Marcel Tankoano, président du M21 : « Le président Roch Kaboré devrait montrer aux Burkinabè qu’ils ne se sont pas trompés en 2014 »LEFASO.NET
dimanche 3 novembre 2019.Cinq après l’insurrection populaire d’octobre 2014, où en est-on ? Président du Mouvement du 21 avril (M21), Marcel Tankoano fait partie de ceux qui étaient dans les rues de Ouagadougou les 30 et 31 octobre 2014 pour contester contre la modification de l’article 37 de la Constitution. Dans cette interview, le président du M21 revient sur ces évènements qui ont conduit à la chute du régime de Blaise Compaoré et nous livre sa lecture de la situation nationale. Lefaso.net : Cinq ans après les évènements des 30 et 31 octobre 2014. Quel regard portez-vous sur cette insurrection ? Marcel Tankoano (MT) : Je m’incline d’abord sur la mémoire de nos camarades qui sont tombés, que leurs âmes reposent en paix. Après cinq ans, ce que je retiens, ce sont de vraies douleurs parce que moi qui vous parle aujourd’hui, je n’ai rien fait pour mériter la vie. Les cinq années, nous les avons passées difficilement parce que la raison pour laquelle nous sommes sortis, c’est comme si c’était une impression, l’élite politique qui dirige notre pays n’a pas compris pourquoi les Burkinabè ont accepté de mourir, pourquoi les Burkinabè ont refusé en 2014 le népotisme, la camaraderie, la corruption et tout ce qui est lié à la gestion des affaires publiques. Les Burkinabè ont dit non, ont accepté la mort, mais malheureusement, que retenir ? Je me rappelle les cinq années comme d’autres victimes, comme d’autres familles qui souffrent aujourd’hui dans leurs âmes ; ça me fait mal parce que la raison qui nous a fait sortir, jusque-là, on n’occulte toujours l’horizon, pas de solution, l’espoir est presque perdu. Nous redoutons ce que nous avons fait en 2014, mais nous assumons ce qui s’est passé. C’est notre pays, il fallait bien que quelqu’un le fasse et c’est pourquoi nous sommes allés vers la mort. D’autres sont tombés, les blessés comme nous sommes vivants, mais nous regrettons quand même que jusqu’à ce jour, rien n’ait été fait pour cela. Si c’était à refaire, seriez-vous sorti les 30 et 31 octobre 2014 ? Si c’est à refaire, on le referait, mais autrement. Vous n’êtes pas sans savoir que l’insurrection n’est pas allée à son terme. C’est ça le véritable problème aujourd’hui. Il y a des infiltrations au sein de la lutte et pas des moindres, pour détourner les manifestants de leur objectif. Prenons par exemple le cas du Printemps arabe qui s’est déclenché en Tunisie, c’est le même regret. Plus vous luttez, plus des gens vous rejoignent et pas forcément parce qu’ils sont honnêtes, mais parce qu’ils n’ont pas le choix et surtout, s’ils ne veulent pas être châtiés. Ce sont ces hommes qui ont pu rejoindre les rangs et qui ont dévié les manifestants, mais si c’est à refaire, on le referait. Quel rôle avez-vous joué lors de ces évènements ? Je suis responsable d’un mouvement, le M21, qui est né le 21 avril 2013. Ce n’était pas évident à l’époque, mais nous avions conduit la lutte aux côtés des partis politiques d’opposition organisés autour du CFOP. Avec les partis politiques et d’autres mouvements, nous avons créé le bloc 21 ; à la date du 21 mai 2014, quand l’ex-président Blaise Compaoré a dit résolument qu’il allait modifier la Constitution, nous avons fait une sortie au cours de laquelle j’ai animé une conférence de presse et j’ai signifié que Blaise Compaoré avait déclaré la guerre à son peuple, que nous partons au combat et que nous allons gagner le combat. Les 30 et 31 octobre, j’étais dans la rue parce que j’avais des bastions à gérer. Nous étions quatre éléments (Hervé Ouattara, Hervé Kam, Dumtunda et moi) et on avait divisé Ouagadougou en quatre zones. C’est cette répartition qui a donné le regroupement à partir de 9h et avant que les députés ne se retrouvent à l’Assemblée nationale pour voter la loi, nous nous sommes retrouvés à la Place de la révolution où nous avions demandé aux manifestants d’avancer les mains en l’air vers l’Assemblée nationale. Il y a eu malheureusement des morts au niveau du rond-point des Nations unies. Vous disiez tantôt que l’insurrection n’est pas arrivée à son terme. Pensez-vous néanmoins qu’elle a porté fruit ? Il y a le Conseil national de la transition où il y a eu des députés qui ont voté des lois permettant de mettre des garde-fous autour de l’article 37. Aucun président burkinabè, même en rêve, ne doit penser à un troisième mandant. Il est évident que celui qui pense à un tripatouillage s’expose désormais