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Togo : Mort d’Eyadéma, un mal pour un "bien" ?

lundi 7 février 2005.

 

Le général Gnassingbé Eyadéma, l’homme qui avait fini par s’identifier au Togo à cause de son long règne (sa prise du pouvoir date du 31 janvier 1967) est mort samedi 5 février 2005 alors qu’il était en voie d’évacuation vers l’Europe. Après la mort du "père de la Nation" togolaise, la donne politique dans son pays et dans la sous-région pourrait évoluer positivement ou négativement selon les actes que les uns et les autres seraient amenés à poser.

Aussitôt l’annonce de sa mort faite par le Premier ministre Koffi Sama, la nomenklatura politico-militaire que le vieux général avait pris le soin de constituer autour de lui, a désigné pour lui succéder, un de ses fils cadets, Faure Gnassingbé jusque-là ministre en charge des Mines. Une décision qui va à l’encontre de l’article 65 de la Constitution qui fait du président de l’Assemblée nationale, le dauphin désigné, chargé d’organiser une nouvelle élection présidentielle dans un délai de 60 jours après la vacance du pouvoir. Cette décision aussitôt qualifiée de "coup d’Etat militaire" par le président de la Commission de l’UA, Alpha Omar Konaré et "d’anticonstitutionnelle" par Olusegun Obasanjo, président en exercice de la même organisation, s’explique aisément.

En effet, le général avait bâti et consolidé son pouvoir sur la terreur, le culte de la personnalité, la corruption et la violation des textes fondamentaux du pays. C’est dire que son entourage n’a pas intérêt à ce que l’échafaudage patiemment construit par le "Timonier", cède à la première bourrasque. Une occurrence qui pourrait les livrer sinon à la vindicte populaire, du moins à un jugement en bonne et due forme devant les juridictions du pays.

Le réveil des vieux démons ?

Du coût, le "Coup d’Etat constitutionnel" approfondit davantage la fracture politico-sociale du pays et augure des lendemains difficiles pour le pays. Eyadéma dont nous soulignons tantôt les penchants anti-démocratiques, avait érigé l’ethnicisme et le clanisme en dogmes politiques. Pour avoir accès à la "table du Seigneur" il fallait être "géographiquement" rattaché à lui. Les Nordistes ont donc la part belle au Togo alors que les Sudistes, principalement les intellectuels étaient clochardisés.

Un ressentiment rendu plus virulent par le fait que le "Péché originel" à savoir l’assassinat du président sudiste Sylvanius Olympio en janvier 1963 n’a jamais été "lavé". Le général n’abordait jamais la question de la réhabilitation du père de l’indépendance togolaise et son fils Gilchrist a été persécuté tout le long de son règne.

Après une léthargie politique quasi-comateuse de trente ans, le Togo connaîtra, un semblant de réveil démocratique à l’orée de la décennie 90 avec le printemps des partis politiques et des revendications sociales. Un réveil que le général et sa garde rapprochée materont sans état d’âme ensanglantant le quartier populaire de Gbè, fief de l’opposition.

Des actes hautement répréhensibles qui entraîneront la mise du pays au ban de la communauté internationale. Aller dans une autre direction que celle de l’approfondissement du processus démocratique, c’est prendre donc le risque "d’attenter à la paix sociale" comme l’a indiqué Konaré. Et comme pour lui faire écho, Gilchrist Olympio, le leader naturel de l’opposition affirme que "rien n’a changé" ajoutant que "la lutte continue".

Gare aux "débordements"

Le contentieux socio-politique demeure donc en l’état, et, le fils Eyadéma, pour peu qu’il ait de la jugeote et le sens de l’histoire, devrait être en mesure de le résoudre. Dauphin parmi les dauphins, Faure Gnassingbé doit son ascension à la maladie et à l’évacuation de son aîné le colonel Ernest Eyadéma en Europe. Une maladie (on parle de paralysie) qui, conjuguée à d’autres faits malheureux (décès accidentel d’une fille du général) a d’ailleurs précipité la mort du "Timonier".

Faure Gnassingbé saura-t-il faire fi des intérêts du clan pour ancrer enfin le pays dans l’espace démocratique ? On peut en douter nonobstant les cris d’orfraie de l’UA qui a depuis longtemps fait la preuve de son inefficacité dans la gestion des transitions politiques difficiles. L’UA n’en déplaise à Konaré et Obansanjo est trop pauvre pour aller au-delà des déclarations de principe et de "l’exclusion" temporaire des chefs d’Etat "rebelles".

L’exemple de la Côte d’Ivoire nous le rappelle chaque jour, car tout est parti dans ce pays aussi, d’une succession ratée du vieux Houphouët. Le "petit" Eyadéma qui le sait pour jouer sur les alliances dont il dispose dans la sous-région, voire au-delà pour se maintenir au pouvoir Laurent Gbagbo qui n’a jamais fait mystère de son amitié avec le défunt Eyadéma pourrait voler au secours de son rejeton en cas de "pépin" social. L’axe Lomé-Abidjan ainsi constitué pourrait entraîner des désagréments pour la sous-région, les deux capitales étant hostiles à Ouagadougou depuis un peu moins d’une décennie.

Une parenthèse pour dire que les troubles socio-politiques que pourrait entraîner une imposition de Faure Eyadéma doivent inciter le Burkina Faso à renforcer le corridor ghanéen qui intervient pour beaucoup dans notre commercial. Un moindre mal en fait la panacée étant que le Togo opte résolument pour la démocratie gage de préservation de la paix sociale. A condition bien sûr que les opprimés d’hier ne se transforment en oppresseurs dès leur prise de pouvoir, inéluctable en cas d’élections transparentes. Car, faut-il le rappeler, le général était plus craint qu’aimé.

Son successeur qui ne jouit pas de la même aura, ni du même réseau d’amitiés que son défunt père, semble cependant bénéficier de l’appui de Paris (le "faiseur de rois") qui ne s’est pas encore prononcé clairement sur son "coup d’Etat". Lendemains incertains pour le Togo donc qui oscille entre conservatisme, envie de démocratie, purges et règlements de comptes. Le peuple togolais, souverain premier est plus que jamais interpellé si tant est que "chaque peuple a le dirigeant qu’il mérite".

Boubakar SY
Sidwaya