Santé : « La résistance aux antimicrobiens est l’une des principales menaces de notre temps », Dr Zakaria Gansané, médecin épidémiologiste
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La résistance aux antimicrobiens est un sujet de plus en plus préoccupant pour l’OMS et pour les Etats. Elle fait environ 700 000 décès par an. A en croire Dr Zakaria Gansané, médecin épidémiologiste, elle compromet de nombreux soins de santé, en plus d’avoir un impact considérable sur l’économie. Pour en savoir davantage sur ce phénomène, qui risque de causer des décès plus élevés que ceux causés par certaines pathologies non infectieuses, Lefaso.net s’entretient avec Dr Gansané. Lisez plutôt !
Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Dr Gansané : Je suis Dr Gansané, médecin épidémiologiste. Je travaille particulièrement sur les questions de l’épidémiologie des maladies infectieuses et je suis également consultant en essais cliniques. J’assure la présidence exécutive de l’Observatoire burkinabè pour la qualité et la sécurité des soins. C’est un observatoire qui s’intéresse aux questions en lien avec les risques en milieu sanitaire et les approches qualité dans les établissements de santé.
Cela englobe plusieurs sous-thématiques : la gestion des services eau, hygiène et assainissement dans les établissements de santé, les infections associées aux soins, les processus qualité dans les établissements de santé, la problématique de la résistance aux antimicrobiens, la biosécurité et bio sûreté. Nous assurons aussi le renforcement des capacités ainsi que le plaidoyer dans le domaine sanitaire.
Qu’est-ce que c’est les antimicrobiens et quelle est leur importance ?
Pour faire plus simple afin que les lecteurs puissent nous saisir, il faut d’emblée retenir que lorsqu’on parle d’antimicrobiens, il y en a de plusieurs types. Il y a les antibactériens communément appelés antibiotiques dirigés contre les bactéries. Parmi ceux que vous connaissez le plus, nous avons l’amoxicilline, le cotrimoxazole, l’azithromycine, etc. Nous avons ensuite le groupe des antifongiques, c’est-à-dire contre les champignons (ex : Candida albicans). Comme exemple, on peut citer le miconazole, le fluconazole, etc. Nous avons un troisième groupe qui est celui des antiviraux, utilisés contre les virus tels que le VIH, le virus de l’hépatite B et C. Vous avez enfin un quatrième groupe qu’on appelle les antiparasitaires dirigés contre les parasites. Un exemple d’antiparasitaire connu, c’est l’albendazole, les médicaments antipaludéens tels que les combinaisons à base d’artémisinine.
Il faut ajouter que ces quatre groupes de microbes que je viens de citer sont responsables de maladies infectieuses autant chez l’homme que chez l’animal et les armes dont on dispose pour les combattre sont appelées antimicrobiens. Ce sont des médicaments très importants puisqu’ils constituent l’essentiel de notre arsenal thérapeutique contre les microbes. Pour les antibiotiques par exemple, ils agissent soit en inhibant la croissance et la reproduction des bactéries dans l’organisme, soit en les tuant. Ces médicaments peuvent être utilisés dans le cadre thérapeutique pour soigner des infections ou à but préventif dans le cadre de certains actes médico-chirurgicaux (intervention chirurgicale, obstétrique, soins dentaires, etc.)
Lorsque vous regardez les statistiques au plan national, au niveau des centres de santé et de promotion sociale (CSPS) et des centres médicaux avec antennes chirurgicales (CMA), les maladies infectieuses (d’origine parasitaire, bactérienne, virale et fongique) viennent au premier rang dans le cadre des recours aux soins. C’est dire combien ces antimicrobiens sont stratégiques dans le cadre de la lutte contre la maladie au Burkina Faso.
Qu’est-ce que c’est la résistance antimicrobienne ?
La résistance aux antimicrobiens (RAM) survient lorsque des microbes (bactérie, virus, champignon ou parasite) subissent des modifications, de sorte que les médicaments (ici les antimicrobiens) utilisés pour soigner les infections qu’ils provoquent deviennent inefficaces. Les microbes deviennent résistants en subissant des modifications par l’intermédiaire de plusieurs mécanismes d’action.
C’est un phénomène naturel accéléré par des facteurs de risques. Elle peut être acquise. Elle compromet la qualité des soins et contribue énormément aux morbidités et mortalités. Elle est préoccupante d’autant plus que si nous prenons le cas des antibiotiques, il n’y a pratiquement plus eu de nouveaux antibiotiques depuis plus de 30 ans.
