L’agriculture burkinabè en contexte de COVID19 : perceptions et répercussions socioéconomiques des mesures nationales de lutte dans le secteur du maraîchageOUEDRAOGO Félix, Chargé de recherche en Sociologie à INSS/CNRST,
jeudi 9 décembre 2021.Introduction Au Burkina Faso, l’activité de maraîchage occupe de plus en plus d’actifs aussi bien en milieu urbain, périurbain que dans l’espace rural (F.Ouédraogo, 2019). En 2007 déjà, les statistiques du Ministère de l’Agriculture de l’Hydraulique et des ressources Halieutiques révélaient que l’activité maraîchère mobilisait 400 000 emplois (MAH, 2007). Du fait de la dynamique économique du secteur maraîcher, le Burkina Faso a procédé à sa prise en compte dans sa politique de développement économique et social en l’inscrivant dans la Stratégie de Croissance Accélérée et de Développement Durable (SCADD 2011-2015). Aujourd’hui, le maraîchage est encadré au plan institutionnel par le programme de développement des cultures maraîchères et légumières (PDCFL). Il est la matérialisation de la stratégie étatique en matière de promotion des cultures fruitières et légumières en vue de répondre aux impératifs de sécurité alimentaire et de réduction de la pauvreté en milieu rural (MAAH, 2017). Les usages couramment faits de cette rente monétaire sont essentiellement : l’achat de denrées alimentaires, la scolarisation des enfants, le financement des activités agricoles, les soins médicaux et la participation financière aux évènements heureux (mariages et baptêmes) ou malheureux (décès, maladies). C’est ainsi que l’activité maraîchère se présente comme un véritable moyen d’amélioration quotidienne des conditions de vie des producteurs (S. Bognini, 2010 ; M. Kaboré et al., 2017). La rentabilité de la production maraîchère est tirée par la demande en produits maraîchers dans les centres urbains, principalement Ouagadougou et Bobo-Dioulasso (Bognini, 2012). Une méthodologie en période de crise et de confinement. L’approche méthodologique développée dans le cadre de cette recherche est une approche essentiellement qualitative. Le choix de cette approche repose ici sur sa capacité à mettre l’accent sur les effets de situations, les interactions sociales sous contraintes, la place de l’imaginaire ou le jeu des acteurs avec les normes sociales (S.Alami et al, 2019). L’approche qualitative permet ici de mettre lumière une causalité d’un ordre autre que celui de la causalité statistique. Elle a ainsi la particularité de mettre en lumière les contraintes ou les potentialités qui infiltrées dans un système d’action familial ou professionnel (S. Alami et al, 2019). La collecte et l’analyse des données La collecte des données s’est faite à partir d’entretiens semi-directifs s’appuyant sur un document formalisé. Il s’agit d’un guide d’entretien contenant une trame souple de questions et qui traduit les questionnements de la problématique. Ce guide est composé de thèmes comprenant chacun des questions sur les pratiques, les opinions et les représentations des maraîchers par rapport à la maladie du COVID19. Le Guide a également permis d’obtenir des informations sur les mesures restrictives prises par l’État afin de limiter la propagation du virus et sur les conséquences socioéconomiques de ces mesures dans la dynamique de la production maraîchère. Résultats et discussion Situation des mesures étatiques prises pour contrer la COVID19 Dès le début de la maladie à coronavirus, les autorités du Burkina Faso ont pris des mesures fortes afin de freiner la propagation du virus. L’objectif principal visé était de circonscrire la maladie pour éviter les contaminations de masses. C’est ainsi que dans le sillage du premier pic de la maladie des mesures de restriction des déplacements ont été prises dans les principales villes atteintes par la maladie. Ces mesures contraignaient la population à respecter un couvre-feu dont les heures ont varié au fil de l’évolution de la maladie. Dans la plupart des grandes villes, les écoles, les lieux de cultes, les lieux de réjouissances, les marchés ont été fermés afin de réduire au maximum la mobilité urbaine. Au-delà de ces restrictions intervilles. Une mise en quarantaine des deux grandes villes que sont Ouagadougou et Bobo Dioulasso et de six autres a été instaurée. Des déplacements inter-pays par voie terrestre et aérienne ont également été suspendus. C’est dans ce sens que les compagnies de transport ont dû connaitre un arrêt d’activité difficilement supportable. L’ensemble de ces mesures durement ressenties par la population parce qu’inédit, a impacté le secteur agricole de manière générale et le maraîchage en particulier. De nos entretiens avec des producteurs maraichers du site de Koubri, il en est ressorti que l’approvisionnement en équipements et en intrants de production agro-sylvo-pastorale a connu des perturbations en matière de délais de livraison et parfois même d’accessibilité. En zone rurale par exemple il était devenu quasiment impossible d’obtenir des engrais minéraux et des pesticides pour la production. Cette situation s’expliquait selon des acteurs interviewés par le retard occasionné par la fermeture des frontières. C’est dans ce sens que le producteur B. O a affirmé que : Les conséquences économiques et sociales pour les maraîchers