Oumarou Koala, Directeur de Plan Liberia « Mon souhait est que le Burkina ne connaisse aucun cas d’Ebola »Le Liberia est l’un des pays touchés par l’épidémie du virus Ebola. C’est le pays qui a enregistré jusque-là le plus grand nombre de victimes soit plus de 700 cas de décès. Le Burkinabè Oumarou Koala, Directeur Pays de Plan Liberia depuis juillet 2013, se trouve au cœur de la stratégie de riposte de cette maladie avec son ONG. Depuis Monrovia, la capitale du Liberia, il a bien voulu partager avec Mutations son expérience dans la gestion de cette tragédie humaine tout en donnant des conseils en vue de la prévention. C’est simplement édifiant. Lisez-plutôt ! Quelles étaient les challenges et les défis qui se présentaient à une ONG comme Plan au Liberia à votre prise de fonction en 2013 ? Le Liberia est un pays avec une histoire assez singulière. Le pays n’a pas connu la colonisation comme la plupart des pays africains. Il est indépendant depuis 1847 soit 167 ans maintenant. Il a connu 14 ans de guerre civile qui a pris fin en 2006 et dont les séquelles sont toujours visibles tant sur les hommes (trauma) que sur les infrastructures qui restent toujours délabrées et peu fonctionnelles. L’administration qui se reconstruit petit à petit est en général composée d’agents peu qualifiés. La main d’œuvre qualifiée est peu importante car elle a migré à l’étranger. Le dollar américain est la monnaie d’échange du pays, induisant un coût de la vie qui est cher comparé au pouvoir d’achat des travailleurs libériens. 40% de la population est âgée de moins de 20 ans. Cela implique de nombreux défis en termes de besoins à satisfaire. D’une manière générale, les violations des droits de l’enfant sont très courantes. Le viol sur mineur est très répandu, les grossesses non désirées et précoces sont nombreuses. Les enfants de famille mono parentale sont très nombreux. L’éducation est un secteur qui s’est effondré avec la guerre, le manque d’enseignants dans les écoles est un phénomène qui ne surprend plus car toutes les écoles sont affectées par le manque d’enseignants. Avec ce décor qui n’est pas complet, vous pouvez comprendre tous les défis qui se présentent aux ONG comme Plan International dont la mission est d’apporter des améliorations durables à la qualité de la vie des enfants défavorisés en leur permettant d’avoir accès aux services sociaux de base comme la santé, l’eau, l’assainissement, l’éducation et une alimentation adéquate. Face à d’importants besoins en termes de projets à réaliser, nous avons des partenaires qui ne disposent pas de bonne capacité aussi bien pour la mise en œuvre que pour la gestion. Evidemment, ces réalités limitent nos capacités opérationnelles d’absorption de nos financements dans les termes convenus. Pour notre approche, nous travaillons dans le cours et moyen terme pour asseoir les structures qu’il faut pour la protection et la promotion des droits des enfants à tous les niveaux. Nos interventions sont ciblées sur cela dans notre plan stratégique. Avant d’aller au Liberia, vous avez travaillé au Burkina Faso et dans d’autres pays francophones. Quels sont les avantages comparatifs que vous avez pu noter de part et d’autre en ce qui concerne la situation de l’enfant et de la jeunesse ? J’ai effectivement travaillé dans certains pays francophones de Plan International en Afrique de l’ouest avant de me retrouver maintenant au Liberia qui est un pays anglophone dont la population est majoritairement jeune et peu formée. On se rend facilement compte du rôle important que peut et doit jouer la cellule familiale pour l’éducation des enfants. La société est à l’image de l’éducation que reçoivent les enfants et des valeurs que cette éducation véhicule. Si les enfants sont bien éduqués dans la cellule familiale, ils adoptent les valeurs morales et sociétales que les parents inculquent en eux. La société en tire d’énormes bénéfices et on constatera moins de dérives dans le comportement des individus. A quel niveau étaient les indicateurs de développement du pays avant la survenue de l’épidémie d’Ebola ? Le niveau général du pays avant l’épidémie d’Ebola n’était guère reluisant. Les services de base comme la santé, l’éducation, l’accès à l’eau sont à des niveaux très bas. Les infrastructures routières sont à reconstruire et l’économie rurale en souffre. Pour l’éducation par exemple, le taux d’abandon des filles est l’un des plus élevés au monde avec 40,27%. Le niveau de mariage