L’essentiel des antibiotiques que nous avons actuellement, a été mis sur le marché entre la période 1950-1960, le premier antibiotique (pénicilline) ayant été découvert en 1928 par Fleming. Selon certains rapports, la recherche et le développement d’antibiotiques sont principalement dirigés par des petites ou moyennes entreprises alors que les grandes entreprises pharmaceutiques continuent de délaisser ces domaines.
Quelle est l’ampleur du phénomène ?
C’est une préoccupation majeure de nos jours. Elle est vue à la fois comme un problème de santé publique, de sécurité sanitaire et pose des questions d’ordre économique. C’est l’une des principales menaces de notre temps. On estime qu’avec la tendance que nous avons, si rien n’est fait, on aura à faire à des décès plus élevés que ceux causés par certaines pathologies non infectieuses. On estime environ à 700 000 le nombre de décès par an dus au fait que nos antimicrobiens ont perdu de leur efficacité face à certains microbes.
En termes de coût économique, il y a également un grand impact, parce qu’il faut faire appel à des antibiotiques majeurs, plus chers pour combattre les infections résistantes. Il faudra aussi prendre en compte la question de la prolongation des délais d’hospitalisation et les complications ou séquelles lors des processus de soins. Cela constitue aussi une situation très stressante pour les patients et les familles.
Au niveau du secteur de la santé animale, les conséquences sont également énormes. Les risques de voir des maladies infectieuses résistantes avec une réduction drastique des possibilités de traitement des maladies vétérinaires sont énormes. Cela pourrait compromettre l’atteinte des objectifs de la sécurité alimentaire.
A titre illustratif nous notons que bon nombre de nos compatriotes sont engagés de nos jours dans des projets de développement de fermes avicoles. Dans ce secteur, les antibiotiques sont énormément utilisés pour soit traiter ou prévenir certaines pathologies. La question qui taraude l’esprit est que si les microbes continuent de développer cette résistance, nous serons vraiment dans une situation assez difficile puisque la survie et le rendement dans nos fermes pourraient être compromise.
L’ampleur est considérable du point de vue économique. On estime que d’ici 2050, si rien n’est fait, on parle de pertes de plusieurs milliards de dollars. Selon un rapport de la Banque mondiale et selon le pire scenario, la résistance aux antibiotiques et autres antibactériens pourrait conduire à l’horizon 2050 à une chute de plus de 5 % du PIB dans les pays à faible revenu et précipiter dans la pauvreté jusqu’à 28 millions de personnes, principalement dans les pays en développement. C’est exactement comme les prédictions qui avaient été faites dans le cadre des maladies émergentes pour lesquelles il n’y a aucun vaccin ou médicament et dans le cadre de la COVID-19. Nous expérimentons déjà ces prédictions.
Qu’est ce qui explique cette résistance aux antimicrobiens ?
Comme je vous le disais plus haut, la résistance aux antimicrobiens est un phénomène naturel mais elle est accélérée par des facteurs de risque. Parmi ces facteurs, il y a notre façon d’utiliser les antibiotiques notamment la problématique de l’usage abusif et/ou l’usage irrationnel. On parle d’usage abusif, parce qu’on utilise plus qu’il n’en faut souvent les antimicrobiens pour des situations pour lesquelles on n’en a pas besoin. Nous avons souvent des cas d’infections virales qui ne nécessitent pas forcement la prescription d’antibiotiques. Par exemple pour une grippe, on n’a pas besoin d’un antibiotique à moins qu’il y ait en dessous une surinfection bactérienne. Dans le cadre d’une infection dite mineure, on assiste parfois à la prescription d’antibiotiques de deuxième ou troisième intention d’emblée. C’est comme utiliser une bombe pour tuer un moustique, ça n’a pas de sens.
Un autre exemple, c’est surtout l’adaptation des antimicrobiens à la nature de l’infection que nous avons. Cela se fonde sur les principes de l’antibiothérapie. Par exemple, si vous avez une infection respiratoire, on connaît à peu près les germes responsables au niveau respiratoire et on sait en même temps d’office quels types d’antibiotiques il faut utiliser. En pratique, cela n’est pas toujours respecté, et cela soulève la question de la formation et du respect des protocoles.
Parlant toujours de l’usage abusif, au niveau du secteur de la santé animale, certains fermiers utilisent par exemple des antibiotiques comme facteur de croissance. Ils sont parfois utilisés de manière excessive dans le seul but de prévenir certaines maladies du fait des risques infectieux qui sont parfois élevés. Il s’agit d’antibiotiques parfois majeurs.