L’activité maraîchère s’est dynamisée autour de la capitale Ouagadougou afin de satisfaire une demande de plus en plus croissante en légumes frais. C’est également une importance source de revenus pour les producteurs et productrices qui s’y adonnent. Suite à la fermeture des espaces publics et des frontières terrestres du Burkina Faso dans le cadre de la lutte contre la COVID19, la plupart des producteurs ont peiné à écouler leurs produits maraichers du fait de la fermeture des marchés. En effet, la fermeture des marchés dans les villes ainsi que la fermeture des frontières du Burkina avec ses pays limitrophes ont entrainé une baisse des échanges, notamment, l’exportation de légumes vers le Ghana et la Côte d’Ivoire. Une situation qui a entrainé chez les maraichers une baisse des prix de vente des produits maraichers périssables. Cette situation a été accentuée par les restrictions de déplacement des populations faisant en sorte que même les producteurs avaient du mal à transporter leurs produits. Cela a occasionné d’énormes pertes chez les producteurs. De ce fait, le manque de perspectives d’écoulement a entrainé le pourrissement des produits maraichers mettant à berne le moral des producteurs. C’est ainsi que plusieurs familles de producteurs se sont retrouvées dans des situations de précarité conjoncturelles. A Ouagadougou, les mesures prises lors de la première vague de la pandémie ont entrainé des pertes nettes d’environ 15000 francs CFA par mois chez les maraichers du fait de la chute de la production. Toute chose qui a eu des répercussions sur la capacité des ménages de maraichers à assurer leurs charges alimentaires. C’est qui a fait dire à Monsieur O M. qu’’ « Sans l’aide de l’État pour nous permettre de supporter ce choc, nous allions mourir de faim dans notre famille parce que je n’avais plus de revenu. Je n’avais également pas de quoi m’occuper de ma famille en cas de maladie ». De la résilience sociale face aux mesures étatiques Pour la plupart des personnes interviewées, les mesures prises par le gouvernement pour lutter contre la COVID19 n’étaient pas adaptées au contexte socioéconomique du Burkina Faso. Selon eux, ces mesures ont été prises sans que les citoyens y soient préparés. C’est alors que face à la durée d’application de ces mesures, des contestations et des velléités de braver les interdits ont commencé à Ouagadougou pour se répandre peu à peu dans le pays. Des marchés alternatifs et informels ont été créés dans les différents quartiers. Des déclarations de contestations des populations et de certaines faitières de commerçants se sont multipliées, poussant la mairie de Ouagadougou à rouvrir les marchés sous surveillance et sous conditions du strict respect des mesures barrières minimales. Les marchés ayant commencé à rouvrir, les exportations de produits maraichers reprirent timidement. La plupart des commerçants interviewés expliquaient cette timidité des exportations par le fait que le transport était devenu subitement cher en raison de la multiplication des contrôles aux frontières et dans les pays de ventes. Les acheteurs intermédiaires de produits maraichers ont d’abord privilégié le marché local, tout en espérant les levées définitives des mesures de fermeture des frontières. Pour atténuer les effets de la pandémie et soutenir la relance de l’économie du Burkina Faso, le Président du Faso a pris un certain nombre de mesures parmi lesquelles ont figuré l’acquisition et la distribution d’intrants agricoles et d’aliments pour bétail pour un montant de 30 milliards FCFA. La réactivation des boutiques témoins de la SONAGESS pour la vente des vivres à prix social aux populations. Une mise en oeuvre diligente de ces mesures avec l’implication des Chambres d’Agriculture. En tant qu’institutions consulaires représentant les intérêts de la profession agro-sylvo-pastorale, halieutique et faunique, les chambres d’agriculture ont contribué à la facilitation de la mise en œuvre des mesures prises dans le secteur agricole. Conclusion et perspectives La COVID19 a eu son lot de contamination appelant à la prudence. Toutefois, les producteurs ont souhaité que dans des situations similaires, les prochaines stratégies nationales de lutte contre les pandémies prennent en compte deux dimensions fondamentales ; faire en sorte que non seulement la population soit protégée de la maladie, mais qu’elle puisse également trouver les conditions minimales pour travailler et se nourrir. En cas de difficultés à remplir ces conditions, il s’avère important que les pertes post-récoltes liées aux difficultés d’écoulement, de transformation et de conservation des productions maraichères soient compensées par une aide financière. Par ailleurs, il est également important qu’à l’avenir, les politiques parviennent à créer les conditions de maitrise de la pandémie tout en permettant la continuité des activités de commercialisation des produits essentielles à la consommation quotidienne des ménages. OUEDRAOGO Félix, Chargé de recherche en Sociologie à INSS/CNRST, Ouagadougou, l’Institut des Sciences des Sciences des Sociétés, felixouedraogo99@gmail.com Bibliographie Bognini S. (2010). Cultures maraîchères et sécurité alimentaire en milieu rural. Mémoire de master, Université de Ouagadougou, Burkina Faso, 48 p. |