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Boubacar Diallo, réalisateur : « Je refuse que le cinéma africain soit enfermé dans une calebasse ».

LEFASO.NET | Tiga Cheick SAWADOGO
jeudi 2 mars 2017.

 

Longtemps réticent au numérique, le FESPACO a fini par accepter l’évolution technologique. Le 35 mm n’est plus la règle pour participer à la biennale du cinéma. Décision prise à l’issue de la 23e édition en 2013. Boubacar Diallo, des films le Dromadaire est l’un des pionniers du cinéma numérique au Burkina Faso. Un format qui offre une économie de temps et d’argent. Grâce à cette technologie, le réalisateur, romancier et éditeur de presse est prolifique. 17 longs métrages et 4 feuilletons depuis 2004. Certains ‘’puristes’’ pointent du doigt la qualité des films et taxent ses films de populaires et pas compétitifs. Pour lui, c’est un faux débat. Le public, à qui sont adressés les films, est le juge et il ne fait pas des films pour des festivals, en priorité. Dans cette interview, Boubacar Diallo se livre sans langue de bois. Bonne lecture.

Lefaso.net : Est-ce que vous avez toujours réalisé vos films sous format numérique ?

Absolument, Les films du dromadaire sont arrivés sur le terrain de l’audiovisuel en 2004 avec ‘’Traque à Ouaga’’, et sachant qu’on avait pas du tout de notoriété, on était inconnu du monde du cinéma, espérer des financements pour faire un film sur autre support que le numérique aurait été illusoire pour nous.
On a choisi en fait un outil, un mode de réalisation qui correspondait à l’économie qu’on était en train d’expérimenter, c’est-à-dire les films à petits budgets. Aussi, le discours que je tenais à l’époque, si le cinéma africain dépend entièrement des bailleurs de fonds du Nord, que deviendrait ce cinéma le jour où les robinets venaient à fermer ou à tarir. Il était important à mon sens, de développer d’autres schémas de production plus accessibles en s’appuyant notamment sur des partenaires locaux. C’est ce qu’on a fait mais en même temps, ce n’était pas une façon de tourner le dos aux bailleurs de fonds.

Justement on est tenté de vous demander si le format numérique permet de contourner certaines sources de financements qui commençaient à tarir ?

C’est ce qu’on disait, c’est ce qu’on craignait et c’est ce qu’on a constaté par la suite. Malheureusement dans d’autres pays, les choses n’ont pas bougé dans le même sens et le peu de salles de cinéma qui existaient ont fermé parce qu’il n’y a plus de films et le public a commencé à ne pas aller au cinéma, donc ce n’était plus rentable et les propriétaires ont vendu. Les salles sont devenues des hôtels, des centres commerciaux ou des temples.

Ici on a eu la chance de faire une expérience qui a porté, pas seulement les films du Dromadaire, parce que déjà à l’époque, il y avait Sidnaba et d’autres aussi sont venus progressivement par la suite pour créer des films que d’aucuns ont qualifié de films populaires parce que le grand public adhérait. Pour certains, c’était une façon péjorative de rabaisser ce qu’on faisait parce que c’était des films avec peu de budget alors qu’eux, ils avaient la prétention de faire des films exclusivement en 35 millimètres, des films d’auteurs comme on le dit.

Par la force des choses, au fil du temps, tout le monde a dû constater que les films à 1 milliard ou à 500 millions de francs CFA, ce n’est pas mauvais de les avoir en projet mais encore faut-il réunir ce financement, donc c’est mieux de calibrer.
Si vous pouvez faire un film à 1 milliard un jour, c’est bien, mais ce n’est pas tous les jours et les salles de cinéma africain ont un public qui ne peut pas attendre qu’un film se fasse tous les dix ans, donc c’est une activité qui doit être pérenne. On parle beaucoup d’industrialisation du cinéma, cela suppose avoir un volume de production qui permet justement à tous les acteurs de vivre de ça.

En jetant un coup d’œil sur votre site internet, on peut lire entre autres que « notre philosophie de production privilégie le support numérique en haute définition qui offre une excellente qualité numérique à des coûts raisonnables »…

Absolument, au moment où on l’écrivait, où on le pensait, un certain nombre d’acteurs du 7è art n’étaient pas convaincus que le numérique pouvait répondre à leurs besoins de production et de réalisation, mais je pense qu’aujourd’hui la question ne se pose plus. Tout le monde tourne en numérique et du reste, les caméras numériques qui existent aujourd’hui sont des outils qui évoluent très vite.
Le numérique dans tous les domaines, que ce soit la téléphonie mobile, les ordinateurs, les caméras, est une technologie qui évolue chaque jour et aujourd’hui vous avez des caméras de très haute définition (2 K ,4 k) qui à la limite dépasse la résolution du 35 millimètre de la pellicule.
En fait, c’est un faux débat d’opposer un outil à un autre, tous les outils sont valables en fonction de votre budget, de votre sensibilité, de ce que voulez faire. Mais l’un ne remplace pas l’autre, il y a de la place pour tous les genres, tout comme il y a de la place pour tous les genres de cinéma.

