Lettre à un médecin inquiet : "Il faut un électrochoc pour la santé au Burkina"Le secteur de la santé au Burkina connaît beaucoup de bouleversements qui en affectent la bonne marche. Pour répondre aux inquiétudes émises par un médecin à travers nos colonnes, le Docteur Jean-Gabriel Taoko l’un des meilleurs médecins burkinabè procède à une véritable radioscopie de ce volet hautement social. Tout en établissant le diagnostioc il élabore quelques pistes pour un mieux-être du médecin et partant des Burkinabè. Tandis que d’épais nuages s’amoncellent sur les services de soins de santé burkinabè, l’écho d’un appel au secours d’un médecin burkinabè dans l’une de vos éditions me parvient. L’art, la profession, qui consiste à prendre en charge le bien-être des autres, est une bien "curieuse" profession, passionnante, qui exigerait la vertu. L’appel au secours de ce médecin est certes sincère, grave et urgent mais ne "tombe pas à pic" comme on dit et risque de n’être pas entendu et écouté. Comment cet appel serait-il entendu au milieu de tant et tant de cris de détresse dus au manque de moyens matériels, humains et surtout au manque d’humanité qui malheureusement s’installe ou s’installera de façon durable dans notre pays si aucun électrochoc ne vient changer le cours des événements. Cet électrochoc est une "cardioversion" non seulement sur le corps médical dont une partie "seulement" me dit-on, semble avoir perdu le sens d’humanité, mais aussi sur tous les burkinabè silencieux devant des dérives "terribles". C’est l’attitude du "caméléon équilibriste" qui, par trouille, lit et approuve, en catimini, ce qui est dit et écrit dans les médias mais se tait, tout en guettant le côté où se penche la balance, "car on ne sait jamais" ! La situation dans les maternités et la corruption La publication répétée d’articles de presse sur la situation des services de soins, loin de constituer un marronnier pour les médias, devient un feu rouge clignotant ! Décembre 2003 : une thèse de doctorat en médecine de l’université de Ouagadougou sur les complications au cours du travail à la maternité nous livre que 27% des femmes décèdent de rupture utérine !!! Les couloirs obscurs... Le SOS du 31 décembre 2004 dans les médias pour obtenir "une recette" qui guérit... La situation dans les maternités... Où la joie de l’enfantement est remplacée par l’angoisse, le stress d’un travail à l’issue incertaine voire dramatique comme cette expression "l’enfant est tombé raide mort" qui en dit long. Pour sanctionner tout cela, le rapport du REN-LAC, en présence du représentant du PNUD ne laisse aucune illusion sur notre rang au prochain palmarès de cette institution ! Il s’agit de "dérapages", me dit-on. Mais lorsqu’il s’agit de dérapages incontrôlés, le ravin n’est pas loin et il faut se souvenir qu’il est profond. LA PYRAMIDE DE MASLOW, AU BURKINA FASO, SERAIT-ELLE AUSSI PLATE, À L’IMAGE DE NOTRE RELIEF ? Revaloriser la profession de médecin Mais de quelle revalorisation s’agit-il ? * Revalorisation morale ou pécuniaire ? Le salaire moral du docteur ; il est impayable ! Un compliment flatteur et douteux. La médecine, un sacerdoce, est un compliment inapproprié. Votre serviteur est chirurgien et confesse avoir visité un certain nombre de fois l’arrière cavité virtuelle des épiloons sans n’y avoir rien trouvé ! Or jusqu’en 1983, cette spécialité était interdite, sous peine de bûcher ou au minimum d’excommunication, à ceux qui se consacraient au sacerdoce, donc, récusons ce "compliment" inapproprié qui plonge ses racines au moyen âge où les malades démunis étaient abandonnés à leur triste sort et entourés par ceux qui se préoccupaient de sauver les âmes. Notre médecine est un humanisme, en ce sens qu’elle met l’homme (homo), et l’homme malade, donc faible, au centre de sa préoccupation et rien d’autre. Variation sur un vieux thème ! Pendant longtemps il était indécent de parler d’argent et d’économie dans les milieux médicaux et dans les départements ministériels s’occupant de politique de santé et des soins de santé. Je parlerai sans aucun complexe d’argent et d’économie. Oui, votre serviteur a vu sa rémunération évoluer de dix mille francs CFA, (oui, je dis bien dix mille francs CFA) à deux cent quarante- sept mille quatre cents francs CFA d’octobre 1971 à octobre 1983. Dans ce contexte, j’ai, à posteriori compris, que garder la bonne humeur, sans râler, était signe de bourgeoisie, avec les conséquences et les sanctions qui sont désormais connues. Chance ou mérite de l’Etat ? A chacun selon sa sensibilité. Il est vrai que la grande