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Prix Goncourt des Lycéens et Prix Orange du Livre en Afrique : Critiques sur le sacre de Djaili Amadou Amal

Publié le lundi 18 janvier 2021 à 14h27min

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Prix Goncourt des Lycéens et Prix Orange du Livre en Afrique : Critiques sur le sacre de Djaili Amadou Amal

La publication récente sur la toile de l’article intitulé « Prix Goncourt des lycéens 2020 : Le désenchantement des lecteurs de Djaili Amadou Amal », a suscité le débat, et pas seulement dans les cercles de littérature africaine ou camerounaise en particulier. L’auteur de l’article en question répond ici à un interlocuteur français.

« Dans l’article, nous avons relayé quelques avis mitigés de lecteurs insatisfaits sur « Les impatientes » de Djaili Amadou Amal. Le livre n’accroche pas, selon ces lecteurs critiques. A quoi cela peut-il être dû, ce n’est pas à nous de faire le diagnostic. Il faut un certain génie dans l’art de la narration, autrement on peut toujours écrire un essai pour faire passer son message, et viser, pourquoi pas, le prix Pulitzer ou l’un de ses équivalents en France.

Les lecteurs, et notamment les jeunes lecteurs d’aujourd’hui ont soif de génie, ne vous en faites pas pour l’écriture classique, elle n’est pas à plaindre, son rayon est déjà bien achalandé. Les lecteurs de la nouvelle génération veulent pouvoir s’émerveiller, s’étonner, s’exclamer « waouh ! » Heureusement, on peut faire les deux à la fois, déployer son génie et faire passer son message. C’est aussi l’avis du Collectif Reading is So Bookul.

Vous faites bien de rappeler que « Les impatientes », ou en tout cas sa première version a aussi remporté le prix Orange du Livre en Afrique. Belle transition pour vous mettre au parfum de la petite histoire.

En 2019, l’entreprise française Orange, par sa Fondation, lance le prix Orange du Livre en Afrique. Le choix est porté sur le Cameroun pour le lancement de la première édition.

Ce n’est pas un fait de hasard, le choix du Cameroun, pour accueillir la première édition. Il se trouve qu’il y a dans ce pays un certain prix littéraire qui fait alors parler de lui, y compris au niveau international, et qui se permet d’accueillir, tout autant que des ouvrages en français, des livres écrits en anglais et même en espagnol. Le prix Orange du Livre en Afrique entend de toute évidence lui faire concurrence et même asseoir son hégémonie. Un peu de concurrence n’a jamais fait de mal à personne, au contraire.

En prélude des préparatifs, une audience est accordée à monsieur le Directeur Général de Orange Cameroun par le Ministre des Arts et de la Culture. Ce qui s’est dit ou a été convenu entre les deux hommes lors de cette rencontre ne nous importe pas. Toujours est-il qu’à la fin de cette première édition, c’est une écrivaine camerounaise qui est primée.
Il faut dire qu’à l’époque, les gens étaient plutôt dans la posture d’observateurs indifférents. Certains considérant l’événement comme un coup de pub. Et l’ouvrage primé n’a vraiment pas suscité d’intérêt. On a pour ainsi dire regardé faire. Et de toute façon, le prix était encore trop jeune pour faire face à une polémique. En résumé, le livre était-il vraiment le meilleur de la sélection, ou non ? La question reste entière, puisque la critique ne s’y est jamais penchée. La critique ici fait beaucoup plus référence aux lecteurs consciencieux qui n’attendent pas d’être payés pour dire ce qu’ils pensent.

Passons à l’aventure française. Voici ce qui est écrit dans « Les impatientes » :

« Le projet de publication de ce roman en France a été porté par Catherine Roger et Françoise Hernandez de la Fondation Orange »

On le voit, la Fondation Orange a tenu à porter la première lauréate de son prix pour l’Afrique jusqu’aux plus hautes cimes. Jusqu’où se serait-elle mouillée pour y arriver ? N’allons pas chercher à savoir. Comme vous l’avez dit, on ne peut plus changer que le livre a été finaliste du Goncourt, qu’il a été primé par le prix Goncourt des lycéens 2020. Oui, il a changé de titre, oui il a peut-être été revu et corrigé par des mercenaires de la plume, oui, on a fait de la discrimination positive ou même du lobbying, mais qu’est-ce que ça change ? Rien. Tout comme ça ne change pas ce qu’en pensent les lecteurs cités dans l’article, représentatifs d’innombrables autres observateurs, qui sont parfaitement au courant et conscients de tout ceci.

Question : quel genre de lauréat voudriez-vous être ? Un lauréat qui convainc par son talent, et son œuvre, ou un lauréat fabriqué de toutes pièces, à des fins de communication ou de publicité ?

Voici pour vous une petite recommandation de lecture. Le livre s’intitule « Trente mille jours », il est de Maurice Genevois, de l’Académie française. Vous y trouverez révélée quelque part une petite combine flagrante du Jury du Goncourt. Probablement un exemple parmi beaucoup d’autres. Le prix Goncourt n’est pas aussi immaculé qu’on pourrait le croire. On a pu voir souvent que son Jury pouvait se laisser influencer. Et le Goncourt, sauf erreur, est bien la porte d’entrée du prix Goncourt des lycéens.

La question de la logistique, qui empêcherait le Goncourt d’accueillir des livres venus de tout l’espace francophone ne semble pas être une excuse suffisante. En fait c’est aussi une affaire de politique, et même de gros sous. La France n’est pas encore prête pour une décentralisation de la littérature d’expression française — il faut que tout se passe à Paris. Cela a déjà fait l’objet de nombreux articles.

Le prix Goncourt est présenté aujourd’hui et quasi-institutionnalisé comme le prix le plus prestigieux de la littérature d’expression française. C’est donc comme qui dirait le prix Nobel de la littérature francophone. Cela étant, vous paraît-il logique qu’un tel prix ne soit ouvert qu’aux ouvrages édités sur le sol français ? Quid du Canada, de l’Afrique francophone, etc. »

Latifa Bieloe, membre du Collectif Reading is So Bookul

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