Immigration clandestine : 400 000 FCFA pour un rêve gabonais qui se solde par un naufrage !LEFASO.NET
lundi 16 septembre 2019.Payer 400 000 F CFA pour un eldorado imaginaire et manquer de mourir en mer. C’est ainsi que l’on peut résumer la situation de ces 59 Burkinabè, dont le chemin pour le Gabon pour les uns, la Guinée-équatoriale pour les autres, a échoué au large du Cameroun, en pleine mer ; leur embarcation de fortune ayant fait une panne sèche. Sauvés par des villageois, ces migrants ont, par le concours de l’Etat burkinabè et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), été rapatriés au bercail, dans la nuit du jeudi, 12 septembre 2019. « Depuis le 31 juillet, date à laquelle a eu lieu le naufrage, j’ai été saisie par le sous-préfet de Campo, qui est la ville au large de laquelle il y a eu le naufrage. Il m’a annoncé qu’il y a eu un naufrage et qu’il y a des Burkinabè, des Togolais et des Ghanéens », explique le Consul honoraire du Burkina au Cameroun, Oumou Owona. En effet, expliquent les autorités qui ont géré le dossier, c’est en pleine mer que l’embarcation de fortune a eu une panne sèche (c’est-à-dire que le carburant est fini) dans le village d’Ebodjé, à Campo (commune côtière du Cameroun située dans la région du Sud, à proximité de la frontière avec la Guinée équatoriale). A bord de l’engin, 117 migrants, dont 66 Burkinabè, le reste étant des Ghanéens et Togolais. « Ça a été une vraie chance. Le naufrage est survenu à un des endroits les plus profonds de la mer », indique une des autorités, précisant qu’il ne restait du bateau, qu’une petite partie du moteur qui flottait encore sur l’eau. Heureusement, cet incident est survenu au large d’un village, Ebodjé. La population est venue au secours des infortunés. « C’est comme si les populations nous attendaient… Sincèrement, elles ont été très gentilles avec nous, elles se sont bien occupées de nous », lâche un des migrants. Extirpés du danger, les 117 candidats fauchés sont très tôt pris en charge par les populations de ce village, avant l’intervention des autorités locales. Ces dernières saisissent ensuite le Consul honoraire du Burkina au Cameroun qui, à son tour, porte l’information à l’Ambassade du Burkina Faso au Gabon, d’où relève territorialement le Cameroun, puis le ministère de l’Intégration africaine et des Burkinabè de l’extérieur. De concert avec l’OIM (Organisation internationale pour les migrations), le dossier est pris à bras-le-corps pour, d’une part porter assistance à ces personnes en détresse, et, d’autre part, mettre en place un dispositif de rapatriement volontaire de ces migrants. « Il faut reconnaître que la population sur le site a beaucoup fait pour eux ; parce que, le temps même que nous soyons informés, elle avait pris en charge ces enfants ; elle leur donnait à manger, et comme c’est un village de pêcheurs, elle pêchait du poisson qu’elle venait leur donner », témoigne le Consul honoraire, Oumou Owona. Sept migrants décident de poursuivre l’aventure … « De 31 juillet (2019), date du naufrage, à aujourd’hui, l’attente a été longue pour eux. Ils étaient donc désespérés. A un moment même, ils ont pris la clé des champs, ils ont marché 20 km dans la forêt. On a alerté la gendarmerie, qui est partie à leur recherche et on les a retrouvés », révèle le Consul honoraire pour qui, le rapatriement est donc un vrai ouf de soulagement. « Soulagement parce que c’était émouvant de voir ces enfants-là perdus, ils sont là, sauf qu’on leur donne à manger. Il était 19h30 (heure de Douala) ce jeudi 12 septembre 2019, lorsque le vol spécial de la compagnie Air Burkina a atterri à l’aéroport de Douala. Là, attendaient depuis quelque trois heures, les 59 Burkinabè. « J’ai payé 400 mille francs à Cotonou pour me rendre au Gabon. Franchement, je ne savais pas qu’on allait vivre une telle situation. Ce que nous avons vécu est indescriptible. C’était difficile (il marque un long silence, ndlr). Ce sont les villageois qui nous ont secourus, on rend grâce à Dieu. J’ai eu la peur de ma vie ». Ce témoignage est de Hassane Zéba, confortablement installé dans le vol spécial affrété pour la cause. Résident dans la région de l’Est du Burkina d’où il est parti il y a un peu plus de deux mois, M. Zéba, « marié » et père de deux enfants, ne pipe aucun mot en français. Tout comme la quasi-totalité de ses compagnons avec qui nous avons échangé. L’air agacé, il exprime de la gêne à échanger sur le sujet. Néanmoins, il affiche un timide soulagement de pouvoir afin retrouver le chemin du retour, après des semaines d’attente qui ont suivi le naufrage. Pourquoi risquer cette aventure et à une telle somme, lançons-nous à notre aventurier. « C’est parce qu’au pays, ça n’allait pas », se contente-t-il de répondre. Réunir une telle somme pour se lancer dans une aventure incertaine n’est pas donné à tout le monde. Alors quel travail faisait Hassane Zéba pour se payer un tel luxe ? nous risquons-nous à lui demander. « Je cultivais et faisais un peu de l’élevage », renseigne-t-il. Le Gabon était sa destination, mais il confesse qu’il ne connaissait personne dans ce pays. « J’ai seulement entendu parler du pays et je partais tenter ma chance », affirme-t-il. Etes-vous prêt à repartir au Gabon, si les conditions sont