majorité des médecins burkinabè a fait des études à l’aide de bourses octroyées par l’Etat ou par des organisations au compte de l’Etat. * Revalorisation pécuniaire C’est une vieille histoire car l’argent qui est le nerf de la guerre intéresse beaucoup de personnes. Je ne veux donner de leçon à personne, et surtout pas à ceux qui sont dans de réelles difficultés. Une mention particulière doit être faite à la chirurgie, spécialité, aujourd’hui sinistrée, qui a longtemps bénéficié de l’afflux de coopérants étrangers, au point d’aveugler les irresponsables qui faisaient le tri entre les "réactionnaires indécrottables" et les chirurgiens révolutionnaires. Le réveil va être douloureux ! Et pour cause : cauchemar de Darwin ! En France (souvent regardée et imitée), le médecin, praticien hospitalier nommé au concours n’est pas fonctionnaire comme l’infirmière qui bénéficie du statut de fonctionnaire, plus favorable. Le médecin burkinabè et sa rémunération La rémunération du médecin suit la grille de la fonction publique, identique à celle du diplômé de Serbo-croate ou d’Albanais recruté dans la même fonction publique. Il est disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Les médecins burkinabè sont sur tous les fronts d’épidémies (méningites, tuberculose, maladie du sommeil, VIH/Sida, hépatites virales, etc.) où ils sont exposés aux risques pour eux-mêmes et pour leur famille. Dans ces conditions, aucun médecin ne pourra assurer une vie décente à sa famille, payer l’éducation de ses enfants, assurer la formation professionnelle continue obligatoire pour rester simplement apte à son exercice et ne pas devenir un danger. L’évolution de la courbe de démographie médicale au Burkina Faso, comparée à l’évolution de la richesse nationale, fait apparaître, dans un avenir très proche, l’impossibilité pour la fonction publique d’absorber tous les médecins dont le pays a tant besoin pour la couverture sanitaire en qualité, en sécurité et en nombre. La place faite aux tradipraticiens- grande stratégie- deviendra à court ou à moyen terme, une usine à gaz, lorsqu’ils revendiqueront une égalité de traitement avec leurs "confrères" dont on connaît la filière et le contenu de formation. Ils ont le mérite d’exercer leur "art" en privilégiant l’accompagnement psychologique et l’interprétation culturelle de la pathologie de leur patient. La tendance actuelle à introduire cette médecine dite traditionnelle dans les hôpitaux africains pour pallier les insuffisances de l’"evidence based medecine" annonce un cauchemar de Darwin. Les solutions sont à inventer à partir du "génie créateur burkinabè libéré" des idéologies criminelles et ringardes. La qualité de la médecine d’un pays est le reflet de son niveau de développement Sait-on seulement que la mortalité néo-natale, les modalités de prise en charge et de surveillance de la grossesse sont des indicateurs précis du développement d’un pays, autant que le taux de scolarisation ? L’économie a donc son mot à dire en médecine de soins, en santé publique Les modes de rémunération des professionnels de santé tout comme le financement des structures de soins de santé, sont d’une importance capitale car ils influencent certainement les comportements de chacun des acteurs. Après huit à douze ans d’études et de formation, le médecin est sur la même grille salariale et a le sentiment que l’équité n’est pas respectée ; Il y aurait beaucoup à dire là-dessus mais tout le monde ferme les yeux et la bouche. Cette tolérance, cette faveur qui peut aller jusqu’au laxisme va-t-elle être supportée ? . Les Burkinabè sont viscéralement attachés à la Justice au point d’en faire un idéal inscrit dans leur devise. Dans la "difficulté" ou par défiance, les Burkinabè utilisent le téléphone, la télécopie le courriel ou se de déplacent dans les pays voisins et lointains pour se confier à des professionnels de santé qu’ils ne connaissent même pas. Le justiciable ne peut faire autant ! Or la fonction publique considère que le médecin est un acteur comme un autre. Le médecin burkinabè est un "opérateur économique" potentiel Certes, il ne porte ni le grand boubou en bazin brodé ni la chemise griffée Pathé’O, et n’exhibe pas un syndrome métabolique d’idéologue repenti et reconverti, mais reste tout de même : Responsable de la santé des actifs et travailleurs ;
