Un regard de chercheurs sur les enjeux du pouvoir de la langue« La langue est l’outil premier d’asservissement, elle est alors l’outil de l’affranchissement » N. Zongo.
Bref résumé des articles : Avertissement : l’intention n’est pas de reproduire ici de manière synthétique la pensée de chercheurs qui travaillent depuis des années à ces problématiques mais bien plutôt à partir de quelques uns de leurs articles s’attachant à aborder les difficultés relatives à la présence de pouvoirs et contre-pouvoirs complexes exacerbée par la réflexion sur les langues nationales, de relever les thèmes choisis dans ce contexte de la réflexion. Napon, Pour un bilinguisme français/langues nationales, propositions glottopolitiques : Les politiques éducatives sont considérées comme responsables de la diglossie actuelle français/langues nationales portée par un système d’éducation formelle d’une part et non formelle de l’autre utilisant l’un la langue française, l’autre les langues nationales. Cette bi-partition du système éducatif a de plus accentué l’écart entre zone rurale et urbaine. La politique linguistique perpétue la francophonie et ne planifie absolument pas une vraie promotion des langues nationales. « Comment peut-on prétendre valoriser une langue en l’imposant seulement à une partie de la population ? » L’auteur rappelle que leur utilisation par le passé visait plus à servir l’apprentissage du français qu’autre chose ? Thèse : l’institution scolaire entretient un conflit social entre paysans et fonctionnaires. Fernand Sanou, Langues nationales et colonialisme hier et aujourd’hui : Au-delà de l’évidence technique pédagogique, l’auteur souligne une évidence sociopolitique : « l’utilisation des langues nationales dans l’éducation représente pour les Etats qui en font l’option la marque de souveraineté politique vis-à-vis de l’ancienne puissance coloniale ». Il est fait référence aux africanistes tels F. Fanon (1952) A. Memmi et A. Moumouni (1974) qui ont défendu les thèses de l’aliénation par l’éducation (Fanon), du drame linguistique imparable (Memmi) et du génocide culturel (Moumouni). L’histoire de l’éducation en Afrique subsaharienne vient éclairer la complexité des relations entretenues avec les langues africaines : les missionnaires et administrateurs coloniaux n’avaient déjà pas les mêmes objectifs et ce sont les Africains qui ont porté l’exigence d’un niveau d’étude académique qui seul permet l’accès à un certain statut. Paradoxe du système : c’est donc l’école coloniale qui a créé des intellectuels qui ont pu défendre pour leur propre cause ce qu’on leur avait enseigné : liberté, égalité Nikiéma, Langues nationales et intérêts de classe au Burkina Faso : L’auteur considère que le vrai frein à l’introduction des langues nationales dans le système éducatif se forme autour d’intérêts de classes. Réfutant un à un les arguments les plus souvent opposés à l’introduction des nationales, l’auteur soutient pour thèse que la classe dirigeante francophone a tout intérêt à maintenir la classe paysanne dans sa pratique des langues nationales : les bonnes intentions affichées mais non traduites par des décrets officiels joueraient ainsi le rôle de fausses concessions accordées aux masses afin de maintenir l’idéologie d’une classe dominante. Propositions : Introduire d’abord les langues aux niveaux secondaire et supérieur Vallean Tindaogo, Du mythe dans les projets de réforme de l’éducation en Afrique Noire : l’exemple du Burkina Faso : Suivant le schéma actanciel de Greimas en considérant que les textes de réforme peuvent être lus et donc analysés comme des mythes, comme des contes, l’auteur expose les différents acteurs du système éducatif burkinabè : destinateurs (révolution, droits de l’homme, humanisme universel, tradition), sujet réel mondial (UNESCO), destinataires (les masses, les pauvres), opposants (les mauvais blancs, les analphabètes, les intellectuels), adjuvants (chef de l’Etat, associations, donneurs, consultants) mais qui en fait conditionnent le pays. Thèse : le maintien de ces mythes est très pratique puisqu’il permet de donner à chacun un rôle, une place dans le système. Sanogo Lamine, La francophonie et la politique des langues partenaires entre choix et nécessités : Le groupe des intellectuels se divise entre les partisans d’un bilinguisme politique équilibré, d’un monolinguisme (tout en français ou tout en langue nationale) et d’une politique des langues partenaires. Thèse : le débat de fond relatif à la place accordée dans les sociétés africaines aux langues locales est occulté par la question de l’introduction de ces mêmes langues dans le système éducatif. Propositions : construire une politique des langues partenaires A la lecture de ces auteurs, il apparaît clairement que la question de l’introduction des langues nationales ne peut se réduire à une analyse techniciste pédagogique ou didactique. En effet, de lourds enjeux sont ici relevés. Le poids de l’histoire du système éducatif en Afrique subsaharienne ne saurait être occulté ainsi que l’externalisation des financements et des politiques éducatives et linguistiques. Enfin, les conflits de classe sont le thème central de ces articles et permettent d’insister sur une société où dominent des intérêts particuliers intimement liés aux langues pratiquées. Remarquons que les communautés ne sont pas abordées dans ces articles (hormis A. Napon qui souligne les stratégies des familles face à l’offre scolaire). Or la société civile burkinabè est hiérarchisée autour de différentes ethnies et donc d’autorités coutumières et religieuses qui les représentent ce qui complexifie davantage encore la conception marxiste d’une société de classes. Dr OUEDRAOGO Tiga Alain |