précoce est très inquiétant, presque 50% des filles sont mariés avant leur 18eme anniversaire. Par exemple, si la crise d’Ebola sévit plus durement au Liberia et a atteint tout le pays en un temps relativement court, c’est entre autres à cause du système de santé qui est très défaillant et très peu fonctionnel. En règle générale, le mois d’août est consacré aux vacances à Plan. Mais on constate que vous êtes sur la brèche pour faire face à l’épidémie d’Ebola qui sévit au Liberia. Quel est l’état de la situation au jour d’aujourd’hui ? La situation de l’épidémie d’Ebola est très inquiétante et nous préoccupe beaucoup en tant qu’organisation humanitaire ici au Liberia. Avec la crise de l’épidémie d’Ebola, nous avons décidé de réduire nos équipes sur le terrain, mis en congé obligatoire le personnel non essentiel et gardé une équipe très légère qui coordonne nos appuis avec le ministère de la Santé. L’équipe légère qui reste en poste se charge de la gestion de la réponse Ebola et coordonne avec les bureaux de Plan International en Europe, au Canada et aux Etats-Unis pour mobiliser des ressources financières en vue de soutenir l’Etat. Ce qui est un travail qui nécessite la présence de l’équipe de direction dans le pays. Quelles sont les mesures en vigueur dans le pays pour lutter contre la propagation de l’épidémie ? Il faut dire que plusieurs mesures ont été prises par le gouvernement libérien pour contenir la maladie. Il faut noter que les mesures prises sont diversement appréciées par la population et sont souvent aussi peu respectées à cause d’une résistance communautaire aux mesures. Pour les mesures, on peut citer la mise en quarantaine des zones infectées, le couvre feu sur tout le pays, l’incinération des corps pour éviter la contagion, la mise en observation des personnes ayant eu un contact avec un malade confirmé ou une personne décédée. Toutes ces mesures n’ont pas reçu un écho favorable et ont engendré par endroits des troubles et des résistances à déclarer des malades et à se présenter dans les centres de prise en charge. Il faut déplorer que les mesures soient venues tardivement à un moment où la capitale Monrovia qui abrite 50% de la population du pays était touchée. Pourquoi ces mesures ne sont-elles pas respectées scrupuleusement ? Il faut dire que les mesures sont difficilement ressenties par les populations. On a dû noter la grogne un peu partout, à Monrovia comme dans l’intérieur du pays. Ce qui a rendu difficile le respect des mesures, ce sont les fortes traditions des populations qui continuaient à enterrer sans protection des corps infectés d’ébola et célébrer les funérailles sans précaution. Ce qui a entrainé des contagions par dizaine dans les villages. Pour contourner la mise en quarantaine de leur village, les malades étaient déplacés la nuit tombée vers d’autres villages ou villes. Cela a eu pour conséquence de répandre très vite la maladie. Par exemple, il y a des malades qui ne sont pas transférés dans les centres de prise en charge des malades d’Ebola. Ils sont gardés à la maison et ont contaminé toute la famille. Pendant de longs mois et même actuellement, il y a des personnes qui ne croient pas à Ebola et ne respectent aucune des mesures mises en place pour la prévention. Le gouvernement éprouve des difficultés pour faire entendre raison et cela ne facilite pas le succès de la riposte face à Ébola. Quel est l’état psychologique de la population libérienne face à cette épidémie ? Il y a la peur. Il y a les inquiétudes et Ebola devient le sujet de discussion en cours de journée. La maladie n’a pas de remède et le taux de létalité est très élevé. Ici, il est de 60%. Cela fait donc très peur à tout le monde de voir que nous avons à faire à une maladie très contagieuse, qui tue vite si la personne est infectée. L’autre défi auquel fait face la population est que les centres de santé sont vides et ne s’ouvrent presque plus. Des malades qui étaient confinés en quarantaine s’étaient vus dispersés par d’autres Libériens qui les avaient pris en chasse. Ces derniers estimeraient que le virus d’Ebola ne serait qu’un simple montage des politiques. Que pensent vraiment les Libériens de cette crise humanitaire ? C’est très dommage qu’il y ait toujours des gens en ville comme en milieu rural qui ne croient pas du tout à Ebola et qui par conséquent ne respectent pas les mesures de prévention. Ces personnes s’exposent et exposent les autres. Mais on a de l’espoir car la