Pourquoi le free roaming n’est toujours pas en vigueur dans l’espace CEDEAO ? Les explications d’Issoufou SEYNOU, ingénieur TélécomDepuis le 31 mars 2017, le free roaming devait entrer en vigueur entre les pays membres de l’espace CEDEAO qui ne devraient donc plus payer de frais d’itinérance en voyageant d’un pays à un autre. Comment fonctionne le free roaming ? Pourquoi n’est-il toujours pas en vigueur ? Les consommateurs ont-ils des moyens de recours ? Quelques-unes des questions que nous avons posées à Issoufou SEYNOU, Ingénieur Télécom, consultant en gouvernance, régulation et politique des Technologies de l’information et de la communication(TIC). Qu’est-ce que le roaming ? L’itinérance ou le roaming est un service offert par les opérateurs des télécommunications mobiles permettant à un client d’un opérateur des télécommunications d’utiliser les réseaux d’autres opérateurs tout en conservant son numéro téléphonique et sans prendre une nouvelle carte SIM avec ces différents réseaux visités. Le roaming prend en compte les services voix, sms et données (entrant et sortant) et concerne les services post-payés et les services prépayés. Si le réseau visité est dans le même pays que le réseau domestique, cela s’appelle roaming national et si par contre le réseau visité est en dehors du pays d’origine, on parle de roaming international. Par exemple si le roaming national est en vigueur dans un pays les clients de chacun des opérateurs, lorsqu’ils sont hors de portée de leur réseau domestique peuvent utiliser le réseau concurrent sans changer de numéro, ni prendre une nouvelle carte SIM. Dans le cas du roaming international le réseau domestique et le réseau visité sont dans deux pays différents. C’est par exemple continuer d’utiliser son numéro de téléphone en Côte d’Ivoire comme si vous étiez au Burkina Faso. Comment la tarification est-elle mise en place en général ? Je vais présenter le principe de tarification du service roaming à travers ces 5 points ci-dessous, et donner ensuite deux exemples pour faciliter la compréhension : 1. Le client en roaming à l’étranger fait un appel dans vers son pays d’origine via les services de roaming offerts par son opérateur domestique, en utilisant le réseau de l’opérateur visité qui s’appuie sur des circuits internationaux (fournis par des transporteurs internationaux) pour acheminer l’appel. Il faut noter que ces deux opérateurs peuvent ne pas avoir un lien direct entre eux et passent par des réseaux tiers pour assurer la communication de bout en bout 2. Le client paie un prix de détail à son opérateur domestique et cela n’engendre pas de charge à la partie qui reçoit l’appel. 3. A une période donnée (mensuellement) le réseau visité envoie des données de facturation à une chambre de compensation et qui sont transmises à l’opérateur domestique pour consolidation 4. L’opérateur domestique paie à l’opérateur visité des frais de gros, par volumes sur la base des données de facturation et des taux dans le contrat de roaming 5. L’opérateur visité paie le transporteur international (international carrier) qui à son tour paie une taxe de terminaison de trafic à l’opérateur domestique. C’est dans le cas où il n’y a pas de lien direct entre les deux opérateurs ; néanmoins même dans ce cas il existera la taxe de terminaison Exemple 1 : Dans notre exemple pour décrire simplement le processus, MTN transmet les données de facturation à Orange Sénégal qui facture son client. Sur la base des accords de roaming et des taux appliqués, Orange Sénégal paie MTN et MTN à son tour paie le transporteur International qui a acheminé le trafic au Sénégal. Le transporteur international paie Orange Sénégal pour avoir terminé le trafic envoyé depuis la Côte d’Ivoire. Si MTN a un lien direct avec Orange Sénégal, la taxe de terminaison sera payée directement à Orange Sénégal. Si l’appel se termine en passant par Orange Sénégal vers les autres réseaux, Orange Sénégal paiera une taxe de terminaison à l’opérateur qui a terminé le trafic. Exemple 2 Les pays membres de l’espace CEDEAO devaient passer au roaming gratuit selon la Convention d’Abidjan à partir du 31 mars 2017 ; que dit précisément cette convention ? Le protocole d’accord sur les principes de base pour la mise en œuvre du « free roaming » a été initialement signé par six pays dont le Sénégal, la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso, la Sierra Leone, le Mali, la Guinée (Conakry) et qui reste ouvert à l’adhésion d’autres pays. Il se présente comme suit : Quelles devraient être les conséquences de sa mise en œuvre ? Au niveau régional cela contribuera à l’atteinte des objectifs politiques : favoriser l’intégration des populations et l’intégration économique, permettre à chaque citoyen des pays signataires de se sentir comme s’il était chez lui dans l’accès aux services de télécommunications. Ceci serait un pas vers un marché commun régional pour les communications numériques. Les clients connaîtront une bonne réduction de leurs factures avec la suppression de la facturation des appels entrants et pourront rester en contact permanent avec leurs contacts et leurs affaires. Ils vont de moins en moins solliciter les solutions proposées par les OTT (WhatsApp, Skype, Viber, etc.) pour passer leurs communications. La situation des opérateurs paraît plus complexe car deux tendances se dégagent : • Un impact positif avec les opportunités liées à une forte croissance du volume de communication à l’intérieur des pays de la CEDEAO, une réduction de la concurrence des OTT et le maintien de la relation avec leurs clients à l’extérieur. En effet, pour échapper à l’effet du « bill shock » où les clients post-payés se retrouvent avec plusieurs millions sur leurs factures, ils souscrivent à de