Le rôle de l’environnement est prépondérant dans l’émergence de cette résistance. Qui dit environnement, dit également présence de micro-organismes. Il faut savoir que les micro-organismes peuvent se transférer des gènes de résistance entre eux, c’est-à-dire qu’une bactérie résistante peut transférer son gène de résistance à une autre bactérie préalablement sensible, la rendant ainsi résistante. Dans un tel scenario si l’environnement n’est pas assaini, si nous ne traitons pas les déchets biomédicaux par exemple avant leur déjection dans l’environnement, il va sans dire qu’on créé des situations pour l’émergence et la diffusion des micro-organismes résistants dans l’environnement. Or, tout comme les animaux, nous sommes en étroite relation avec notre environnement. Nous puisons l’essentiel de notre alimentation de l’environnement, d’où la possibilité d’être contaminé par des germes résistants.
Voilà pourquoi il est important de gérer efficacement les questions eau, hygiène et assainissement dans nos hôpitaux et l’environnement de manière générale. L’insuffisance de ces services constitue des facteurs de propagation des germes résistants dans les hôpitaux et l’environnement. Si dans un hôpital, on n’applique pas efficacement les mesures d’hygiène hospitalière, on favorise la dissémination des germes résistants au sein de l’hôpital. Cela constitue un risque majeur pour les patients, le personnel, les accompagnants et les visiteurs. A ce propos on estime que la prévalence des infections acquises en milieu hospitalier oscillerait entre 12-19% dans les pays en développement. Dans une enquête nous avons rapporté une prévalence de l’ordre de 14%.
C’est vraiment un phénomène d’ensemble de tout l’écosystème auquel il va falloir s’attaquer pour limiter cette résistance aux antimicrobiens.
Pour me résumer, il faut simplement retenir que l’usage abusif et /ou irrationnel des antibiotiques dans les secteurs de la santé animale et humaine, constitue les principaux facteurs de risque de la résistance aux antimicrobiens.
Quelles sont les conséquences de cette résistance sur la prise en charge des maladies ?
Qui dit infection résistante dit forcément que les antimicrobiens que nous utilisons habituellement ne pourront plus venir à bout de cette infection. Il va falloir recourir à d’autres antibiotiques plus chers et plus difficiles à manipuler, parfois indisponibles. Par exemple, il arrive des fois que votre infection soit multirésistante et n’est sensible seulement qu’a l’imipenème. C’est un antibiotique majeur et le traitement coûte parfois plus de 30 000 FCFA par jour. Lorsque vous prenez en compte la durée du traitement cela est très onéreux.
Par exemple, dans le cadre de la tuberculose multirésistante, le traitement est onéreux, très difficile, long et pénible pour les malades. Il dure plusieurs mois (20 mois et plus) avec des injections hebdomadaires.
Tout récemment, la survenue de la résistance des parasites aux antipaludéens nous a amenés à abandonner la chloroquine pour aller aux combinaisons à base d’artémisinine. De nos jours, des cas de résistance à l’artémisinine ont déjà été rapportés. Que nous réserve l’avenir de ces antipaludéens ? Ce que nous disons est valable également pour le secteur de la santé.
L’une des conséquences directes est la prolongation de l’hospitalisation et le risque accrue de décès. Par exemple, pour une infection qu’on pouvait traiter en cinq jours, on peut être obligé à la traiter sur une ou plusieurs semaines. Cela se constate tous les jours dans nos hôpitaux. Cette prolongation créé forcement des coûts additionnels pour les patients, les familles et les organismes d’assurance santé et même pour les hôpitaux.
En chirurgie nous avions fréquemment à faire à des cas de suppuration des plaies opératoires et dans une non moindre mesure, ce sont des germes multi-résistants. Cela peut parfois conduire à une reprise de l’intervention, ce qui créé une situation très embarrassante pour les chirurgiens et augmente les risques de complication et de décès. Dans un hôpital avec beaucoup de cas de suppuration des plaies opératoires, on est parfois amené à fermer certains services hospitaliers pour des procédures de désinfection de haut niveau. A ce propos, nous voyons souvent des communiqués des directeurs d’hôpitaux dans ce sens.
En résumé la RAM compromet la qualité de nombreux soins de santé en compliquant l’évolution et l’issue des processus de soins notamment en chirurgie, gynéco-obstétricaux, en pédiatrie, chez les insuffisants rénaux, les personnes immuno- déprimées, les cancéreux, etc.
Que faut-il faire alors ?
