissement, pour qu’ils puissent avoir le temps de peaufiner leurs films pour venir à Ouagadougou avec des films plus aboutis pour être vus dans un environnement plus relaxe.

Dimitri OUEDRAOGO
Lefaso.net

PARTAGER :                              

Vos commentaires

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Dédougou : Le festival des masques signe son retour
Burkina / Musique : Patrick Kabré chante Francis Cabrel