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Agriculture : Un fils de producteur raconte la Vallée du Kou

mercredi 3 octobre 2012.

 

A 46 ans, Abdoulaye Ouédraogo est un initié de la filière riz. Son histoire personnelle se confond à celle de la Vallée du Kou. Né dans le Yatenga, il est « déporté » dès l’âge de 6 ans dans les planches rizicoles de la Vallée du Kou. C’est dans cette plaine éloignée de ses racines yadsé que son histoire s’écrit.

« Certains pensent que le producteur agricole, c’est quelqu’un qui a raté sa profession ». C’est par cette phrase qui s’apparente à une boutade qu’Abdoulaye Ouédraogo ouvre un entretien qui va durer plus de deux heures d’horloge en notre compagnie. Pour lui, être producteur agricole peut être un choix parmi d’autres professions. Sous l’ombre d’un hangar, nous ne remarquerons pas le temps passé. Il est 15h et nous sommes assis à 200 mètres de la plaine rizicole située sur notre gauche. En face de nous, à moins de 200 mètres, nous pouvons voir une décortiqueuse de riz qui tourne à plein régime. Toujours à partir de notre position, derrière le hangar, les enfants se baignent dans l’eau du canal d’irrigation qui traverse la commune.

En ces moments de vacances, cette piscine naturelle offre aux écoliers un moment de loisir avant de se jeter dans les bas-fonds rizicoles, faisant le bonheur des riziculteurs. Le récit de Abdoulaye est une épopée de l’ère Lamizana. L’histoire commence en 1971. La vallée du Kou vient d’être aménagée grâce à la coopération de la Chine Taïwan. C’est un grand projet du gouvernement d’alors qui veut réduire la dépendance alimentaire du Burkina vis à vis de l’extérieur. Il s’agissait de créer « un transfert des populations des zones pauvres et à forte densité humaine vers les zones fertiles » afin d’encourager et accroitre la production nationale de riz. Pour les autorités, cette politique visait également à « freiner l’émigration en garantissant aux populations un emploi sur toute l’année ».

L’ambition est bien tracée. Un appel est alors lancé au niveau national pour recruter des travailleurs au profit de la Vallée du Kou. Ces volontaires vont s’installer dans la Vallée et ils travailleront pour elles-mêmes. Le contrat qui lie les exploitants au gouvernement burkinabè, c’est l’engagement à produire exclusivement du riz. Le strict respect de cette condition est placé sous la supervision des Taïwanais qui assurent l’encadrement technique des exploitants. Abdoulaye se souvient dans les détails de la rigueur des Taïwanais. « Même si tu plantais un pied de gombo dans ta parcelle, le Chinois te le faisait enlever ». C’est en 1972 que le père de Abdoulaye est arrivé à Bama. Il est originaire du village de Kalsaka, dans la province du Yatenga. C’est de là qu’il a été convoyé dans un car comme beaucoup d’autres ressortissants de la même province que lui vers la plaine rizicole de Bama.

On est passé de 600 tonnes à plus de 5000 tonnes de riz

Les personnes qui désiraient travailler dans la plaine devraient s’inscrire auprès de l’Organisme régional de développement (ORD) et ensuite le car passait de provinces en provinces pour les prendre. La condition était pour chaque inscrit d’avoir deux personnes en plus de lui-même qui sont physiquement aptes à travailler. Chaque famille ainsi constituée avait droit à 1 hectare de terrain irrigué. Dès la descente du car, les Chinois attendaient les gens pour leur remettre un équipement de travail constitué d’une brouette, d’une pioche, une houe, etc. Ils recevaient également un moule, de quoi confectionner des briques en banco pour construire une maison de 20 tôles sur une parcelle bornée. Toutes les maisons étaient construites de la même façon : des briques en banco sur une fondation faites de trois couches de briques en dur. C’était une vraie forteresse. Depuis 1972, la maison de 20 tôles de la famille Ouédraogo est toujours bien dressée et sert encore. Abdoulaye nous le montra fièrement : « C’est la première maison construite par mon père dès son arrivée ici. » Les exploitants étaient également pris en charge au plan alimentaire.