Une stratégie globale a déjà été mise en place et coordonnée par la FAO, l’OMS et l’OIE (Organisation mondiale pour la santé animale). Chaque Etat s’inspire globalement de ce plan. La prise de conscience se fait déjà ressentir. En général, toute la lutte doit tourner autour des points suivants :
• L’amélioration du cadre règlementaire d’importation, de contrôle, de dispensation et d’usage des antimicrobiens dans tous les secteurs concernés ;
• Le renforcement de la sensibilisation et la compréhension de la RAM par la communication, l’éducation et la formation ;
• Le renforcement des connaissances et des bases factuelles grâce à la surveillance et la recherche ;
• La réduction de l’incidence des infections grâce à des assainissements, l’hygiène et le contrôle des infections ;
• L’optimisation de l’utilisation des médicaments antimicrobiens pour les humains et les animaux ;
• L’augmentation des investissements dans la recherche de nouveaux médicaments, les outils diagnostiques et les vaccins.
Pour ce qui concerne l’optimisation de l’utilisation des antimicrobiens, il y a des principes d’antibiothérapie qu’il faut toujours respecter. Dans ce cadre il faut revoir les curricula de formations afin d’intégrer cette thématique et assurer également la promotion du bon usage des antimicrobiens. A ce titre chaque année, l’OMS, la FAO, et les Etats membres ont dédié une semaine à la promotion du bon usage des antibiotiques, pour rappeler aux différents acteurs les principes qui guident l’utilisation des antimicrobiens. Comme on le dit, les antimicrobiens sont nos biens précieux et il faut les préserver.
A ce propos, il faut féliciter l’université de Bobo-Dioulasso qui a mis en place un diplôme inter-universitaire sur l’antibiothérapie. Il faudrait que ce type de formation atteigne le plus grand nombre d’acteurs.
Il faut aussi agir en synergie avec les autres secteurs concernés. Ce n’est pas une lutte du seul ministère de la Santé. C’est ce qu’on appelle l’approche One Health.
Vous avez le ministère de l’Agriculture, celui de l’Élevage, de l’Environnement et le ministère de la Santé. Pour venir à bout de ce phénomène, il faut que l’ensemble des acteurs se mettent ensemble afin d’identifier des pistes de solutions et mettre en place les stratégies adéquates pour limiter ce phénomène.
Avez-vous un dernier mot ?
Mon dernier mot est relatif à la question de la coordination de la lutte et aussi des perspectives. Il faut noter qu’à ce niveau, il y a eu beaucoup d’initiatives pour permettre aux Etats de s’organiser dans le cadre de cette lutte durant ces cinq dernières années. Au niveau mondial, vous avez des structures comme l’OMS, la FAO, l’OIE qui se sont mises ensemble pour définir un plan mondial de lutte contre la résistance aux antimicrobiens.
Au niveau africain, Africa CDC a également élaboré un plan de lutte contre la résistance aux antimicrobiens. Au niveau des différents États, avec l’assistance de l’OMS, de la FAO, un bon nombre de pays y compris le Burkina Faso, disposent d’un plan de lutte contre la RAM. Pour le moment, les pays ne sont pas au même niveau, parce qu’il y a des pays qui sont à l’étape du développement et /ou d’adoption de leurs plans, tandis que d’autre sont à l’étape d’implémentation (Ghana, Nigeria).
Au Burkina nous avons un plan, mais il n’est pas encore adopté de manière formelle par le gouvernement. Mais les choses bougent, puisqu’il y a plus de deux mois de cela nous avons été invités pour la validation des textes qui vont permettre d’adopter ce plan. Également, de nombreuses actions sont en cours. Il s’agit entre autres de l’existence d’une plateforme de surveillance des germes résistants (au niveau de la santé humaine et de l’environnement), de la formation et du volet communicationnel autour de la question. Cependant, il faut noter que les ressources (humaines, financières et matérielles) manquent criardement.
Nous avons également un comité national de lutte contre la résistance aux antimicrobiens qui a été mis en place, qui travaille donc à être formalisé et qui est déjà pris en compte dans le cadre du comité national One Heath dont le décret de mise en place a été adopté en 2018. L’implication de la société civile est beaucoup attendue dans la mesure où, on parle de l’usage abusif, de l’automédication, de la surconsommation des antibiotiques, de la réglementation.
Pour terminer je souhaiterais lancer un appel à l’endroit des décideurs publiques, des acteurs de la société civile, et de toutes les parties concernées afin que cette question devienne une priorité absolue. Travailler à l’implémentation effective de notre plan d’action contre la résistance antimicrobienne devrait être une priorité absolue durant ces deux prochaines années.
Entretien réalisé par Justine Bonkoungou
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