grande majorité a pris conscience du problème et s’adapte aux mesures et les applique. Mais Ebola est spécial. Même un seul cas constitue un risque majeur pour toute la population. Il faut donc absolument que les gens acceptent et changent les habitudes et les comportements avec Ebola. Heureusement, ça commence à venir. On ne serre plus les mains pour saluer, les dispositifs de lave main sont presque partout (lieux de culte, boutiques, domiciles, bureaux…) et les gens se lavent les mains plusieurs fois au cours de la journée après chaque sortie ou après avoir touché des surfaces susceptibles d’être en contact avec de nombreuses personnes. L’Ebola mobilise beaucoup d’humanitaires. Quel est le rôle que joue Plan Liberia dans ce contexte ? En clair, quelles sont les actions et les types d’intervention que mène votre ONG pour faire face à cette crise ? Plan Liberia est une ONG internationale qui a été parmi les premiers humanitaires à soutenir le gouvernement libérien. La première zone touchée en avril (Lofa County) est une zone où nous avons un bureau terrain. Depuis le premier épisode d’Ebola qui semblait s’estomper en juin, Plan a été disponible pour apporter son soutien en matière de mobilisation sociale à travers une vaste campagne de sensibilisation et de renforcement des dispositifs de prévention comme la désinfection. Aussi, nous sommes membre du comité national de crise et nos équipes y prennent part et partagent leur expertise avec les collègues du ministère de la Santé et des autres humanitaires. Avec la dégradation de la situation, nous avons élargi notre intervention en offrant des véhicules au ministère de la Santé pour l’évacuation des malades et l’enlèvement des corps. Nous sommes en train de former un consortium d’ONGs internationales pour déployer une réponse holistique qui comprendra les volets cliniques avec une équipe de médecins et infirmiers, le renforcement des capacités du personnel du ministère et la sensibilisation communautaire pour le changement de comportement. On sait que malheureusement la crise n’épargne personne, même pas les humanitaires et les médecins qui vont au secours des malades. Comment vous et votre équipe vous y prenez pour être utiles aux communautés tout en vous préservant ? Connaissant le caractère très contagieux de la maladie, notre personnel fait un travail qui ne les expose pas a priori. Nous n’intervenons pas dans la prise en charge ni dans la gestion des corps. Ces composantes de la réponse à l’épidémie sont très délicates et exigent un personnel spécialisé avec des équipements spéciaux. Nous enseignons à notre personnel que nous ne voulons pas de héros dans nos réponses aux crises humanitaires. Il y a un protocole clair qui aide à prévenir les cas malheureux. Le Burkina Faso comme beaucoup de pays a mis en place un plan de riposte, mais la psychose demeure. Les Burkinabé doivent-ils réellement s’inquiéter ? Evidemment ! Le Burkina Faso a bien raison de s’intéresser à cette crise qui sévit dans la région. Seulement, le message doit être bien conçu pour éviter de paniquer et de créer la psychose. Car c’est ce qui entraine souvent la résistance et la non déclaration des cas. Je pense que le ministère de la Santé fait déjà quelque chose parce que je lis quelques fois des articles y relatifs en ligne. Ce qui peut paraitre important, c’est la formation du personnel de santé pour la prise en charge, leur équipement et aussi mettre le dispositif de coordination en place. La crise sévit en Guinée, en Sierre Leone, au Liberia, etc. et Plan intervient quasiment dans tous ces pays. Est-ce qu’il existe une superstructure pour appréhender la crise de manière globale ? Notre Bureau régional à Dakar coordonne avec les pays touchés que sont la Guinée, la Sierra Léone et le Liberia l’action de Plan International pour lutter contre Ebola. Nous partageons nos expériences et les leçons apprises ici et là. Existe-il un consortium d’ONG pour lutter contre l’Ebola ? Le groupe des ONG internationales au Liberia se réunit très régulièrement pour coordonner nos actions dans l’espace et se compléter avantageusement pour être plus efficace. Suivant leur mission et domaine d’expertise des ONGs, elles travaillent en réseau avec le ministère de la Santé pour apporter leur contribution de manière plus coordonnée. Guinée, Sierra Léone, Liberia, Nigeria, RDC, sont les pays déjà touchés par la fièvre hémorragique Ebola. Quand on retourne dans l’histoire, on se rend