L’Egypte de Mohamed Morsi est-elle encore africaine ? (1/2)Il y a la géographie. Et aussi la géopolitique. Quand, prenant en compte la place qu’occupe l’Egypte dans le monde arabe (Youssef Courbage, démographe spécialiste du monde arabe, aime à souligner « qu’un Arabe sur quatre est un Egyptien ») et son implication dans les affaires du Proche-Orient, on minimise la relation entre l’Egypte et l’Afrique, il ne faut pas longtemps pour qu’on nous rappelle que le plus grand fleuve d’Afrique est le Nil et qu’il prend sa source au cœur de l’Afrique subsaharienne. Cependant, il faut bien le reconnaître, si l’Egypte est membre de l’Union africaine, Le Caire n’est plus cette capitale-phare du continent qu’elle a été par le passé. Ainsi, le 26 décembre 1957, c’est au Caire qu’avait été organisée la première conférence afro-asiatique. C’est au Caire que se tiendra le premier sommet de l’OUA (17-21 juillet 1964), tandis que Gamal Abdel Nasser s’est trouvé être, ainsi, pour 1964-1965, le premier président de l’organisation panafricaine (Haïlé Sélassié 1er, empereur d’Ethiopie et hôte de la conférence constitutive les 22-25 mai 1963, en était le « président d’honneur »). Hosni Moubarak, quant à lui, accueillera au Caire le sommet des 28-29 juin 1993 et présidera l’OUA en 1993-1994. Quand l’OUA aura cédé la place à l’UA, il accueillera son XIème sommet à Charm el-Cheikh (30 juin-1er juillet 2008). Il participera aussi à des sommets France-Afrique. L’Egypte, et on a tendance à l’oublier, a été membre fondateur du NEPAD aux côtés de l’Afrique du Sud, de l’Algérie, du Nigeria et du Sénégal. C’est dire que le continent n’était pas biffé sur l’agenda du Raïs, mais qu’il ne lui accordait pas toujours un intérêt majeur, « l’essentiel étant de participer ». Il cessera, d’ailleurs, de « participer » aux sommets de l’UA à la suite de la tentative d’attentat dont il a été la cible au printemps 1995 alors qu’il se rendait à Addis-Abeba. La chute de Moubarak et une transition délicate débouchant sur l’accession au pouvoir de Mohamed Morsi, un Frère musulman, changent-elles la donne de la relation égypto-africaine ? Rien n’est moins sûr. Certes, l’Egypte a une frontière avec deux pays majeurs du continent : le Soudan au Sud et la Libye à l’Ouest. Mais Le Caire est, à vol d’oiseau, plus proche de Tel Aviv, Amman, Beyrouth, Damas, Bagdad, Ankara, La Mecque (et même Sofia, Belgrade, Bucarest) que de Tripoli ou de Khartoum qui sont quasiment aussi éloignés de la capitale égyptienne que… Téhéran. Le diplomate Jean-Pierre Filliu, enseignant à Sciences Po, cité par Christophe Ayad (Le Monde daté du 29 septembre 2012), l’affirme : « Les Egyptiens sont avant tout égyptiens et font la politique de leur géographie ». Or, la géographie comme la géopolitique font de l’Egypte un pays arabe avant qu’il ne soit un pays africain. « Avant » ; mais cela ne signifie pas pour autant que l’Egypte ne se percevra pas, aussi, comme « africaine » lorsque cela pourra servir ses intérêts diplomatiques, sa stratégie politique (les « Frères musulmans » constituent réellement une « internationale ») et sa vocation hégémonique régionale : Mohamed Morsi a ainsi marqué de sa présence le dernier sommet de l’UA à Addis-Abeba ; et il n’a jamais manqué, lors de ses interventions publiques, de souligner que l’absence de l’Afrique du Conseil de sécurité des Nations unies en tant que membre permanent était une « injustice historique ». Morsi n’a d’ailleurs pas tardé à remettre les pendules de la diplomatie mondiale à l’heure du Caire. Ce que le quotidien égyptien Al-Arham a caractérisé comme « la mise en œuvre […] d’une approche plus diversifiée de la politique étrangère ». Mohamed Morsi a choisi, au lendemain de sa nomination, de se rendre en Arabie saoudite, l’allié de Washington au Moyen-Orient auquel les Frères musulmans sont, historiquement (et financièrement), redevables. Mais ce n’était pas une visite d’allégeance ; seulement l’expression d’une volonté d’indépendance totale au plan diplomatique. La preuve en est qu’il a assisté, dans la foulée, au XVIème sommet des non-alignés à Téhéran, l’Iran étant l’ennemi juré de Riyad et de Tel-Aviv, donc de Washington. Or, l’Egypte et l’Iran ont rompu leurs relations en 1979 à la suite, justement, de la signature des accords de Camp David – dont Morsi entend se porter garant même s’il en conteste l’annexe militaire qui fait du Sinaï une zone tampon entre l’Egypte et Israël – et de la chute du chah. En Iran, Morsi n’a pas fait un déplacement de circonstance : il y a salué « la révolution en Syrie [qui vise un] régime oppressif ». Or Téhéran soutient militairement le régime de Bachar Al-Assad et a entrepris de censurer les déclarations du président égyptien (« Syrie » a été remplacé par… « Bahreïn » que l’Iran déteste). Morsi a réussi ainsi, à diffuser plusieurs messages en un seul. 1 - Il se déplace à Téhéran, ce qui hérisse les diplomates « occidentaux » habitués à plus de soumission de la part des Egyptiens. 2 - Mais dans la capitale iranienne, il se refuser à entonner un chant à la gloire de Téhéran. 3 - Dans le même temps, il affiche son indépendance totale vis-à-vis des « occidentaux » : à l’égard de la Syrie, la voie diplomatique doit être privilégiée via un « groupe de contact » (un comité régional quadripartite) dont l’Egypte serait le patron et qui comprendrait l’Iran, l’Arabie saoudite et la Turquie, des pro et des anti-Al Assad. 4 - Enfin, à Téhéran même, il affirme la « renaissance » diplomatique de l’Egypte face à un Iran qui s’affiche comme « le » leader au Moyen-Orient. C’est ainsi que le diplomate algérien, Lakhdar Brahimi, médiateur international pour la Syrie (il a succédé à Kofi Annan), a débuté sa mission par Le Caire ; certes, la capitale égyptienne est le siège de la Ligue arabe (dont la Syrie a été suspendue), mais Brahimi s’est aussi entretenu avec le chef de l’Etat égyptien et son ministre des Affaires étrangères, Mohamed Kamel Ali Amr. * « La fécondité égyptienne revêt sans doute aussi une dimension politique, précise Youssef Courbage (La Croix du 8 avril 2011 - entretien avec Marie Verdier). A l’instar des catholiques d’Irlande du Nord, des Palestiniens des Territoires occupés ou des Albanais du Kosovo qui ont pratiqué une forme de résistance démographique – avoir beaucoup d’enfants pour peser numériquement dans le combat politique –, les Egyptiens ont pu, par leur forte natalité, s’opposer à un pouvoir corrompu et contester la politique officielle de limitation des naissances perçue comme une volonté d’affaiblir les classes populaires ». Jean-Pierre BEJOT |