On leur distribuait de la farine de maïs, des boites de conserves, du lait et d’autres aliments, « parce qu’ils étaient venus sans rien emporter ». Abdoulaye est venu rejoindre son père dans la vallée un an après (en 1973). La même année, il est inscrit à l’école Badara (aujourd’hui école de la Vallée du Kou A) ouverte en 1970. En 1979, il est admis au CEP, mais pas à l’entrée en 6ème. Abdoulaye doit mettre un terme à son cursus scolaire parce que son père avait de plus en plus besoin de lui dans la rizière. « Je ne me débrouillais pas mal à l’école, mais il fallait payer près de 60000F et en plus je devrais aller poursuivre au collège à Bobo ». Son maître d’école, un certain Coulibaly Issiaka, s’était même engagé à payer la moitié des frais de scolarité, mais son père ne pouvait (ou ne voulait) rien supporter de tout cela.

C’est ainsi que très tôt, il a été initié à la culture du riz. Après avoir travaillé un temps aux côtés de son père, il décide en 1986 d’aller voir du côté de la Côte d’Ivoire. L’aventure n’aura duré que deux ans. De retour en 1988, « je m’en voulais pour le temps que j’ai perdu en Côte d’Ivoire ». C’est en ce moment qu’il a décidé de prendre au sérieux « la chance » qu’il avait. Pour lui, la plaine offre une chance inouïe qui n’est pas donnée à tous les autres producteurs burkinabè. Cette chance, c’est celle de pouvoir travailler toute l’année. A la Vallée du Kou, il existe deux saisons. La petite saison va de janvier à mai et la grande s’étale de juin à novembre. Ainsi grâce à l’irrigation, les exploitants de la Vallée du Kou peuvent produire sur toute l’année. Avant l’aménagement de la vallée, la production annuelle de riz dans la plaine se situait à 670 tonnes en moyenne. Dès la première campagne qui a suivi l’aménagement, la production saisonnière est passée à 2141 et 3655 tonnes respectivement à la 1ère et à la 2ème campagne de 1972, soit une production annuelle de 5796 tonnes.

Le déclin et peut être la disparition ?

La population d’exploitants constituée au départ de 906 familles est installée dans huit villages dont sept créés au fur et à mesure de l’avancement des travaux d’aménagement. Les exploitants de la Vallée du Kou sont issus de plusieurs horizons : 25 provinces, 272 villages du Burkina et 27 ethnies. Il a été créé 6 villages qui se sont ajoutés au village autochtone de Bama pour former aujourd’hui la commune de Bama. Furent successivement créés le 1er village A en 1970, le 2ème village B en 1971, le 3ème village en 1972, le 4ème, le 5ème et le 6ème village en 1973. La Vallée du Kou a connu des périodes de lustre. Le revers a été le départ des Chinois. « Sous le Président Lamizana et Joseph Conombo (ndlr : Premier ministre à l’époque), un matin, on a donné un ultimatum de 48h aux Taïwanais pour quitter la Vallée », se souvient Abdoulaye Ouédraogo. « Les Chinois (ndlr : les Taïwanais ont tout détruit, brûlé les plans d’aménagement avant de partir », raconte-t-il. la Haute-Volta avait rompu ses relations diplomatiques avec la Chine de Taïwan pour se tourner vers la Chine populaire.

« C’est la Chine populaire qui a terminé l’aménagement de la vallée entre 1974 et 1975 ». L’aménagement et la mise en valeur de la Vallée du Kou a duré 6 ans et a coûté entre 700 000 et 800 000 FCFA l’hectare. Abdoulaye Ouédraogo est aujourd’hui le président de l’Union des coopératives rizicoles « Faso djigui » de la Vallée du Kou/Bama. Depuis 1992, il était devenu lui-même un producteur autonome de riz dans la vallée du Kou. C’est en 1992 qu’il y a eu la dernière distribution de parcelles irriguées. C’est à cette occasion que Ibrahim Ouédraogo, lui aussi fils de producteur émigré de Tikaré, a acquis son demi hectare. Son histoire est similaire à celle de Abdoulaye. Il a quitté l’école l’année où il a réussi à son certificat. Aujourd’hui, ce sont des fils et de petits fils des premiers producteurs qui travaillent dans la plaine rizicole de la vallée du Kou. Les problèmes se sont démultipliés pour cette génération. De 100 exploitants en 1972, ils sont aujourd’hui officiellement 1300 producteurs qui possèdent entre 1 ha et ¼ ha dans la plaine.