réunies ? « Non, je ne suis plus prêt à y aller. Même dans des conditions régulières, je ne suis plus prêt à tenter l’aventure », promet Hassane Zéba, âgé de 30 ans. 400 mille francs pour être candidat à la mort ! Contrairement à notre précédent interlocuteur, Mocktar Noni, 35 ans, marié et père de deux enfants, n’est pas étranger à l’aventure. « La première fois, je suis parti par vol. Je suis parti du Bénin, en passant par le Congo-Brazzaville, Franceville (Gabon, ndlr), puis Libreville. J’y ai fait quatre mois et suis revenu au pays par bateau. Je n’ai rencontré aucune difficulté. Cette fois-ci, j’ai voulu repartir par bateau. Mais c’était mal connaître le passeur. J’ai payé 400 mille francs au Bénin et le passeur nous a montré un gros bateau, disant que c’est avec ça que nous allions voyager. On était donc confiants. Mais au moment d’embarquer, on s’est rendus compte que la réalité était autre », retrace l’infortuné. « On a des frères au Gabon, et avec eux, on fait souvent des affaires. Dans notre milieu, on a des ferrailleurs, des maçons, etc. Moi-même, je suis maçon et on s’est dit que là-bas (Gabon, ndlr), ça irait mieux », poursuit M. Noni pour qui, cet échec n’est qu’un accident de parcours. Il compte rebeloter, mais dans de bien meilleures conditions : « Même si je dois repartir, ce ne sera plus avec les bateaux ». Idrissa Sana, 24 ans, se souvient que cela fait exactement deux mois et 18 jours qu’il a entamé ce voyage inachevé. « Je faisais le ferraillage à Ouagadougou. Mais, ça n’allait pas. Comme j’ai un frère au Gabon, j’ai décidé de le rejoindre. J’ai quitté Ouagadougou pour rejoindre Cotonou où j’ai payé 400 mille pour embarquer. On nous avait dit que le voyage allait s’effectuer avec un gros bateau qu’on nous a même présenté avec toutes les commodités à bord. C’est à l’embarquement, la nuit, qu’on s’est rendu compte que c’était faux. C’était plutôt une ‘’pirogue’’. On ne voyait pas non plus celui auprès de qui on avait payé la somme, il nous avait confié à une autre personne pour la suite. C’était très difficile. Si on n’est pas mort, c’est vraiment par miracle », relate le jeune aventurier. Tout comme ses co-migrants, il ne tarit pas de reconnaissances pour les villageois qui leur ont porté secours et aux autorités et organisations qui ont permis ce rapatriement. Un phénomène récurrent à traiter à la source ! Il est 23h45. Les 59 migrants foulent le sol burkinabè. Ils sont accueillis par le ministre de l’Intégration africaine et des Burkinabè de l’extérieur, Paul Robert Tiendrébéogo. Celui-ci se réjouit d’abord que ses compatriotes soient rentrés sains et saufs. Au sortir du vol, ce sont des propos d’encouragement qui ont accompagné la poignée de main du ministre à chacun de ces malheureux aventuriers. Ils sont par la suite conduits à leur lieu d’hébergement, au stade du 4-août, pour la suite, à savoir le processus de réinsertion. « Le ministère de la Femme, de la solidarité nationale, de la famille et de l’action humanitaire avait mis à disposition, un centre d’accueil. Mais avec le programme qu’il développe de récupération des enfants dans la rue, ce centre n’est plus disponible. Donc, des concertations sont en cours avec des partenaires, notamment l’OIM, pour voir comment développer ce centre, et, pourquoi pas, en faire un centre de métier », explique le ministre Tiendrébéogo. Sur le phénomène à proprement dit, il a aussi son analyse. La pauvreté, comme raison de départ, il n’y croit pas. « Souvent, lorsque vous regardez, ils ont les moyens d’investir et de s’épanouir sur place. Lorsque vous voyez ce qu’ils mettent dans le panier pour pouvoir tenter l’aventure, ils peuvent souvent se débrouiller ici ». Une occasion pour le ministre Paul Robert Tiendrébéogo d’appeler les jeunes à la culture des projets collectifs. Il rappelle que des institutions existent pour accompagner surtout dans ce sens. « Ne risquez pas votre vie pour rien. Mais, lorsque vous voulez partir, faites-le de manière régulière ; parce que ce n’est pas l’immigration qui est interdite, c’est l’immigration clandestine qui est dangereuse. Vous voyez ces jeunes qui ont risqué leur vie, ça aurait pu être vraiment une catastrophe. Là, nous avons eu la chance, aucune perte en vie humaine. Donc, c’est l’occasion aussi de rendre grâce à Dieu », recommande Paul Robert Tiendrébéogo. Le Consul honoraire, Oumou Owona, observe, pour sa part, que le phénomène de l’immigration est récurrent. C’est pourquoi, tout en le déconseillant aux éventuels candidats, elle demande également aux gouvernements de prendre des dispositions de dissuasion. « Au fait, eux, ce sont des victimes. Mais en amont, il y a des gens, des adultes, qui s’organisent pour se livrer à ce genre de trafics. Ça, je le dis officiellement. Donc, il faut, en amont, combattre cela. Ce sont des victimes, ils veulent bien parce qu’on vient leur faire miroiter que lorsqu’ils partent là-bas, on va leur donner du travail, ils seront riches, etc. Mais en réalité, c’est une forme d’exploitation, d’esclavage. Il faut vraiment que nos dirigeants prennent leurs responsabilités et combattent cela à la racine. Et la racine, ce sont les adultes », lance en conclusion, le consul honoraire du Burkina au Cameroun. Oumar L. Ouédraogo Vos réactions (4) |