Certains festivals comme le FESPACO étaient réticents au départ, mais en 2013 la décision a été prise d’accepter les films sous format numérique…
On ne peut pas, ni ici, ni ailleurs, arrêter l’évolution. Il y a une évolution normale des choses et quand vous prenez simplement l’histoire du cinéma, au début il était muet, en noir et blanc. Quand le son est arrivé, des puristes à l’époque se sont opposés au son parce qu’ils trouvaient que le son dénaturait le cinéma qui selon eux devrait rester muet, etc. Et par la force des choses, le son s’est imposé au cinéma.
Ensuite, quand la couleur est arrivée, il y a encore eu le même débat. Pour certains, un film d’auteur ne doit pas avoir de la couleur, il doit rester en noir et blanc, etc. Aujourd’hui, on ne parle plus de ça. Tout le monde fait des films avec du son et en couleur. Mais le débat actuel ou relativement récent a été de savoir si, il faut adopter l’outil numérique ou il faut continuer au 35 mm à la pellicule. Le temps est en train d’imposer sa loi et tout le monde adhère à cette nouvelle technologie et c’est tant mieux. C’est une technologie comme je le dis, qui évolue, qui a atteint aujourd’hui un niveau formidable et ça va continuer d’évoluer. Aujourd’hui on parle plus du cinéma 3 D ou plus, c’est l’évolution normale des choses.

Economie de temps, d’argent avec le numérique. Est-ce que la qualité ne prend pas un coup ?

Tout est relatif, si vous parvenez à convaincre votre équipe technique, vos comédiens ; en leur présentant l’histoire que vous voulez porter à l’écran, le budget que vous leur proposez. Il y en a qui vous diront d’aller vous faire voir, d’autres vont accepter. C’est un deal, il faut être honnête et franc avec les gens. Ce n’est pas parce que vous leur avez donné moins sur un projet qu’ils vont travailler forcément mal.

L’autre réalité, c’est qu’il arrive que des réalisateurs obtiennent des gros budgets, plusieurs centaines de millions, mais tout cet argent ne rentre pas dans la production. Donc il est de bon ton d’annoncer sur la place publique qu’on a fait son film à tel budget, par soucis de transparence vis-à-vis des bailleurs de fonds, mais est-ce que tout cet argent est injecté dans la réalité des faits. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup sur place qui paye les techniciens et comédiens, mieux que nous. On a une vérité de prix, une honnêteté.

Ce dont on a convenu, on l’exécute et personne aujourd’hui ne peut dire que le Dromadaire lui doit 1 f. Mais il y a des gens chez qui ils ont signé avec des montants plus élevés, mais jusqu’aujourd’hui, ils n’ont pas perçu la totalité de leur cachet. Finalement ça sert à quoi que je vous promette 10 millions pour jouer le rôle principal dans mon film, si en réalité je ne vous donnerai pas plus d’un million ou deux. C’est illusoire, et mieux vaut aller sur la base de ce qu’on est à mesure de faire réellement et tenir parole.

C’est donc aussi une question de transparence ?

C’est cela. Un ensemble de mécanismes qui de bout à bout permettent de travailler dans de relatives bonnes conditions avec les moyens que l’on a, tout simplement. Pour gagner du temps, ce n’est pas forcément parce qu’on travaille vite. Le fait de produire au moins un film chaque année, donc de travailler souvent, plus ou moins avec la même équipe locale, les gens se connaissent, il y a des automatismes qui se créent, on se comprend mieux et on gagne du temps.
Le film est bien préparé avant que le tournage ne commence et pendant le tournage on veille à ce qu’il y ait une certaine anticipation. Pendant qu’on tourne sur une séquence, ceux qui ne sont pas occupés sur le plateau préparent la séquence suivante au lieu d’attendre. Les gens n’ont pas le même rythme de travail. Ce n’est pas parce qu’on aura fini dans un temps relativement court par rapport à la moyenne des gens, que cela veut dire forcément qu’on a fait du mauvais travail.

Cela vous permet de faire des films populaires, certains ‘’puristes’’ estiment que vos films ne sont pas compétitifs. Etes-vous frustré d’entendre ce genre de commentaires ?