à de graves sanctions. Pendant la Transition, beaucoup de lois ont été votées que même une Assemblée régulière n’a pas pu faire. De 2015 à nos jours, quel bilan faites-vous du pouvoir de Roch Kaboré ? Le bilan du président Roch Kaboré est mitigé. Certains pensent qu’il a travaillé, d’autres pensent qu’il n’a pas travaillé, mais laissez-moi vous dire que la raison pour laquelle les Burkinabè étaient sortis en 2014, c’était la faim, la misère croissante ; le panier de la ménagère n’a pas changé. Aujourd’hui, au-delà de ce que le pouvoir a fait, beaucoup de Burkinabè n’ont même pas un repas par jour. Nous avons cru qu’après 2014, les choses allaient changer, que les gens allaient manger à leur faim mais, malheureusement aujourd’hui, on se demande si les Burkinabè disposent du minimum que ce soit sur le plan institutionnel, économique, social ; c’est en ce moment qu’on sent que l’administration publique est presque inexistante, que l’autorité de l’Etat est mise en branle. Il faut travailler à sacraliser le pouvoir d’Etat, à montrer aux gens que l’Etat doit rester égal à lui-même. Pour nous, le président Roch Kaboré devrait montrer aux Burkinabè qu’ils ne se sont pas trompés en 2014, mais là, les Burkinabè regrettent ce qui s’est passé en 2014, redoutent le pouvoir du président Kaboré. S’il est là, c’est l’expression de la victoire de la démocratie, il n’y a que lui seul qui a juré sur la Constitution du Burkina. Si le pays est attaqué aujourd’hui, c’est le pouvoir central qui doit donner l’orientation à suivre pour sauver notre pays. D’ailleurs, en 2020, il va répondre devant les Burkinabè. Il sera sanctionné sur ce qu’il a fait. Pour moi, l’homme qui doit repenser, donner de l’espoir à l’ensemble des Burkinabè, c’est le président du Faso ; qu’il ne laisse pas le Burkinabè croire ou dire qu’ils se sont trompés de l’avoir voté comme président, qu’il comprenne qu’il doit se retrousser les manches et travailler à satisfaire l’ensemble des Burkinabè. Pour nous, la gestion du pouvoir de Roch Kaboré est entachée de difficultés. Le pays fait aujourd’hui face à un nouveau phénomène qu’est le terrorisme. Quelle analyse faites-vous de cette situation ? L’ennemi profite de l’incohérence et du fait que vous n’êtes pas solidaires pour se mettre au milieu. Au Burkina Faso, toute la classe politique, l’opposition comme la majorité, a démissionné. Chacun, en ce qui le concerne, reste campé sur ses intérêts personnels. On avait une lecture assez limite du phénomène il y a un ou deux ans ; ce qui a permis aux bandes armées d’écumer certaines parties du territoire, on est resté dans des débats creux et ils ont profité s’imposer. A l’heure où je parle, il y a des zones qui sont presque aux mains des bandes armées. Face aux groupes terroristes, il nous faut gagner la guerre et le combat et pour ça, il faut une orientation politique, il faut qu’on comprenne ce qui arrive à notre pays. Pour nous, c’est la solidarité des Burkinabè qui pourra mettre fin à ce phénomène. Quelles que soient nos divergences, il faut qu’on comprenne que c’est la nation qui est menacée et il faut une unité d’actions pour pouvoir contrer ces gens-là ; quand la pluie vous bat, vous ne devez pas vous battre encore. A quelques mois de l’élection présidentielle de 2020, comment envisagez-vous la tenue de cette élection dans un contexte où l’intégrité du pays est mise à rude épreuve ? Comment aller à une élection où nous avons près de cinq à quatre régions en souffrance. Les commentaires qu’on a dans la capitale n’ont rien à voir avec le terrain. Comme le président du Faso le dit lui-même, on ne doit pas aller à une élection « mouta mouta ». Une élection, c’est d’abord l’ensemble du territoire national. Lorsqu’une région est exclue, est-ce que vous avez la légitimité ? Aujourd’hui, il y a au moins quatre régions où des Burkinabè se demandent s’ils appartiennent au même pays. Pensez-vous que nous pouvons aller à une élection à partir du moment où nous sommes désunis ? Pensez-vous que nous pouvons aller à une élection pendant que des bandes armées attaquent le pays et enlèvent des gens ? Pour nous, il n’y aura une élection au Burkina que lorsque qu’il y aura la stabilité. Les Burkinabè ne vont pas accepter une élection au rabais, une élection où c’est Ouagadougou et Bobo. Pour aller à une véritable conquête électorale, où il y a la participation des populations, il faut que ce soit une affaire de tous. Nous voulons d’un président qui sera élu dans la légalité et la légitimité. Entretien réalisé par Nicole Ouédraogo Vos réactions (1) |