Faute de terres (les 1260 ha irrigués seraient inextensibles), plusieurs jeunes nés de pères exploitants sont désœuvrés. Certains sont obligés d’aller à l’aventure vers la Côte d’Ivoire. Ismaël Korgho, Amidou Sawadogo, Souleymane Belem comme la majorité de leurs camarades sont sans espoirs. La Vallée du Kou rassemble aujourd’hui plus de difficultés qu’elle ne propose de solutions. Problème d’espace, ensablement du cours d’eau entrainant une baisse drastique du débit de l’eau. En saison sèche, 300 à 400 ha de terres sont abandonnées parce que l’eau ne suffit plus pour l’irrigation. Conséquence, la production de riz est en chute libre ces dernières années. Entre 2001 et 2006, on a observé une baisse de la production à l’hectare qui est passée de 4700Kg/ha à 4500Kg/ha. Les exploitants appellent au secours de l’Etat pour redonner à la Vallée du Kou sa vitalité. Déjà en 2008, le Premier ministre Tertius Zongo y avait effectué deux visites (le 25 avril puis en septembre) se rappellent bien les jeunes.

À l’époque, le Premier ministre ébahi s’était écrié : « J’ai cherché le riz en Taïwan et en Inde, mais voici le riz au Burkina ». Les jeunes avaient alors profité poser leurs doléances et le chef du gouvernement avait écouté avec intérêt. Quatre ans après, les problèmes de la Vallée du Kou demeurent et plus préoccupants. « Avant, quand une femme accouchait, nous faisions le baptême la semaine qui suivait. Maintenant, il n’y a plus de fête et les enfants ne vont plus à l’école », déclare, sérieux, Ismaël Korgho.

Cédric Kalissani

MUTATIONS (mutations.bf@gmail.com)


La vallée du Kou, un instrument pour la sécurité alimentaire !

La Vallée du Kou a une histoire de plus de trois décennies. Lancé en 1971, c’est un ambitieux projet qui s’est réalisé d’une part grâce à la coopération entre l’Etat de la Haute-Volta d’alors et la République de Chine Taïwan et d’autre part, grâce à l’engagement des Voltaïques venus de plusieurs horizons du pays. En 31 années de pleine activité, la plaine rizicole située à 25 km au Nord-Ouest de Bobo sur la route Faramana-frontière du Mali fascine encore par son étendue. 1260 hectares de terres aménagées sont exploités sans relâchement. La nationale n°9 qui traverse la commune de Bama et divise en deux le bas-fond ne fait qu’en rajouter au spectacle captivant.

En passant la route, les pépinières de riz et les planches préparées attendant les nouveaux plants de riz, offrent un mélange de verdure et de terres bêchées qui défile des deux côtés du goudron, sous les yeux, à la vitesse de l’engin qui vous véhicule. Ce sont nos premières sensations lorsque le 21 juin, coincé dans une épave roulante, ces fameux taxis qui font des va et vient ininterrompus entre la ville de Bobo-Dioulasso et la Vallée du Kou, nous atteignons la commune de Bama. Devenue commune rurale en 2006, Bama a une population qui vit en majorité autour de la vallée aménagée du Kou. L’importance de la plaine (97 100 Ha dont 2 300Ha de terres exploitables) fait de Bama une entité inclue dans la Vallée du Kou. Le périmètre rizicole, d’une superficie de 1260Ha irrigués, a été implanté, grâce à une dérivation des eaux du Kou, un affluent du fleuve Mouhoun (ex-Volta-noire) et qui prend ses sources dans les eaux de la Guinguette.

La vallée est l’essence de milliers de gens dont l’histoire et la vie quotidienne en sont intimement liées. Plus de 80% des hommes et des femmes dans cette localité ont pour activité principale, la production, la transformation et la commercialisation du riz. Ils sont organisés en coopérative et en groupement. C’est un partage de travail bien fait. Les hommes sont membres de l’Union des Coopératives des producteurs de riz tandis que leurs épouses sont regroupées au sein de l’Union des Groupements des femmes étuveuses de riz de Bama. Les femmes sont toutes autant actives dans la chaîne de production que les hommes.

CK

MUTATIONS (mutations.bf@gmail.com)



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