Janv. 04, la publication (à l’occasion d’une grève) des budgets urgences des CHR à côté de celui des évacuations sanitaires montre une asymétrie. La réflexion à mener, le défi à relever va consister dans les années à venir à réinventer au Burkina Faso une économie médicale conforme aux données de notre pays. Le financement des structures de santé Notre pays a consenti d’importants efforts pour couvrir le pays d’infrastructures sanitaires. Votre serviteur, travailleur manuel, qui n’est pas un intello est candidat à rien d’autre que le partage de son savoir solide (que j’avoue sans forfanterie et sans complexe), son savoir-faire avec les jeunes générations burkinabè. Ce malentendu levé peut ouvrir un dialogue. La Révolution est morte, vive la Révolution ! "Les structures privées concourent à assurer une meilleure accessibilité des services de soins à la population" Bédouma Alain Yoda (samedi 05 juin 2004). Et "on" paye aujourd’hui pour avoir convaincu Sangoulé Lamizana, Joseph Issoufou Conombo et Tinga Rouamba dès janvier 1980 que le secteur privé en médecine était le moteur, le salut d’une médecine voltaïque qui était en train de perdre son âme ! Mais, passons car "on a tort d’avoir eu raison trop tôt. En effet, le médecin est appelé à intervenir à deux niveaux ; En effet, plus l’afflux à l’hôpital, de personnes exclues des soins primaires de ville est important, plus les dépenses hospitalières augmentent en volume et moins la structure de soins est adaptée. De même, plus la demande de soins de ville se reporte à l’hôpital, plus elle y absorbe des ressources (humaines et financières) et moins la technologie évoluée indispensable à la grosse pathologie, à la formation des personnels et à la recherche est utilisée à bon escient. Prise de responsabilité individuelle C’est un piège qui m’est apparu évident lorsqu’à l’occasion d’activités syndicales, mes confrères CSMF m’ont délégué aux instances paritaires de la sécurité sociale française (CMPL et CEPL département de la manche). Les Burkinabè ne toléreront pas indéfiniment les erreurs et les fautes médicales même si Dieu, la fatalité ont le dos large et les Burkinabè enclins au pardon ! Les centres anti cancéreux français, qui traitent plus de 80% des patients, qui sont les référents dans le plan cancer du troisième millénaire sont de droit privé. Toutes les formes d’exercice de la médecine concourent au même but quand elles s’inscrivent dans le cadre bien défini de "l’évidence based medecine" défini par l’OMS. Les oukases lancés jadis contre le "groupe des six" relevaient d’autres causes moins avouables. Au demeurant, les "procureurs" ont tous avalé leur chapeaux en plus des crapauds, couleuvres, grenouilles et margouillats. Favoriser la constitution d’équipes privées, de cabinets de généralistes et de spécialistes, à la condition qu’ils aient la même éthique de la profession et aussi une formation scientifique médicale solide, permet le partenariat synergique avec l’hôpital. Les dispensaires répartis dans les quartiers n’avaient-ils pas cette vocation ? Publicité mensongère Je n’invente donc pas le fil à couper le beurre ! Les cliniques, plus petites, plus adaptables à l’évolution des techniques, moins chères quand elles sont la propriété de nationaux pour lesquels la nécessité d’un retour rapide voire urgent, d’investissement n’est pas de mise, correspondant mieux aux contraintes du moment. La médecine n’obéit pas aux lois générales du consumérisme même si des "contraintes" m’ont amené quelque part à parler de marché, de concurrence à propos de médecine ! Il n’y a pas de marché ; il n’y a pas de concurrence, car dans la réalité, l’information dans ce domaine est asymétrique et le patient n’a pas toujours un choix logique. La situation devient plus compliquée lorsqu’à Ouagadougou, le litre d’huile, la bouteille de lafi se trouvent être de qualité médiocre, voire dangereuse comme le révèle la commission d’enquête parlementaire. Le patient peut alors devenir lui aussi "pigeon" piègé par la distillation du li-lib-lib au service du Obra gui. La médecine, la spécialité que je pratique, application, à l’individu de connaissances scientifiques, est un art complexe et difficile où le talent du thérapeute vient enrichir considérablement ses compétences scientifiques comme je l’ai écrit en décembre 1995 au fils de "Passek-Taalé". Il n’y a pas de bons médecins ignares, mais il y a de mauvais médecins savants. C’est donc pour moi l’occasion de dire ici mon opinion sur la section médecine du CAMES qui ne répond pas à ce que l’on pouvait attendre d’une telle institution communautaire. J’exprime là ce que les uns et les autres murmurent tout bas aussi en Afrique qu’ailleurs non pas pour dénigrer systématiquement, mais pour une critique constructive. Les défis à relever sont importants Le CAMES, invention