nouveaux abonnements dans le pays d’accueil, en d’autres termes, ils prennent une ‘’puce’’ locale et ne prennent pas les appels internationaux mais rappellent avec le numéro souscrit ou encore utilisent les OTT pour communiquer, même si la qualité est souvent médiocre. Il est probable que la mise en œuvre du free roaming procure plus de revenus aux opérateurs à cause du très fort potentiel des communications transfrontalières. Les tarifs exorbitants du roaming ont agi comme si les opérateurs voulaient dissuader les clients dans l’utilisation de ce service. Plus de trois mois après l’entrée en vigueur de cette Convention, qu’en est-il de sa mise en œuvre par les pays signataires ? Plus de trois mois après l’entrée en vigueur de la convention, la mise en œuvre semble partielle à des degrés divers. Elle est plus avancée entre filiales d’un même groupe (exemple : Orange, Maroc Télécoms, etc.) qui proposaient déjà des offres allant dans ce sens pour leurs clients itinérants. Certains points semblent problématiques comme le point n°4 qui traite de la gratuité de la réception et le point n°8 qui traite de la suppression des surtaxes appliquées par certains pays au trafic international entrant. Il est important de relever que la question liée à l’orientation des tarifs vers les coûts constitue un défi permanent pour les agences de régulation, étant donné la complexité des réseaux de télécommunications, la cohabitation de vieilles et nouvelles technologies et un secteur en évolution rapide. Quelles sont les difficultés de sa mise en œuvre ? La principale difficulté réside dans l’interprétation de la gratuité car le transport des communications peut transiter par des réseaux non signataires de la convention et induire des charges qui ne pourront pas être recouvrées par les opérateurs. D’une manière générale, le roaming introduit des charges supplémentaires surtout en ce qui concerne les prépayés où la consommation des crédits est contrôlé depuis l’opérateur domestique. Il faudra y ajouter les frais administratifs, les systèmes de gestion et de facturation, les frais de maintenance des équipements, etc. Certains pays avaient introduit des taxes sur les terminaisons d’appel international et tant que ces taxes ne sont pas supprimées les opérateurs paieront des frais irrécupérables (Point 8 de la convention). C’est le cas du Niger et de la Guinée Conakry. Les consommateurs ont-ils des voies de réclamation ? Dans la convention, aucun point ne traite directement des questions de réclamation que les clients free-roaming pourraient formuler. Cependant les canaux classiques pourraient être exploités • L’association des consommateurs : le client peut aussi saisir les associations des consommateurs qui peuvent assurer la médiation avec son operateur domestique. Dans certains pays il existe des associations de consommateurs spécifiques au secteur des communications électroniques. C’est le cas de l’ABCE au Burkina Faso • L’autorité de régulation des communications électroniques : • La saisine du juge : Si un règlement à l’amiable n’a pu être trouvé avec son opérateur domestique, et que le traitement du dossier par l’autorité de régulation n’a pas abouti, le client peut saisir le juge. : D’une façon générale, que pensez-vous de la tarification des services de télécommunication dans nos pays ? La tarification des services de télécommunications voix et SMS dans nos pays a beaucoup évolué ces dix dernières années avec des offres promotionnelles de plus en plus attractives. Les tarifs de la voix ont baissé d’une manière importante ces dix dernières années en ce qui concerne les communications nationales. L’effet combiné de la baisse des prix des terminaux (téléphones portables) et des coûts de souscription quasiment nuls , a permis une très forte croissance de la télé-densité dans les pays de la CEDEAO. [ Cliquez ici pour lire l’intégralité ] |
Vos commentaires
1. Le 21 juillet 2017 à 17:31, par ben En réponse à : Pourquoi le free roaming n’est toujours pas en vigueur dans l’espace CEDEAO ? Les explications d’Issoufou SEYNOU, ingénieur Télécom
Bonne interview, félicitations à toi , homo, je sais que notre ami Alain prendra du plaisir à lire cet article aussi
Bon week end à toi
2. Le 21 juillet 2017 à 18:15, par Parfaitbf En réponse à : Pourquoi le free roaming n’est toujours pas en vigueur dans l’espace CEDEAO ? Les explications d’Issoufou SEYNOU, ingénieur Télécom
Article très riche en enseignement sur le Roaming et les politiques tarifaires... Surtout l’idée de mutualiser les efforts pour construire les backbones est très pertinent. Aucun acteur ne peut réaliser seul une telle infrastructure et la rentabiliser. Par ailleurs concernant le free Roaming est-ce que les états ont consulté les opérateurs avant de lancer l’idée ou veulent-ils leur imposer cela ?
Le 22 juillet 2017 à 11:37, par RAZ En réponse à : Pourquoi le free roaming n’est toujours pas en vigueur dans l’espace CEDEAO ? Les explications d’Issoufou SEYNOU, ingénieur Télécom
ça été une imposition n
3. Le 21 juillet 2017 à 19:20, par Yarbilson En réponse à : Pourquoi le free roaming n’est toujours pas en vigueur dans l’espace CEDEAO ? Les explications d’Issoufou SEYNOU, ingénieur Télécom
C’est Super ! Merci pour cette clarification. Vivement que votre contribution soit prise en compte pour nos gouvernements.
4. Le 22 juillet 2017 à 14:59, par Alex En réponse à : Pourquoi le free roaming n’est toujours pas en vigueur dans l’espace CEDEAO ? Les explications d’Issoufou SEYNOU, ingénieur Télécom
Article très intéressant qui touche finalement en plus du Free Roaming à nombre de problématiques importantes dans les ICT. Très belle contribution à la réflexion pour mettre les technologies au service et à la portée des gens. Bravo