J’estime qu’on fait le film pour le public. C’est l’avis du public qui est important, pas de celui qui fait les choses différemment. Evidemment, s’il le fait différemment, il ne va pas adopter ma façon de faire. Son avis est intéressant, mais ce n’est pas ce qui m’intéresse, ce n’est pas ma priorité.
Cela dit, souvent on se perd aussi sur ce terrain-là. Quand un film est populaire, marche, ça ne veut pas dire que c’est parce qu’il a été fait vite, ou parce qu’on a mis plus ou moins d’argent qu’il va marcher. Le public adhère, pas à cause du budget, mais à l’histoire qu’on raconte. A mon sens, on ne parle pas suffisamment du scénario qui fait que le public se sente concerner, se reconnaisse et qui fait qu’il va voir le film et en parler autour de lui pour que d’autres viennent le voir.
Il n’est pas question de numérique, de 35 mm, encore moins du budget ; il est surtout question de scénario, de l’histoire qu’on raconte aux gens. On a beau être puriste, c’est bien, mais souvent les gens entrent en brousse. Le cinéma, c’est une écriture au départ.

Le fait que vos films drainent du monde en salle, c’est donc déjà suffisant, pas besoin forcément de faire des films qualifiés d’auteur…

D’abord, je ne sais pas qui décerne le label film d’auteur. C’est quoi un auteur ? Est-ce que ça veut dire que quand vous faites un film et que la moitié de la salle n’a pas compris, du coup ça devient un film d’auteur ? Auquel cas c’est une aberration. Est-ce que vous avez fait un film et que le public a aimé, du coup, c’est un film populaire ? Ça ne veut rien dire dans l’absolu. Moi je refuse que le cinéma africain soit enfermé dans une calebasse.
Ailleurs, aux Etats unis, à Bollywood, en Europe, on fait différents genres de cinéma, en Afrique on doit aussi avoir cette liberté-là. Ce n’est pas parce qu’on est cinéaste africain qu’on doit rester cloitré dans quelque chose, sous prétexte qu’on abrite le FESPACO. Si la finalité de votre film, c’est d’aller le présenter dans les festivals au public dit de connaisseurs, tant mieux pour vous. Mais nous avons fait le choix, qui ne nous détourne pas des festivals. En 2009, on a eu le prix de l’Union Européenne au FESPACO, on en est très fiers. En 2012, on a eu l’Ecran d’or au festival Ecran noir à Yaoundé. Tout ce qu’on fait comme films n’est pas destiné à des festivals, ce n’est pas notre priorité.

Nous sommes la capitale du cinéma africain, on est content qu’il y ait des salles. Entre deux éditions du FESPACO, il se passe deux ans. Il faut des films qui passent en salle. Il faut que les gens viennent, sinon ces salles vont fermer. C’est la réalité, il ne faut pas qu’on se leurre. Il faut que les gens aient l’honnêteté intellectuelle pour reconnaitre qu’il y a de la place pour tout le monde. Je ne sais pas quel besoin on a d’opposer les uns aux autres. Cela ne rime à rien, ça ne construit rien. J’ai beau être prolifique, je ne peux occuper les écrans à moi tout seul. C’est ainsi qu’on ira vers un début d’industrialisation du cinéma, ce n’est pas dans les grands discours.

Le ministre en charge de la culture a dit en substance à l’ouverture du FESPACO, que les réalisateurs africains doivent faire des films qui ressemblent aux africains, parce qu’on ne peut faire du western mieux que les américains, un film Ninja mieux que les chinois. Etes-vous dans la même logique ?

C’est une réflexion d’ensemble, mais en même temps, en tant qu’auteur africain, il est difficile de nier sa culture. Si tu essaies de rentrer dans la peau d’un américain pour faire une histoire en imitant ce qui se fait ailleurs, tu vas vite être rattrapé par ton identité réelle.
On ne se refait pas. On a qu’une seule œuvre en réalité qui est comme une empreinte, on a beau maquillé, au finish, ceux qui regardent verront avec le recul, qui vous êtes, quelles sont vos valeurs, votre fond culturel.
On est africain, on ira vers le cinéma ou les autres arts, avec notre sensibilité d’artiste africain.

Quels sont vos projets en ce moment ?

En ce moment, je suis en récriture pour un scénario de long métrage qui s’appelle le ‘’Bonnet de Modibo’’. C’est une histoire de chefferie villageoise avec beaucoup de conflits, d’immixtion de l’administration qui veut avoir son mot à dire.
Je retravaille ce scénario en espérant que d’ici quelques mois je passerai à la phase de réalisation. Parallèlement ; il y a la troisième saison de la série Fabiola qui est diffusée régulièrement sur TV5 et sera repris au mois de juin sur A+.

Un mot, une pensée qui vous tenait à cœur ?

J’espère que le FESPACO va beaucoup s’améliorer. Malheureusement, comme chaque édition, il y a beaucoup d’imperfections. Je pense que le FESPACO a besoin de se réinventer, peut-être que la jeune génération devrait s’exprimer un peu plus pour que ses aspirations soient prises en compte. C’est bien que les anciens revisitent notre festival avec un regard nouveau, neuf, cela nous permettra de nous renouveler et d’aller un peu plus loin.

Tiga Cheick Sawadogo
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