compte que tous ces pays à des degrés divers ont connu ou connaissent des conflits armés. Faut-il croire que les anciens foyers de conflit et autres théâtres de guerre constituent des terreaux fertiles pour le virus d’Ebola ? Non, je ne pense pas qu’il y a un lien intrinsèque entre Ebola et les conflits. Ce qu’il faut reconnaitre est que ces trois pays du bassin du Mano River ont effectivement connu des crises graves et même des conflits internes qui ont fragilisé les structures étatiques et qui ont rendu ces Etats vulnérables. Cela a affecté leur capacité de répondre à des catastrophes comme Ebola. Ici, il s’agit de la santé et il faut noter que le problème réside au niveau du manque de personnel et de structures de prises en charge. Par exemple, pour tout le Liberia qui a plus du millier de malades d’Ebola, il n’y a que deux centres de prise en charge. Ces deux centres soutenus par les ONGs sont débordés et refusaient même des patients, faute de capacité. Ceux qui y étaient admis n’étaient pas non plus bien pris en charge, faute de personnel soignant et de matériel de travail. Ce qui peut expliquer le taux de létalité très élevé qui dépasse 60%. Les conflits ont fragilisé ces Etats et leurs structures et a diminué leur capacité de riposte face à la fièvre. C’est pour cela que l’appui des humanitaires et de la communauté internationale est très capital dans cette lutte. Ces pays seuls n’y peuvent rien. La présidente du Liberia, Mme Johnson, a pris des sanctions à l’encontre de certains officiels. De quoi est-il question exactement et comment ces sanctions sont-elles perçues par l’opinion publique libérienne ? Oui, la Présidente a limogé un certain nombre de cadres et d’officiels de l’Etat qui se trouvaient à l’étranger avant la déclaration de l’Etat d’urgence en juillet et qui ont été sommés de retourner au pays pour soutenir la lutte contre Ebola. Ces derniers n’ont pas répondu à l’injonction faite par la Présidente et sont restés là où ils sont. Alors, le gouvernement a simplement limogé ces derniers qui n’ont pas répondu à l’injonction. La population dans sa majorité approuve la décision, estimant que ces officiels bénéficiant des avantages de l’Etat doivent être prêts à servir la nation. Ils devraient donc revenir et soutenir le pays. Il y a des hauts responsables du ministère de la Santé libérien parmi ces officiels. Quels conseils avez-vous à donner aux populations des pays qui n’ont pas encore été touchés par l’épidémie, en l’occurrence le Burkina Faso ? Mon souhait et ma prière est que le Burkina ne connaisse aucun cas de cette maladie. La prévention est très importante et l’information joue un rôle important dans la prévention. Pour ce faire, un travail peut être fait dans ce sens dès à présent afin de se prémunir. La participation des populations est très importante pour réussir cette lutte qui a un caractère médical important, mais qui échoue si les populations ne collaborent pas dès les premiers cas. Comment un Burkinabè, ressortissant d’un pays francophone, a-t-il fait pour se retrouver à la tête d’une grande ONG dans un pays anglophone ? Moi je suis francophone issu de notre université nationale à Ouagadougou et j’ai commencé très tôt à travailler à Plan international Burkina Faso. Cela me fait déjà deux décennies de séjour dans le système de Plan International. J’ai commencé ma carrière en tant que chef de zone sur le terrain dans le Namentenga et j’ai gravi les échelons de l’organisation pour être à un niveau d’agent international hors de mon pays. Cela a pris du temps et m’a demandé un effort personnel, un engagement aussi. C’est passionnant de travailler dans l’humanitaire, mais c’est contraignant aussi. Pour les jeunes qui souhaitent se lancer dans la même aventure comme moi, il faut accepter le sacrifice et les contraintes du travail dans les organisations humanitaires, qui pour la plupart vous amènent à travailler très souvent sous pression. Pour la langue anglaise, il faut s’investir et s’exercer en pratiquant même étant dans un environnement francophone au Burkina. On finit par avoir un bon niveau de pratique, de communication et de compréhension. Cela donne plus d’opportunités pour occuper des positions qui requièrent le bilinguisme. Interview réalisée via skype par Touwendinda Zongo MUTATIONS N° 60 du 1er septembre 2014. Bimensuel burkinabè paraissant le 1er et le 15 du mois (contact :mutations.bf@gmail.com . site web : www.mutationsbf.net) Vos réactions (9) |