géniale - je dis bien géniale - de mon fraternel aîné Joseph Ki-Zerbo a été confisqué et détourné de ses objectifs pour être instrumentalisé à des fins... Comme l’avait pronostiqué en son temps feue Alice Saunier - Séité, ministre français de l’Enseignement supérieur. C’est pour cela que Joseph n’a jamais eu le temps de prendre en main cet appareil qui est aujourd’hui une courbe d’évolution asymptotique et, pour lui éviter de percuter le nadir comme la compagnie PK, comme l’OCAM son défunt parrain, les Burkinabè se doivent de reprendre les initiatives pour changer la trajectoire de cette "MEDUSE" en perdition d’où tentent de s’échapper quelques radeaux qui n’atteindront ni les plages de Sangomar et encore moins celles de Vridi. L’auto satisfaction n’est pas de mise devant les congratulations diplomatiques. L’étudiant en médecine de 2005 sera le praticien de 2050 ! Un pays pourrit et périt par son système de transmission des connaissances et des savoirs et surtout des valeurs sûres, celles qui font lever le regard vers le sommet de la pyramide et non celle qui le tourne vers le bas. Solidarité communautaires Aux fonctions de formateurs de médecins, de biologistes et chirurgiens sont attachées de lourdes responsabilités autant que de vaines et gratuites couronnes de lauriers rapidement fanés. Elle ordonna aussitôt de sonner l’hallali, mais c’était trop tard. La suite, on la connaît. Jean-Gabriel TAOKO |
Vos commentaires
1. Le 6 juin 2005 à 17:45, par BURKINBI En réponse à : LES MEDECINS NE SONT PAS LES SEULS ACTEURS DU SYSTEME DE SANTE...
C’est vrai que le système de santé au Burkina est défaillant mais sachez monsieur que ce problème doit être analysé dans sa globalité. Il fallait donc tenir compte de toutes les composantes du système de santé. Je suis tenté de dire que cet article pose un problème réel avec une vision étroite et un esprit corporatiste.
2. Le 27 juin 2012 à 11:27 En réponse à : Lettre à un médecin inquiet : "Il faut un électrochoc pour la santé au Burkina"
Cher ainé, merci pour votre contribution. Mais je pense que vous êtes entrain de jouer au politicien car de votre analyse difficilement on perçoit votre position et concrètement ce que vous proposez. De 1971 à 1983 votre salaire a été multiplié par 200 pratiquement. Est-ce que vous savez que de 1983 à nos jours le salaire du médecin a pris le chemin inverse. Vous semblez proposer la privatisation des structures de référence comme les CHU parce que selon vous budgétivore, je suis d’accord mais vous même l’avez dit, la médecine a un prix et la prise en charge s’inscrit dans une chaine ou on va du CSPS au CHU en passant par les niveaux intermédiaire. Donc il faudra privatiser toute la chaine et dans ce cas ce serait mieux de privatiser toute la fonction publique. Ensuite vous semblez dire que les médecins ont bossé avec les moyens de l’état comme les bourses. Je vous rappelle que depuis l’instauration du PAS, tous les étudiants ne sont pas systématiquement boursiers et les bourses ne sont pas octroyées aux seuls étudiants de la médecine. Dans ce pays là tous les étudiants bénéficient des moyens de l’état y compris ceux qui sont au privé.
En somme je pense que il y a beaucoup de paramètres que vous ne maitrisez plus. Je suis tenté de dire que la détérioration des conditions de vie des médecins et de travail dans les hôpitaux est lié en grande partie au laxisme de nos devanciers qui n’ont rien fait pour préserver les acquis. Vous dites de ne pas comparer la médecine à la justice je suis d’accord mais là ou je ne suis pas d’avis avec vous c’est quand vous voulez placer la justice au dessus de la santé. Soyez d’accord avec moi qu’en 1983, le médecin était mieux loti que le magistrat mais pourquoi maintenant c’est le contraire de nos jours ?
Je pense pour ma part qu’il faut une vrai refonte et une reforme de l’administration publique pour corriger un certain nombre d’injustices. Merci !
3. Le 29 août 2012 à 11:44 En réponse à : Lettre à un médecin inquiet : "Il faut un électrochoc pour la santé au Burkina"
Je félicite l’auteur pour son article. Mais son analyse n’est pas correcte.
D’abord il faut analyser le système de santé dans son ensemble, les médecins ne sont qu’une petite partie de ce système. Donc il faut relativiser.
Ensuite le problème que vous soulignez est général. Dans tout les corps il y a ce problème de rémunération, de classification dans la fonction publique, de reconnaissance.Et cela est imputable à la situation économique du Burkina et aux problème de gouvernance.
Encore félicitation pour avoir introduit le débat.